Je rappelle simplement que plusieurs députés élus dans des régions frontalières ont fortement appuyé l'insertion de ce chapitre sur la coopération transfrontalière dans le traité. S'il ne devait y avoir qu'une seule raison pour considérer que ce traité est à l'avantage des deux parties – car nous ne sommes plus dans une guerre mondiale : il n'y a ni vainqueur ni vaincu, et ce type de traité rend service aux deux parties –, ce sont les emplois et les investissements créés en zone frontalière, en particulier dans des territoires qui ont souffert du chômage de masse et de la désindustrialisation pendant de nombreuses années. Le rapprochement de nos législations et la facilitation du travail des entreprises – qui sont pour l'essentiel des TPE et des PME – de part et d'autre de la frontière favorisent l'emploi. De même, encourager le bilinguisme permet à de jeunes Alsaciens et à de jeunes Lorrains de trouver du travail dans des entreprises allemandes à la recherche de cadres intermédiaires germanophones, par exemple, ou de faire une expérience d'apprentissage, puisque nous avons développé l'Erasmus de l'apprentissage outre-Rhin. Ces perspectives d'emploi constituent selon moi une raison amplement suffisante pour justifier la signature d'un traité.
Vous m'avez également interrogée sur la pêche électrique, monsieur Dumont, et je vous confirme que la France est favorable à son interdiction totale, c'est-à-dire à une modification de la situation actuelle dans laquelle n'existe qu'une autorisation exceptionnelle portant sur 5 % de la flotte de pêche européenne. Nous considérons que les conséquences qu'entraîne la pêche électrique sur la faune de nos eaux justifient son interdiction totale.
Vous m'avez enfin interrogée sur les questions migratoires. Nous sommes favorables à la révision du règlement de Dublin pour renforcer tout à la fois la responsabilité des pays de première entrée et, surtout, la solidarité du reste de l'Union européenne de sorte que les personnes relevant du droit d'asile puissent bénéficier de l'accueil auquel elles ont droit dans l'Union européenne et que les personnes relevant de l'immigration économique illégale soient ramenées dans leurs pays d'origine moyennant un effort conjoint de l'Union, dans le respect de leur dignité mais avec plus d'efficacité qu'aujourd'hui. Nous partageons ce point de vue avec l'Allemagne mais nous regrettons de constater que siègent autour de la table du Conseil de l'Union certains pays qui cherchent les problèmes plus que les solutions, ce qui explique pourquoi nous n'avons pas encore réussi à réviser le règlement de Dublin. C'est pourtant notre intention et nous la partageons avec l'Allemagne. L'an dernier, nous avons d'ailleurs augmenté le nombre de retours des migrants économiques illégaux dans leurs pays d'origine. Je rappelle en outre que l'action de l'Union européenne a permis de diviser par dix le nombre de migrants illégaux arrivés par la Méditerranée centrale en un an. Cela ne signifie pas que le défi migratoire n'est pas devant nous mais lorsque nous parvenons à adopter des solutions européennes, elles sont efficaces. Je regrette simplement que certains pays préfèrent les éviter.
M. Waserman m'a interrogée sur l'harmonisation du droit des affaires, un axe de travail que d'autres députés ont également évoqué. Des associations de juristes français et allemands ont en effet entrepris depuis plus d'un an des travaux en vue d'élaborer un code des affaires franco-allemand. Nous soutenons cette démarche dont nous nous réjouissons tout à la fois pour son intérêt bilatéral – car elle facilitera la vie de nos entreprises – mais aussi pour l'effet d'entraînement que l'on peut en espérer sur le reste du droit de l'Union européenne. Nous avons tenu compte de ces travaux dans la rédaction du traité, en particulier à l'article 20 qui encourage les associations en question à poursuivre leurs travaux. Elles l'ont bien perçu, ont remercié les deux gouvernements et ont annoncé la tenue prochaine d'un nouveau séminaire juridique en mars, près de Bonn, pour aller de l'avant. Au-delà du couple franco-allemand, nous devons tendre vers une convergence européenne du droit des affaires. Nous continuerons d'encourager ces initiatives mais, à mon sens, l'Assemblée parlementaire franco-allemande jouera un rôle primordial en ce sens.
