Intervention de Christelle Dubos

Séance en hémicycle du jeudi 20 juin 2019 à 21h30
Accueil familial des personnes âgées et handicapées — Présentation

Christelle Dubos, secrétaire d'état auprès de la ministre des solidarités et de la santé :

Les débats ont été vifs en commission. Force est de constater que cette proposition de loi ne fait pas l'unanimité, même si elle a le mérite d'ouvrir le débat.

Les travaux conduits par Dominique Libault l'ont bien montré, les Français souhaitent préserver la liberté de choix quant à leur lieu d'accueil, avec une préférence très marquée pour le maintien à domicile, mais également une claire conscience des risques d'isolement et de la charge qu'il implique pour les proches aidants.

Le développement de l'accueil familial peut être une solution. Environ 6 000 personnes âgées sont accueillies dans ce cadre. La loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement a amélioré la qualité et la sécurité des accueils, ainsi que la prise en compte des besoins et des attentes des personnes accueillies.

Nous partageons avec vous l'objectif de développer l'accueil familial, mais non les solutions que vous préconisez. Nous estimons que le débat n'est pas mûr et que plusieurs pistes doivent être étudiées pour renforcer les liens entre les accueillants et les autres acteurs professionnels présents sur le territoire.

Je présenterai la position du Gouvernement sur chacune des dispositions de l'article 1er, qui constitue l'article cadre de votre proposition de loi.

La première mesure consiste à rendre obligatoire le salariat des accueillants familiaux par une personne morale. Aujourd'hui, le recours à ce statut est possible, mais il est soumis à de nombreuses contraintes. La personne morale employeur doit recueillir l'accord préalable du conseil départemental. La réglementation est complexe, constituée par un ensemble de dispositions du code de l'action sociale et des familles, du code du travail, voire du statut des agents non titulaires de la fonction publique territoriale.

Les modalités d'organisation sont spécifiques : en application de la directive européenne sur le temps de travail, la loi interdit aux accueillants familiaux salariés de travailler plus de 258 jours par an. Cette règle oblige les accueillants à accueillir davantage de personnes pour bénéficier d'un revenu correct et fait du remplacement un problème quasi insoluble pour les employeurs, à moins d'organiser l'accueil dans des logements dédiés, comprenant des espaces réservés à l'accueillant, aux personnes accueillies, mais aussi aux remplaçants.

Le salariat des accueillants familiaux entraîne également des coûts supplémentaires par rapport au gré à gré : l'employeur doit faire face à des frais de gestion, au coût du remplacement des accueillants, au coût des indemnités dues à l'accueillant en cas de départ de la personne accueillie, aux charges supplémentaires liées à la couverture chômage obligatoire des accueillants et aux indemnités dues en cas de rupture de leur contrat. L'ensemble de ces charges induit, vous en conviendrez, un coût de l'accueil plus élevé pour les personnes accueillies et une rémunération moindre pour les accueillants familiaux.

Compte tenu de ces contraintes, le salariat des accueillants familiaux est aujourd'hui quasi inexistant : plus de 98 % des accueillants familiaux exercent leur activité dans le cadre d'une relation directe, dite de gré à gré, avec la personne accueillie. Par ailleurs, les quelques expériences d'accueil familial salarié mises en oeuvre à ce jour n'ont pas été concluantes. Dans ce contexte, si l'on rendait obligatoire le salariat des accueillants familiaux, la quasi-totalité des accueillants familiaux risquerait de disparaître.

Vous proposez également de revaloriser l'indemnité journalière représentative des frais d'entretien, en portant les montants minimum et maximum de cette indemnité, actuellement fixés respectivement à deux et cinq fois le minimum garanti, à quatre et sept fois ce minimum garanti. Si cette mesure peut sembler légitime sur le fond, puisqu'elle permettrait de mieux prendre en compte les frais induits par l'accueil – je pense en premier lieu à l'alimentation, aux dépenses d'hygiène et aux dépenses énergétiques – , elle appelle de la part du Gouvernement deux remarques.

