Intervention de Stéphane Peu

Réunion du mercredi 19 juin 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu :

Au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous étions plutôt favorables à ce texte, mais nous constatons qu'il n'est absolument pas stabilisé, comme en témoigne le nombre d'amendements déposés à la dernière minute. Pour ce qui nous concerne, nous réserverons nos amendements pour la séance publique et je me contenterai de quelques remarques générales.

Ce texte n'est pas fait pour nous faire plaisir et il ne doit pas être redondant par rapport à la législation existante, je pense notamment à la loi sur la liberté de la presse ou à la loi de 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Nous regrettons que l'étude d'impact n'ait pas été plus poussée sur le sujet, ce qui aurait peut-être permis d'éviter un accueil plutôt frais de la part de certaines organisations et institutions : le Conseil d'État, le Conseil national du numérique, le Conseil national des barreaux, des associations et des syndicats. Si votre étude d'impact avait mieux pris en compte toutes leurs observations, elle aurait permis d'éviter ces amendements de dernière minute qui vont faire tomber ceux des parlementaires.

Sur le fond, l'article 1er de la proposition de loi s'inspire beaucoup de la législation allemande qui est en vigueur depuis un an et peut donc faire l'objet d'une première évaluation. En fait, son bilan est assez mitigé. Les observateurs allemands font état de l'excès de zèle que l'on pouvait redouter de la part des plateformes : pour éviter de laisser passer un contenu illicite, elles sont tentées de filtrer très largement au point que 80 % des contenus retirés ne sont finalement pas réellement illicites.

Quelle place ce texte réserve-t-il au juge ? Dans un État de droit, personne n'est mieux placé que le juge pour dire ce qui est légal ou illégal, licite ou illicite. Au cours de cette législature, ce n'est pas la première fois que l'on constate un affaiblissement du pouvoir du juge en la matière. Ce n'est pas un mince problème que cette tentation de transférer au privé, par petites touches, le soin de dire le droit en lieu et place du juge.

Les plateformes, auxquelles vous proposez de donner beaucoup de responsabilités et de pouvoir, prospèrent sur le modèle de l'économie de l'attention. Bien souvent, ce ne sont pas les internautes qui sollicitent et répandent des contenus haineux. En réalité, ce sont les algorithmes de ces géants que sont Twitter ou Facebook qui les propagent. Vous avez sans doute constaté, comme moi, que, par exemple, on vous met sous les yeux les vidéos ou les propos du raciste et antisémite Soral, sans que vous l'ayez demandé. Si vous regardez bien, vous verrez que ce sont les algorithmes qui vous imposent ces vues et non pas les gens qui sont sur les réseaux sociaux. Selon le principe de ces entreprises privées, ces algorithmes déployés cherchent par tous les moyens à générer de l'audience synonyme de valeur. C'est par ce biais que se répandent les propos racistes et haineux, dans cette recherche éperdue de la valeur et du profit. Il ne faut donc pas confier la régulation à ces plateformes qui obéissent à des logiques non fondées sur l'intérêt général.

Nous étions d'emblée plutôt favorables à ce texte mais nous chercherons à l'amender en séance pour qu'il soit plus respectueux de l'État de droit.

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