Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 9h35
Commission des affaires sociales

Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Je vais m'efforcer de répondre à l'ensemble de vos questions, fort intéressantes et très complètes.

Monsieur Chiche, je ne l'ai pas évoqué tout à l'heure, mais j'y insiste dans mon rapport, le fléau, en matière de politique carcérale, est évidemment la surpopulation – on dénombre actuellement plus de 71 000 détenus pour 60 000 places. Car, de cette surpopulation découlent toute une série d'atteintes à des droits fondamentaux, qu'il s'agisse de la liberté de circulation ou de l'accès aux liens familiaux et à la santé. En ce qui concerne les femmes, elles ne représentent actuellement « que » un peu plus de 3 % des détenus. Or, et c'est tout à fait paradoxal, elles sont la dernière roue du carrosse, le parent pauvre de la détention, alors qu'on pourrait penser qu'étant donné leur faible nombre, elles sont prises en charge de façon plus fine et plus adaptée. Du reste, très souvent, le quartier des femmes est relégué tout au bout de l'établissement. Surtout, comme elles ne représentent que 3 % de la population totale, on réduit les créneaux horaires auxquels elles ont accès à l'unité sanitaire. Ainsi, dans un certain nombre de maisons d'arrêt, ces créneaux sont limités à une demi-journée par semaine, l'accès aux unités sanitaires étant réservé, le reste du temps, aux hommes, de sorte que, si ce créneau correspond au mardi après-midi et qu'elles ont un problème le mercredi matin, elles sont priées d'attendre le mardi suivant. Il y a là une inégalité hommes-femmes absolument insupportable.

Par ailleurs, nous avons déjà effectué un travail important concernant les détenus transgenres. Actuellement, l'administration pénitentiaire n'accepte le transfert d'une personne en cours de changement de sexe – dans le quartier des femmes, par exemple, s'il s'agit d'un homme – qu'à partir du moment où son état civil a été modifié. Or, ce n'est pas acceptable. Il faut que cette personne puisse être transférée lorsqu'elle sent qu'elle a dépassé un certain seuil de transformation. Nous recommandons également qu'un homme, par exemple, même s'il se trouve dans le quartier des hommes, puisse avoir, pendant le processus de transformation et conformément à son souhait, accès à des produits spécifiquement féminins tels que des produits de maquillage. L'appréciation de cette transformation demeure encore très rigide.

Monsieur Grelier, en prison, la question de la démographie médicale est extrêmement grave dans tous les secteurs, mais elle l'est particulièrement en ce qui concerne les spécialités. Pour voir un kiné ou un dentiste, par exemple, l'attente est de plusieurs mois, à cause de la surpopulation pénale, bien entendu, mais aussi faute de personnels médicaux en nombre suffisant qui consentent à venir travailler en prison. De fait, au-delà des problèmes liés à la démographie médicale en général, de moins en moins de médecins acceptent de faire des vacations en prison.

Par ailleurs, la procédure de l'hospitalisation sans consentement est-elle en conformité avec les textes ? Nous ne sommes pas compétents pour déterminer si une hospitalisation est arbitraire. Lorsque nous recevons une requête – puisque nous agissons aussi en réponse à des requêtes, lesquelles sont au nombre de 4 000 par an – dénonçant une hospitalisation jugée arbitraire, nous ne pouvons pas intervenir. Nous renvoyons alors le requérant vers d'autres procédures, notamment judiciaires. Néanmoins, de par les visites qu'il effectue et les requêtes qu'il reçoit, le contrôle général est un lieu d'observation privilégié. À ce titre, j'ai le sentiment que, de plus en plus, les procédures sont respectées. Ainsi, même s'il a fait beaucoup débat lors de l'examen des lois de 2011 et de 2013 qui l'ont imposé, le contrôle juridictionnel permet aux magistrats, non pas de se transformer en médecins – ce serait la pire des choses –, mais de vérifier la légalité du processus, notamment la réalité de la motivation des certificats médicaux. Des progrès ont donc été réalisés dans ce domaine.

