Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • contrôleure générale
  • détenu
  • hospitalisation
  • prison
  • psychiatrie
  • pénitentiaire

La réunion

Source

Mercredi 22 mai 2019

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente

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La commission procède à l'audition de Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

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Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui, Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. C'est la première fois que la commission des affaires sociales procède à l'audition du contrôleur général des lieux de privation de liberté, exercice dont la commission des lois est familière. Nous avons d'ailleurs envisagé un temps avec Mme la présidente de la commission des lois une audition commune mais nous avons préféré, compte-tenu de la densité des sujets, aborder votre rapport, vos missions et vos actions avec notre propre éclairage.

J'informe mes collègues que j'ai reçu ce matin de la présidence de l'Assemblée une lettre du président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) m'informant que celui-ci avait été saisi de la question suivante « Accompagner les détenus et les détenues dans leur accès aux droits sociaux pendant et à la sortie de prison ». J'en tire la conclusion que l'audition de ce matin n'est sans doute que la première étape d'un travail au long cours pour notre commission.

Nous avons d'ores et déjà de nombreuses demandes de parole. J'en profite pour vous informer que, pour des raisons d'équité et de bon déroulement des réunions, il n'y aura désormais plus de pré-inscription pour les questions. Les groupes continuent d'être invités à communiquer à l'avance le nom de l'orateur qu'ils auront désigné. Les autres orateurs devront, en revanche, s'inscrire dès leur arrivée auprès des services.

Je vous laisse sans plus attendre la parole, madame la contrôleure générale.

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Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Mesdames, messieurs les députés, je suis très heureuse d'être auditionnée pour la première fois par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. J'ai l'habitude d'être reçue par la commission des lois chaque année après la parution de mon rapport mais compte tenu de l'ampleur et de la nature des sujets dont nous traitons, cette initiative me paraît très intéressante. Je vous remercie donc, madame la présidente, pour votre invitation. Je vous remercie d'autant plus que le Président de l'Assemblée nationale m'a indiqué qu'il n'avait pas le temps de me recevoir. C'est la première fois depuis que le contrôleur général des lieux de privation de liberté a été créé, soit depuis onze ans. Je rappelle que la loi de 2007 lui fait obligation de s'entretenir avec le contrôleur général chaque année au moment de la publication de son rapport. Je dois dire que j'ai été très surprise car nous avons de très bons contacts avec les parlementaires : je suis très souvent auditionnée en dehors de l'audition annuelle correspondant à la publication de mon rapport.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté est une autorité indépendante créée par la loi du 30 octobre 2007. Sa mission est de vérifier que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés. Elle s'exerce dans les locaux de garde à vue de la police et de la gendarmerie, dans les prisons, dans les établissements pour mineurs, dans les centres éducatifs fermés (CEF), dans les établissements de santé mentale pour ce qui concerne l'hospitalisation sans consentement ainsi que dans les centres de rétention administrative pour les étrangers en voie d'expulsion. Depuis la loi du 26 mai 2014, nos compétences ont été étendues au contrôle de l'exécution matérielle des procédures d'éloignement de personnes étrangères jusqu'à leur remise aux autorités de l'État de destination.

Pour mon exposé liminaire devant votre commission, j'ai choisi de me focaliser sur trois sujets : la santé en prison, les établissements de psychiatrie, dont j'ai fait une priorité de mon mandat, et les centres de rétention administrative.

Nous avons un rythme de 150 visites par an, fixé avec l'Assemblée nationale. J'ai autour de moi une équipe de quarante contrôleurs qui, quinze jours par mois, sont en immersion totale dans les lieux de privation de liberté, pour vérifier pendant une semaine ou deux, tout ce qui pourrait être attentatoire aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

En ce qui concerne la santé en prison, je n'évoquerai pas tous les dispositifs existants car leur organisation est assez complexe depuis que la prise en charge sanitaire des personnes détenues est revenue dans le giron du ministère de la santé. J'insisterai sur la problématique des troubles mentaux, question qui préoccupe tout le monde.

Comme je l'ai dit à la garde des Sceaux en lui remettant mon rapport annuel, se pose d'abord un problème de méconnaissance de la nature de ces troubles et du nombre exact de personnes qui en sont atteintes. La dernière étude épidémiologique date de plus d'une dizaine d'années. Si l'on prend en compte tout le spectre, des troubles anxiodépressifs jusqu'aux psychoses les plus graves, on peut affirmer que 70 % à 75 % des détenus sont concernés, ce qui est une proportion énorme, et l'on estime que 25 % des détenus souffrent de maladies très graves comme les psychoses ou la schizophrénie.

J'ai insisté auprès de la garde des Sceaux sur la nécessité d'une meilleure identification de ces troubles et, évidemment, sur celle d'un meilleur suivi. Actuellement, les soins sont dispensés par les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), unités implantées au sein d'établissements hospitaliers dédiées aux détenus qui, après y avoir séjourné, repartent en détention, ce qui induit une rupture dans les soins. L'urgence, me semble-t-il, est de compléter les neuf unités existantes en commençant la deuxième tranche de création d'UHSA, ce qui aurait dû être fait depuis de nombreuses années.

Comme je vous l'ai dit, j'ai fait des établissements de santé mentale la priorité de mon mandat, et j'ai fixé pour objectif que nous les visitions tous. Depuis 2014, nous en avons visité 106, dont 23 cette année, ce qui porte le total à 154 depuis 2008. Alors qu'au début, ces visites étaient très mal vécues par le corps médical, elles sont aujourd'hui presque attendues. Elles ne sont plus perçues comme quelque chose d'inquisitoire mais comme une manière de réinterroger des pratiques grâce à un regard extérieur et d'apporter des modifications à des habitudes prises.

Comme vous le savez, la psychiatrie traverse une crise, encore plus en milieu hospitalier. La plupart des structures sont aujourd'hui fermées. Depuis cinquante ans, le nombre de lits en psychiatrie a diminué de moitié. Ce mouvement est parti de bonnes intentions : il s'agissait de soigner les malades chez eux ou en milieu libre. Mais faute de donner des moyens aux soins en société, promus par la psychothérapie institutionnelle, la situation est devenue problématique avec l'augmentation du nombre d'hospitalisations sans consentement.

La première conséquence est que beaucoup de malades hospitalisés sans consentement passent d'abord par des services d'urgences générales. C'est là que nous avons constaté le plus de dysfonctionnements au point qu'en mars 2018, nous avons dû prendre une recommandation en urgence concernant le centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne où les contrôleurs ont observé des pratiques qui ne devraient pas avoir cours dans notre pays : faute de places dans les services de psychiatrie, des personnes – dont certaines venaient se faire soigner librement, j'insiste sur ce point – se retrouvaient pendant une durée variant d'une journée à huit jours attachées sur des brancards par des liens entravant leurs mains et leurs pieds et par une ceinture ventrale, sans pouvoir aller aux toilettes. Nous avons saisi la ministre sans attendre la fin de la rédaction du rapport de manière que des mesures immédiates soient ordonnées.

S'il n'y a pas de formation à la psychiatrie dans les services d'urgence, s'il n'y a pas de fluidité entre les services d'urgences et les services psychiatrie, alors le risque augmente que des situations dramatiques de ce genre se multiplient. Nous avons pu constater de tels dysfonctionnements dans d'autres établissements dès lors qu'il y a passage aux urgences par manque de places en psychiatrie.

J'aimerais vous parler plus particulièrement des pratiques d'isolement et de contention appliquées aux malades considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. Elles n'étaient encadrées que par des circulaires jusqu'à la loi du 26 janvier 2016, sollicitée par la Haute Autorité de santé (HAS) et par le contrôle général des lieux de privation de liberté ainsi que par de nombreux rapports parlementaires.

Son texte peut être considéré comme satisfaisant. Son article 72 indique que l'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et qu'il ne peut y être procédé que sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Il est précisé que leur mise en oeuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés. Il est en outre fait obligation de mentionner le recours qui y est fait dans un registre. Nous avions découvert lors de nos visites non seulement que ces mesures étaient fréquentes mais qu'il n'y avait aucun moyen de les contrôler car il n'était pas obligatoire de les tracer. À nos questions sur le nombre de mesures d'isolement ou de contentieux décidées dans l'année, les responsables des hôpitaux étaient incapables de répondre. Seul le service de sécurité connaissait le nombre de personnes qui en faisaient l'objet au jour le jour pour savoir qui évacuer en cas de drame.

Le problème est que cette loi est trop souvent non appliquée alors que cela fait trois ans et demi qu'elle a été promulguée. Même si elle était d'application immédiate, les hôpitaux ont attendu la publication d'une circulaire. Elle est intervenue en mars 2017, sous forme très détaillée. Pourtant nous constatons encore trop souvent qu'il y a des établissements où ces dispositions ne sont pas respectées : le registre n'existe pas, les mesures d'isolement ne sont pas prises pour des motifs thérapeutiques mais par manque de personnel ou pour raisons punitives, ce qui est absolument inacceptable. Il devrait toujours y avoir la possibilité pour un médecin ou un infirmier de parler avec un malade lorsqu'il commence à s'agiter mais cela prend une demi-heure voire une heure pour le calmer et la solution de facilité va être de l'enfermer, ce qui n'est pas satisfaisant. Nous considérons qu'il est inadmissible que le législateur ne soit pas entendu.

En dehors de ces cas extrêmes, nous enregistrons dans les établissements psychiatriques beaucoup d'atteintes aux droits fondamentaux, à commencer par la liberté de circulation. Une personne hospitalisée sans consentement ne peut sortir de l'établissement selon son gré mais cela ne veut pas dire qu'elle doit être privée de sa liberté de mouvement au sein de l'hôpital, or c'est malheureusement très souvent ce que nous constatons. Cela ne veut pas dire non plus qu'elle doit systématiquement être mise en pyjama et être privée de ses habits personnels car c'est une atteinte à la dignité des personnes. Nous ne nous opposons pas bien sûr à ce que, pendant quelques jours, on mette en pyjama un patient ou qu'on lui interdise de joindre sa famille si les décisions sont justifiées d'un point de vue thérapeutique. Ce que nous refusons, ce sont des pratiques systématiques motivées par le confort des équipes ou par les menaces. Les médecins ou les infirmiers quand on les interroge nous font parfois des réponses inacceptables comme celles-ci : « ça s'est toujours passé comme ça », « c'est bien de les mettre en pyjama, comme ça ils se rendent compte qu'ils sont malades », « s'ils vont dans le parc, on les reconnaîtra plus facilement ». Nous insistons pour que ces restrictions de liberté soient les plus limitées possible et qu'elles aient un fondement thérapeutique.

