Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, dans le cadre de la préparation du prochain Conseil européen affaires étrangères (commerce) qui se tiendra le mardi 28 mai 2019.
La séance est ouverte à 17 heures.
J'ai le plaisir d'accueillir M. Jean-Baptiste Lemoyne et de souhaiter la bienvenue dans notre commission à Mounir Mahjoubi, à Laurence Vichnievsky qui remplace pour un mois Sylvain Waserman, rapporteur de la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale, et à Aude Amadou.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être fidèle à l'engagement que vous avez pris de venir devant notre commission faire le point avant chaque Conseil des ministres européens du commerce ; le prochain aura lieu le 27 mai. La politique commerciale est au centre de fortes tensions internationales, dont attestent encore les dernières déclarations de M. Trump annonçant une hausse de droits de douane sur quelque 200 milliards de dollars de produits chinois.
Les relations entre la Chine et l'Union européenne sont un enjeu majeur. En recevant le président chinois, le 26 mars dernier, aux côtés d'Angela Merkel et de Jean-Claude Juncker, le président Macron a voulu marquer l'unité de l'Europe dans ses relations avec la Chine. Les dirigeants européens ont adopté des orientations communes et un sommet l'Union européenne-Chine a eu lieu le 9 avril dernier. On sent une volonté européenne forte d'avancer sur des sujets restés en jachère depuis longtemps : la protection des investissements et celle de la propriété intellectuelle, l'accès aux marchés publics, la transparence et l'encadrement des subventions aux entreprises. Il reste à passer aux actes, et vous nous en direz plus.
Les relations commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis ont connu récemment un développement important. La France a voté contre le principe de l'ouverture des négociations commerciales avec les États-Unis, ces derniers s'étant placés en dehors de l'Accord de Paris ; cette position nous honore. Nous avons d'autre part obtenu certaines avancées telles que l'annulation du mandat du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), l'exclusion de l'agriculture des négociations, d'autres encore sur lesquelles vous reviendrez.
L'actualité des relations économiques avec les États-Unis, c'est aussi la récente décision prise par ce pays de faire entrer en vigueur les dispositions de la loi Helms-Burton de 1996 qui était suspendues. Le sujet est grave, car cela signifie que toutes les entreprises européennes qui, au sens de la loi américaine, commercent ou investissent avec Cuba pourraient être condamnées à verser des indemnisations colossales aux entreprises et aux citoyens américains expropriés il y a soixante ans par la révolution castriste. Trois milliards d'euros d'intérêts français sont en jeu. Pour se défendre, l'Europe dispose d'un instrument juridique : le règlement de blocage de 1996, qui vise expressément la loi Helms-Burton. Utilisera-t-elle cet instrument de protection de nos investissements ?
Enfin, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a validé il y a quelques jours le mécanisme de tribunal des investissements de l'Accord économique et commercial global (CETA) avec le Canada. Vous le savez, notre commission s'est fortement impliquée dans les travaux préparatoires à cet accord, faisant évoluer le contenu de l'étude d'impact qui accompagnera le projet de loi de ratification. Pouvez-vous faire le point sur le CETA ? Quel est son bilan après dix-huit mois d'application provisoire ? Quels sont les progrès dans la mise en oeuvre du plan d'action élaboré par le Gouvernement et dans la réalisation de l'étude d'impact ? Quelles sont les échéances prévues pour le projet de loi de ratification ?
Mes collègues souhaiteront peut-être vous interroger aussi sur bien d'autres sujets : les accords signés ou les négociations en cours avec le Japon – nous avons adopté une résolution à ce sujet, dont notre collègue Jacques Maire a été l'inspirateur – ; avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande – une proposition de résolution européenne relative aux négociations en vue des accords de libre-échange entre l'Union européenne et ces deux pays a été déposée par notre collègue Olga Givernet ; ou encore avec le Mercosur, le Mexique et le Vietnam.
Je suis heureux d'être parmi vous avant le Conseil des ministres du commerce qui se tiendra le 27 mai prochain ; il est important pour moi d'avoir en tête, au moment où je défendrai la position de la France, les observations exprimées au sein de votre commission. Je vous indique d'autre part que je réunirai le 21 mai le comité de suivi de la politique commerciale, dont des parlementaires sont membres aux côtés de représentants des fédérations professionnelles, des ONG et du monde associatif.
Le prochain Conseil des ministres du commerce aura lieu dans un contexte particulier, au lendemain des élections européennes. On connaîtra alors la composition du nouveau Parlement européen, ce qui ne sera pas neutre, la politique commerciale étant, vous le savez, essentiellement européenne depuis le Traité de Rome. Naturellement, les parlements nationaux continueront de voter pour ratifier les accords de protection des investissements, mais, s'agissant de la politique commerciale, c'est le Parlement européen qui s'exprime lorsque les accords ne sont pas mixtes, c'est-à-dire lorsqu'ils ne comprennent pas de volet politique ou d'investissement. La composition du Parlement européen est donc un enjeu majeur pour la politique commerciale de l'Union.
Le renouvellement du Parlement européen puis de la Commission européenne sera une occasion essentielle pour définir un nouvel agenda stratégique de l'Union dans un monde profondément changé, qui se caractérise par le retour de postures protectionnistes avec les conséquences que l'on connaît : des tensions croissantes et le risque d'une guerre commerciale qui pourrait se généraliser. Le récent durcissement des États-Unis à l'égard de la Chine en est un exemple.
Dans ce contexte, l'Union européenne est l'échelle pertinente pour négocier dans la meilleure situation avec les autres grands blocs commerciaux. Surtout, l'Union a le leadership dans la défense d'un système multilatéral fondé sur des règles, avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en son centre. Il est fondamental de repenser le cadre de la protection des entreprises européennes contre les pratiques commerciales déloyales des pays tiers. Plus que jamais, notre volonté politique doit être d'obtenir l'équité et la réciprocité des relations.
D'autre part, l'Union européenne a consolidé un socle de relations commerciales par le biais d'accords commerciaux bilatéraux. Nous serons amenés à faire un point sur les négociations en cours. Si le multilatéralisme venait à être remis en cause en matière commerciale, ces accords commerciaux bilatéraux seraient une sorte d'assurance pour nos acteurs économiques et nos peuples puisqu'ils garantiraient des débouchés.
La nouvelle mandature européenne devrait aussi être le moment de porter une attention plus soutenue à la mise en oeuvre effective des accords conclus par l'Union européenne. Négocier des accords est une chose, mais il est aussi important de s'assurer de leur application. C'est pourquoi le président de la République a proposé de renforcer la responsabilité de garant du respect des accords commerciaux de la Commission européenne en créant la fonction spécifique de chief trade enforcer, fonction assortie de la faculté d'aller au contentieux si nécessaire ; l'Union doit se faire respecter en faisant respecter le contenu des accords qu'elle a signés.
Une autre des grandes priorités de la stratégie de l'Union en matière commerciale devra être d'afficher plus nettement les objectifs de développement durable et de renforcement des droits sociaux, deux sujets qui ont aussi un impact sur l'équité de la concurrence. Aussi, pour la raison que vous avez dite, madame la présidente, la France a pris une position forte en votant contre l'ouverture de la négociation avec les États-Unis, envoyant un signal clair à ses partenaires européens.
