La transition énergétique est le défi le plus important de notre siècle. En vingt ans, il va nous falloir changer les modes de pensée que nous avons commencé à mettre en place il y a presque deux cents ans.
Nous allons devoir changer la façon de construire nos habitats et nos modes de chauffage, nos moyens de déplacement et la façon de nous déplacer. Nous n'allons utiliser que l'énergie qui nous entoure et que la nature peut renouveler. L'équilibre géopolitique de la planète en sera complètement bouleversé, puisque, je l'espère, le pétrole sera devenu un produit totalement secondaire, voire inutile, et la France aura enfin acquis son indépendance énergétique.
Voilà ce vers quoi nous devons tendre. C'est une belle et immense tâche qui est face à nous, une très grande transition. Et comme pour toute transition, si nous voulons la réussir, il faut savoir répondre à trois questions.
La première est : pourquoi devons-nous changer ? Le nombre grandissant de manifestations réclamant la sauvegarde de la planète, ainsi que les résultats des élections européennes nous montrent qu'une partie importante et grandissante de la population a compris pourquoi il fallait changer. Les jeunes dans la rue ne sont d'ailleurs pas une menace pour les gouvernements, mais plutôt une source d'encouragements et des soutiens à leur action vers les transitions écologiques, en particulier la transition énergétique.
La deuxième question à laquelle il faut répondre pour réussir une transition est : où voulons nous aller ? La Stratégie nationale bas-carbone, dont nous allons intégrer les nouveaux objectifs dans ce texte de loi, répond très bien à cette question. En effet, avoir pour objectif la neutralité carbone en 2050 est un but simple et clair, qui est de plus en plus transpartisan et déjà compris par une grande partie de nos concitoyens.
La troisième question à résoudre est : quels chemins vont nous conduire vers ce nouveau monde ? Cette question est beaucoup plus difficile, et je pense que nous n'avons pas encore la bonne méthode pour pouvoir y répondre. Tout d'abord, nous ne prenons pas le temps d'expliquer correctement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, si bien que nous en avons trop souvent des représentations erronées.
Dès qu'on parle d'énergie en France, on tombe dans l'ornière du débat sur le nucléaire, occultant ainsi l'essentiel du problème que nous devons résoudre. Je m'explique. Si vous posez autour de vous la question « Quelle est la part du nucléaire dans notre mix énergétique ? », certains vous répondront 40 %, ce qui n'est pas faux, mais correspond à la part du nucléaire dans l'énergie primaire produite, chiffre inutile pour le débat. D'autres vous répondront 70 %, ce qui représente la part du nucléaire dans la production électrique ; comme l'électricité représente moins de 30 % de notre énergie consommée, la part d'origine nucléaire dans notre consommation finale d'énergie est inférieure à 20 %. En fait, plus de 60 % de notre consommation finale d'énergie est d'origine fossile, c'est-à-dire du pétrole, du gaz ou du charbon. Cela donne une meilleure idée de l'ampleur du travail à accomplir pour consommer moins d'énergie et produire des énergies nouvelles et renouvelables. C'est cette information qu'il faut clairement expliquer aux Français. Il faut aussi expliquer que 40 % de notre consommation d'énergie sert à nous chauffer, 30 % à nous déplacer, et 20 % sont pour l'industrie.
Il faut communiquer ces chiffres simples et clairs aux Français pour que chacun comprenne où nous devons concentrer nos efforts. Nous devons embarquer toute la population dans la transition énergétique, mais les premiers à embarquer sont les parlementaires, monsieur le ministre d'État. Si vous ne parvenez pas à les embarquer dans ce changement, vous n'embarquerez pas non plus la population. Il faut que l'Assemblée nationale puisse aider le Gouvernement dans cette transition du siècle ; elle doit pouvoir échanger et se prononcer, à titre d'exemple, sur les sujets suivants : combien d'énergie éolienne et solaire pouvons-nous produire dans le territoire national et à quels endroits ? Comment devons-nous structurer nos énergies hydrauliques et nucléaires pour équilibrer les fluctuations des énergies renouvelables ? Où diriger l'argent public pour isoler nos habitats et améliorer l'efficacité énergétique ? Combien d'énergie peut produire la biomasse sans pour autant utiliser les surfaces agricoles alimentaires ? Comment voulons-nous utiliser le biogaz, pour la mobilité ou pour le chauffage ? Comment pouvons-nous développer rapidement une filière hydrogène propre ? Chacun de ces sujets mérite peut-être une loi. Le Haut Conseil pour le climat doit préparer ces sujets pour qu'il soit possible d'en débattre dans l'hémicycle. À ce titre, la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui sera rendue publique prochainement, définira la nouvelle stratégie française en matière énergétique.