Je pense qu'il y a d'autre façon de soigner que d'enfermer. Dans certains cas, l'enfermement s'impose, c'est une évidence, mais d'autres voies sont possibles. Nous le voyons bien à travers certains exemples étrangers ou français ou à travers les expériences menées au moment de la naissance de la psychothérapie institutionnelle dont l'objectif était d'insérer les patients dans la société. Enfermer moins permettrait sans doute de soigner mieux.

Le problème vient du fait qu'on n'a pas consacré les moyens dégagés par la suppression des lits aux centres médico-psychologiques (CMP) ou aux appartements thérapeutiques qui coûtent moins cher qu'une hospitalisation. Aujourd'hui, une personne qui veut se faire soigner doit attendre trois ou quatre mois avant d'obtenir un rendez-vous dans un CMP. Pendant cette période, les troubles empirent, dans certains cas, jusqu'à une décompensation qui aboutit à une hospitalisation sans consentement.

Il y aurait un travail à mener sur le développement des prises en charge dans la cité, piste qui ne figure pas dans le plan « Ma santé 2022 ».

J'en viens aux centres de rétention administrative (CRA).

Comme vous le savez, le doublement de la durée de rétention, de 45 à 90 jours, m'inquiète beaucoup. Je sais que certains parlementaires ont fait ce qu'ils pouvaient pour l'empêcher. C'est une mesure aussi dangereuse qu'inutile car on sait très bien que si la personne n'a pas été reconduite au bout de 10 à 12 jours, elle ne sera pas plus acceptée par son pays d'origine au bout de 90 jours. Vous avez tous visité des centres de rétention dans vos circonscriptions : même si ce ne sont pas des prisons, ils ont un aspect carcéral et provoquent des traumatismes. Nous commençons d'ailleurs à voir les personnes restées 90 jours puisque cette mesure a été appliquée à partir du 1er janvier dernier.

Le législateur a manqué une occasion dans le cadre de la loi « Asile et immigration » de supprimer l'enfermement des jeunes enfants dans des centres de rétention avec leurs parents au profit d'une assignation à résidence. J'ai été récemment auditionnée à ce sujet par le groupe de travail sur la rétention administrative des familles avec mineurs et des majeurs vulnérables et j'espère qu'il fera des propositions en ce sens.

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Je vais donner la parole aux orateurs des groupes avant que nous ne passions aux questions, particulièrement nombreuses.

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Madame la contrôleure générale, au nom du groupe La République en Marche, je tiens d'abord à saluer la qualité de votre rapport.

Vous mettez en évidence le fait que les atteintes aux droits fondamentaux n'ont pas régressé dans les lieux de privation de liberté. Vous rappelez que ces droits « sont chaque année plus limités par une culture sécuritaire qui ne cesse d'imposer de nouvelles contraintes ». La surpopulation des lieux de privation de liberté et les volumes budgétaires qui leur sont alloués, bien qu'en réelle augmentation, constituent un facteur majeur de cet état de fait.

Mes questions porteront sur la santé dans les lieux de privation de liberté, plus particulièrement sur le cas des personnes qui y sont encore plus exposées que d'autres.

Les femmes, qui représentent 4 % de la population carcérale, se voient remettre à leur arrivée un kit d'hygiène comprenant des protections hygiéniques. Leur renouvellement n'intervient parfois qu'au bout de deux mois et certaines détenues sont contraintes de se débrouiller en fabriquant des protections hygiéniques de fortune en utilisant des tissus et des bouteilles en plastique, remettant ainsi en cause jusqu'à leur intégrité physique.

Quant aux détenus transgenres, ils subissent des conditions de détention particulièrement dramatiques. De nombreux témoignages font état de placements à l'isolement pour des durées indéterminées pour des motifs de mise en sécurité. Madame la contrôleure générale, nous souhaiterions connaître vos préconisations pour lutter contre les inégalités d'accueil entre détenus en fonction de leur genre ou de leur identité de genre.

Pour finir, j'aimerais que vous nous en disiez plus sur le recours aux chambres d'isolement dans les services psychiatriques. Nous savons que ces décisions sont parfois totalement dévoyées de leur objectif thérapeutique et qu'elles sont prises pour faire face à l'insuffisance des moyens nécessaires à la protection des patients.

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Madame la présidente, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative que vous avez prise d'inviter Mme la contrôleure générale à s'exprimer devant notre commission, que nombre des sujets évoqués dans le rapport intéressent au premier chef.

Ma première question a trait à la prise en charge sanitaire dans les lieux de détention. J'ai moi-même effectué, ces derniers temps, un certain nombre de visites dans des établissements pénitentiaires et j'ai été amené à constater, à cette occasion, que les difficultés liées à la démographie médicale affectaient gravement les lieux de détention. Ainsi, plusieurs de ces établissements ne proposaient plus de consultations dentaires ou n'étaient plus en mesure d'assurer une présence médicale en tant que telle. Quant aux patients souffrant de troubles psychiatriques, ils sont parfois pris en charge par des infirmiers qui n'ont pas tous la qualification d'infirmiers psychiatriques. Madame la contrôleure générale, avez-vous eu le sentiment, lors des contacts que vous avez pu avoir avec elles, que la garde des Sceaux et la ministre des solidarités et de la santé avaient conscience du risque sanitaire que l'on fait ainsi courir aux personnes détenues ?

Ma seconde question porte sur l'hospitalisation sans consentement. Si les chiffres dont je dispose sont exacts, leur nombre, qu'il s'agisse des hospitalisations d'office ou des hospitalisations à la demande d'un tiers, était, en 2017, considérable, puisqu'il s'élevait à 92 000. Ces deux procédures demeurent-elles, selon vous, parfaitement conformes au respect des libertés publiques et des libertés individuelles des personnes concernées ? On sait en effet que, très souvent, l'hospitalisation d'office est faite sur réquisition des forces de l'ordre et que, parfois, l'avis médical importe peu dès lors que les différentes autorités se sont mises d'accord. Est-ce également votre sentiment ? Avez-vous des préconisations à faire dans ce domaine ?

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Bravo, madame la contrôleure générale, pour le travail formidable que vous accomplissez, travail dont on peut constater, à la lecture de votre rapport, qu'il est conséquent, notamment en ce qui concerne les hospitalisations non consenties. Les personnes privées de liberté sont souvent éloignées de la santé. Cette privation de liberté ne pourrait-elle pas être l'occasion de réaliser un bilan de santé de ces personnes et de mettre en oeuvre des actions de prévention, notamment des addictions ?

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Madame la contrôleure générale, je veux tout d'abord vous remercier pour la présentation que vous avez faite de votre rapport et pour la qualité de celui-ci qui, à dire vrai, est, à certains égards, glaçant en ce qu'il nous oblige à regarder la réalité en face. La République est rudement mise à l'épreuve en ces matières ; les renoncements sont toujours beaucoup plus importants qu'on l'imagine ou qu'on accepte de l'envisager. Nous avons, les uns et les autres, en notre qualité de parlementaires, la possibilité de visiter les lieux de privation de liberté. Pour ce qui me concerne, je n'ai pas encore usé de ce droit, car je ne souhaite pas donner le sentiment qu'une telle visite puisse se faire contre les personnels pénitentiaires, dont les conditions de travail sont difficiles. Au reste, le lien est patent entre le respect des droits fondamentaux – notamment en prison, mais sans doute également dans d'autres établissements – et les conditions de travail des personnels. Pourriez-vous nous dire un mot à ce sujet ?

Je souhaiterais insister sur deux sujets. Le premier est celui des fouilles, notamment en prison. Outre celle des détenus, s'est posée la question, à l'occasion d'événements récents, de la fouille des visiteurs. La présence de ceux-ci conditionne la liberté du détenu d'exercer un certain nombre de droits, notamment celui d'avoir une vie familiale, en particulier dans le cadre des unités de vie familiale, dont l'accès pourrait être, de ce fait, limité.

Enfin, quelle est votre appréciation de la capacité des associations qui travaillent en prison d'exercer convenablement leur mission ? Il y a quelques mois, des tensions sont apparues entre certaines d'entre elles et le Gouvernement, celui-ci ayant réduit quelques-unes de leurs subventions, pour des motifs qui lui appartiennent mais que je n'approuve pas.

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Madame la présidente, je tiens à saluer, à mon tour, votre initiative et à remercier Mme la contrôleure générale pour sa présence devant notre commission et la qualité de son exposé.

Madame la contrôleure générale, vous avez pour mission de contrôler le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et notamment de veiller à ce qu'elles soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne. Dans le cadre de cette mission, vous adoptez des positions fortes qui prêtent parfois à débat mais qui témoignent du haut niveau d'exigence avec lequel vous accomplissez votre mission ; soyez-en remerciée.

Mes deux questions sont en lien avec les futurs travaux de notre commission. Tout d'abord, la question du périmètre de compétence du contrôleur général des lieux de privation de liberté revient dans le débat. La loi de 2007 a limité cette compétence aux lieux privatifs de liberté sur décision de l'autorité publique et aux établissements psychiatriques pour leur activité relative à l'hospitalisation d'office, en excluant donc les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Il y a près d'un an, vous avez exprimé, devant la commission des lois du Sénat, votre préférence pour la création d'une autorité indépendante chargée du contrôle de ces établissements plutôt que pour une intégration de ceux-ci dans votre périmètre de compétence. Il est vrai que l'hébergement des personnes âgées dans ces établissements ne relève pas d'une contrainte de même nature. Mais, au regard des cas de maltraitance et des récents scandales sanitaires, défendez-vous toujours ce point de vue ?

