Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 9h35
Commission des affaires sociales

Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Mesdames, messieurs les députés, je suis très heureuse d'être auditionnée pour la première fois par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. J'ai l'habitude d'être reçue par la commission des lois chaque année après la parution de mon rapport mais compte tenu de l'ampleur et de la nature des sujets dont nous traitons, cette initiative me paraît très intéressante. Je vous remercie donc, madame la présidente, pour votre invitation. Je vous remercie d'autant plus que le Président de l'Assemblée nationale m'a indiqué qu'il n'avait pas le temps de me recevoir. C'est la première fois depuis que le contrôleur général des lieux de privation de liberté a été créé, soit depuis onze ans. Je rappelle que la loi de 2007 lui fait obligation de s'entretenir avec le contrôleur général chaque année au moment de la publication de son rapport. Je dois dire que j'ai été très surprise car nous avons de très bons contacts avec les parlementaires : je suis très souvent auditionnée en dehors de l'audition annuelle correspondant à la publication de mon rapport.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté est une autorité indépendante créée par la loi du 30 octobre 2007. Sa mission est de vérifier que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés. Elle s'exerce dans les locaux de garde à vue de la police et de la gendarmerie, dans les prisons, dans les établissements pour mineurs, dans les centres éducatifs fermés (CEF), dans les établissements de santé mentale pour ce qui concerne l'hospitalisation sans consentement ainsi que dans les centres de rétention administrative pour les étrangers en voie d'expulsion. Depuis la loi du 26 mai 2014, nos compétences ont été étendues au contrôle de l'exécution matérielle des procédures d'éloignement de personnes étrangères jusqu'à leur remise aux autorités de l'État de destination.

Pour mon exposé liminaire devant votre commission, j'ai choisi de me focaliser sur trois sujets : la santé en prison, les établissements de psychiatrie, dont j'ai fait une priorité de mon mandat, et les centres de rétention administrative.

Nous avons un rythme de 150 visites par an, fixé avec l'Assemblée nationale. J'ai autour de moi une équipe de quarante contrôleurs qui, quinze jours par mois, sont en immersion totale dans les lieux de privation de liberté, pour vérifier pendant une semaine ou deux, tout ce qui pourrait être attentatoire aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

En ce qui concerne la santé en prison, je n'évoquerai pas tous les dispositifs existants car leur organisation est assez complexe depuis que la prise en charge sanitaire des personnes détenues est revenue dans le giron du ministère de la santé. J'insisterai sur la problématique des troubles mentaux, question qui préoccupe tout le monde.

Comme je l'ai dit à la garde des Sceaux en lui remettant mon rapport annuel, se pose d'abord un problème de méconnaissance de la nature de ces troubles et du nombre exact de personnes qui en sont atteintes. La dernière étude épidémiologique date de plus d'une dizaine d'années. Si l'on prend en compte tout le spectre, des troubles anxiodépressifs jusqu'aux psychoses les plus graves, on peut affirmer que 70 % à 75 % des détenus sont concernés, ce qui est une proportion énorme, et l'on estime que 25 % des détenus souffrent de maladies très graves comme les psychoses ou la schizophrénie.

J'ai insisté auprès de la garde des Sceaux sur la nécessité d'une meilleure identification de ces troubles et, évidemment, sur celle d'un meilleur suivi. Actuellement, les soins sont dispensés par les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), unités implantées au sein d'établissements hospitaliers dédiées aux détenus qui, après y avoir séjourné, repartent en détention, ce qui induit une rupture dans les soins. L'urgence, me semble-t-il, est de compléter les neuf unités existantes en commençant la deuxième tranche de création d'UHSA, ce qui aurait dû être fait depuis de nombreuses années.