Enfin, il est évidemment nécessaire de continuer à impliquer les parlements nationaux, le plus en amont possible des négociations, de façon régulière et transparente, comme nous le faisons aujourd'hui.
Je vous parlerai des trois points inscrits à l'ordre du jour du Conseil du 27 mai : les discussions commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis ; la modernisation de l'OMC ; les négociations bilatérales en cours. Et, comme vous m'y avez invité, je présenterai l'état d'application du plan d'action CETA et j'évoquerai d'autres sujets d'actualité.
Nous avions eu l'occasion d'évoquer ensemble, en séance plénière, le 18 février dernier, les discussions commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis, à l'occasion de la discussion de la proposition de résolution sur les accords commerciaux, et nous avions vu que les mandats de négociation étaient conçus comme un ensemble de mesures de confiance. Le 15 avril, les mandats de négociation ont été mis sur la table du Conseil à l'occasion d'un Conseil Agriculture.
Nous avons toujours plaidé la nécessité de prendre le temps d'avoir de bons mandats de négociation. Nous avons été écoutés pour partie, mais pour partie seulement, ce qui explique aussi notre vote négatif. La France a cependant obtenu certains garde-fous. Tout d'abord, il est prévu que les négociations seraient suspendues si les États-Unis décidaient d'adopter de nouvelles mesures tarifaires, par exemple sur l'automobile. La conclusion de l'accord tarifaire est aussi conditionnée à la levée de mesures actuellement en vigueur pour l'acier et l'aluminium.
Par ailleurs, nous avons obtenu que les négociations ne concernent pas l'agriculture, en dépit des demandes répétées de l'administration américaine, qui a tout fait pour diviser les États membres à ce sujet. Mais il y a unité européenne sur ce point et nous nous en réjouissons. Les négociations ne couvriront pas non plus les services, les investissements et la propriété intellectuelle.
Sur le volet environnemental, nous avons obtenu qu'une étude d'impact soit menée dans les prochains mois pour évaluer l'effet d'un accord, l'Union européenne continuant d'être liée par l'Accord de Paris sur le climat. La Commission européenne devra consulter les États membres sur l'approche qu'elle compte adopter pour prendre en compte les résultats de cette étude. Cela signifie que l'on pourra éventuellement exclure d'autres lignes tarifaires des négociations en fonction des résultats de l'étude d'impact. La décision du Conseil affirme encore que l'Union européenne ne doit rechercher des accords commerciaux larges qu'avec des pays parties à l'Accord de Paris sur le changement climatique.
Enfin, nous avons obtenu que l'ancien mandat de négociation, le TTIP, soit considéré comme obsolète. Cela s'imposait car, autant sur la forme que sur le fond, l'affaire avait, à l'époque, été mal emmanchée, et cela répond à de sérieuses préoccupations des sociétés civiles.
La France a donc choisi de s'opposer à l'adoption des mandats de négociation parce que les États-Unis n'ont pas évolué sur le respect des engagements de l'Accord de Paris sur le climat, ce que nous regrettons fortement. C'est un signal clair envoyé à la Commission européenne et aux autres États membres sur le sérieux de nos propositions en matière environnementale. Les autres États membres ont pour beaucoup choisi d'adopter les mandats de négociation parce qu'ils souhaitaient éviter une escalade avec les États-Unis. La décision se prenant à la majorité qualifiée, la position française n'a pas conduit au rejet des mandats, mais certains États ont émis des préoccupations similaires aux nôtres ; la Belgique s'est abstenue, et l'Espagne a déclaré qu'il faudra, le cas échéant, évaluer, avant la signature d'un accord, le respect par les États-Unis des engagements pris dans l'Accord de Paris. Le Conseil du 27 mai sera aussi l'occasion de demander à la Commission européenne de faire le point sur le déplacement que font ses services à Washington cette semaine. Nous veillerons en effet à ce que les négociations soient menées en toute transparence.
Mais il faut être réaliste : les États-Unis ne sont pour l'instant pas prêts à s'engager définitivement dans une relation véritablement constructive. Avec M. le ministre Bruno Le Maire, j'ai d'ailleurs eu l'occasion de rencontrer le représentant américain au commerce, M. Robert Lighthizer, en marge de l'assemblée générale de printemps de la Banque mondiale et du FMI. Il nous a reproché certaines décisions – notamment la taxe sur les services numériques – mais nous avons réaffirmé notre droit souverain à prendre des décisions de cette nature. Vous le savez, les États-Unis ont lancé une enquête sur le secteur de l'automobile, dont les résultats n'ont pas encore été publiés. En tout état de cause, toute mesure tarifaire qui serait prise à ce sujet contreviendrait à l'esprit de la déclaration conjointe du 25 juillet et, ce faisant, au mandat que l'Union européenne a adopté. Le 27 mai, la France appellera donc la Commission et les autres États membres à se tenir prêts à tous les scénarios, y compris en préparant des mesures de rééquilibrage proportionnées mais déterminées au cas où les exportations européennes seraient touchées par de nouvelles mesures américaines.
Le deuxième point de l'ordre du jour du Conseil des ministres du commerce portera sur la modernisation de l'OMC qui, vous le savez, se trouve dans une situation critique. Le risque est grand d'une déliquescence de l'Organisation. Ce serait une régression, le retour à la situation du début du XXe siècle et au commerce administré, avec des conflits commerciaux de grande ampleur entre les États et un risque d'escalade dans tous les sens. Ce contexte explique la multiplication d'accords commerciaux bilatéraux conclus par les États pour se prémunir en sécurisant le respect de règles essentielles quel que soit le devenir du système multilatéral.
Face à cette menace, la France s'est engagée très fortement en faveur de la réforme de l'OMC. Nous sommes convaincus de la nécessité d'un cadre commercial multilatéral, et de la capacité de faire respecter ces règles. Le président de la République avait d'ailleurs tracé les lignes d'une réforme lors de son discours devant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en mai 2018. Il faut cependant reconnaître que le projet de réforme de l'OMC progresse avec difficulté, principalement en raison des tensions entre les États-Unis et la Chine. Alors que ces deux puissances sont engagées dans des négociations à l'issue très incertaine, nous devons être attentifs à ce qu'un remède éventuel ne soit pas également source de conséquences dommageables pour le système multilatéral. Si nos amis américains obtenaient d'importantes concessions de la Chine, ces concessions seraient vraisemblablement bilatérales. Il faudrait donc veiller à ce que le principe de non-discrimination qui est au coeur de l'OMC soit respecté. Nous sommes très vigilants à ce sujet.
En attendant, l'Union européenne travaille très activement, avec un grand nombre d'acteurs au sein de l'OMC et dans différentes enceintes, à faire progresser l'indispensable modernisation de l'Organisation. Ainsi, le groupe de travail trilatéral réunissant l'Union européenne, les États-Unis et le Japon qui travaille à la définition de nouvelles règles d'équité commerciale a formulé des propositions sur la transparence et sur les subventions industrielles distorsives.
