Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Comme l'a souligné M. Maire, l'évolution est notable. Ancien parlementaire, j'ai le souvenir du temps où la Commission européenne ne nous donnait pas accès à certaines informations. C'était il y a moins de cinq ans ; depuis lors, beaucoup a été fait en matière de transparence sur les mandats de négociation, désormais mis en ligne. Surtout, les procédures internes aux États se sont améliorées, notamment en France, et l'on en voit aujourd'hui, ici même, une traduction. M. Maire a aussi rappelé que les États-Unis veulent que personne ne se mette en travers de leurs négociations avec la Chine. Cependant, les États-Unis observent de près ce que font les autres pays par rapport à la Chine. De ce point de vue, ni l'Union européenne ni la France ne sont naïves : nous souhaitons l'aggiornamento de certaines politiques économiques chinoises, se traduisant par des actions concrètes. Cela a notamment conduit, il y a un mois, à une communication clairvoyante de la Commission européenne sur la stratégie envers la Chine. C'est un progrès.

M. Herbillon s'interrogeait sur la stratégie et le cap du Gouvernement. Si la France n'avait pas aussi ardemment tiré la sonnette d'alarme sur les enjeux stratégiques – la 5G et Huawei par exemple –, la stratégie communautaire à l'égard de la Chine aurait sûrement été plus molle. Mais la politique commerciale étant une compétence communautaire, la France ne peut réussir seule. Elle pèse mais elle a besoin d'alliés, qu'elle trouve d'abord dans le partenariat franco-allemand : certains éléments de politique commerciale ont été mûris dans le cadre du dialogue de Meseberg. Ensuite, nous essayons d'agréger d'autres alliés, et quand nous constatons notre incapacité à entraîner tout le monde sur certains sujets, nous affirmons nos valeurs par notre vote. Nous avons la conscience aiguë des enjeux et des défis en matière commerciale et c'est pourquoi nous avons toujours été à l'offensive pour installer des groupes de travail. « Groupes de travail et commissions ! » direz-vous. Effectivement, puisque c'est la seule manière de faire prendre conscience des enjeux à tous, Américains compris. Il y a donc triangulation : un groupe de travail avec la Chine, un groupe de travail Union européenne-États-Unis, un groupe de travail avec le Japon. Dans ce cadre, nous essayons de trouver des compromis – c'est l'essence de la diplomatie, comme le sait le parlementaire chevronné qu'est M. Herbillon.

Monsieur Petit, l'OMC ne traite de fiscalité que de manière connexe, certaines mesures fiscales pouvant être requalifiées en mesures de subventionnement interdites par le droit de l'Organisation. La fiscalité, sur le plan multilatéral, est du ressort de l'OCDE, où M. Le Maire et moi-même nous attachons avec vigueur à faire progresser certains accords liés aux bases fiscales, telle l'initiative relative à l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).

M. David a évoqué les négociations entre l'Union européenne et les États-Unis. L'objectif de la Commission n'est pas de conclure rapidement et à tout prix. L'Union européenne a souhaité engager une désescalade mais nous avons fixé des lignes rouges. D'ailleurs, les négociations ne sont pas encore ouvertes formellement : un mandat a été adopté par les États-Unis et un autre par l'Union mais ils ne sont pas strictement identiques, les États-Unis ayant inclus l'agriculture que nous avons exclue. Encore faut-il, donc, que la négociation s'enclenche. J'ai d'ailleurs ressenti, à l'issue de mon entretien avec Robert Lighthizer, que les États-Unis sont beaucoup plus obsédés par leurs relations commerciales avec la Chine qu'avec l'Union européenne, sinon pour ce qui concerne les rapports entre l'Union et les GAFA. Quoi qu'il en soit, l'Union européenne a voulu montrer qu'elle était prête à discuter, mais à discuter sur une feuille de route respectant certaines lignes rouges. De plus, il faudrait, pout toper, que les États-Unis lèvent leurs sanctions sur l'acier et l'aluminium, et on n'y est pas encore.

Mme Autain a déploré la logique même des accords de libre-échange. Je me souviens qu'elle appelait à la création d'un « Syriza à la française ». Observant la position prise par Syriza – la Grèce a d'ailleurs voté pour l'ouverture des négociations avec les États-Unis –, il me semble que la cohérence politique, en Europe, du courant qu'elle représente est parfois un peu ébranlée. Elle a aussi évoqué la question du développement durable pour déplorer l'absence d'inscription du principe de précaution dans les accords. Je rappelle que nous avons des résultats effectifs en matière d'environnement dans la politique commerciale. L'accord avec le Japon, entré en vigueur en février dernier, comprend un engagement à respecter et à mettre en oeuvre l'Accord de Paris. L'accord Union européenne-Singapour comporte également une référence explicite à l'Accord de Paris, et pour les accords en cours de négociation avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, les mandats évoquent spécifiquement les effets des transports aériens et maritimes sur le climat. Des progrès ont donc eu lieu. Quant à dire que les accords bilatéraux ne sont pas satisfaisants… Au moment où l'on assiste à la déconstruction systématique des normes multilatérales, au moins les accords bilatéraux permettent-ils le maintien d'un socle de règles auxquelles se référer. Ainsi, avec certains pays asiatiques, l'Union européenne pousse à l'inclusion de références aux droits sociaux, et quand la Corée du Sud ne respecte pas l'engagement qu'elle a pris de ratifier quatre conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Union engage la procédure contentieuse prévue dans l'accord de libre-échange Union européenne-Corée du Sud, ce qui aussi une manière de faire respecter nos préférences collectives.