Monsieur Isaac-Sibille, une politique d'addictologie est menée dans les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés : des spécialistes peuvent proposer aux détenus qui arrivent de se sevrer de la drogue ou du tabac. En revanche, dans les centres de rétention, la politique de santé fait défaut. Très peu de médecins y interviennent. Théoriquement, à chaque fois qu'une personne arrive en centre de rétention, elle devrait être reçue par un médecin ; dans la réalité, ce n'est pas du tout le cas. Les problèmes que vous évoquez ne peuvent donc pas être détectés. J'ajoute que, si les personnes peuvent être retenues 90 jours – ce qui est beaucoup trop long –, toutes, et c'est heureux, ne restent pas aussi longtemps en centre de rétention : la durée moyenne se situe plutôt entre 12 et 15 jours. On n'enclenche donc pas de procédure de lutte contre les addictions en centre de rétention. En prison et en centre éducatif fermé, en revanche, cela commence à exister.

Monsieur Vallaud, les conditions de vie des détenus et les conditions de travail des surveillants sont évidemment liées. Du reste, même si ce n'est pas notre coeur de métier, nous examinons tout de même souvent les conditions de travail des surveillants, d'abord parce qu'ils ont le droit de travailler dans des conditions humaines, ensuite parce que, dès lors qu'ils ne travaillent pas dans des conditions satisfaisantes, la prise en charge des détenus s'en trouvera nécessairement affectée – parfois sérieusement, par des violences ou des tensions. Par exemple, dans presque toutes les maisons d'arrêt de la région parisienne, il y a un surveillant par coursive – une coursive comprenant 200 détenus. Autrement dit, ce surveillant ouvre et ferme les portes, sans avoir le temps de faire un peu connaissance avec le détenu ni de répondre à ses demandes. Tout cela crée une frustration qui peut – ce n'est pas le cas à chaque fois – créer des tensions, lesquelles peuvent dégénérer en violences.

Vous avez également posé une question très importante sur la fouille, et des détenus et des visiteurs. Jusqu'à la loi pénitentiaire de 2009, la fouille des détenus pouvait être systématique. Cette loi était parvenue, à mon sens, à un bon équilibre, puisque la fouille – on parle, ici, de fouille à corps, à nu, car les palpations, quant à elles, sont toujours possibles – n'était possible que s'il existait un soupçon que la personne risque de faire entrer un objet interdit ou dangereux dans la prison. En 2016, à la suite des lois sur l'état d'urgence et de lutte contre le terrorisme, l'article 57 de la loi de 2009 a été complété par un alinéa 2 qui permet au directeur d'un établissement de décider, dès lors qu'il peut exister un risque d'introduction d'objets interdits, que, pendant une période donnée, de huit ou quinze jours, tout le monde soit fouillé de façon aléatoire. J'ai écrit, à ce moment-là, à l'ensemble des parlementaires, pour leur indiquer qu'une telle mesure me semblait attentatoire aux droits fondamentaux. En effet, dès lors que le risque qu'un objet interdit soit introduit dans un établissement pénitentiaire existe toujours, cette disposition permet en fait de fouiller n'importe qui, à tout moment. Nous en sommes là, et j'espère qu'on n'ira pas plus loin, car les organisations syndicales de surveillants – pas celles des directeurs d'établissement – revendiquent l'abrogation complète de cet article, c'est-à-dire un retour au statu quo ante et à la possibilité de procéder, tout le temps, à des fouilles systématiques.