La Commission européenne a aussi installé un groupe de travail associant l'Union européenne et la Chine, qui se consacre à la réforme de l'OMC. La déclaration finale du dernier sommet Union européenne-Chine doit être lue attentivement, parce qu'elle contient un engagement à travailler conjointement à des règles internationales sur les subventions industrielles ; c'est un pas considérable. J'ai le souvenir d'une réunion ministérielle consacrée à l'acier et à l'aluminium au sein de l'OCDE, où la position des représentants chinois n'était pas celle-là. Indéniablement, un pas a été fait, mais cela doit se traduire en réformes concrètes de la part de la Chine. M. le ministre Jean-Yves Le Drian me signalait d'ailleurs qu'à l'occasion du sommet consacré aux Routes de la soie, des propos du président Xi montraient une inflexion vers la prise en compte des préoccupations de l'Union européenne et d'autres acteurs du commerce international. Néanmoins, et je vous prie d'excuser cette référence bien peu laïque, comme Saint Thomas, nous ne croirons que ce que nous verrons.
Je mentionnerai encore le groupe d'Ottawa, qui fédère autour du Canada différents pays tels que la Corée du Sud, le Mexique, Singapour, l'Australie, le Brésil ou encore le Chili. Tous partagent avec nous la volonté de conserver le canal multilatéral.
Je n'omettrai pas, bien sûr, les autres enceintes que sont le G20 sous présidence japonaise et le G7 sous présidence française. Nous tenterons, dans ces cadres également, de continuer à faire progresser ce chantier, mais nous nous heurtons à des blocages.
L'analyse des Américains est parfois juste : il est vrai que certains pays tiers, la Chine surtout, ont des pratiques commerciales distorsives, que l'OMC n'est pas parvenue à résoudre. Nos divergences avec les États-Unis portent sur la méthode de règlement du problème. Ils veulent des solutions bilatérales quand nous souhaitons des solutions multilatérales. Parler de solutions multilatérales, c'est poser des règles et se donner les moyens de les appliquer. Or, en matière de règlement des différends, la situation de l'organe d'appel de l'OMC reste un sujet de préoccupation majeur. Comme vous le savez, le blocage par les États-Unis, persistant depuis 2017, du renouvellement des membres de cette instance risque d'entraîner la paralysie du système de règlement des différends de l'OMC d'ici la fin de l'année, faute d'un nombre de juges suffisant pour traiter les nouveaux contentieux, les contentieux en cours pouvant continuer d'être traités par les juges qui étaient anciennement en fonction, y compris si leur mandat est échu. La pérennité du système de règlement des différends comprenant deux niveaux de juridiction risque donc d'être remise en cause.
Nous sommes prêts à faire des efforts pour répondre aux critiques des autorités américaines qui ont soulevé certains points pertinents. Il est vrai que les délais de traitement prévus pour l'organe d'appel ne sont pas respectés, parce qu'il est surchargé. L'Union européenne formule des propositions d'amélioration du cadre de règlement des différends mais, pour l'instant, nous avons le plus grand mal à faire changer la position des États-Unis. Or, le risque existe que, faute de système de règlement des différends en état de fonctionner, les membres de l'OMC décident de se faire justice eux-mêmes, en imposant des sanctions commerciales unilatérales, entraînant, à terme, une guerre commerciale généralisée.
Aussi, lors du Conseil des ministres du commerce du 27 mai, la France insistera sur la nécessité de traiter des pratiques commerciales distorsives qui sont à la racine des tensions actuelles, de creuser davantage les pistes permettant de sauvegarder le système de règlement des différends, et de réfléchir à des « plans B » en cas de blocage définitif de l'organe d'appel.
Le troisième point de l'ordre du jour du prochain Conseil des ministres du commerce portera sur les négociations en cours. De manière générale, j'ai ressenti lors d'une réunion informelle qui s'est tenue à Bucarest qu'une majorité d'États membres sont favorables à ce que la Commission actuelle finalise de nouveaux accords avant de passer le témoin. Pour sa part, la France considère qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, ce qui semble pourtant être le cas s'agissant des négociations entre l'Union européenne et le Mercosur.
Le 38e cycle de négociations, qui a eu lieu en mars dernier en Argentine, s'est une nouvelle fois clôturé sans accord, alors que les négociations ont été engagées il y a vingt ans. On sent, du côté européen, une pression forte de la part de la Commission et d'une majorité d'États membres pour faire aboutir ces discussions. Nous rappelons que des points de blocage restent à régler : sur l'automobile, sur les services maritimes, sur les produits laitiers, sur les indications géographiques. Un accord de cette importance – il serait, s'il était conclu, plus important en masse que celui conclu avec le Japon – ne peut être conclu à n'importe quelles conditions. Nous avons clairement exprimé nos lignes rouges sur nos intérêts défensifs – le secteur de la viande bovine, de la volaille, de l'éthanol, des sucres, du maïs doux – et nous estimons qu'à ce stade les conditions ne sont pas réunies, tant s'en faut, pour conclure un accord à brève échéance. Nous sommes encore loin du compte, au regard de nos intérêts offensifs prioritaires, sur les plans tarifaire et non-tarifaire. Nous souhaitons d'autre part que certains enjeux du développement durable, le principe de précaution au premier chef, soient mentionnés explicitement dans l'accord. Nous restons également vigilants quant au respect de l'Accord de Paris. Les déclarations de M. Bolsonaro, pendant la campagne présidentielle, n'étaient pas rassurantes ; les messages actuels le sont davantage, mais sur ce sujet seulement. Enfin, les préférences collectives européennes en matière sanitaire excluent, par exemple, l'importation de boeuf aux hormones en France. Cela supposera des engagements fermes et publics de renforcement des moyens alloués au contrôle de la traçabilité des produits alimentaires exportés vers l'Union européenne. Les parties semblent souhaiter faire aboutir la négociation avant les élections prévues en septembre en Argentine, mais la France réitèrera son souhait que ces éléments importants aient été réglés avant de conclure quelque accord que ce soit.
Les négociations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont été lancées il y a un an. L'axe indopacifique est important pour la France, présente dans l'océan Indien à La Réunion et à Mayotte. Les négociations avancent à bon rythme, notamment avec la Nouvelle-Zélande qui a une forte volonté politique d'aboutir rapidement. Nos secteurs offensifs sont les marchés publics et les indications géographiques. Les deux pays souhaitent faire du développement durable un chapitre ambitieux du texte, et la Nouvelle-Zélande s'est dit prête à faire du respect de l'Accord de Paris une clause essentielle du futur accord de libre-échange, clause qui, si elle n'était pas respectée, pourrait donc entraîner la suspension de cet accord. Nous qui avons toujours plaidé auprès des autres États membres de l'Union européenne en faveur de l'introduction d'une clause de ce type dans les accords commerciaux avec des pays tiers, pour l'instant sans succès, nous félicitons que la Nouvelle-Zélande aille en ce sens. Nous avons aussi des sensibilités dans le domaine agricole – s'agissant notamment des filières bovine, ovine et laitière, régulièrement rappelées et qui sont prises en compte par la Commission européenne. Enfin, nous n'oublions pas la préservation des intérêts de nos territoires d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie en particulier.