De quelles forces avons-nous besoin, m'a demandé M. Lecoq ? De parlementaires européens favorables à une politique commerciale plus verte et intégrant davantage les droits sociaux. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : au « libre-échange », je préfère la notion de « juste échange », et je suis d'ailleurs très insatisfait que le terme ait été repris par des partis extrémistes. Nous plaidons le juste échange en pesant en faveur d'accords plus respectueux de l'environnement et des droits sociaux.

La Cour de justice de l'Union européenne ayant confirmé la conformité au droit européen du dispositif de règlement des différends en matière d'investissement du CETA et l'étude d'impact demandée au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) étant en cours de réalisation, je pense que le Parlement pourra débattre à l'automne du projet de loi de ratification.

M. Lecoq évoquait également les pays les moins avancés. Le système de préférences généralisées accordées à certains d'entre eux aide à l'essor d'un secteur économique ou à favoriser le développement ; cela va dans le bon sens.

M. Buon Tan a souligné à raison le dynamisme des pays d'Asie du Sud-Est. Je rappelle que l'Union européenne a conclu un accord, déjà en vigueur, avec Singapour, qu'un autre va l'être incessamment avec le Vietnam, que des négociations sont en cours avec l'Indonésie, qu'une relance est possible avec la Malaisie et les Philippines. Je multiplie les déplacements dans cette région du monde ; j'irai sous peu au Vietnam, aux Philippines, en Indonésie et en Thaïlande pour épauler nos entreprises et les aider à continuer d'emporter des marchés. Cet axe est très important pour le développement de notre commerce extérieur.

Mme Le Peih s'inquiète de savoir quels seront nos alliés à l'avenir. Quand la France est à l'avant-garde, elle ne désespère pas de convaincre les autres États. Le Conseil européen de fin juin sera l'occasion de repenser le cadre du commerce international puisque c'est le moment où l'on réfléchit à l'agenda stratégique de la Commission. Nous devrons peser pour qu'une volonté progressiste et réformatrice se manifeste dans ce document qui définira l'avenir de l'exécutif européen.

M. Portarrieu se demande comment l'Union européenne affrontera la détermination américaine. Sachez que l'Union européenne et la France sont également très déterminées. J'en veux pour exemple le cas de l'Iran. Les États-Unis se sont retirés de l'accord de 2015, mais l'Union européenne, qui continue de le garantir, a créé Instex, un outil destiné à permettre aux entreprises européennes, singulièrement les PME, de continuer à commercer avec l'Iran. La création de cet instrument exprime en soi une volonté politique.

De même, pour ce qui concerne Cuba, sujet sur lequel vous m'avez interrogé, madame la présidente, la décision de l'administration américaine d'activer le titre III de la loi Helms-Burton est inacceptable pour l'Union européenne. Le règlement européen de blocage est activé ; il permet aux entreprises européennes attaquées sur ce fondement d'être dédommagées. Mais ce règlement est imparfait en ce qu'il ne prémunit pas les entreprises européennes d'une sanction aux États-Unis. Aussi poussons-nous une réflexion visant à peaufiner ce dispositif. Votre collègue Raphaël Gauvain, chargé par le Premier ministre d'une mission sur les mesures de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives donnant effet à des législations de portée extraterritoriale, va rendre son rapport prochainement ; il alimentera notre réflexion sur des dispositifs complémentaires.

Mme Clapot a souligné l'importance de sensibiliser les entreprises françaises aux dispositions de l'accord conclu entre l'Union européenne et le Japon pour les inciter à profiter des marges de progression possibles sur le marché japonais. C'est en effet capital et nous organisons avec les services du Trésor et des douanes, en lien avec les chambres de commerce, des opérations de communication à ce sujet en régions ; deux ont eu lieu récemment, à Lyon et à Lille.

Mme Lenne et M. Fuchs ont mentionné le potentiel commercial d'un partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique. De fait, à mon sens, Européens et Africains échoueront ou réussiront ensemble ; il va sans dire que je privilégie la deuxième branche de l'alternative. L'Union africaine est en train de structurer la zone de libre-échange continentale, en cours de ratification. Le temps viendra donc où des travaux en ce sens pourront avoir lieu, d'autant, vous le savez, que nous sommes dans la période de négociations « post-Cotonou » entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Compte tenu de notre géographie et de l'intégration croissante de la chaîne de valeurs, nous devons y réfléchir.

Á Mme Cazebonne, M. Mbaye et Mme Chapelier, j'indique que des dispositions relatives à la préservation de la biodiversité et des ressources vivantes sont incluses dans le chapitre consacré au développement durable de certains accords de libre-échange : c'est le cas, par exemple, pour l'accord conclu avec le Vietnam. Nous demandons de surcroît que soient incorporées des mesures de lutte contre la déforestation importée, conformément à la stratégie nationale élaborée par le ministère de la transition écologique et solidaire et énoncée par le président de la République. Nous sommes d'ailleurs le premier État membre à avoir déployé cette stratégie.

Il est vrai, hélas, monsieur Berville, que la situation de l'OMC n'est pas engageante et qu'en dépit des nombreuses propositions mises sur la table par l'Union européenne, souvent à l'instigation de la France, il est extrêmement difficile de faire bouger les États-Unis. Il faut donc se préparer aussi à des « plans B » en termes de règlement des différends. Ce sera l'un des objets du Conseil des ministres du 27 mai.

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