Quant à la fouille des visiteurs, c'est effectivement un sujet extrêmement sensible en ce moment. J'ai interrogé la garde des Sceaux à ce sujet lorsque je lui ai remis mon rapport, il y a une quinzaine de jours. À Condé-sur-Sarthe, pour le moment, les visiteurs font l'objet de fouilles par tapotements – c'est ainsi que l'on désigne cette méthode dans la pénitentiaire –, c'est-à-dire par une palpation légère, à quoi s'ajoute, bien entendu, le passage sous un portique. Toutefois, dans les jours qui ont suivi la reprise du travail à Condé-sur-Sarthe – on m'a garanti que cela ne se reproduirait pas –, nous avons été saisis de requêtes de détenus tout à fait inquiétantes, nous informant, par exemple, qu'un enfant de quatre ans qui venait au parloir avec sa mère avait été fouillé et qu'on avait demandé à la mère d'un bébé de lui enlever sa couche pour vérifier que rien n'y était caché. On m'a expliqué que ces pratiques avaient eu cours durant un jour ou deux, notamment lorsque les services de police étaient chargés de ces tâches. Je n'ai pas vérifié cette information, qui m'a été communiquée par la garde des Sceaux. Mais celle-ci m'a également indiqué, et cela m'inquiète, que deux circulaires étaient en préparation pour remettre à plat la question des fouilles : l'une concerne les détenus, l'autre les familles. A priori, ce qui se passe à Condé ne sera pas généralisé. Mais je crains toujours, lorsqu'une dérogation de ce type est accordée à un établissement, qu'elle ne s'étende et devienne le droit commun. Ce sujet est donc tout à fait sensible.

En ce qui concerne les associations, celles-ci ont relativement peu de moyens, mais certaines d'entre elles peuvent travailler. Les problèmes concernant le Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées (GENEPI) – je crois que c'est à cette association, dont la nature a évolué au cours des années, que vous faisiez allusion – sont, j'espère, en train de se régler. L'association devait en effet trouver un moyen terme avec l'administration pénitentiaire, mais je ne sais pas exactement où cela en est au moment où nous nous parlons.

Je n'ai pas changé d'avis au sujet des EHPAD. Si je suis bien consciente que des problèmes peuvent se poser en termes de maltraitance, d'isolement et de contention, je reste convaincue, à la différence de mon prédécesseur, que la privation de liberté n'y est pas de même nature qu'en prison. Certes, on ne peut le nier, les personnes hospitalisées dans ces établissements n'y entrent pas toutes de leur plein gré. Pour autant, elles n'y sont pas contraintes par une décision de l'autorité publique, comme c'est le cas pour l'ensemble des détenus. Les EHPAD ne sauraient donc relever de la même autorité administrative indépendante que les établissements pénitentiaires. Il conviendrait néanmoins de créer une institution ad hoc de même nature que celle dont j'ai la charge, car la surveillance et le contrôle exercés par les ARS et les conseils départementaux sur ces établissements sont à l'évidence insuffisants.

Sur l'insuffisance des moyens, j'ai moi-même rappelé à plusieurs reprises dans mes interventions que la psychiatrie était le parent pauvre de la médecine. Il y a une pénurie de médecins, et plus encore de psychiatres, en particulier en service hospitalier. Je me suis entretenue voilà maintenant un an avec le vice-président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier Le Vinatier à Lyon. Dans une telle ville, et dans un hôpital d'une telle importance, il n'y a pas de chef de service en psychiatrie. Alors qu'il y a encore une dizaine d'années, et les médecins ici présents doivent le savoir mieux que moi, on se bousculait pour être chef de service dans un hôpital, il n'y a aujourd'hui pas de candidat quand un poste se libère.

J'aimerais revenir sur la nécessité évoquée tout à l'heure de réviser la chaîne complète des soins. Il faudrait aboutir, un peu comme avaient essayé de le faire les tenants de la psychiatrie institutionnelle, à ce que l'hospitalisation ne soit plus qu'un moment parmi d'autres de la chaîne de soins. Les centres médico-psychologiques, les appartements thérapeutiques, les traitements au sein de la communauté sont autant de maillons qui, en aval et en amont, devraient permettre à un patient d'être accompagné par les soignants au lieu d'être lâché dans la nature à la sortie de l'hôpital.