S'agissant de la situation de la psychiatrie, les personnels soignants et les collectifs de proches et de patients se sont fait l'écho, ces derniers mois, de la grave insuffisance des moyens de ce secteur, au point que celui-ci a été qualifié par la ministre elle-même de « parent pauvre de la médecine ». Il est indéniable que les moyens manquent, en raison de la diminution du nombre de lits de psychiatrie générale à l'hôpital, réduit de moitié depuis cinquante ans, sans que cette baisse soit pour autant compensée par une augmentation des soins en ville. Par ailleurs, le secteur de la psychiatrie est, hélas, touché, comme les autres, par la pénurie de professionnels de santé. La ministre de la santé a annoncé, pour cette année, une enveloppe d'environ 100 millions d'euros supplémentaires fléchés vers la psychiatrie ; il faut saluer cette décision. Vous avez évoqué la situation du secteur de la psychiatrie, mais pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « revoir la chaîne complète de prise en charge des maladies mentales », en apportant un éclairage particulier sur la situation des mineurs, que vous évoquez également dans votre rapport ?

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Madame la contrôleure générale, je vous remercie pour le travail que vous avez accompli. Parmi les questions abordées par mes collègues, j'insisterai, pour ma part, à l'instar de M. Chiche, sur la situation des personnes transgenres dans les centres de rétention et sur celle des femmes détenues, qui éprouvent des difficultés à obtenir des protections périodiques.

En 2012, votre prédécesseur, Jean-Marie Delarue, avait révélé que les personnes âgées atteintes d'une maladie neurodégénérative pouvaient faire l'objet de restrictions de liberté. De fait, ces fameuses unités de vie protégée – que je connais bien, pour y avoir travaillé – sont fermées, de sorte que les personnes qui s'y trouvent ne peuvent en sortir librement. Il s'agit donc bien de lieux de privation de liberté. Quelle est votre position sur ce sujet ? Par ailleurs, avez-vous eu des échanges avec le Gouvernement, notamment avec les ministres concernées, sur ce rapport et que vous en ont-elles dit ?

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Merci, madame la contrôleure générale, pour vos propos et le travail que vous accomplissez.

Je souhaiterais dire, à mon tour, combien j'ai été frappé de constater, lors de la visite d'une prison, que, derrière presque toutes les portes que j'ai ouvertes, se trouvaient des personnes en état de souffrance psychique. Cette réalité massive, que vous avez soulignée, doit susciter des interrogations, car il semble qu'un certain nombre de ces femmes et de ces hommes ne sont pas tout à fait à leur place en détention. En tout cas, les conditions dans lesquelles ils sont retenus ne les aident pas à surmonter leurs difficultés.

Je tiens également à évoquer la crise profonde du système hospitalier, en particulier du secteur psychiatrique. Là encore, lorsque, à l'occasion d'un tour de France des hôpitaux, j'ai visité des établissements de ce type, j'ai pu constater la situation difficile, dont les personnels ont été les premiers à m'informer, dans laquelle se trouvent des patients. Les personnels eux-mêmes sont en grande souffrance parce que, contraints de renoncer aux soins tels qu'ils les conçoivent et tels qu'ils ont appris à les prodiguer, ils sont amenés à recourir à des logiques d'enfermement qui ne leur semblent pas correspondre à la psychiatrie qu'ils souhaiteraient voir pratiquer.

Je veux souligner, enfin, la situation singulière de la jeunesse dans ces deux types d'établissements – peut-être faut-il lui témoigner une attention particulière – ainsi que les difficultés que rencontrent l'ensemble des personnes concernées pour accéder à leurs droits et les faire valoir. Les signalements que vous faites vous semblent-ils suffisamment suivis d'effets ?

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Merci, madame la contrôleure générale, pour la présentation de votre rapport et pour votre engagement éthique.

Je souhaiterais vous interroger, tout d'abord, sur l'absence de réactions à vos recommandations, qui sont, je suppose, présentées aux ministres concernés. Ainsi, vous préconisez notamment la mise en oeuvre d'une politique publique de désinflation carcérale efficace, car l'augmentation du nombre des places de prison n'a réglé, avez-vous constaté, aucun des problèmes liés à la surpopulation. Pourriez-vous donc nous dire quelles sont les actions que vous menez auprès du ministre pour que vos recommandations soient prises en compte ?

Par ailleurs, j'avoue avoir été stupéfaite d'apprendre, à la lecture de votre rapport, que la proportion des mineurs étrangers non accompagnés (MNA) atteignait 20 % dans le quartier réservé aux mineurs d'un établissement pénitentiaire de la région parisienne. On parle beaucoup de la situation de ces mineurs dans le cadre des relations entre l'État et les conseils départementaux, mais jamais on n'évoque ce sujet. Je souhaiterais donc que vous nous en disiez un peu plus à ce propos, car cette question présente un caractère de gravité extrême.

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Avant de donner la parole à Mme Hazan, je souhaiterais mettre un terme à une certaine forme d'incompréhension. Peut-être aurais-je dû rappeler, en préambule, que Mme Hazan s'exprime ici, non pas à titre personnel, mais en tant que responsable d'une autorité administrative indépendante et que ses services sont astreints à un devoir d'impartialité. Nous parlons bien d'une politique de long terme et d'un constat partagé.

Cette précision étant apportée, je vous laisse répondre aux questions de mes collègues, madame la contrôleure générale.

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Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Je vais m'efforcer de répondre à l'ensemble de vos questions, fort intéressantes et très complètes.

Monsieur Chiche, je ne l'ai pas évoqué tout à l'heure, mais j'y insiste dans mon rapport, le fléau, en matière de politique carcérale, est évidemment la surpopulation – on dénombre actuellement plus de 71 000 détenus pour 60 000 places. Car, de cette surpopulation découlent toute une série d'atteintes à des droits fondamentaux, qu'il s'agisse de la liberté de circulation ou de l'accès aux liens familiaux et à la santé. En ce qui concerne les femmes, elles ne représentent actuellement « que » un peu plus de 3 % des détenus. Or, et c'est tout à fait paradoxal, elles sont la dernière roue du carrosse, le parent pauvre de la détention, alors qu'on pourrait penser qu'étant donné leur faible nombre, elles sont prises en charge de façon plus fine et plus adaptée. Du reste, très souvent, le quartier des femmes est relégué tout au bout de l'établissement. Surtout, comme elles ne représentent que 3 % de la population totale, on réduit les créneaux horaires auxquels elles ont accès à l'unité sanitaire. Ainsi, dans un certain nombre de maisons d'arrêt, ces créneaux sont limités à une demi-journée par semaine, l'accès aux unités sanitaires étant réservé, le reste du temps, aux hommes, de sorte que, si ce créneau correspond au mardi après-midi et qu'elles ont un problème le mercredi matin, elles sont priées d'attendre le mardi suivant. Il y a là une inégalité hommes-femmes absolument insupportable.

Par ailleurs, nous avons déjà effectué un travail important concernant les détenus transgenres. Actuellement, l'administration pénitentiaire n'accepte le transfert d'une personne en cours de changement de sexe – dans le quartier des femmes, par exemple, s'il s'agit d'un homme – qu'à partir du moment où son état civil a été modifié. Or, ce n'est pas acceptable. Il faut que cette personne puisse être transférée lorsqu'elle sent qu'elle a dépassé un certain seuil de transformation. Nous recommandons également qu'un homme, par exemple, même s'il se trouve dans le quartier des hommes, puisse avoir, pendant le processus de transformation et conformément à son souhait, accès à des produits spécifiquement féminins tels que des produits de maquillage. L'appréciation de cette transformation demeure encore très rigide.

Monsieur Grelier, en prison, la question de la démographie médicale est extrêmement grave dans tous les secteurs, mais elle l'est particulièrement en ce qui concerne les spécialités. Pour voir un kiné ou un dentiste, par exemple, l'attente est de plusieurs mois, à cause de la surpopulation pénale, bien entendu, mais aussi faute de personnels médicaux en nombre suffisant qui consentent à venir travailler en prison. De fait, au-delà des problèmes liés à la démographie médicale en général, de moins en moins de médecins acceptent de faire des vacations en prison.

Par ailleurs, la procédure de l'hospitalisation sans consentement est-elle en conformité avec les textes ? Nous ne sommes pas compétents pour déterminer si une hospitalisation est arbitraire. Lorsque nous recevons une requête – puisque nous agissons aussi en réponse à des requêtes, lesquelles sont au nombre de 4 000 par an – dénonçant une hospitalisation jugée arbitraire, nous ne pouvons pas intervenir. Nous renvoyons alors le requérant vers d'autres procédures, notamment judiciaires. Néanmoins, de par les visites qu'il effectue et les requêtes qu'il reçoit, le contrôle général est un lieu d'observation privilégié. À ce titre, j'ai le sentiment que, de plus en plus, les procédures sont respectées. Ainsi, même s'il a fait beaucoup débat lors de l'examen des lois de 2011 et de 2013 qui l'ont imposé, le contrôle juridictionnel permet aux magistrats, non pas de se transformer en médecins – ce serait la pire des choses –, mais de vérifier la légalité du processus, notamment la réalité de la motivation des certificats médicaux. Des progrès ont donc été réalisés dans ce domaine.

Monsieur Isaac-Sibille, une politique d'addictologie est menée dans les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés : des spécialistes peuvent proposer aux détenus qui arrivent de se sevrer de la drogue ou du tabac. En revanche, dans les centres de rétention, la politique de santé fait défaut. Très peu de médecins y interviennent. Théoriquement, à chaque fois qu'une personne arrive en centre de rétention, elle devrait être reçue par un médecin ; dans la réalité, ce n'est pas du tout le cas. Les problèmes que vous évoquez ne peuvent donc pas être détectés. J'ajoute que, si les personnes peuvent être retenues 90 jours – ce qui est beaucoup trop long –, toutes, et c'est heureux, ne restent pas aussi longtemps en centre de rétention : la durée moyenne se situe plutôt entre 12 et 15 jours. On n'enclenche donc pas de procédure de lutte contre les addictions en centre de rétention. En prison et en centre éducatif fermé, en revanche, cela commence à exister.