La Commission européenne poursuit également un calendrier de négociations ambitieux dans la zone ASEAN. La présidence roumaine a mis à l'ordre du jour du Conseil des affaires générales du 25 juin la décision autorisant la signature des deux accords – libre-échange et protection des investissements – conclus avec le Vietnam et se réserve la possibilité d'organiser un débat d'orientation politique sur ces accords lors du Conseil des ministres du commerce du 27 mai. Ce sont des accords prometteurs en termes de nouvelles opportunités commerciales et de sécurité juridique. Les services de la Commission effectuent d'autre part un suivi sérieux et régulier de la ratification par le Vietnam des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT); il y va du respect de droits sociaux sur lesquels nous ne transigerons pas.
Le 7ème cycle des négociations entre l'Union européenne et l'Indonésie a eu lieu en mars 2019 et une nouvelle session devrait se tenir en juillet. Le contexte électoral en Indonésie explique pour partie la lenteur des progrès de la négociation. La question de l'huile de palme provoque d'autre part quelque crispation chez nos partenaires mais, là encore, nos décisions sont celles d'États souverains, et doivent être respectées.
Les négociations entre l'Union européenne et la Chine en vue de conclure un accord global d'investissement se poursuivent. Les récents sommets sino-français et sino-européens ont donné une impulsion politique significative à ces négociations en appelant à leur conclusion d'ici 2020. L'enjeu est un meilleur accès au marché chinois, mais nous sommes conscients du chemin qui reste à parcourir.
Je l'ai rappelé en introduction : l'Union européenne doit aussi mettre l'accent sur la mise en oeuvre effective des accords commerciaux conclus, de manière contentieuse le cas échéant. Je demande régulièrement des informations régulières au Conseil sur les actions menées dans ce cadre. Ouvertures de contentieux à l'OMC et activation des règlements des différends doivent nous permettre d'être crédibles pour le respect des règles.
J'en viens, comme vous me l'avez demandé, à la mise en oeuvre du plan d'action CETA. Un tableau actualisé de suivi des actions est consultable sur les sites internet de la direction générale du Trésor et du ministère des affaires étrangères. Le premier axe du plan d'action concerne la mise en oeuvre exemplaire du CETA. On constate avec satisfaction que certains risques potentiels identifiés ne se sont pas réalisés. Les premiers résultats montrent que les échanges entre l'Union européenne et le Canada ont augmenté de 7 %. Entre la France et du Canada, les échanges de biens ont atteint 6,27 milliards d'euros en 2018. On note que les exportations françaises à destination du Canada ont atteint leur plus haut historique avec 3,36 milliards d'euros en 2018, en augmentation de 6,6 % ; dans le même temps, nous importons moins du Canada, si bien que notre balance commerciale s'est significativement améliorée, passant en un an de 39,7 millions à 455,1 millions d'euros. La France bénéficie donc largement de la mise en oeuvre provisoire du CETA.
Pour répondre à la demande du Parlement, nous avons commandé aux corps d'inspection compétents un rapport de suivi fin de l'accord sur cinq filières agricoles sensibles : viande bovine, viande porcine, viande de volaille, sucre et éthanol. Ce rapport a été communiqué par le Secrétariat général des affaires européennes à votre commission ; publié le 21 février dernier et consultable en ligne, il conclut qu'en l'état des informations disponibles, aucun territoire et aucune filière n'a subi de conséquences négatives liées à l'entrée en vigueur provisoire du CETA. Le marché européen n'a pas été submergé ou déstabilisé et nos règles sanitaires ont été respectées. Dans le même temps, nous avons profité de l'ouverture du marché canadien du fromage en saturant les contingents tarifaires à hauteur de 98,48 %. D'autre part, des craintes s'étaient exprimées en Europe au sujet de la viande de boeuf ou le porc ; or, moins de 500 tonnes et de 260 tonnes respectivement ont été exportées vers l'Union européenne, sur des contingents de 45 000 tonnes et de 75000 tonnes. Ce rapport d'inspection a aussi fixé une méthodologie en proposant la création d'un groupe de suivi des effets des accords commerciaux sur les filières agricoles sensibles appelé à se réunir chaque semestre pour alimenter les travaux du Comité de suivi de la politique commerciale.
Enfin, s'agissant des questions liées à l'investissement, la Cour de justice de l'Union européenne, le 30 avril dernier, a jugé le tribunal d'investissement du CETA conforme au droit de l'Union européenne. Cette décision, qui rejoint celle qu'a prise le Conseil constitutionnel en 2017, ouvre la voie au lancement du processus de ratification. L'étude d'impact devrait être disponible dans quelques semaines ; cela ouvrira la voie au dépôt du projet de loi de ratification sur le bureau des assemblées.
Je m'en tiens là pour laisser du temps aux questions.
Monsieur le ministre, je vous remercie. La parole est aux commissaires, et pour commencer aux représentants des groupes.
J'exprimerai d'abord une satisfaction collective : des débats approfondis, des résolutions votées ou en préparation, un ministre qui nous rend compte et qui nous consulte avant chaque Conseil… Après qu'il s'était rendu à l'invitation de notre commission, en 2014, Pascal Lamy a publié Quand la France s'éveillera. Le livre s'ouvre par un chapitre dans lequel l'ancien directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) exposait que la représentation française, ignare en matière de commerce international, était incapable d'exercer le moindre contrôle sur ce plan. Nous l'avons entendu il y a quelques semaines, soit cinq ans plus tard, et il a convenu que nous sommes passés de la nuit au jour : l'implication de l'ensemble des groupes politiques, leur compréhension de ces sujets n'ont plus rien à voir avec ce qu'elles étaient, et la qualité de leur travail, sur tous les bancs, s'est améliorée. J'en remercie la présidente de notre commission, mes collègues et le ministre.
Le groupe La République en Marche est solidaire de la position du Gouvernement. Le président de la République s'est donc opposé à l'ouverture de négociations commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis, et nous saluons cette décision difficile, car il est très rare que la France sorte du concert des majorités. Cette position n'est pas marginale mais d'avant-garde, et sera probablement considérée comme la bonne le moment venu, d'autant que la crédibilité de ces négociations décroît. Comment négocier avec un interlocuteur qui menace l'Union européenne au sujet d'Airbus et qui ouvre un nouveau chapitre de sa guerre commerciale avec la Chine en pleines négociations sino-américaines ? Comment croire en la bonne foi de cette administration ? Il faut certes gagner du temps pour suspendre le bras de M. Trump, mais la probabilité que l'accord aille à son terme est très faible. La France est unie sur la position prise par le président de la République ; chacun s'accorde à penser que les relations commerciales entre l'Union européenne et États-Unis doivent être équilibrées.
Vous nous avez dit il y a quelques mois, monsieur le ministre, que l'Union européenne souhaitait, par l'entremise de M. Juncker, jouer un rôle dans les relations entre les États-Unis et la Chine. Mais l'un des principaux conseillers de M. Trump a déclaré que quiconque se mettrait en travers des relations commerciales bilatérales entre les États-Unis et la Chine se ferait écraser. On peut se demander s'il y a un véritable dialogue entre ces deux nations, s'il est de bonne foi et rationnel, et si nous n'aurions pas mieux à faire en nous contentant d'un peu moins de visibilité dans les rapports avec les États-Unis de M. Trump et d'un peu plus de travail avec nos autres partenaires.