Comme je vous l'ai dit, j'ai fait des établissements de santé mentale la priorité de mon mandat, et j'ai fixé pour objectif que nous les visitions tous. Depuis 2014, nous en avons visité 106, dont 23 cette année, ce qui porte le total à 154 depuis 2008. Alors qu'au début, ces visites étaient très mal vécues par le corps médical, elles sont aujourd'hui presque attendues. Elles ne sont plus perçues comme quelque chose d'inquisitoire mais comme une manière de réinterroger des pratiques grâce à un regard extérieur et d'apporter des modifications à des habitudes prises.

Comme vous le savez, la psychiatrie traverse une crise, encore plus en milieu hospitalier. La plupart des structures sont aujourd'hui fermées. Depuis cinquante ans, le nombre de lits en psychiatrie a diminué de moitié. Ce mouvement est parti de bonnes intentions : il s'agissait de soigner les malades chez eux ou en milieu libre. Mais faute de donner des moyens aux soins en société, promus par la psychothérapie institutionnelle, la situation est devenue problématique avec l'augmentation du nombre d'hospitalisations sans consentement.

La première conséquence est que beaucoup de malades hospitalisés sans consentement passent d'abord par des services d'urgences générales. C'est là que nous avons constaté le plus de dysfonctionnements au point qu'en mars 2018, nous avons dû prendre une recommandation en urgence concernant le centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne où les contrôleurs ont observé des pratiques qui ne devraient pas avoir cours dans notre pays : faute de places dans les services de psychiatrie, des personnes – dont certaines venaient se faire soigner librement, j'insiste sur ce point – se retrouvaient pendant une durée variant d'une journée à huit jours attachées sur des brancards par des liens entravant leurs mains et leurs pieds et par une ceinture ventrale, sans pouvoir aller aux toilettes. Nous avons saisi la ministre sans attendre la fin de la rédaction du rapport de manière que des mesures immédiates soient ordonnées.

S'il n'y a pas de formation à la psychiatrie dans les services d'urgence, s'il n'y a pas de fluidité entre les services d'urgences et les services psychiatrie, alors le risque augmente que des situations dramatiques de ce genre se multiplient. Nous avons pu constater de tels dysfonctionnements dans d'autres établissements dès lors qu'il y a passage aux urgences par manque de places en psychiatrie.

J'aimerais vous parler plus particulièrement des pratiques d'isolement et de contention appliquées aux malades considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. Elles n'étaient encadrées que par des circulaires jusqu'à la loi du 26 janvier 2016, sollicitée par la Haute Autorité de santé (HAS) et par le contrôle général des lieux de privation de liberté ainsi que par de nombreux rapports parlementaires.

Son texte peut être considéré comme satisfaisant. Son article 72 indique que l'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et qu'il ne peut y être procédé que sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Il est précisé que leur mise en oeuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés. Il est en outre fait obligation de mentionner le recours qui y est fait dans un registre. Nous avions découvert lors de nos visites non seulement que ces mesures étaient fréquentes mais qu'il n'y avait aucun moyen de les contrôler car il n'était pas obligatoire de les tracer. À nos questions sur le nombre de mesures d'isolement ou de contentieux décidées dans l'année, les responsables des hôpitaux étaient incapables de répondre. Seul le service de sécurité connaissait le nombre de personnes qui en faisaient l'objet au jour le jour pour savoir qui évacuer en cas de drame.

Le problème est que cette loi est trop souvent non appliquée alors que cela fait trois ans et demi qu'elle a été promulguée. Même si elle était d'application immédiate, les hôpitaux ont attendu la publication d'une circulaire. Elle est intervenue en mars 2017, sous forme très détaillée. Pourtant nous constatons encore trop souvent qu'il y a des établissements où ces dispositions ne sont pas respectées : le registre n'existe pas, les mesures d'isolement ne sont pas prises pour des motifs thérapeutiques mais par manque de personnel ou pour raisons punitives, ce qui est absolument inacceptable. Il devrait toujours y avoir la possibilité pour un médecin ou un infirmier de parler avec un malade lorsqu'il commence à s'agiter mais cela prend une demi-heure voire une heure pour le calmer et la solution de facilité va être de l'enfermer, ce qui n'est pas satisfaisant. Nous considérons qu'il est inadmissible que le législateur ne soit pas entendu.