Monsieur Vallaud, les conditions de vie des détenus et les conditions de travail des surveillants sont évidemment liées. Du reste, même si ce n'est pas notre coeur de métier, nous examinons tout de même souvent les conditions de travail des surveillants, d'abord parce qu'ils ont le droit de travailler dans des conditions humaines, ensuite parce que, dès lors qu'ils ne travaillent pas dans des conditions satisfaisantes, la prise en charge des détenus s'en trouvera nécessairement affectée – parfois sérieusement, par des violences ou des tensions. Par exemple, dans presque toutes les maisons d'arrêt de la région parisienne, il y a un surveillant par coursive – une coursive comprenant 200 détenus. Autrement dit, ce surveillant ouvre et ferme les portes, sans avoir le temps de faire un peu connaissance avec le détenu ni de répondre à ses demandes. Tout cela crée une frustration qui peut – ce n'est pas le cas à chaque fois – créer des tensions, lesquelles peuvent dégénérer en violences.

Vous avez également posé une question très importante sur la fouille, et des détenus et des visiteurs. Jusqu'à la loi pénitentiaire de 2009, la fouille des détenus pouvait être systématique. Cette loi était parvenue, à mon sens, à un bon équilibre, puisque la fouille – on parle, ici, de fouille à corps, à nu, car les palpations, quant à elles, sont toujours possibles – n'était possible que s'il existait un soupçon que la personne risque de faire entrer un objet interdit ou dangereux dans la prison. En 2016, à la suite des lois sur l'état d'urgence et de lutte contre le terrorisme, l'article 57 de la loi de 2009 a été complété par un alinéa 2 qui permet au directeur d'un établissement de décider, dès lors qu'il peut exister un risque d'introduction d'objets interdits, que, pendant une période donnée, de huit ou quinze jours, tout le monde soit fouillé de façon aléatoire. J'ai écrit, à ce moment-là, à l'ensemble des parlementaires, pour leur indiquer qu'une telle mesure me semblait attentatoire aux droits fondamentaux. En effet, dès lors que le risque qu'un objet interdit soit introduit dans un établissement pénitentiaire existe toujours, cette disposition permet en fait de fouiller n'importe qui, à tout moment. Nous en sommes là, et j'espère qu'on n'ira pas plus loin, car les organisations syndicales de surveillants – pas celles des directeurs d'établissement – revendiquent l'abrogation complète de cet article, c'est-à-dire un retour au statu quo ante et à la possibilité de procéder, tout le temps, à des fouilles systématiques.

Quant à la fouille des visiteurs, c'est effectivement un sujet extrêmement sensible en ce moment. J'ai interrogé la garde des Sceaux à ce sujet lorsque je lui ai remis mon rapport, il y a une quinzaine de jours. À Condé-sur-Sarthe, pour le moment, les visiteurs font l'objet de fouilles par tapotements – c'est ainsi que l'on désigne cette méthode dans la pénitentiaire –, c'est-à-dire par une palpation légère, à quoi s'ajoute, bien entendu, le passage sous un portique. Toutefois, dans les jours qui ont suivi la reprise du travail à Condé-sur-Sarthe – on m'a garanti que cela ne se reproduirait pas –, nous avons été saisis de requêtes de détenus tout à fait inquiétantes, nous informant, par exemple, qu'un enfant de quatre ans qui venait au parloir avec sa mère avait été fouillé et qu'on avait demandé à la mère d'un bébé de lui enlever sa couche pour vérifier que rien n'y était caché. On m'a expliqué que ces pratiques avaient eu cours durant un jour ou deux, notamment lorsque les services de police étaient chargés de ces tâches. Je n'ai pas vérifié cette information, qui m'a été communiquée par la garde des Sceaux. Mais celle-ci m'a également indiqué, et cela m'inquiète, que deux circulaires étaient en préparation pour remettre à plat la question des fouilles : l'une concerne les détenus, l'autre les familles. A priori, ce qui se passe à Condé ne sera pas généralisé. Mais je crains toujours, lorsqu'une dérogation de ce type est accordée à un établissement, qu'elle ne s'étende et devienne le droit commun. Ce sujet est donc tout à fait sensible.

En ce qui concerne les associations, celles-ci ont relativement peu de moyens, mais certaines d'entre elles peuvent travailler. Les problèmes concernant le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées (GENEPI) – je crois que c'est à cette association, dont la nature a évolué au cours des années, que vous faisiez allusion – sont, j'espère, en train de se régler. L'association devait en effet trouver un moyen terme avec l'administration pénitentiaire, mais je ne sais pas exactement où cela en est au moment où nous nous parlons.

Je n'ai pas changé d'avis au sujet des EHPAD. Si je suis bien consciente que des problèmes peuvent se poser en termes de maltraitance, d'isolement et de contention, je reste convaincue, à la différence de mon prédécesseur, que la privation de liberté n'y est pas de même nature qu'en prison. Certes, on ne peut le nier, les personnes hospitalisées dans ces établissements n'y entrent pas toutes de leur plein gré. Pour autant, elles n'y sont pas contraintes par une décision de l'autorité publique, comme c'est le cas pour l'ensemble des détenus. Les EHPAD ne sauraient donc relever de la même autorité administrative indépendante que les établissements pénitentiaires. Il conviendrait néanmoins de créer une institution ad hoc de même nature que celle dont j'ai la charge, car la surveillance et le contrôle exercés par les ARS et les conseils départementaux sur ces établissements sont à l'évidence insuffisants.

Sur l'insuffisance des moyens, j'ai moi-même rappelé à plusieurs reprises dans mes interventions que la psychiatrie était le parent pauvre de la médecine. Il y a une pénurie de médecins, et plus encore de psychiatres, en particulier en service hospitalier. Je me suis entretenue voilà maintenant un an avec le vice-président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier Le Vinatier à Lyon. Dans une telle ville, et dans un hôpital d'une telle importance, il n'y a pas de chef de service en psychiatrie. Alors qu'il y a encore une dizaine d'années, et les médecins ici présents doivent le savoir mieux que moi, on se bousculait pour être chef de service dans un hôpital, il n'y a aujourd'hui pas de candidat quand un poste se libère.

J'aimerais revenir sur la nécessité évoquée tout à l'heure de réviser la chaîne complète des soins. Il faudrait aboutir, un peu comme avaient essayé de le faire les tenants de la psychiatrie institutionnelle, à ce que l'hospitalisation ne soit plus qu'un moment parmi d'autres de la chaîne de soins. Les centres médico-psychologiques, les appartements thérapeutiques, les traitements au sein de la communauté sont autant de maillons qui, en aval et en amont, devraient permettre à un patient d'être accompagné par les soignants au lieu d'être lâché dans la nature à la sortie de l'hôpital.

Quant à la question des transgenres, nous y avons travaillé, mais seulement dans les prisons, pas dans les centres de rétention. Les femmes incarcérées rencontrent elles aussi des difficultés spécifiques, notamment quant aux atteintes dont elles sont victimes et quant aux protections dont elles peuvent avoir besoin ; elles ne sont pas assez bien traitées. La situation des personnes dépendantes ou handicapées est également insuffisamment prise en considération dans les établissements pénitentiaires. Un avis publié cette année au Journal officiel concernant les personnes atteintes de maladies dégénératives et repris dans le rapport annuel présente plusieurs propositions sur le sujet.

Les échanges avec la garde des Sceaux sont fréquents. La remise du rapport en a été l'occasion récemment, mais nous sommes en lien par ailleurs pour l'expérimentation d'une mesure de régulation carcérale que je défends depuis ma prise de fonctions il y a cinq ans et que Dominique Raimbourg, un de vos anciens collègues, avait défendue avant moi. Plutôt que de remplir sans cesse les maisons d'arrêt en constatant un taux d'occupation de 130 %, 140 % ou 200 %, on pourrait, comme dans les autres établissements, réagir dès que le taux approche les 100 % en examinant de façon individuelle quels détenus en fin de peine pourraient bénéficier d'une sortie anticipée afin d'en faire entrer d'autres. Cette procédure suppose une certaine fluidité des relations entre l'administration pénitentiaire, les services de probation, les magistrats et la direction de la prison concernée. La garde des Sceaux a retenu cette proposition et lancé une expérimentation dans dix sites, ce dont je me réjouis. Je regrette toutefois, et j'en ai fait part au Président de la République lors de la remise du rapport, que cette disposition n'ait pas été inscrite dans la loi de réforme et de programmation de la justice car, en l'état, son application dépendra des personnes en charge de l'appliquer. Il aurait été préférable de la rendre obligatoire. Trop de magistrats considèrent en effet que le taux d'occupation de la maison d'arrêt de leur ressort n'est pas un critère dont ils doivent tenir compte avant de prononcer un mandat de dépôt.

De nombreux détenus souffrent de troubles psychiques et, je suis parfaitement d'accord avec vous, certains d'entre eux n'ont pas leur place en prison. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, à commencer par la procédure judiciaire. La comparution immédiate, par exemple, est une procédure très pourvoyeuse de peines courtes et de peines fermes, qui sont les plus désocialisantes. C'est d'ailleurs l'un des points sur lesquels la loi de programmation et de réforme pour la justice promulguée en mars 2019 me paraît très critiquable : contrairement à ce que préconisaient M. Bruno Cotte et Maître Julia Minkowski dans leur rapport sur le sens et l'efficacité des peines, le texte n'a pas modifié cette procédure connue comme une « justice d'abattage ». Les magistrats n'ayant pas le temps d'examiner la personnalité des individus qu'ils jugent, les troubles psychiques parfois graves que ces derniers présentent ne sont découverts qu'après leur placement en détention. En outre, alors que la suspension de peine est désormais applicable en cas de maladie mentale, elle n'est jamais utilisée par les magistrats, ce qui, il est vrai, tient en partie à un nombre insuffisant d'experts psychiatres.

J'ai également de nombreux contacts avec la ministre de la santé. Dans l'ensemble, nos recommandations sont entendues, mais un certain nombre d'entre elles ne sont pas suivies d'effet. Afin d'améliorer la situation, nous avons décidé il y a deux ans d'adresser aux ministères un questionnaire sur toutes les recommandations faites trois ans auparavant pour savoir si elles avaient ou non été suivies. Sont concernées à la fois les propositions d'ordre général et les recommandations formulées dans le cadre des visites réalisées au sein des établissements. À mon grand étonnement, le suivi que je croyais automatique est apparu comme une petite révolution dans les ministères. Les premiers retours ont permis de constater plus d'avancées dans la psychiatrie que dans la pénitentiaire. J'espère avoir répondu à toutes les questions.