Je m'exprime au nom du groupe Les Républicains pour vous dire ma déception. Vous avez exposé que les tensions vont croissant, qu'il y a un risque de guerre commerciale et qu'avec le blocage de l'OMC, le multilatéralisme recule. Cela est vrai, mais ces mises en garde faites, je peine à discerner votre stratégie. Quelle action prend la France pour infléchir cette situation inédite et très préoccupante ? Quelle est notre position, quelles sont nos priorités ? Comment pouvons-nous peser en Europe ? Je salue le fait que le président de la République ait reçu le président chinois Xi Jinping avec M. Juncker et Mme Merkel, mais quel est le résultat de ces discussions ? Le blocage de l'OMC est d'une extrême gravité. Vous avez fait référence au discours du président de la République, mais c'est d'actions que nous avons besoin pour ne pas assister, impuissants, à la remise en cause du multilatéralisme. Que s'est-il passé depuis que ce discours a été prononcé ?
Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés partage la satisfaction exprimée par M. Jacques Maire. Peut-on s'attendre que la réforme de l'OMC comporte un volet relatif à l'équité fiscale, ce qui lui permettra de s'attaquer aux distorsions fiscales ? Quelle stratégie sera adoptée face à l'extraterritorialité de la législation américaine ?
Je prends la parole au nom du groupe Socialistes et apparentés alors qu'on se dirige vers un traité de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis puisque votre opposition, louable, à cette initiative n'empêchera pas l'ouverture de discussions dans le cadre d'un double mandat de négociation. Plus dérangeant, un éventuel accord, que la Commission souhaiterait obtenir rapidement et en tout cas avant la formation de la prochaine Commission, le 31 octobre prochain, ne serait pas soumis au vote des parlements nationaux, mais seulement à celui du Parlement européen. C'est ce genre de procédure qui abîme l'image de l'Union européenne aux yeux de nos concitoyens : ouverture des négociations malgré l'opposition de la France, mépris des parlements nationaux, non prise en compte des élections à venir en mai et poursuite du travail d'une Commission qui n'aura pas obtenu le vote d'approbation du nouveau Parlement élu. Comment entendez-vous faire entendre les réticences de la France en vue d'un traité de libre-échange avec les États-Unis, alors que, pour éviter le relèvement des droits de douanes sur l'automobile, les Allemands et les Italiens sont, eux, prêts à négocier ?
Le groupe La France insoumise a un débat récurrent avec M. Lemoyne et le Gouvernement, qui actent et accompagnent le principe du libre-échange. Vous déplorez qu'une guerre commerciale s'installe, mais elle me paraît inéluctable dès lors que l'on multiplie des accords bilatéraux qui ne rehaussent pas les normes sociales et environnementales mais qui, au contraire, organisent une gigantesque concurrence « libre et non faussée ». Comment peut-on s'étonner qu'en ayant accepté cette logique, on se retrouve dans une guerre commerciale qui ne répond pas aux objectifs qu'on s'était fixés ? Je ne me rappelle pas les termes exacts que vous avez employés, mais vous nous avez plus ou moins dit que, pour l'instant, vous étiez plutôt dans l'idée d'essayer de vous conformer à la COP21. Mais la COP21 ne sera plus qu'une vaste plaisanterie quand tous ces accords auront été signés, qui ne prévoient pas de mécanismes contraignants à ce sujet.
Vous le savez très bien : le CETA comme l'accord conclu avec le Japon visent à renforcer la compétitivité entre les entreprises, et les normes sociales et environnementales viennent au second plan, ce qui a des conséquences pratiques. Le principe de précaution étant omis dans ces traités, la chasse à la baleine n'est pas interdite dans l'accord signé avec le Japon, et rien n'est dit de la lutte contre la déforestation dans l'accord à venir entre l'Union européenne et le MERCOSUR. En bref, vous accompagnez un certain mouvement, puis vous venez nous expliquer, la main sur le coeur, que, bien entendu, les scientifiques nous alertent, que, bien entendu, nous allons être à niveau. Il n'en est rien. M. Herbillon a raison : les objectifs de la France sont indiscernables. Pour notre part, nous sommes attachés à des objectifs clairs : la définition de normes internationales contraignantes et non la signature d'accords bilatéraux qui créent une jungle infernale et ne permettent pas de renforcer les normes environnementales ni les normes de protection et de droit. Voilà ce que l'on doit rechercher au lieu de vouloir multiplier les échanges commerciaux internationaux, alors que la modernité, c'est la relocalisation de l'économie. Vous participez à l'établissement d'un flux d'échanges grandissant par le biais d'accords qui ne sont pas multilatéraux, dans une logique de compétitivité qui nous conduit dans le mur et qui va fracasser l'écosystème, la vie humaine et la qualité des droits et des protections dans l'ensemble des pays concernés.
Je m'exprime au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine pour constater que le traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) est de retour. Comment pouvez-vous nous dire dans le même souffle que la France, manifestant sa souveraineté, s'est opposée à la négociation, et que, le scrutin ayant lieu à la majorité qualifiée, ce dont nous ne voulons pas va s'imposer à nous ? Cette souveraineté n'est que verbale. De quelle force avez-vous besoin pour pousser l'Union européenne à faire ce que les États veulent ? Cette question se posant en pleine campagne pour les élections européennes, les Français ne peuvent que se dire qu'en tout cas ils ne voteront surtout pas pour le pouvoir le plus faible, celui qui dit : « Je dis non, mais je ne pourrai pas appliquer ce non parce que je n'en ai pas la force ». Il faut donner de la force à la France ; je ne suis pas là pour défendre mon candidat, et je ne parlerai donc pas de Ian Brossat, mais il porte un message de cette nature.
D'autre part, pourquoi la ratification du CETA n'est-elle pas soumise au Parlement ? C'est pourtant l'occasion de parler des accords de libre-échange dans l'hémicycle et non seulement dans notre commission, devant le peuple français. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est que vous avez honte de faire débattre de la ratification de cet accord.
Il reste aussi à déterminer la place donnée à l'Accord de Paris dans les divers accords de libre-échange en discussion, alors même que cet accord se ringardise, les scientifiques nous appelant à faire plus, plus vite et plus nombreux. Il va donc falloir prendre le taureau par les cornes et pousser à ce que l'on aille encore plus loin. Certes, nous ne pouvons contraindre des pays tiers à faire ce qu'ils ne veulent pas faire, mais nous ne sommes pas obligés de commercer avec ceux qui ne veulent pas aller plus loin et plus vite en matière de lutte contre le réchauffement climatique ou de protection de la biodiversité.