Il est ainsi plus que nécessaire de s'assurer que nous nous donnons, en 2019, les moyens de nos ambitions. Nous devrons être particulièrement vigilants sur le développement des nouvelles énergies : je pense à l'hydrogène, qui peut offrir une solution pour l'électrification des transports, ou encore au biogaz, qui présente de nombreux avantages, comme la valorisation de nos déchets et une forte réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Car la politique de l'énergie est naturellement une politique en faveur de la transition énergétique.
L'article 34 de la Constitution dispose que les règles concernant la préservation de l'environnement, qui est l'objectif principal de la programmation de l'énergie, sont obligatoirement fixées par la loi. Il semble donc évident, pour le groupe MODEM et apparentés, que les orientations et la définition de la politique énergétique de la France doivent être établies par la loi, après examen à l'Assemblée nationale et au Sénat. C'est d'autant plus évident pour nous, que nous avons adopté des amendements en commission visant à introduire l'urgence écologique et la crise climatique dans ce projet de loi relatif à l'énergie, ce projet de loi dont l'intitulé même relie l'énergie et le climat !
Afin que la transition énergétique réussisse, il faut emmener nos concitoyens et associer toute la nation, afin que chacun comprenne les raisons de cette transition. Un décret de plusieurs centaines de pages, extrêmement techniques, n'est compréhensible ni pour les Français, ni pour ceux qui les représentent, ni même parfois pour les acteurs des secteurs concernés. La programmation de l'énergie est une politique qui exige de faire preuve de pédagogie et d'offrir à nos concitoyens une véritable vision prospective de notre future consommation énergétique, à l'horizon de 2030, 2040 et 2050. C'est la raison pour laquelle je salue l'adoption en commission de l'amendement que j'ai défendu, incluant dans la PPE une synthèse pédagogique accessible au public. Pour autant, cette synthèse n'est pas suffisante. Il faut offrir à tous une modélisation raisonnable et compréhensible de ce que sera notre futur mix énergétique, afin de susciter l'adhésion de nos concitoyens.
C'est la Constitution qui nous impose que la PPE soit, d'abord et avant tout, une loi. Les enjeux de préservation de l'environnement sont bien trop importants pour être fixés de façon non visible, sans concertation publique et transparente. Il s'agit, pour mon groupe, d'un enjeu très important, qui permet de réaffirmer le rôle du Parlement dans le domaine de la politique énergétique.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit en commission ne pas souhaiter que les députés deviennent des techniciens. Or il relève de la responsabilité des députés, et des sénateurs, de déterminer les objectifs des politiques publiques, ce qu'ils ne peuvent faire en l'état actuel du processus normatif dans le domaine de l'énergie. L'amendement que vous proposez va dans le bon sens, mais il n'associe le Parlement qu'au tout début de l'élaboration de la PPE.
Le Parlement ne peut être cantonné à la définition d'objectifs énergétiques. Il doit pouvoir déterminer les éléments essentiels de la stratégie énergétique, par le biais d'une approche globale de la production et de la consommation. Ces définitions essentielles influent sur la quantification en pourcentage, sur la quantité et sur le prix des diverses sources d'énergie : des équilibres qui, en somme, ne peuvent faire l'économie d'un débat parlementaire exhaustif. Nous ne demandons pas une innovation inatteignable, puisque le Parlement se prononce déjà sur de telles programmations pluriannuelles, dans les domaines de la justice et de la défense. Pourquoi les députés pourraient-ils être des techniciens de ces deux matières et non de celle de l'énergie ?