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Je vous rassure, madame la contrôleure générale, nous avons encore un grand nombre de questions des députés. Nous allons les entendre toutes, et vous pourrez ensuite apporter une réponse globale.

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Le droit à la santé est un droit fondamental pour tous. Pourtant, par manque de temps ou de moyens, ce droit est souvent bafoué pour les détenus, comme vous l'indiquez dans votre rapport de 2018, madame la contrôleure générale. Les structures de soins telles que les hôpitaux, les services d'urgence ou autres ne disposent pas toutes de locaux et d'équipements permettant d'accueillir des détenus en respectant les exigences croissantes en matière de sécurité. De ce fait, lors des visites médicales, les moyens mis en oeuvre pour garantir la sécurité – les menottes accrochées aux lits et aux brancards, par exemple – priment le plus souvent sur le respect de la dignité. Ces déplacements de la prison vers l'hôpital mobilisent beaucoup de moyens, tant humains que financiers. Selon vous, serait-il possible, voire souhaitable, d'amener davantage l'hôpital dans la prison, malgré le manque de vacations médicales que nous avons déjà évoqué ? Nos deux dernières lois de financement de la sécurité sociale promeuvent l'accès à la télémédecine et à la téléconsultation. Pensez-vous que cela puisse permettre un meilleur suivi médical des détenus et plus de respect des droits humains élémentaires ? Comment pourrait-on l'envisager ?

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Madame la contrôleure générale, votre rapport fait état d'une situation déplorable concernant les conditions d'enfermement de nos prisonniers. La politique pénale française mène en effet à une situation paradoxale : elle ne parvient ni à punir ni à favoriser la réinsertion, faute de places de prison et de moyens pour notre justice. Près de la moitié des peines prononcées ne sont pas appliquées, en particulier les peines de prison ; nous ne pouvons donc vous suivre lorsque vous affirmez que l'enfermement devient la réponse à tous les maux de la société. En revanche, nous partageons votre diagnostic sur l'échec de la gestion actuelle du parc pénitentiaire : les prisons françaises sont les plus vétustes d'Europe. Nous partageons également votre diagnostic sur l'échec de la réinsertion. Faute d'un accompagnement humain à la hauteur des enjeux, notre politique pénale place les personnes effectivement incarcérées dans des conditions matérielles et psychologiques qui suscitent à raison la critique et favorisent la récidive.

Ne pensez-vous pas que nos prisons souffrent de notre difficulté à imaginer des centres de détention différenciés selon les profils des détenus, qu'ils soient mineurs, radicalisés, atteints de pathologies psychiatriques ou en fin de peine ? Je pense notamment à la création de centres dédiés à la formation et à l'insertion pour les détenus en fin de peine.

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Madame la contrôleure générale, vous avez publié au Journal officiel en 2018 un avis dans lequel vous jugiez très alarmante la hausse continue du nombre de mineurs étrangers enfermés en centre de rétention administrative et considériez cet enfermement comme contraire à leurs droits fondamentaux. Le principe de précaution décliné dans le domaine de la souffrance psychologique veut néanmoins qu'on ne sépare pas les enfants de leurs parents. Quelles seraient donc vos préconisations ?

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En l'absence de loi, on aurait pu espérer que le plan « Santé » présenté à l'automne dernier par le Président de la République affirme la volonté de mettre en place de nouvelles formes d'hospitalisation, de limiter les soins sous contrainte et de favoriser, soutenir et développer des modes alternatifs d'hospitalisation. Quelles propositions pouvez-vous faire en ce sens, madame la contrôleure générale ? Comment guider le Gouvernement pour revoir la chaîne complète de prise en charge de la maladie mentale, créer des services accessibles pour accompagner les patients dans leur quotidien, prévenir les crises, concevoir des hôpitaux pratiquant par principe une hospitalisation en unités ouvertes avec des exceptions rares médicalement justifiées et régulièrement réévaluées, mettre sur pied des politiques ambitieuses de réduction des pratiques d'isolement et de contention, et enfin ouvrir des structures médico-sociales adaptées à la prise en charge en fin d'hospitalisation ? En d'autres termes, comment faire pour hospitaliser moins et soigner les patients dans un meilleur respect de leur dignité et de leur liberté ? Vous avez vous-même rappelé que la France avait été pionnière dans l'instauration d'une psychiatrie plus ouverte dans les années 1960 et 1970, et qu'elle est devenue progressivement un des pays européens qui enferme le plus les personnes atteintes de troubles mentaux, ce qui est une situation grave. Comment y remédier ?

Permettez-moi, en conclusion, d'évoquer les conditions de travail des surveillants pénitentiaires, car nous n'avons pas encore parlé d'eux. Ils doivent faire face aux agressions de la part des détenus, aux risques psychiques et sanitaires évidents, et gérer des détenus au profil psychiatrique difficile avec des horaires de travail contraignants. Ils demandent à être mieux reconnus, à voir leurs conditions de travail et leur situation matérielle revalorisées. Quel est votre point de vue sur ces personnels, étant entendu qu'il ne peut y avoir de lieux de détention sans surveillants pénitentiaires ? J'aimerais avoir une pensée toute particulière pour eux ce matin devant vous.

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Madame la contrôleure générale, nous avons eu l'occasion de vous auditionner dans le cadre de la mission flash sur le financement de la psychiatrie ; nous aurons le plaisir de vous auditionner à nouveau dans le cadre de la mission d'information sur l'organisation territoriale en santé mentale. Si je me réjouis que la psychiatrie soit si longuement évoquée ce matin, le constat est une fois de plus stigmatisant pour les personnes en souffrance psychique. En 2015, 92 000 personnes ont fait l'objet d'une admission sous contrainte en soins psychiatrique à la demande d'un tiers (ASPDT) ou du représentant de l'État (ASPDRE), ou admis en soins pour péril imminent. Ces derniers connaissent une progression explosive : ils augmentent de 7 % chaque année. Or, le plus souvent, ils sont levés dans un délai rapide, en 72 heures ou au cours de la première semaine, ce qui montre bien qu'ils sont une réponse administrative, et non pas une réponse réelle au besoin de soins. Il conviendrait de mettre l'accent sur le repérage précoce des troubles, aujourd'hui défaillant, afin d'éviter d'en venir à ces hospitalisations sous contrainte. Je dois aussi évoquer ce matin le décret autorisant le croisement des données du fichier médical Hopsiweb sur les patients hospitalisés sous contrainte en psychiatrie avec celles du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). J'ai interpellé le Gouvernement la semaine dernière sur ce point ; j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

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Madame la contrôleure générale, vous avez publié au Journal officiel du 22 novembre 2018 un avis relatif à la prise en compte des situations de perte d'autonomie dues à l'âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires. Comme vous le soulignez, le handicap et l'âge ne constituent pas en soi des causes d'incompatibilité avec la détention, mais il revient à l'administration pénitentiaire de prendre en charge ces personnes en tenant compte de leur dépendance et de leurs besoins. Dans certaines situations, il est toutefois indispensable de se poser la question de la poursuite de l'incarcération au regard du sens de la peine et de la prévention des traitements inhumains ou dégradants. Concernant l'adaptation des lieux, il existe en France métropolitaine et outre-mer 472 cellules adaptées aux personnes à mobilité réduite réparties sur 90 établissements. Tous les bâtiments neufs disposent depuis 2010 des 3 % de cellules PMR obligatoires et les mises en conformité débuteront dès cette année dans 35 établissements.

L'amélioration de la prise en charge des personnes détenues en situation de handicap ou âgées en perte d'autonomie est au coeur de la stratégie santé des personnes placées sous main de la justice. Les principes fondamentaux d'égalité, de non-discrimination et d'accessibilité existent dans notre société et doivent impérativement continuer d'être respectés dans le cadre d'une détention. Pourriez-vous nous donner vos pistes de réflexion sur les modalités de prise en charge des personnes détenues âgées dépendantes et en situation de handicap ?

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Madame la contrôleure générale, j'ai beaucoup apprécié votre rapport, en particulier au regard des propos d'Henri Ey, pour lequel la maladie mentale est une pathologie de la liberté. Vous avez évoqué tout à l'heure la psychothérapie institutionnelle, à laquelle je suis en tant que clinicien tout particulièrement attaché, ayant essayé de transmettre à mes internes ce que j'appelle les trois « A » de la prise en charge en psychiatrie : accueillir dignement, aider humainement, accompagner durablement. Comme vous l'avez judicieusement souligné dans votre rapport, la prévention des droits et des libertés repose sur la continuité : il importe d'éviter les ruptures, inscrites au coeur de la maladie mentale.

Plusieurs points de votre rapport ont toutefois suscité mon étonnement. J'aimerais que vous reveniez sur la place des commissions départementales de soins psychiatriques, qui doivent être au coeur de la vigilance, car je ne comprends pas comment, malgré ces verrous, on peut atteindre de tels niveaux de dysfonctionnement. Concernant les soins psychiatriques pour péril imminent – je rappelle à l'attention de mes collègues qu'il s'agit de soins dispensés sans consentement, en cas d'impossibilité d'obtenir la demande d'un tiers –, il y a également des règles à respecter, et je souhaiterais savoir comment s'exerce la vigilance sur la garantie des libertés. J'ai été également étonné de lire que 50 % des médecins psychiatres ne disposent pas de la capacité de signer les décisions associées aux soins sans consentement. Enfin, je me réjouis de savoir que vous serez de nouveau auditionnée sur les outils de facilitation de la mise en oeuvre des projets territoriaux de santé mentale (PTSM), dans le cadre de la mission d'information sur l'organisation territoriale de la santé mentale que je préside.

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En tant que député de la Loire, j'ai été bien attentif à votre constat sur le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne, et je me suis d'ailleurs entretenu de cette situation avec le directeur de cet établissement, Michaël Galy. J'aimerais donc apporter quelques précisions. Il a été annoncé récemment que 22 millions d'euros d'investissements seraient réalisés pour le pôle psychiatrie et que 500 000 euros seraient immédiatement débloqués pour le recrutement de médecins et d'infirmières et pour la formation.

Vous avez affirmé que le niveau élevé du taux de suicide était en partie dû à la surpopulation carcérale. Les surveillants interrogés au cours des visites menées dans plusieurs lieux de privation de liberté estiment quant à eux que les infrastructures nouvellement construites ont un aspect déshumanisé et s'interrogent sur l'incarcération en cellule unique. Certains m'ont avoué que ce pouvait être parfois une cause de majoration du risque de suicide. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce sujet.