Et que dire de l'accord de libre-échange avec la Tunisie, qui permettrait à des multinationales françaises de cultiver les terres tunisiennes à la place des Tunisiens ? Après quoi, on fera de l'aide au développement pour donner les moyens de survivre aux Tunisiens dont d'autres auront pris la place sur leur territoire pour faire du commerce et des affaires. Le premier chapitre de tout accord commercial international devrait pourtant établir que chaque pays doit avoir les moyens d'exploiter ses propres ressources sans que l'on vienne piller ses richesses au prétexte de la concurrence libre et non faussée. Je vois qu'un ancien ministre s'agite depuis que j'ai pris la parole ; il veut sans doute m'expliquer en quoi j'ai tort. Je suppose que le ministre actuel le fera lui-même, et conviendra que les études d'impact n'étant pas transmises aux États avant le débat, la question de leur souveraineté se pose.
Le centre névralgique du commerce international bascule toujours davantage vers l'Asie et le poids de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) ne cesse de se renforcer tout comme le dynamisme économique des pays membres, dont le taux de croissance est, pour beaucoup d'entre eux, supérieur à 7 %. Avec un PIB de 2 800 milliards de dollars en 2017, c'est le cinquième bloc économique mondial. Le Japon, la Chine et la Corée du Sud ont déjà signé des accords de libre-échange avec l'Asean. Quelle est la stratégie de l'Union européenne ?
Le 15 avril dernier, en dépit de l'opposition de la France et de l'abstention de la Belgique, l'Union européenne a donné son accord à l'ouverture d'une négociation commerciale avec les États-Unis. En conditionnant son accord au respect de l'Accord de Paris, la France s'impose un peu plus comme un leader de la diplomatie climatique. Nous saluons la détermination du président de la République, mais la décision prise par l'Union européenne montre le chemin qui reste à parcourir pour convaincre nos voisins. Quels peuvent être nos alliés futurs ?
La France appuie la réforme de l'OMC, et avec elle le refus de la confrontation, pour continuer de privilégier le multilatéralisme et éviter des guerres commerciales. Mais cette volonté affirmée est-elle suffisante face à la détermination des États-Unis, alors que les acteurs économiques, menacés par la guerre commerciale lancée par les États-Unis, veulent agir à court terme, quand les procédures de règlement des différends engagées au sein de l'OMC par les Européens contre les Américains demandent, pour aboutir, un temps très long ?
Nous nous félicitons de ce calendrier ambitieux et du dynamisme européen en matière commerciale. Je fais mienne l'expression de satisfaction collective exprimée par notre collègue Jacques Maire. Le traité signé avec le Japon a créé une zone d'échanges commerciaux représentant 30 % du PIB mondial et 635 millions de consommateurs. Signé en juillet 2018, il est entré en vigueur le 1er février dernier. Certaines critiques relatives au respect de l'environnement appellent à la vigilance, mais ce texte est porteur d'opportunités renforcées pour les exportateurs français de produits agricoles, de vins et de viande bovine. Mais, élue d'une circonscription concernée par les dispositions arrêtées, je suis étonnée de la faible appropriation de l'accord par les entrepreneurs. C'est à sa mise en oeuvre que l'on peut juger de l'utilité d'un texte ; quelles sont les mesures d'accompagnement et quel est le résultat de la mise en oeuvre de ce traité ?
L'Union européenne doit renaître dans son projet et dans le coeur de ses citoyens. Or les relations commerciales de l'Union cristallisent souvent le rejet des décisions prises à Bruxelles. La représentation nationale s'investit pleinement dans ces questions mais l'accessibilité et la lisibilité des informations restent difficiles, et les citoyens reprochent souvent la méthode et l'opacité des négociations, qui provoquent de nombreuses et intenses controverses ; on l'a vu pour le TTIP et pour le CETA, et je m'interroge pour les accords à venir. L'Union européenne doit faire face aux États-Unis et à la Chine et aussi resserrer son partenariat avec l'Afrique. Comment rassurer les citoyens européens sur les effets du libre-échange promu par l'Union européenne face aux volontés croissantes de protectionnisme ? Une meilleure intégration des citoyens européens au processus de décision en matière commerciale est-elle envisagée ?
Le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques alerte sur l'accélération du taux d'extinction des espèces, exhortant à une action collective ambitieuse, notamment en matière d'échanges commerciaux. Hier soir, le président de la République a fait des annonces importantes à ce propos, qui concernent notamment le rôle que doit jouer la France au niveau européen sur ces sujets. Comment le Gouvernement s'assurera-t-il que les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux privilégient une meilleure préservation de la biodiversité ?
Les scientifiques, rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à l'appui, nous alertent sur les conséquences déjà dévastatrices du réchauffement climatique. La France continue de donner l'impulsion à l'écologisation des accords européens, mais les États membres de l'Union européenne ont validé l'ouverture d'une négociation commerciale avec les États-Unis, contre laquelle seul notre pays a voté. D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé le mécanisme d'arbitrage entre investisseurs et États du CETA compatible avec le droit communautaire ; pourriez-vous préciser ce qu'il advient quand la législation européenne est moins protectrice que ne l'est le droit français, notamment en matière d'environnement ?
Les accords de libre-échange visent aussi à harmoniser les normes environnementales, sanitaires, sociales et donnent l'occasion d'une discussion sur la capacité de l'Union européenne à se doter de ce pouvoir normatif ; ils ne visent donc pas en soi à promouvoir l'ultralibéralisme et, comme on l'a vu, certains de ces accords vont plutôt dans notre sens. Nous constatons aussi que l'OMC est en panne, et s'il n'y a plus de mécanisme de règlement des différends, c'est la loi de la jungle qui s'appliquera ; les traités permettent de pacifier et de civiliser les relations commerciales internationales. Où en est-on à l'OMC ? Êtes-vous pessimiste ou optimiste sur la capacité des États à débloquer le fonctionnement d'une organisation qui était beaucoup critiquée quand elle fonctionnait et dont on se rendra toujours plus compte de l'utilité à mesure que les comportements unilatéralistes se feront plus belliqueux ?
Comme Mme Cazebonne, j'aimerais savoir quelle place l'Union européenne fera à la biodiversité dans les négociations.
Les États membres de l'Union européenne ont approuvé le principe de l'ouverture de négociations commerciales avec les États-Unis en dépit de l'opposition de la France, dont je salue la position courageuse. Il est inenvisageable de négocier avec un État qui exerce des pressions sur l'Union européenne depuis des mois et, en tout état de cause, un tel texte doit se référer explicitement à l'Accord de Paris. Mais le vote français n'était pas un veto, si bien que les discussions avec les États-Unis de Trump vont s'ouvrir. Comment la France souhaite-t-elle aborder ces négociations ? Quelles lignes rouges, ont été fixées par la Commission européenne ? Quels sont nos objectifs ? Comment assurer la cohésion des États membres de l'Union pendant les négociations ?
L'usage de la langue française est en chute libre dans les institutions européennes. L'Union européenne ne devrait pas vivre sous le régime linguistique unique d'une langue qui n'est pas celle des peuples qui la composent, alors que l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux comme l'article 3 du Traité sur l'Union européenne établissent que la diversité culturelle et linguistique doit être respectée et que dix-neuf des vingt-huit États qui la composent sont membres de l'Organisation internationale de la francophonie. Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes à l'offensive à ce sujet – c'est la première fois depuis plusieurs années. Comment agirez-vous pour que la francophonie et le plurilinguisme retrouvent leur place dans le travail quotidien des institutions européennes ? Comment nous aiderez-vous aussi à constituer un intergroupe francophone et multilingue, et pour que la question soit portée au niveau du Conseil de l'Union européenne avant même la fin de la présidence roumaine ?
