Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mardi 12 février 2019 à 17h05
Commission des affaires étrangères

Nathalie Loiseau, Ministre auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes :

Nous avons remis en place ces classes, mais c'est loin d'être suffisant. L'allemand est aujourd'hui le parent pauvre des langues étrangères en France. Comme l'Allemagne est notre premier partenaire économique, il ne fait pourtant aucun doute que parler sa langue est nécessaire pour favoriser les échanges, en particulier dans les territoires frontaliers.

Autre aspect de la coopération transfrontalière, les élus locaux appellent de leurs voeux depuis très longtemps une amélioration des liaisons ferroviaires. Je pense en particulier à celle entre Colmar et Fribourg : une étude pour le rétablissement du pont ferroviaire a été lancée. C'est une des premières conséquences pratiques du traité d'Aix-la-Chapelle.

J'en viens aux répercussions du Brexit sur la politique étrangère européenne, en réponse à M. Buon Tan. Je crains d'avoir à dire que la situation ne joue pas vraiment en faveur du Royaume-Uni dans ce domaine : les conséquences sont plutôt complexes pour ce pays, qui va sortir d'un bloc dont les membres ont eu de multiples expressions de solidarité à son égard, notamment après l'attaque chimique commise l'année dernière sur le sol britannique, l'affaire « Skripal ». L'ensemble des pays de l'Union européenne ont exprimé leur solidarité avec les Britanniques et un grand nombre d'États membres ont adopté des mesures coordonnées dès lors qu'il ne faisait aucun doute que l'attaque était d'origine russe. En ce qui concerne les grands sujets de politique étrangère, il est hors de question de ne pas nous coordonner avec le Royaume-Uni parce qu'il quitte l'Union européenne. Nous le faisons, par exemple, sur un sujet aussi important que l'accord nucléaire avec l'Iran : nous avons été capables de mettre en place un instrument particulier pour permettre le commerce des entreprises européennes avec l'Iran, dans le plein respect du droit. Cette initiative, basée à Paris, a été lancée avec l'implication de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni. À quelques semaines du Brexit, ce pays reste un grand partenaire en matière de politique étrangère, comme sur le plan de la défense.

Quel est l'impact du Brexit sur les élections européennes ? Mme May n'a pas cessé de répéter qu'elle ne reporterait pas la date de la sortie du Royaume-Uni, et nous sommes fondés à écouter ce que nous dit le Gouvernement britannique. Compte tenu du retard pris pour la ratification de l'accord de retrait, si cette ratification doit avoir lieu, Mme May aura-t-elle besoin de quelques jours ou de quelques semaines de plus, pour des raisons techniques, en vue d'achever l'adoption des véhicules législatifs concernés ? Je pense que ce n'est pas impossible et que nous aurions mauvaise grâce de le refuser. Mais reporter le Brexit après les élections européennes, sans autre motif qu'une raison technique très précise, n'est évidemment pas une voie que nous pensons explorer, et ce n'est pas non plus ce que le Gouvernement britannique nous a proposé.

Mme Tanguy m'a interrogée sur l'impact du Brexit pour le secteur de la pêche. En cas de ratification de l'accord de retrait, la pêche est identifiée comme un secteur prioritaire dans le cadre de la négociation de la relation future. La déclaration politique établie par le négociateur européen et le Gouvernement britannique comporte un engagement conjoint de négocier et de conclure un nouvel accord avant la fin du premier semestre 2020. Que la pêche soit reconnu comme un secteur prioritaire était important pour la France et pour quelques autres pays qui sont, comme nous, très attachés à pouvoir pêcher dans les eaux britanniques, comme la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et, dans une moindre mesure, l'Espagne.

Que se passera-t-il en l'absence d'accord ? Le Royaume-Uni deviendra un État tiers et sortira de la politique européenne de la pêche. À partir de là, la question se pose de savoir comment maintenir les droits des pêcheurs européens dans les eaux britanniques. La Commission a fait connaître sa position : elle a mis en avant le fait que les quotas de pêche dans les eaux britanniques pour 2019 ont déjà été négociés et agréés, et elle demandera au Royaume-Uni, car c'est sa compétence, l'utilisation de ces quotas avant la négociation d'un nouvel accord de pêche. N'oublions pas qu'il y en a eu avec le Royaume-Uni avant son entrée dans l'Union européenne – depuis des siècles, en réalité. Notre objectif est bien d'en négocier un nouveau.

Combien faudra-t-il de temps et que se passera-t-il dans l'intervalle si les Britanniques refusent l'accès à leurs eaux ? Cela impliquerait une suspension temporaire de l'activité des pêcheurs et il faudrait dès lors un accompagnement de la part de la Commission européenne, avec les fonds européens, et nous réfléchissons également à un accompagnement national, qui serait complémentaire, afin de permettre aux pêcheurs de traverser cette période.