Quant à la question des transgenres, nous y avons travaillé, mais seulement dans les prisons, pas dans les centres de rétention. Les femmes incarcérées rencontrent elles aussi des difficultés spécifiques, notamment quant aux atteintes dont elles sont victimes et quant aux protections dont elles peuvent avoir besoin ; elles ne sont pas assez bien traitées. La situation des personnes dépendantes ou handicapées est également insuffisamment prise en considération dans les établissements pénitentiaires. Un avis publié cette année au Journal officiel concernant les personnes atteintes de maladies dégénératives et repris dans le rapport annuel présente plusieurs propositions sur le sujet.

Les échanges avec la garde des Sceaux sont fréquents. La remise du rapport en a été l'occasion récemment, mais nous sommes en lien par ailleurs pour l'expérimentation d'une mesure de régulation carcérale que je défends depuis ma prise de fonctions il y a cinq ans et que Dominique Raimbourg, un de vos anciens collègues, avait défendue avant moi. Plutôt que de remplir sans cesse les maisons d'arrêt en constatant un taux d'occupation de 130 %, 140 % ou 200 %, on pourrait, comme dans les autres établissements, réagir dès que le taux approche les 100 % en examinant de façon individuelle quels détenus en fin de peine pourraient bénéficier d'une sortie anticipée afin d'en faire entrer d'autres. Cette procédure suppose une certaine fluidité des relations entre l'administration pénitentiaire, les services de probation, les magistrats et la direction de la prison concernée. La garde des Sceaux a retenu cette proposition et lancé une expérimentation dans dix sites, ce dont je me réjouis. Je regrette toutefois, et j'en ai fait part au Président de la République lors de la remise du rapport, que cette disposition n'ait pas été inscrite dans la loi de réforme et de programmation de la justice car, en l'état, son application dépendra des personnes en charge de l'appliquer. Il aurait été préférable de la rendre obligatoire. Trop de magistrats considèrent en effet que le taux d'occupation de la maison d'arrêt de leur ressort n'est pas un critère dont ils doivent tenir compte avant de prononcer un mandat de dépôt.

De nombreux détenus souffrent de troubles psychiques et, je suis parfaitement d'accord avec vous, certains d'entre eux n'ont pas leur place en prison. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, à commencer par la procédure judiciaire. La comparution immédiate, par exemple, est une procédure très pourvoyeuse de peines courtes et de peines fermes, qui sont les plus désocialisantes. C'est d'ailleurs l'un des points sur lesquels la loi de programmation et de réforme pour la justice promulguée en mars 2019 me paraît très critiquable : contrairement à ce que préconisaient M. Bruno Cotte et Maître Julia Minkowski dans leur rapport sur le sens et l'efficacité des peines, le texte n'a pas modifié cette procédure connue comme une « justice d'abattage ». Les magistrats n'ayant pas le temps d'examiner la personnalité des individus qu'ils jugent, les troubles psychiques parfois graves que ces derniers présentent ne sont découverts qu'après leur placement en détention. En outre, alors que la suspension de peine est désormais applicable en cas de maladie mentale, elle n'est jamais utilisée par les magistrats, ce qui, il est vrai, tient en partie à un nombre insuffisant d'experts psychiatres.

J'ai également de nombreux contacts avec la ministre de la santé. Dans l'ensemble, nos recommandations sont entendues, mais un certain nombre d'entre elles ne sont pas suivies d'effet. Afin d'améliorer la situation, nous avons décidé il y a deux ans d'adresser aux ministères un questionnaire sur toutes les recommandations faites trois ans auparavant pour savoir si elles avaient ou non été suivies. Sont concernées à la fois les propositions d'ordre général et les recommandations formulées dans le cadre des visites réalisées au sein des établissements. À mon grand étonnement, le suivi que je croyais automatique est apparu comme une petite révolution dans les ministères. Les premiers retours ont permis de constater plus d'avancées dans la psychiatrie que dans la pénitentiaire. J'espère avoir répondu à toutes les questions.

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