Chacun l'aura compris, c'était la minute de publicité de l'Assemblée parlementaire de la francophonie… (Sourires.)
Le président de la République a dit son opposition au mandat de négociation entre l'Union européenne et États-Unis. Les députés de la majorité, qui se mobilisent depuis dix-huit mois à ce sujet, considèrent qu'il faut maintenir un niveau d'exigence élevé pour les futurs accords au regard des enjeux environnementaux. La France a aussi conditionné son accord à l'ouverture de négociations avec les États-Unis à l'absence de nouveaux droits de douane sur les importations d'automobiles européennes ; comment compte-t-elle se faire entendre auprès de ses partenaires européens au cours des négociations ? Pensez-vous que les parlementaires européens qui seront élus en mai auront à se prononcer sur le résultat des pourparlers ? Peut-être voteront-ils contre.
Des tensions se font jour dans les relations commerciales internationales, au point qu'une guerre commerciale devient envisageable. N'est-il pas temps d'exploiter les relations établies au sein de l'Organisation internationale de la francophonie en les développant sur un autre plan que le plan culturel, pour établir un marché qui aurait ses propres ressorts et sa propre gouvernance, caractérisée par des relations pacifiées au bénéfice de tous ? Cette hypothèse est-elle envisageable ?
Des données précises étant désormais collectées, on sait l'impact du transport maritime sur le développement durable. La puissance publique doit d'urgence orienter le comportement des acteurs. L'hypothèse d'utiliser ces données pour appliquer des sanctions – restrictions de circulation ou sanctions pécuniaires au-delà de certains seuils d'émissions de gaz à effet de serre – est-elle explorée ? Á défaut, quelle mesure la France pourrait-elle éventuellement appliquer pour réduire l'impact de ces émissions ? Je salue la décision prise par la France de voter contre le mandat de reprise des négociations commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis. Mais cette opposition n'ayant pas bloqué le processus, comment la France pourra-t-elle continuer de défendre une Europe à la fois exemplaire pour le climat et protectrice de nos normes, notamment en matière d'agriculture et de pêche, dans la future négociation ?
Je reviens un instant sur la question posée par notre collègue Michel Herbillon. Les très fortes tensions commerciales à l'oeuvre peuvent entraîner une guerre commerciale. En ces temps d'instabilité planétaire, l'Europe a l'obligation de présenter un front uni et soudé, sans quoi elle ne pèsera rien. D'autre part, si la compétence exclusive est gérée par la Commission européenne, elle l'est par délégation. Le moment est venu de remettre à plat les objectifs politiques de la politique commerciale européenne, de la redéfinir et de fixer les lignes rouges à ne jamais franchir. Quand 90 % des marchés publics européens sont ouverts aux pays tiers alors que la proportion est de 30 % aux États-Unis et que les marchés publics chinois sont fermés, il y a un problème.
Comme l'a souligné M. Maire, l'évolution est notable. Ancien parlementaire, j'ai le souvenir du temps où la Commission européenne ne nous donnait pas accès à certaines informations. C'était il y a moins de cinq ans ; depuis lors, beaucoup a été fait en matière de transparence sur les mandats de négociation, désormais mis en ligne. Surtout, les procédures internes aux États se sont améliorées, notamment en France, et l'on en voit aujourd'hui, ici même, une traduction. M. Maire a aussi rappelé que les États-Unis veulent que personne ne se mette en travers de leurs négociations avec la Chine. Cependant, les États-Unis observent de près ce que font les autres pays par rapport à la Chine. De ce point de vue, ni l'Union européenne ni la France ne sont naïves : nous souhaitons l'aggiornamento de certaines politiques économiques chinoises, se traduisant par des actions concrètes. Cela a notamment conduit, il y a un mois, à une communication clairvoyante de la Commission européenne sur la stratégie envers la Chine. C'est un progrès.
M. Herbillon s'interrogeait sur la stratégie et le cap du Gouvernement. Si la France n'avait pas aussi ardemment tiré la sonnette d'alarme sur les enjeux stratégiques – la 5G et Huawei par exemple –, la stratégie communautaire à l'égard de la Chine aurait sûrement été plus molle. Mais la politique commerciale étant une compétence communautaire, la France ne peut réussir seule. Elle pèse mais elle a besoin d'alliés, qu'elle trouve d'abord dans le partenariat franco-allemand : certains éléments de politique commerciale ont été mûris dans le cadre du dialogue de Meseberg. Ensuite, nous essayons d'agréger d'autres alliés, et quand nous constatons notre incapacité à entraîner tout le monde sur certains sujets, nous affirmons nos valeurs par notre vote. Nous avons la conscience aiguë des enjeux et des défis en matière commerciale et c'est pourquoi nous avons toujours été à l'offensive pour installer des groupes de travail. « Groupes de travail et commissions ! » direz-vous. Effectivement, puisque c'est la seule manière de faire prendre conscience des enjeux à tous, Américains compris. Il y a donc triangulation : un groupe de travail avec la Chine, un groupe de travail Union européenne-États-Unis, un groupe de travail avec le Japon. Dans ce cadre, nous essayons de trouver des compromis – c'est l'essence de la diplomatie, comme le sait le parlementaire chevronné qu'est M. Herbillon.
Monsieur Petit, l'OMC ne traite de fiscalité que de manière connexe, certaines mesures fiscales pouvant être requalifiées en mesures de subventionnement interdites par le droit de l'Organisation. La fiscalité, sur le plan multilatéral, est du ressort de l'OCDE, où M. Le Maire et moi-même nous attachons avec vigueur à faire progresser certains accords liés aux bases fiscales, telle l'initiative relative à l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).
M. David a évoqué les négociations entre l'Union européenne et les États-Unis. L'objectif de la Commission n'est pas de conclure rapidement et à tout prix. L'Union européenne a souhaité engager une désescalade mais nous avons fixé des lignes rouges. D'ailleurs, les négociations ne sont pas encore ouvertes formellement : un mandat a été adopté par les États-Unis et un autre par l'Union mais ils ne sont pas strictement identiques, les États-Unis ayant inclus l'agriculture que nous avons exclue. Encore faut-il, donc, que la négociation s'enclenche. J'ai d'ailleurs ressenti, à l'issue de mon entretien avec Robert Lighthizer, que les États-Unis sont beaucoup plus obsédés par leurs relations commerciales avec la Chine qu'avec l'Union européenne, sinon pour ce qui concerne les rapports entre l'Union et les GAFA. Quoi qu'il en soit, l'Union européenne a voulu montrer qu'elle était prête à discuter, mais à discuter sur une feuille de route respectant certaines lignes rouges. De plus, il faudrait, pout toper, que les États-Unis lèvent leurs sanctions sur l'acier et l'aluminium, et on n'y est pas encore.