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Madame la contrôleure générale, je vous remercie de cet exposé, qui a le mérite de mettre chacun devant ses responsabilités. Un certain nombre de sujets évoqués lors de mes visites au centre pénitentiaire La Farlède, situé à côté de ma circonscription, ont déjà été repris. Je reviendrai cependant sur le suivi des détenus atteints de troubles psychiatriques, qui me paraît être le principal défi posé à l'administration pénitentiaire. Parce qu'elle se trouve souvent en fin de chaîne, celle-ci est démunie pour faire face à ces difficultés, et ses agents souffrent d'ailleurs de ne pouvoir répondre à ces besoins. Vous avez rappelé les préconisations que vous avez faites à ce sujet et souligné les difficultés dans le démarrage de leur suivi. Il me paraît important d'insister sur ce point, car c'est la condition pour que votre travail soit efficace. Qu'avez-vous réussi à mettre en place pour rendre ce suivi effectif ?

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Ma question est sans doute un peu éloignée du sujet qui nous occupe mais, puisque vous avez évoqué voilà quelques instants la loi asile et immigration, j'aimerais connaître votre avis sur la mise en place d'un fichier des mineurs non accompagnés, prévue dans ce texte, et dont le décret vient d'être publié.

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En France, 60 accouchements ont lieu en prison chaque année et 95 enfants en bas âge sont accueillis en cellule mère-enfant. Le sort de ces mineurs doit nous préoccuper. L'administration pénitentiaire et le législateur ont réfléchi sur le développement de nurseries en prison pour protéger le mineur du stigmate carcéral et assister la mère dans son rôle de parent. En pratique, cependant, seules 15 % des prisons disposent d'une nurserie, et leur répartition sur le territoire est inégale, ce qui amène la mère et l'enfant concernés à changer d'établissement et à s'éloigner du cercle familial. La mère bénéficie parfois d'un traitement favorable, mais ce n'est pas toujours le cas, et la situation peut alors s'avérer dramatique pour l'enfant et sa mère. Ne faudrait-il pas favoriser les mesures alternatives à la réincarcération et exporter le contrôle médico-éducatif assuré en nurserie en dehors du milieu carcéral ?

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Madame la contrôleure générale, je vous remercie de cette présentation très complète. En janvier dernier, vous avez dressé un constat accablant sur les conditions de détention au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly, en Guyane, et adressé des recommandations en urgence à la garde des Sceaux et à la ministre de la santé. Les outre-mer concentrent plus de 7 % des détenus comptabilisés dans les prisons françaises. Si les conditions de détention suscitent l'indignation depuis plusieurs années, dans les faits rien ne change : difficultés à développer des alternatives aux poursuites et à l'emprisonnement, manque de structures d'insertion et de réinsertion, défaillance des structures sanitaires, particulièrement en santé mentale. La situation pénitentiaire alarmante en outre-mer est sans nul doute en grande partie imputable au déficit général de services publics. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

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Priver une personne de sa liberté ne doit pas la priver de sa dignité ; 45 % des personnes incarcérées retournent en prison dans les cinq ans suivant leur libération ; on estime qu'il faudrait diminuer le nombre de détenus de 15 000 pour mettre fin à la surpopulation carcérale. C'est pour ces raisons qu'il est important de proposer des peines alternatives à l'emprisonnement et de développer, de multiplier des structures d'accueil, d'accompagnement en fin de peine dans l'esprit d'une justice restaurative. La ferme de Moyembrie, située dans ma circonscription de l'Aisne, en est l'exemple. Né d'une rencontre entre un détenu et un visiteur de prison dans les années 1990, ce lieu est celui du réapprentissage de la vie en collectivité, un lieu où l'on renoue avec l'estime de soi et la confiance en soi et où on vous donne des responsabilités et la possibilité de vous relever. Où en est aujourd'hui le recensement des structures, des initiatives innovantes favorisant la réinsertion ? Qu'en est-il de leur évaluation et des moyens qui leur sont alloués ?

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Je souhaiterais revenir pour ma part sur la situation des mineurs non accompagnés. Cette population est en effet largement sur-représentée en Île-de-France ; dans un des établissements visités, la moitié des mineurs détenus étaient des mineurs non accompagnés. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les mineurs non accompagnés incarcérés le sont pour des faits qui devraient relever d'un accompagnement en milieu ouvert. En outre, alors qu'ils trouvent au sein des établissements pénitentiaires un certain appui grâce aux cours, aux activités, ou à l'aide administrative qui peut leur être apportée, ils perdent ce cadre à leur sortie, comme si la prison était ce que nous avions de mieux à leur offrir. Cette situation n'est probablement pas sans impact sur leur santé psychique. Disposez-vous d'études sur l'incidence de ces incarcérations susceptibles d'encourager les pouvoirs publics à restaurer l'égalité entre les mineurs incarcérés afin que les mineurs non accompagnés ne fassent plus l'objet d'une détention de précaution et soit accompagnés hors les murs par un partenariat entre la protection judiciaire de la jeunesse et l'aide sociale à l'enfance ?

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Dans votre rapport, madame la contrôleure générale, vous rappelez que les centres éducatifs fermés (CEF) souffrent d'une instabilité structurelle, que les conditions matérielles de prise en charge y sont inégales et que le suivi éducatif est laborieux. Si vous pointez quelques bonnes pratiques, il apparaît que l'accompagnement pédagogique mis en place n'est généralement ni formalisé ni rigoureux. Pourtant, comme leur nom l'indique, les centres éducatifs fermés sont conçus dans une finalité éducative et non pas sécuritaire. C'est l'insertion scolaire et professionnelle qui doit être leur absolue priorité.

Les CEF ne doivent pas être dévoyés de leurs objectifs initiaux car l'enfermement ne saurait constituer un projet d'avenir.

En septembre 2018, la garde des Sceaux a annoncé le lancement d'un dispositif CEF « nouvelle génération » qui prévoit le renforcement de l'accompagnement des mineurs en fin de placement, ce qui permettra de mieux remplir les objectifs de réinsertion poursuivis par ces structures.

Quelles seraient, selon vous, les autres mesures éducatives pertinentes en la matière ?

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Peu après la publication de votre rapport, le Conseil constitutionnel a déduit du préambule de la Constitution de 1946 une exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant. D'après vous, cela implique-t-il la fin de l'enfermement des mineurs en centre de rétention administrative ? Avez-vous évoqué cette question avec des magistrats ? Qu'en est-il d'éventuelles plaintes ?

S'agissant des zones d'attente, vous préconisez un surcroît de vigilance pour les enfants victimes de traite. « L'enfermement des mineurs est parfois présenté comme un temps de pause dans un parcours contraint, qui pourrait être mis à profit pour que les mineurs concernés demandent protection. Ce n'est jamais le cas », soulignez-vous dans votre rapport.

Au regard de l'exigence constitutionnelle posée par le Conseil constitutionnel, pensez-vous qu'il y aura des signalements systématiques auprès du procureur de la République au titre de l'enfance en danger ?

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Les chiffres relatifs à l'incarcération publiés le 1er avril dernier sont extrêmement préoccupants. La surpopulation carcérale contribue à dégrader la situation sanitaire dans les prisons : matelas posés à même le sol, violences, maladies. Comment percevez-vous la politique du Gouvernement à ce sujet ? Quel jugement portez-vous sur le nombre de places de prison créées et sur les propositions du Gouvernement en matière de peines alternatives ?

Ma deuxième question porte sur les soins apportés aux prisonniers à l'intérieur des établissements pénitentiaires. Ceux-ci manquent cruellement de personnels médicaux alors que l'incarcération peut être pour les détenus l'occasion de mettre à jour les soins dont ils ont besoin.

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La surpopulation carcérale nourrit le prosélytisme et favorise l'emprise des détenus radicalisés sur les personnes fragiles. Le phénomène de radicalisation en prison va croissant. En janvier 2018, en réponse aux revendications des organisations syndicales, le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures avec la création de 1 500 places en quartiers totalement étanches. Des conditions exceptionnelles de surveillance et des régimes de détention hautement sécurisés ont été mis en place. Dans votre rapport d'activité, vous soulignez que « ce dispositif est désormais mieux défini que ceux de 2015 et 2016 tout en étant plus complexe et également porteur de risques » et que cela vous a poussée à entamer un troisième cycle de visites.

Quel est l'état d'avancement de vos analyses sur la prise en charge de la radicalisation en milieu carcéral ? Quelles mesures préconisez-vous ?

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En février 2017, a été publié un avis portant sur le travail et la formation professionnelle dans les établissements pénitentiaires dans lequel de nombreux dysfonctionnements étaient pointés. La loi du 5 mars 2014 a opéré le transfert du pilotage de la formation professionnelle des personnes détenues de l'administration pénitentiaire aux conseils régionaux. Depuis, on note une amélioration qualitative et quantitative des formations dans les établissements pénitentiaires de certaines régions.

Il semblerait toutefois que de nombreuses disparités territoriales persistent en termes d'accès à la formation professionnelle, ce qui fragilise les populations les plus précaires ou les plus isolées. Je pense en particulier aux femmes détenues qui pâtissent d'une distribution non homogène sur les territoires des établissements habilités. Cette situation entrave leur accès aux différents dispositifs de réinsertion et de formation.

Quels obstacles avez-vous identifié dans le cadre des enquêtes que vous avez menées dans différentes régions ? Quelles sont les solutions que vous préconisez pour encourager le développement de la formation professionnelle en prison, absolument indispensable, compte tenu du niveau scolaire des détenus ?

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Ma question portera sur les droits à la retraite des personnes privées de liberté. Le travail en détention suscite des débats quant au faible niveau de qualification ou à l'insuffisance du nombre de postes proposés. Pour un détenu incarcéré durant une période assez longue, la cotisation au régime de retraite est faible. Ses droits à la retraite et son niveau de pension sont réduits.

Une étude a-t-elle été réalisée sur le niveau de vie des anciens détenus devenus retraités et sur l'impact de la faiblesse de leur pension sur leur réinsertion ? Si non, est-elle selon vous nécessaire ?