Vous m'avez précisément interrogée sur cette assemblée et sur son financement, monsieur Naegelen. Il s'agit d'une initiative parlementaire que le Gouvernement soutient naturellement mais il n'a pas à s'y immiscer. Il me semble très utile que les travaux des Parlements français et allemand permettent d'harmoniser la transposition des directives. Dans la situation actuelle, chaque État membre transpose les directives comme il le souhaite. Cette liberté donnée aux États débouche parfois sur des préférences collectives assumées et partagées par tous, débattues puis adoptées par les autorités politiques. Néanmoins, il se produit parfois des divergences de transposition liée à l'empilement des couches administratives ou à des habitudes bureaucratiques divergentes qui compliquent la vie des exportateurs français, par exemple, qui sont tenus de se conformer aux normes françaises alors qu'elles diffèrent dans d'autres pays de l'Union. Cela mérite que l'on s'interroge sur la transposition de futures directives et que l'on revisite les directives déjà transposées pour déterminer si nous étions bien conscients du fait que nous divergions, à dessein ou non, du reste de l'Union, en particulier de notre principal partenaire économique, l'Allemagne, pour des raisons tenant par exemple à un attachement particulier à certaines normes environnementales ou sanitaires. Si ces divergences étaient parfaitement assumées, il n'y a aucune raison de revenir sur la transposition. La question mérite toutefois d'être posée, et c'est au Parlement qu'il appartient de se demander si certaines surtranspositions ne portent pas atteinte aux intérêts de nos entreprises dans l'Union européenne.
Citons en exemple de surtransposition assumée la question du paquet de cigarettes neutre, qui a suscité un débat parmi les responsables politiques et dans la société. Son instauration découle de la surtransposition d'une directive européenne ; d'autres États membres de l'Union n'ont pas fait le même choix. La France a fait ce choix politique qui semble produire des résultats en termes de baisse de la consommation de tabac. Sur ce sujet, l'argumentation est aisée ; sur de nombreux autres, nous serions bien en peine d'expliquer pourquoi les directives ont été surtransposées.
S'agissant des manques que vous auriez décelés dans le domaine du développement durable et du social, monsieur David, je vous renvoie à la page 2 du traité : les considérants réaffirment les ambitions des deux pays en matière d'harmonisation sociale à la hausse et d'application de l'Accord de Paris. Là encore, nous comptons utiliser le levier franco-allemand pour promouvoir la convergence sociale et fiscale avec d'autres pays de l'Union. La question de la convergence fiscale ne figure pas dans le traité parce qu'elle est en cours d'examen mais, dans ce domaine, la France et l'Allemagne se sont accordées depuis le sommet de Meseberg afin d'harmoniser leurs assiettes de l'impôt sur les sociétés. C'est une manière d'accélérer un processus européen encore beaucoup trop lent et très insatisfaisant. Le fait que deux économies majeures comme la France et l'Allemagne décident d'harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés peut produire un effet d'attraction sur les autres pays.
Qui a écrit ce traité, monsieur Lecoq ? Comme pour tout traité, en vertu de la Constitution, c'est l'exécutif. En l'occurrence, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et la Présidence de la République pour la France, la Chancellerie fédérale et l'Auswärtiges Amt pour l'Allemagne, ont négocié ce traité ensemble.