La seconde question qui se pose est celle de la transformation du poisson. Boulogne-sur-Mer est un centre important pour la transformation du poisson britannique dans l'Union européenne. Il est évidemment dans l'intérêt du Royaume-Uni de pouvoir continuer à le faire, et c'est aussi dans l'intérêt de nos entreprises.

Tout cela plaidera pour des négociations rapides sur la relation future. Quand on parle d'absence d'accord pour le Brexit, cela concerne le retrait, ce qui ne préjuge évidemment pas de la négociation qui aura lieu sur la relation future avec un partenaire aussi important que le Royaume-Uni.

M. Mbaye m'a posé une question sur la disponibilité des médicaments et des dispositifs de santé britanniques dans le marché européen en cas d'absence d'accord. L'Agence européenne des médicaments a saisi les industries pharmaceutiques britanniques, de longue date, du risque qu'elles encourraient si elles ne sollicitaient pas des autorisations de mise sur le marché pour les médicaments qu'elles produisent et qu'elles veulent exporter dans l'Union européenne. C'est naturellement ce qu'elles ont fait. La dernière fois qu'un décompte a été réalisé, il y a plus d'un mois, il ne restait plus que 8 médicaments pour lesquels la procédure de demande d'autorisation de mise sur le marché n'était pas achevée, et tous pouvaient être substitués par un autre médicament disponible dans l'Union européenne. La question est parfaitement identifiée et suivie de près au niveau européen comme national. La situation est moins simple pour le Royaume-Uni s'agissant de la disponibilité de substituables pour certains médicaments qui viendraient à manquer. Ce que les autorités britanniques ont demandé à leurs pharmacies est de constituer des stocks, mais il est très difficile de prendre le risque que des médicaments ne soient pas consommés à temps et finissent par être périmés. L'incertitude d'avoir tous les médicaments ou leurs substituables à disposition est évidemment plus forte du côté du Royaume-Uni : l'importance du marché européen fait que cette difficulté, dont la presse britannique parle beaucoup, ne se présente pas de la même manière de notre côté.

Il y a eu plusieurs questions sur la coopération franco-allemande en Afrique. La France et l'Allemagne s'engagent à établir un partenariat de plus en plus étroit entre l'Europe et ce continent. Nous voulons renforcer notre coopération dans le but d'améliorer les perspectives socio-économiques, la viabilité, la bonne gouvernance, la prévention des conflits et la résolution des crises. Nous avons intérêt à être plus nombreux à être engagés en Afrique et à le faire davantage qu'aujourd'hui. Nous devons d'ailleurs nous réjouir du fait que Berlin s'engage plus, en particulier au Sahel. L'Allemagne est ainsi présente dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), dans la mission européenne de formation EUTM Mali, dans la mission EUCAP Sahel, au Niger, et en soutien au G5 Sahel et à sa force conjointe. Nous n'éprouvons aucune fierté cocardière qui consisterait à vouloir être les seuls présents, à faire de la lutte contre les djihadistes ou de la stabilisation du Sahel notre exclusive. Nous avons au contraire intérêt à ce que d'autres partenaires européens soient présents et permettent de soulager, parfois, nos troupes combattantes en assumant d'autres types de fonctions, comme la formation et le soutien logistique. C'est notamment ce que fait l'Allemagne, et c'est une bonne nouvelle. Nous ne serons jamais trop d'Européens à mettre en place ce que certains appellent un « plan Marshall » ou, en tout cas, à contribuer d'une manière coordonnée et volontaire à l'éducation – en particulier.

La question m'a été posée tout à l'heure de la pertinence des modèles économiques dans ce domaine. Nous avons besoin de travailler sur l'éducation de base, en particulier celle des petites filles en Afrique, et de le faire avec des partenaires allemands dont l'aide au développement atteint déjà 0,7 % du produit intérieur brut (PIB). Quant à la compatibilité des modèles économiques universitaires de la France et de l'Allemagne, je rappelle que le Président de la République a mis en avant un projet d'universités européennes dans son discours de la Sorbonne. Ce projet est en train de voir le jour, notamment grâce à l'implication forte de partenaires universitaires allemands et en dépit du fait qu'il existe non pas un modèle économique distinct mais un modèle administratif et politique différent en Allemagne, où la responsabilité appartient aux Länder et non à l'État fédéral pour les questions d'éducation et d'enseignement supérieur. Malgré ces différences, nous arrivons à avancer d'une manière intéressante sur ces sujets.