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En détention, les femmes sont très minoritaires : elles ne représentent que 3,5 % de la population carcérale. Comme elles sont jeunes – une sur quatre a moins de vingt-cinq – et peu qualifiées, la formation professionnelle est essentielle à leur réinsertion.

Dans son rapport, Catherine Smadja-Froguel a exposé les difficultés qu'elles rencontrent : même en dehors des petits établissements, les choix de formation sont réduits et moins variés.

La loi pénitentiaire de 2009 dispose que la mixité des activités au sein des établissements pénitentiaires ne peut être autorisée que de façon dérogatoire. Pourtant, les très rares expériences de mixité montrent que cela fonctionne. Comment garantir aux femmes détenues l'accès à un large éventail de formations adaptées ? Pensez-vous qu'il serait pertinent de renverser la logique en faisant de la mixité la règle et en rendant la non-mixité dérogatoire ?

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Le manque de temps, le manque d'effectifs, le manque de structures portent atteinte à la dignité des patients des établissements psychiatriques car davantage de mesures d'isolement et de contention sont décidées. Vous évoquez dans votre rapport le fait que la loi de 2016 n'est pas respectée dans certains établissements et vous pointez la responsabilité du ministère. Qu'en est-il des agences régionales de santé (ARS) ?

Nous observons de multiples manifestations de la crise que traverse la psychiatrie dans notre pays : pénurie de psychiatres, manque de formation en psychiatrie des autres professionnels de santé, conditions matérielles d'hébergement indignes, travail à flux tendu alors que la psychiatrie demande du temps.

Dans une récente interview, vous demandez une nouvelle loi sur la psychiatrie et la santé mentale. Pouvez-vous détailler vos attentes ?

Par ailleurs, alors qu'une loi sur le grand âge devrait voir le jour, j'aimerais savoir si vous souhaitez toujours qu'une autorité indépendante soit créée pour surveiller les établissements d'hébergement pour personnes âgées (EHPAD) ?

Après une visite effectuée en 2017 au centre hospitalier Maurice-Despinoy de Fort-de-France, en Martinique, les contrôleurs avaient consigné dans leur rapport les remarques suivantes : absence de tiers désigné pour 90 % des patients, structures avec fuites d'eau, murs défoncés, portes de placard arrachées, fenêtres brisées remplacées par des planches et sans ventilation depuis plusieurs années, manque de formation des équipes concernant les règles relatives au traitement des plaintes et réclamations, délivrance des médicaments non confidentielle et sans traçabilité sécurisée, chambres d'isolement hors norme et indignes. Peut-on généraliser ce terrible constat à l'ensemble des territoires ultra-marins ? Comment se situent ces territoires par rapport à l'Hexagone ?

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Votre rapport porte au grand jour ce que j'ai pu moi-même constater à l'occasion de visites dans les établissements pénitentiaires. L'année 2018 a été marquée par un mouvement social de grande ampleur dans un contexte de saturation générale des capacités pénitentiaires contraignant les détenus à vivre et les surveillants à travailler dans des conditions indignes.

Au niveau national, c'est un constat d'échec qui doit être fait en matière de lutte contre la surpopulation carcérale en dépit des annonces, efforts et discours. Au 1er décembre 2018, on comptait près de 71 000 détenus dans les prisons françaises, chiffre qui n'a jamais été atteint auparavant.

Depuis vingt ans, l'inflation carcérale semble être en France une fatalité à tel point que la prison n'est aujourd'hui plus en mesure de remplir l'objectif de réinsertion que la loi lui assigne. Or, nous le savons, l'enfermement peut être synonyme de déshumanisation, d'atteinte à la dignité, à l'intégrité physique ou mentale alors même que nous ne disposons pas de la ressource médicale suffisante.

La construction de 15 000 places de prison supplémentaires a été annoncée par le Gouvernement. Pensez-vous que cela constitue une solution ? Ne serait-il pas plus judicieux d'accroître les moyens financiers et humains dans les établissements existants afin d'améliorer la prise en charge des personnes incarcérées et leur réinsertion ? On sait que des appartements thérapeutiques sont fermés par manque de surveillants et que le suivi médical est beaucoup trop réduit. Ne faudrait-il pas différencier les détenus afin d'offrir à chacun une prise en charge spécifique et adaptée ?

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Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté

S'agissant des détenus atteints de troubles mentaux, madame Levy, je crois avoir déjà un peu répondu. Le système mis en place à la suite de la loi de 1994 et les évolutions législatives intervenues depuis dans les strates de structures de soins ne suffisent pas. C'est particulièrement le cas pour les UHSA. Il est important de lancer la deuxième tranche du programme de construction. De manière plus générale, il importe d'incarcérer moins les personnes atteintes maladies mentales, ce qui implique une réforme de la comparution immédiate.

Très peu d'établissements – seulement 15 % – comportent une nurserie. Je suis favorable à ce que leur nombre augmente, mais je ne pense pas qu'il faille en créer partout car on aboutirait à des situations où il n'y aurait qu'une ou deux femmes en face-à-face avec leur bébé. Il faut une taille suffisante pour qu'il y ait plusieurs enfants qui puissent interagir entre eux et des interventions extérieures. La nurserie de Fleury-Merogis, qui est importante, reçoit ainsi la visite de médecins de la protection maternelle et infantile et de divers professionnels.

Madame Ramassamy, madame Guion-Firmin, nous envoyons chaque année une mission outre-mer et nous constatons à chaque fois défaillances et dégradations, comme si les établissements de ces territoires étaient considérés comme la cinquième roue du carrosse.

Monsieur Delatte, il faudrait davantage de lieux comme celui que vous avez cité car ils permettent d'innover dans la prise en charge des personnes privées de liberté.

Madame Wonner, il est clair que l'hospitalisation en cas de péril imminent, qui suppose une procédure beaucoup plus allégée en matière de certificats médicaux, est en grande partie responsable de l'augmentation forte des hospitalisations sous contrainte ces dernières années. Je ne suis pas sûre que la création de cette disposition ait été une bonne idée. Le législateur pourra peut-être se poser la question de savoir s'il faut ou non la supprimer. Elle évite en effet aux directeurs d'établissement ou aux médecins de chercher un tiers, ce qui fait que l'hospitalisation se fait avec moins de garanties. Il serait bon d'évaluer l'application de cette mesure.

S'agissant de Hopsyweb, je suis d'accord avec vous pour dire que ce décret est fondamentalement anormal. L'intrusion assez récente dans le domaine psychiatrique d'impératifs de fichage, de surveillance au prétexte de récoler des informations sur les personnes susceptibles d'être radicalisées me paraît extrêmement inquiétante. Il faut que nous soyons extrêmement vigilants sur ce point.

Nous avons publié un avis relatif à la prise en compte des situations de perte d'autonomie dues à l'âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires. Nous ne voulons surtout pas que soient créés des établissements spécifiques pour les personnes âgées ou dépendantes, ce serait autant de ghettos de personnes vulnérables. J'ai visité des établissements où il n'y avait pas de conventions entre le conseil départemental et l'établissement pénitentiaire et les personnes qui en avaient besoin ne pouvaient pas recevoir une aide à domicile – même en prison, on peut en bénéficier. Il faudrait renforcer les moyens à destination de ces personnes et voir aussi si on ne peut pas faire de suspensions de peine. On voit en prison des personnes très malades, parfois atteintes de cancers, dont la peine court encore sur des années alors qu'elles ont 70 ou 75 ans. Quel sens cela a-t-il de les maintenir en incarcération ? Aucun, d'autant qu'il n'y a pas de risque de renouvellement d'infraction dans la plupart des cas. On ferait mieux de suspendre leur peine et de les accompagner au lieu de les laisser périr en prison.

Monsieur Hammouche, vous vous étonnez des dysfonctionnements que nous avons constatés dans le fonctionnement des commissions départementales des soins psychiatriques. Mais ces dysfonctionnements sont nombreux ; parfois, la commission ne se réunit pas. Les agences régionales de santé doivent donc être vigilantes. À ce propos, je ne veux pas mettre en accusation l'ensemble des ARS – ce serait beaucoup trop sévère –, mais il se trouve que les établissements que nous avons signalés dans le cadre de recommandations d'urgence – à Bourg-en-Bresse, en 2016, et à Saint-Étienne, en 2018 – avaient fait l'objet, un mois auparavant, de visites de l'ARS et, souvent, également de la Haute Autorité de santé (HAS). Je crois donc que nos contrôles n'ont pas le même objet. Au reste, il me semble que, parfois, les ARS ne se déplacent pas : elles effectuent un suivi sur dossier. Et, lorsqu'elles se rendent dans les établissements, je ne suis pas du tout certaine qu'elles interrogent les patients. On ne peut donc pas se contenter de leurs contrôles, car ils sont insuffisants, en tout cas en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux des personnes. Il en va de même pour la HAS : il nous arrive de visiter des établissements dans lesquels la situation, en matière de respect des droits fondamentaux, est assez dramatique. Pourtant, la HAS y est passée un ou deux mois auparavant. Là encore, nos contrôles ne portent pas sur les mêmes éléments : l'accréditation par la Haute autorité de santé dépend davantage de l'examen d'un dossier et d'éléments de chiffrage que de la façon dont sont traitées les personnes.

Monsieur Borowczyk, vous m'avez interrogée sur la surpopulation carcérale. Je pourrais vous répondre longuement, mais je ne suis pas certaine que nous en ayons le temps. Il me semble tout de même que c'est principalement, mais – vous avez raison – pas exclusivement, dans les établissements surpeuplés que le taux de suicide est important. J'ajouterai cependant un bémol à ce constat, puisque Fleury-Mérogis a connu une vague de suicides alors que le taux de surpopulation n'y est « que » de 140 %, au lieu, souvent, de 200 % en région parisienne. En tout état de cause, la surpopulation crée des tensions et le choc carcéral est plus important dans une maison d'arrêt surpeuplée. Néanmoins, il est vrai que des personnes neurasthéniques, voire dépressives, se retrouvent parfois seules dans des établissements dont le fonctionnement est assez déshumanisé. Nous le constatons nous-mêmes, du reste, car lorsque nous contrôlons ce type d'établissements modernes, nous rencontrons très peu de surveillants – l'ouverture des portes se fait à distance, par exemple – alors que, dans les petites maisons d'arrêt vétustes, on serre la main du surveillant et on en profite pour discuter avec lui. Ce sont les deux extrêmes. Comment agir dans ce domaine ? D'abord en repérant mieux les personnes vulnérables, évidemment.