D'abord, le vecteur juridique ne nous semble pas adapté, puisque les modalités de fixation des montants minimum et maximum de cette indemnité relèvent non pas de la loi, mais du règlement. Ces modalités devraient donc être modifiées par un décret, et non par une loi.

Surtout, elle entraînerait une hausse significative des dépenses à la charge des personnes accueillies : pour un accueil permanent, soit la quasi-totalité des accueils, la revalorisation proposée aboutirait à une hausse de 217 euros par mois des montants minimum et maximum de l'indemnité, à la charge exclusive des personnes accueillies, puisque l'indemnité d'entretien ne figure pas dans le périmètre des dépenses prises en charge par l'allocation personnalisée d'autonomie, la prestation de compensation du handicap ou l'aide sociale. Il est à craindre que de nombreuses personnes accueillies ne puissent assumer cette dépense supplémentaire et se détournent de l'accueil familial. In fine, on peut craindre que cette mesure n'aille à l'encontre de l'objet même du texte.

Vous proposez ensuite – c'est la troisième disposition de l'article 1er – d'interdire aux départements de délivrer des agréments pour l'accueil d'un nombre de personnes inférieur à celui demandé par le candidat à l'agrément. Cela vise à mettre fin à la pratique de certains départements qui limitent systématiquement les nouveaux agréments à l'accueil d'une seule personne, quel que soit le nombre de personnes que souhaite accueillir le candidat à l'agrément. Or la motivation de ce type de décisions d'agrément a été modifiée, les départements étant désormais contraints de motiver « toute décision d'agrément ne correspondant pas à la demande, notamment en termes de nombre, de catégories de personnes susceptibles d'être accueillies ou de temporalités de l'accueil ».

Il n'est pas souhaitable d'aller plus loin en interdisant la délivrance d'agréments pour l'accueil d'un nombre de personnes inférieur à celui demandé par le candidat à l'agrément, car les départements seraient alors contraints de refuser l'agrément si le nombre de personnes paraît inadapté au vu des conditions de logement proposées ou des aptitudes du candidat.

Il convient de laisser la possibilité aux départements d'évaluer, à l'aune des critères d'agrément, si la demande du candidat est adaptée, et de fixer des limites à l'agrément le cas échéant. Au demeurant, l'obligation de motiver toute décision ne correspondant pas à la demande permet de limiter les pratiques abusives en la matière.

Enfin, vous proposez d'étendre aux accueillants familiaux le droit au répit instauré pour les proches aidants. Or la situation des accueillants familiaux ne peut être tout à fait assimilée à celle des proches aidants. En effet, les accueillants familiaux sont des professionnels rémunérés, disposant du droit à congés. Ceux-ci sont financés par le biais de l'indemnité de congé versée en complément de leur rémunération. Durant leurs périodes d'absence, les accueillants familiaux organisent leur remplacement, sans surcoût pour la personne accueillie, laquelle rémunère alors le remplaçant en lieu et place de l'accueillant.

À l'aune de ces observations, il apparaît que les questions posées sont justifiées et méritent une réflexion spécifique, afin que nous puissions apporter collectivement des réponses aux secteurs concernés, ainsi qu'aux premiers bénéficiaires, à savoir les accueillants et les accueillis.

Il faut consolider l'accueil familial du point de vue des accueillants familiaux, en améliorant leur statut, en rendant plus effectif leur droit à congé et en limitant les disparités territoriales en matière d'agrément ainsi que de financement, par le biais des aides sociales – y compris les aides extralégales – , tout en garantissant aux personnes accueillies un accueil de qualité à un coût maîtrisé.

L'équilibre entre les divers aspects de la question est subtil. Il n'existe a priori aucune solution miracle. Le Gouvernement n'est pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi.

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