En dehors de ces cas extrêmes, nous enregistrons dans les établissements psychiatriques beaucoup d'atteintes aux droits fondamentaux, à commencer par la liberté de circulation. Une personne hospitalisée sans consentement ne peut sortir de l'établissement selon son gré mais cela ne veut pas dire qu'elle doit être privée de sa liberté de mouvement au sein de l'hôpital, or c'est malheureusement très souvent ce que nous constatons. Cela ne veut pas dire non plus qu'elle doit systématiquement être mise en pyjama et être privée de ses habits personnels car c'est une atteinte à la dignité des personnes. Nous ne nous opposons pas bien sûr à ce que, pendant quelques jours, on mette en pyjama un patient ou qu'on lui interdise de joindre sa famille si les décisions sont justifiées d'un point de vue thérapeutique. Ce que nous refusons, ce sont des pratiques systématiques motivées par le confort des équipes ou par les menaces. Les médecins ou les infirmiers quand on les interroge nous font parfois des réponses inacceptables comme celles-ci : « ça s'est toujours passé comme ça », « c'est bien de les mettre en pyjama, comme ça ils se rendent compte qu'ils sont malades », « s'ils vont dans le parc, on les reconnaîtra plus facilement ». Nous insistons pour que ces restrictions de liberté soient les plus limitées possible et qu'elles aient un fondement thérapeutique.

Je pense qu'il y a d'autre façon de soigner que d'enfermer. Dans certains cas, l'enfermement s'impose, c'est une évidence, mais d'autres voies sont possibles. Nous le voyons bien à travers certains exemples étrangers ou français ou à travers les expériences menées au moment de la naissance de la psychothérapie institutionnelle dont l'objectif était d'insérer les patients dans la société. Enfermer moins permettrait sans doute de soigner mieux.

Le problème vient du fait qu'on n'a pas consacré les moyens dégagés par la suppression des lits aux centres médico-psychologiques (CMP) ou aux appartements thérapeutiques qui coûtent moins cher qu'une hospitalisation. Aujourd'hui, une personne qui veut se faire soigner doit attendre trois ou quatre mois avant d'obtenir un rendez-vous dans un CMP. Pendant cette période, les troubles empirent, dans certains cas, jusqu'à une décompensation qui aboutit à une hospitalisation sans consentement.

Il y aurait un travail à mener sur le développement des prises en charge dans la cité, piste qui ne figure pas dans le plan « Ma santé 2022 ».

J'en viens aux centres de rétention administrative (CRA).

Comme vous le savez, le doublement de la durée de rétention, de 45 à 90 jours, m'inquiète beaucoup. Je sais que certains parlementaires ont fait ce qu'ils pouvaient pour l'empêcher. C'est une mesure aussi dangereuse qu'inutile car on sait très bien que si la personne n'a pas été reconduite au bout de 10 à 12 jours, elle ne sera pas plus acceptée par son pays d'origine au bout de 90 jours. Vous avez tous visité des centres de rétention dans vos circonscriptions : même si ce ne sont pas des prisons, ils ont un aspect carcéral et provoquent des traumatismes. Nous commençons d'ailleurs à voir les personnes restées 90 jours puisque cette mesure a été appliquée à partir du 1er janvier dernier.

Le législateur a manqué une occasion dans le cadre de la loi « Asile et immigration » de supprimer l'enfermement des jeunes enfants dans des centres de rétention avec leurs parents au profit d'une assignation à résidence. J'ai été récemment auditionnée à ce sujet par le groupe de travail sur la rétention administrative des familles avec mineurs et des majeurs vulnérables et j'espère qu'il fera des propositions en ce sens.

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