La France des territoires est telle un manteau d'arlequin, belle et forte de ses couleurs, de ses formes, de ses diversités et de ses spécificités. Chaque territoire contribue à la réussite et au rayonnement de la France. C'est pourquoi l'État se doit d'être à leurs côtés, et encore plus auprès des territoires pauvres, dont fait partie Mayotte, où 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et où le coût de la vie est le plus cher de France. Ce n'est pas parce que cette île aux couleurs de lagon est située à 8 000 kilomètres de la métropole qu'elle doit être délaissée car il n'y a pas de gens qui ne sont rien ; il y a seulement « le peuple, orphelin, pauvre, intelligent et fort, placé très bas et aspirant très haut », comme l'écrivait Victor Hugo.
Mayotte, comme chaque territoire de la République, représente le pays dans sa diversité, dans son ouverture au monde, dans son identité. Elle est une part de son avenir. Pourtant, comme le montre le rapport de notre collègue Mansour Kamardine, dont nous tenons à saluer l'excellent travail, ainsi que l'engagement pour ce territoire de sa collègue Ramlati Ali, Mayotte souffre de nombreuses inégalités.
Ainsi, contrairement aux autres départements ultramarins, le code de la sécurité sociale n'est pas appliqué de plein droit. De plus, une décote de 50 % est appliquée à de nombreuses prestations de base ou minimales – je pense au RSA, à l'allocation de solidarité aux personnes âgées, aux pensions de retraite, à la prime d'activité ou encore à l'allocation de soutien familial. De nombreux dispositifs et leurs droits liés n'y sont pas non plus appliqués : la couverture maladie universelle – CMU – , l'aide au paiement d'une complémentaire mais aussi la retraite complémentaire.
Les revendications liées à ces questions trouvent un fort écho parmi les députés du groupe Libertés et territoires, qui se battent sans relâche pour que nos concitoyens, où qu'ils vivent, ressentent pleinement leur appartenance à une communauté de vie et de destin, afin que raisonne positivement en eux le principe d'égalité. Notre groupe est également convaincu que la croissance de demain se jouera dans les territoires, y compris à Mayotte, que les solidarités de demain s'inventeront sur les territoires, y compris à Mayotte. Aussi, ils doivent être soutenus afin de donner la pleine mesure de leurs potentialités.
Il convient ainsi de s'interroger sur le mode de développement que l'on peut donner à ces territoires : en les liant économiquement à la métropole, on essaie finalement d'en faire de petites métropoles, ce qui fait qu'ils ont bien du mal à s'intégrer dans la zone économique à laquelle ils appartiennent, dans la mesure où les produits qu'ils consomment, viennent pour une bonne part de la métropole et non des pays voisins. Nous soutenons donc cette volonté de renforcer le développement économique endogène de Mayotte et sa position de pôle économique et culturel français et européen dans son environnement régional, comme le prévoit l'article 1er de la proposition de loi.
Nous tenons également à saluer la volonté clairement affichée dans le texte d'inscrire ce territoire dans une trajectoire bas carbone de préservation de l'environnement. Les territoires insulaires, plus que tout autre, sont les premières victimes du réchauffement climatique, et la déclinaison dans les territoires des grands objectifs fixés au niveau global est un des enjeux fondamentaux des décennies à venir.
À ces difficultés environnementales, qui iront croissant, s'ajoutent les crises sociales qui frappent régulièrement Mayotte, comme cela fut le cas en 2017 et en 2018. Nous comprenons ce cruel sentiment d'abandon qui résonne en chaque Mahorais, face à la réalité de pouvoirs publics qui se contentent généralement d'un cautère sur une jambe de bois quand des crises se font trop bruyantes, voire trop violentes. Cette capacité d'agir véritablement pour Mayotte et depuis Mayotte passe nécessairement par un renforcement de la libre administration des collectivités territoriales, car nous mesurons à quel point l'exaspération de la population mahoraise est à son comble.
Mayotte n'en peut plus d'être en retard par rapport à la moyenne nationale en matière de niveau de vie et de développement, d'être mal équipée et de constater, démunie, que les technologies mettent beaucoup de temps pour arriver jusqu'à elle. Elle a aussi de plus en plus de mal à faire face à l'arrivée sur son territoire d'une population plus pauvre venue notamment des Comores, ce qui ajoute à ses difficultés.
C'est pourquoi nous comprenons parfaitement les objectifs de cette proposition de loi. Toutefois, pour le groupe Libertés et territoires, celle-ci, au-delà des principes qu'elle affirme et auxquels nous adhérons totalement, ne nous paraît pas adéquate, dans sa rédaction et à l'heure actuelle.
En effet, le Gouvernement, par la voix de sa ministre des outre-mer, Annick Girardin, a présenté il y a un an un plan d'action pour l'avenir de Mayotte, comprenant 53 engagements et 125 actions. Ce plan de plus d'1 milliard d'euros, qui vise à améliorer concrètement la vie quotidienne des habitants et à donner un nouveau souffle au développement du territoire, est une première réponse aux difficultés de l'île et aux attentes légitimes de ses habitants : donner à Mayotte les moyens d'une croissance économique non seulement endogène mais aussi exogène, afin de lui permettre de développer tous ses atouts, d'être un fleuron en matière de développement durable et d'améliorer la vie quotidienne de ses habitants.
De plus, cette proposition de loi nous semble difficilement conciliable, en ce qui concerne le financement et la coordination politique, avec les contrats de convergence en cours de déploiement. Régler cela par la loi ne nous semble pas la voie à suivre, alors que c'est aux Mahorais et à leurs représentants de définir ces projets, en coordination avec l'État, pour une meilleure application sur le terrain. Il faut se garder de légiférer au risque de prendre des engagements qui ne pourront être tenus que très difficilement. Un premier bilan des plans en cours laisse apparaître des résultats plutôt encourageants. Aussi croyons-nous utile de les laisser se réaliser pleinement et porter leurs fruits avant d'envisager une nouvelle loi.
Enfin, traiter le développement de Mayotte à travers le prisme presque exclusif du financement nous paraît insuffisant, alors que les défis que doit relever ce territoire, ainsi que les autres de la République, exigent une refonte importante de notre architecture institutionnelle et de la gouvernance territoriale.
C'est pourquoi, mes chers collègues, si les objectifs de cette proposition de loi sont parfaitement louables, le groupe Libertés et territoires s'abstiendra sur ce texte.