Je reviens rapidement sur ce que M. Dumont a dit tout à l'heure : il s'est étonné que le Président de la République ait choisi son moment pour mettre en avant ses priorités en vue de la refondation de l'Union européenne. À nos yeux, cette refondation est urgente. S'il fallait attendre chaque échéance électorale dans chacun des vingt-sept autres États membres, nous ne ferions jamais rien. Nous avions naturellement à informer nos partenaires allemands, la chancelière comme l'ensemble des partis politiques, et je m'en suis moi-même chargée, de ce que nous avions l'intention d'annoncer dans le discours de la Sorbonne, ce qui a permis aux discussions de coalition propre à la vie politique allemande d'avoir lieu en pleine connaissance de ce qu'était la position du partenaire français. On nous a remerciés, à Berlin, du fait qu'il était possible de discuter de la future politique européenne de la future coalition, à l'époque, en ayant pleinement connaissance des positions de la France.

Mme Delphine O, qui est partie, m'a interrogée sur la place des femmes dans la diplomatie française. C'est évidemment un sujet qui me tient à coeur. Le nombre des ambassadrices en poste et des directrices a fortement augmenté depuis 2012, mais force est de constater que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a pris du retard dans la mise en oeuvre de la loi Sauvadet, qui fixe comme objectif un taux de 40 % de femmes pour les primo-nominations, et nous avons dû nous acquitter d'une contribution l'an dernier. Des efforts continuent à être réalisés pour permettre le recrutement et la promotion de femmes et pour veiller à ce qu'il y ait des viviers extérieurs au ministère afin d'arriver à ce que l'encadrement soit plus paritaire qu'il ne l'est aujourd'hui. Il ne s'agit pas du métier le plus féminisé, mais ce n'est pas non plus celui qui se trouve le plus loin du but. Le corps préfectoral est encore très loin de remplir ses obligations – j'évite de regarder Mme Saint-Paul et de parler du ministère des armées, où nous savons que la question est encore plus difficile à régler. Il y a une volonté forte et un effort, mais on ne peut partir que des recrutements que nous avons. Encore faut-il que dans l'ensemble de la chaîne des études on encourage les femmes à se tourner vers une diversité de métiers plus grande qu'aujourd'hui.

M. Hutin a dit regretter que des sujets tels que la taxation des GAFA ou Nord Stream 2 ne figurent pas dans ce traité, qui a vocation à durer quelques années, voire quelques décennies. Le dialogue franco-allemand sur ces questions est quotidien et extrêmement étroit, même s'il n'est pas toujours facile. Il nous permet de progresser.

En réponse à Mme Clapot, qui m'a interrogée sur ce sujet, la France considère que l'on ne peut pas se borner à voir en Nord Stream 2 un projet purement commercial. La diversification de l'approvisionnement de l'Union européenne en énergie est une préoccupation qui doit tenir toute sa place dans la manière dont nous abordons ce dossier. Nous sommes favorables à ce que la directive sur le gaz soit révisée et nous avons fait part de cette position à nos partenaires depuis un certain temps. Nous sommes parvenus la semaine dernière, au Conseil, à une formulation de compromis qui permet d'aller vers l'adoption d'une directive révisée imposant à un partenaire extérieur de respecter les conditions de concurrence en vigueur dans l'Union européenne pour la fourniture et la distribution du gaz. Nous avons pleinement à l'esprit les préoccupations d'un certain nombre de nos partenaires européens et extra-européens sur la question de la fourniture de gaz, notamment russe.

Mme Trisse m'a posé une question sur l'état de droit et le respect des droits de l'homme dans l'Union européenne. Cela fait évidemment partie des valeurs fondamentales de l'Union. La rejoindre, c'est accepter de se plier à ses règles. C'est ce que nous demandons aux pays qui sont candidats à l'adhésion, et il n'y a pas de raison d'être moins exigeant avec des États membres qu'avec des États candidats. Lorsqu'une préoccupation est exprimée à propos d'un risque grave de violation de l'état de droit, les traités nous donnent la possibilité d'entrer dans un processus de dialogue avec l'État concerné. C'est ce que nous faisons avec la Pologne. L'objectif n'est pas de sanctionner un État membre. La sanction est en réalité un aveu d'échec : c'est que nous n'avons pas réussi à convaincre. L'objectif est de poursuivre le dialogue afin que l'on revienne sur certaines mesures lorsqu'elles portent atteinte à l'indépendance de la justice et à celle des associations ou au pluralisme de la presse, c'est-à-dire à ce qui est constitutif du respect de l'état du droit et des droits de l'homme dans l'Union européenne. Le processus dit « de l'article 7 » est en cours s'agissant de la Pologne. C'est un processus dans lequel la France et l'Allemagne ont des positions similaires au point que, selon les cas, c'est moi-même ou mon homologue allemand qui s'exprime au nom de nos deux pays au sein du Conseil « Affaires générales ». J'ajoute que d'autres pays ont souhaité rejoindre la position commune de la France et de l'Allemagne – c'est en réalité celle d'une grande majorité de pays européens.

Je reviens, Mme Le Pen, sur l'affirmation, que vous avez réitérée, selon laquelle la France et l'Allemagne partageraient un siège au Conseil de sécurité des Nations unies.

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