Madame Vidal, les extractions sont un véritable problème, que nous dénonçons année après année. Pourquoi ? Lorsqu'un détenu arrive en prison, on évalue son niveau de dangerosité, classé de 1 à 4. S'il est classé au niveau 1, c'est-à-dire considéré comme non dangereux, il peut, s'il est extrait pour une hospitalisation, ne faire l'objet d'aucune surveillance dans la salle d'examen et, surtout, se faire enlever ses menottes. Or, il s'avère que les surveillants ont très peur de ce qui peut se passer, de sorte que, la plupart du temps, ces détenus classés non dangereux se voient appliquer les mesures réservées aux détenus classés au niveau 2 ou 3. Ils restent donc attachés et, très souvent, les surveillants sont présents dans la salle d'examen. J'ai déjà rencontré trois gardes des sceaux depuis ma prise de fonctions et, à chaque fois que j'ai abordé ce sujet avec l'un d'eux, il a écarquillé les yeux. Mais il y a encore plus dramatique, c'est la situation des femmes qui accouchent. La loi de 2009 interdit qu'une surveillante soit présente dans la salle lorsqu'une détenue subit des examens gynécologiques ou accouche. Or, nous avons constaté à plusieurs reprises qu'une surveillante était présente en ces circonstances, non pas parce que la détenue était dangereuse, mais parce que, la salle de l'hôpital étant dépourvue de barreaux, on ne veut pas prendre le moindre risque. Lorsqu'on demande aux responsables de l'administration pénitentiaire s'ils ont souvent vu des femmes qui viennent d'accoucher couper le cordon, laisser leur bébé et sauter par la fenêtre, ils nous répondent que cela pourrait arriver... Heureusement, cette situation est exceptionnelle, mais c'est illégal : la loi l'interdit. Encore une fois, je l'ai rappelé aux différents gardes des sceaux, qui, je le répète, n'en croyaient pas leurs oreilles.

S'agissant des mineurs en centre de rétention, je propose que, dès lors qu'il s'agit d'une famille avec enfants, lesquels sont souvent en bas âge, on ne sépare pas les membres de la famille et on les assigne à résidence. Car, si on les place en rétention, c'est aussi parce que c'est plus confortable pour la police aux frontières (PAF), qui les a ainsi sous la main. On nous répondra que s'ils sont assignés à résidence, ils peuvent fuir. Certes, mais le risque zéro n'existe pas. Au demeurant, il est rare que des parents qui ont de tout petits enfants prennent la fuite.

Monsieur Perrut, vous m'avez interrogée sur la chaîne de la maladie mentale et la psychothérapie institutionnelle. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il s'agit de faire en sorte que l'hospitalisation sans consentement ne soit pas privilégiée et, si elle s'avère nécessaire, qu'elle s'inscrive dans un parcours. En effet, il convient d'abord de prendre en charge la personne qui présente des troubles dans le cadre d'un centre médico-psychologique, par exemple, puis si, le cas échéant, elle doit être hospitalisée sans son consentement, de s'assurer qu'il n'y a pas de rupture de suivi et qu'elle peut être reprise en charge par les mêmes médecins, ou par d'autres – mais, du fait de la sectorisation, ce sont souvent les mêmes –, en milieu ouvert.

En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, vous avez indiqué qu'ils étaient surreprésentés au sein de la population des mineurs incarcérés. De fait, lors des visites des Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) que nous avons effectuées au cours de cette année, nous avons constaté non seulement qu'ils représentaient 50 % des détenus, mais qu'ils avaient été incarcérés pour des faits qui ne sont pas graves et pour lesquels, à l'évidence, aucun d'entre eux n'aurait été incarcéré s'il n'avait pas été un mineur non accompagné. Nous avons vu des jeunes, délinquants primaires, incarcérés pour le vol d'un scooter… À la « décharge » des magistrats, il me semble que leur intention est tout autant de les protéger que de les sanctionner. Ils se disent probablement que ces mineurs sont victimes de traites et qu'au moins, pendant leur incarcération, ils seront soignés et protégés. À mon avis, c'est inutile, car ils ne restent en détention que trois ou quatre mois et le problème se pose à nouveau à leur sortie. Toute la politique de prise en charge de ces mineurs est donc à revoir. À ma connaissance, leur trajectoire n'a pas fait l'objet d'études : on ne sait pas ce qu'ils deviennent. Il est vrai que l'explosion de ce phénomène est relativement récente.

Madame Robert, beaucoup des centres éducatifs fermés – pas tous, heureusement – ne fonctionnent pas correctement ; de nombreuses choses sont à revoir. Quant à la décision de la garde des Sceaux, j'aurais préféré – je le lui ai dit – qu'on modifie la façon de prendre en charge les mineurs dans les centres existants plutôt que d'en lancer vingt autres.

Par ailleurs, je ne suis pas certaine que l'avis du Conseil constitutionnel ait des répercussions – même s'il devrait en avoir – sur le placement des enfants en centre de rétention. Cette question pourrait être réglée très facilement. Le Président de la République m'a demandé, à ce sujet, si une nouvelle loi serait nécessaire. Je lui ai répondu non : il suffit que le ministre de l'intérieur publie une circulaire indiquant que les familles ne peuvent faire l'objet que d'une assignation à résidence.

Monsieur Lurton, vous souhaitez savoir quel jugement je porte sur la politique de lutte contre la surpopulation carcérale. Je me suis souvent exprimée à ce sujet : mon avis est plutôt négatif. À l'évidence, la construction de 6 000 à 7 000 places était nécessaire, au moins pour satisfaire les besoins. Mais l'annonce d'un projet de construction de 15 000 places, même répartie sur deux quinquennats, ne me semble pas une bonne idée car, c'est prouvé, plus on construit de places de prison, plus on enferme. Depuis trente ans, on a doublé le nombre de places de prison et, pourtant, la surpopulation n'a jamais été aussi importante, ce qui signifie qu'on a rempli les prisons. La solution consiste, me semble-t-il, à privilégier les alternatives à l'incarcération et donc à donner davantage de moyens aux services de probation. Cela rejoint ce que je disais sur la comparution immédiate : il aurait fallu modifier toutes ces procédures de jugement rapide qui remplissent les prisons de courtes peines, qui sont les plus désocialisantes.

Monsieur Belhaddad, vous avez relevé que, dans notre rapport, nous indiquions que nous poursuivions un troisième tour de visites, qui doit aboutir à un troisième rapport, après ceux de 2015 et de 2016, dans lesquels nous avions porté un jugement plutôt sévère sur les unités dédiées. Cette fois, il s'agit, non plus d'unités dédiées, mais de quartiers d'évaluation de la radicalisation ou de prévention de la radicalisation. Une équipe du contrôle est donc en train de faire le tour de ces établissements, et nous publierons un rapport au mois de septembre ou d'octobre. À ce jour, je n'ai pas, sur ce point, un avis suffisamment précis pour pouvoir vous le livrer.

Quant à la formation professionnelle, il s'agit en effet d'une problématique extrêmement importante. La réforme des compétences n'a pas été une bonne nouvelle, en tout cas pour les détenus. On a vu ce qui s'était passé en Île-de-France ou dans d'autres régions, où cela a été supprimé puis rétabli. Or, vous avez parfaitement raison, la formation professionnelle et le travail sont absolument essentiels pour la réinsertion.

Madame Fabre, je suis absolument d'accord avec vous sur la question de la mixité. Je vous renvoie, du reste, à un avis, publié sur notre site, sur la prise en charge des femmes détenues, dans lequel nous préconisons précisément les mesures que vous avez suggérées. Actuellement, les textes disposent que, dans les établissements pénitentiaires, les activités ne doivent pas être mixtes, sauf dérogation. Les quelques chefs d'établissement qui ont eu le courage d'organiser des activités mixtes ont bien vu que, même si, notamment à Gradignan, le personnel avait émis quelques réserves, tout s'était bien passé. Nous recommandons donc que l'on renverse le principe actuel et que la règle soit la mixité, sans pour autant obliger les femmes vulnérables ou celles qui ne le veulent pas à participer à des ateliers mixtes.

Madame Vignon, vous avez tout à fait raison, les rémunérations en prison sont tellement faibles que les pensions de retraite le sont également. Aucune étude n'a été consacrée à ce sujet, mais je crois que le problème doit être traité en amont. Comme nous l'avons indiqué dans un avis sur le travail et la formation professionnelle, publié au Journal officiel et disponible sur notre site, il faut revaloriser le travail des détenus, car il est indigne de les rémunérer à hauteur de 45 % du SMIC horaire – soit le minimum fixé dans les textes –, voire moins dans certains établissements. Certes, on ne peut pas les payer au SMIC car, dans ce cas, les entreprises ne feront plus appel aux établissements pénitentiaires.

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Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Oui, bien entendu. En tout cas, la retraite des personnes détenues est une véritable question.

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Madame la contrôleure générale, je tenais à vous remercier, car il est rare que la personne que nous auditionnons réponde à chaque député, surtout lorsque les questions sont nombreuses, comme ce fut le cas aujourd'hui. Merci infiniment pour le temps que vous avez consacré à notre commission.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Serge Letchimy, rapporteur sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires (n° 1941)

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 9 heures 30

Présents. – Mme Delphine Bagarry, M. Belkhir Belhaddad, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, Mme Blandine Brocard, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Guillaume Chiche, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec, Mme Josiane Corneloup, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Albane Gaillot, Mme Carole Grandjean, M. Jean-Carles Grelier, Mme Claire Guion-Firmin, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, Mme Geneviève Levy, Mme Monique Limon, M. Gilles Lurton, M. Thomas Mesnier, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Jean-Louis Touraine, Mme Élisabeth Toutut-Picard, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner

Excusés. - Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, M. Jean-Pierre Door, Mme Fiona Lazaar, M. Sylvain Maillard, M. Jean-Philippe Nilor, M. Adrien Quatennens, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Nicole Sanquer, M. Aurélien Taché, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistait également à la réunion. - M. Joël Aviragnet