Je partage les inquiétudes liées au constat selon lequel la France et l'Allemagne n'ont pas fait les mêmes choix énergétiques. La vision allemande de la protection de l'environnement consiste à sortir du nucléaire, ce qu'elle a fait, privilégiant du même coup le recours – entre autres – aux centrales à charbon. L'Allemagne vient de publier sa stratégie de sortie du charbon d'ici à 2035 en mettant l'accent sur les énergies renouvelables. La priorité de la France, en revanche, consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons pris des engagements de diminution du nombre de centrales nucléaires, l'un d'entre eux intéressant particulièrement l'Allemagne puisqu'il concerne la fermeture de la centrale de Fessenheim, qui sera effective dès lors que Flamanville aura pris le relais. Sur ce sujet, nous entretenons un dialogue continu avec l'Allemagne, au niveau fédéral et à celui du Land, et nous avons un projet de développement du territoire de Fessenheim que le volet relatif à la coopération transfrontalière du traité d'Aix-la-Chapelle facilitera. Nous avons en effet à l'esprit les perspectives de reconversion professionnelle, d'emploi et de développement économique de cette zone.
MM. Clément, Anglade et Portarrieu m'ont interrogée sur Alstom et Siemens. Vous avez entendu la réaction du Gouvernement français à la décision de la Commission européenne, que nous regrettons. Nous considérons d'une part que la manière dont la Commission a évalué le risque de position dominante en se limitant au marché européen n'est pas compatible avec la présence de grands acteurs sur le marché ferroviaire mondial. D'autre part, lorsque nous faisons face à des entreprises de pays émergents qui sont souvent fortement soutenues par des subventions publiques et des aides d'État, il faut utiliser tous les outils qui sont à notre disposition pour examiner les conditions de la concurrence avec la plus grande lucidité. Cela étant dit, nous constatons que la Commission, dans l'état actuel des règles de la concurrence, était dans son droit en rejetant cette fusion. Il est apparu conjointement à la France et à l'Allemagne – c'est une raison supplémentaire de renforcer notre coopération avec notre voisin – qu'il était urgent de réviser les règles de concurrence en vigueur dans l'Union, non pas pour oublier l'intérêt du consommateur, tant s'en faut, car nous nous réjouissons que la Commission puisse protéger le consommateur européen face aux géants de l'internet, par exemple, mais en veillant, dans des secteurs stratégiques où les investissements sont massifs et durables, à ce que des champions européens puissent atteindre une taille critique afin d'être présents sur le marché mondial. C'est dans cet esprit que nous travaillerons à la révision des règles de concurrence.
Mme Rauch m'a demandé ce qu'est réellement la coopération transfrontalière, après les descriptions fantaisistes dont celle-ci a malheureusement fait l'objet. Le traité dont nous parlons poursuit plusieurs objectifs, notamment celui qui consiste à doter les collectivités territoriales de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées afin de surmonter les obstacles concrets que l'on rencontre sur le terrain au jour le jour, dans le cadre des projets frontaliers, et auxquels sont confrontés nos concitoyens et nos entreprises, en particulier les PME. Cela permet des adaptations ciblées du droit national, au niveau réglementaire ou législatif, quand c'est nécessaire et naturellement dans le respect des règles constitutionnelles des deux pays.
Le traité prévoit aussi la création d'un comité de coopération transfrontalière qui réunit pour la première fois l'ensemble des acteurs concernés et permet d'améliorer la gouvernance de la coopération. Il y a une très forte demande de la part de l'ensemble des protagonistes concernés dans cette partie du grand Est, qu'il s'agisse des élus, locaux ou nationaux, des acteurs économiques ou de l'ensemble des corps intermédiaires. Ils ont besoin qu'il y ait une structure dédiée sur le plan franco-allemand pour s'assurer que les obstacles à la fluidité des échanges au niveau transfrontalier sont parfaitement identifiés et surmontés.
Il y a également un objectif de bilinguisme, avec un effort important pour l'enseignement de la langue du partenaire, qui a reculé au cours des dernières années en France et en Allemagne – je regrette que M. Goasguen ne soit plus là pour entendre ma réponse. Cette évolution fait perdre des possibilités de travail en commun. Nous avons heureusement mis fin au sacrifice des classes bilangues auquel s'était livré un Gouvernement précédent.