Mme Autain a déploré la logique même des accords de libre-échange. Je me souviens qu'elle appelait à la création d'un « Syriza à la française ». Observant la position prise par Syriza – la Grèce a d'ailleurs voté pour l'ouverture des négociations avec les États-Unis –, il me semble que la cohérence politique, en Europe, du courant qu'elle représente est parfois un peu ébranlée. Elle a aussi évoqué la question du développement durable pour déplorer l'absence d'inscription du principe de précaution dans les accords. Je rappelle que nous avons des résultats effectifs en matière d'environnement dans la politique commerciale. L'accord avec le Japon, entré en vigueur en février dernier, comprend un engagement à respecter et à mettre en oeuvre l'Accord de Paris. L'accord Union européenne-Singapour comporte également une référence explicite à l'Accord de Paris, et pour les accords en cours de négociation avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, les mandats évoquent spécifiquement les effets des transports aériens et maritimes sur le climat. Des progrès ont donc eu lieu. Quant à dire que les accords bilatéraux ne sont pas satisfaisants… Au moment où l'on assiste à la déconstruction systématique des normes multilatérales, au moins les accords bilatéraux permettent-ils le maintien d'un socle de règles auxquelles se référer. Ainsi, avec certains pays asiatiques, l'Union européenne pousse à l'inclusion de références aux droits sociaux, et quand la Corée du Sud ne respecte pas l'engagement qu'elle a pris de ratifier quatre conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Union engage la procédure contentieuse prévue dans l'accord de libre-échange Union européenne-Corée du Sud, ce qui aussi une manière de faire respecter nos préférences collectives.
De quelles forces avons-nous besoin, m'a demandé M. Lecoq ? De parlementaires européens favorables à une politique commerciale plus verte et intégrant davantage les droits sociaux. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : au « libre-échange », je préfère la notion de « juste échange », et je suis d'ailleurs très insatisfait que le terme ait été repris par des partis extrémistes. Nous plaidons le juste échange en pesant en faveur d'accords plus respectueux de l'environnement et des droits sociaux.
La Cour de justice de l'Union européenne ayant confirmé la conformité au droit européen du dispositif de règlement des différends en matière d'investissement du CETA et l'étude d'impact demandée au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) étant en cours de réalisation, je pense que le Parlement pourra débattre à l'automne du projet de loi de ratification.
M. Lecoq évoquait également les pays les moins avancés. Le système de préférences généralisées accordées à certains d'entre eux aide à l'essor d'un secteur économique ou à favoriser le développement ; cela va dans le bon sens.
M. Buon Tan a souligné à raison le dynamisme des pays d'Asie du Sud-Est. Je rappelle que l'Union européenne a conclu un accord, déjà en vigueur, avec Singapour, qu'un autre va l'être incessamment avec le Vietnam, que des négociations sont en cours avec l'Indonésie, qu'une relance est possible avec la Malaisie et les Philippines. Je multiplie les déplacements dans cette région du monde ; j'irai sous peu au Vietnam, aux Philippines, en Indonésie et en Thaïlande pour épauler nos entreprises et les aider à continuer d'emporter des marchés. Cet axe est très important pour le développement de notre commerce extérieur.
Mme Le Peih s'inquiète de savoir quels seront nos alliés à l'avenir. Quand la France est à l'avant-garde, elle ne désespère pas de convaincre les autres États. Le Conseil européen de fin juin sera l'occasion de repenser le cadre du commerce international puisque c'est le moment où l'on réfléchit à l'agenda stratégique de la Commission. Nous devrons peser pour qu'une volonté progressiste et réformatrice se manifeste dans ce document qui définira l'avenir de l'exécutif européen.
M. Portarrieu se demande comment l'Union européenne affrontera la détermination américaine. Sachez que l'Union européenne et la France sont également très déterminées. J'en veux pour exemple le cas de l'Iran. Les États-Unis se sont retirés de l'accord de 2015, mais l'Union européenne, qui continue de le garantir, a créé Instex, un outil destiné à permettre aux entreprises européennes, singulièrement les PME, de continuer à commercer avec l'Iran. La création de cet instrument exprime en soi une volonté politique.
De même, pour ce qui concerne Cuba, sujet sur lequel vous m'avez interrogé, madame la présidente, la décision de l'administration américaine d'activer le titre III de la loi Helms-Burton est inacceptable pour l'Union européenne. Le règlement européen de blocage est activé ; il permet aux entreprises européennes attaquées sur ce fondement d'être dédommagées. Mais ce règlement est imparfait en ce qu'il ne prémunit pas les entreprises européennes d'une sanction aux États-Unis. Aussi poussons-nous une réflexion visant à peaufiner ce dispositif. Votre collègue Raphaël Gauvain, chargé par le Premier ministre d'une mission sur les mesures de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives donnant effet à des législations de portée extraterritoriale, va rendre son rapport prochainement ; il alimentera notre réflexion sur des dispositifs complémentaires.
Mme Clapot a souligné l'importance de sensibiliser les entreprises françaises aux dispositions de l'accord conclu entre l'Union européenne et le Japon pour les inciter à profiter des marges de progression possibles sur le marché japonais. C'est en effet capital et nous organisons avec les services du Trésor et des douanes, en lien avec les chambres de commerce, des opérations de communication à ce sujet en régions ; deux ont eu lieu récemment, à Lyon et à Lille.
Mme Lenne et M. Fuchs ont mentionné le potentiel commercial d'un partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique. De fait, à mon sens, Européens et Africains échoueront ou réussiront ensemble ; il va sans dire que je privilégie la deuxième branche de l'alternative. L'Union africaine est en train de structurer la zone de libre-échange continentale, en cours de ratification. Le temps viendra donc où des travaux en ce sens pourront avoir lieu, d'autant, vous le savez, que nous sommes dans la période de négociations « post-Cotonou » entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Compte tenu de notre géographie et de l'intégration croissante de la chaîne de valeurs, nous devons y réfléchir.
Á Mme Cazebonne, M. Mbaye et Mme Chapelier, j'indique que des dispositions relatives à la préservation de la biodiversité et des ressources vivantes sont incluses dans le chapitre consacré au développement durable de certains accords de libre-échange : c'est le cas, par exemple, pour l'accord conclu avec le Vietnam. Nous demandons de surcroît que soient incorporées des mesures de lutte contre la déforestation importée, conformément à la stratégie nationale élaborée par le ministère de la transition écologique et solidaire et énoncée par le président de la République. Nous sommes d'ailleurs le premier État membre à avoir déployé cette stratégie.
Il est vrai, hélas, monsieur Berville, que la situation de l'OMC n'est pas engageante et qu'en dépit des nombreuses propositions mises sur la table par l'Union européenne, souvent à l'instigation de la France, il est extrêmement difficile de faire bouger les États-Unis. Il faut donc se préparer aussi à des « plans B » en termes de règlement des différends. Ce sera l'un des objets du Conseil des ministres du 27 mai.
Madame Sylla, il n'y aura pas d'accord entre l'Union européenne et les États-Unis si ce pays prend des mesures tarifaires sur l'automobile ; il n'y en aura pas non plus sans retrait des mesures sur l'acier et l'aluminium, et rien ne devra concerner l'agriculture. Telles sont les lignes rouges vigoureusement tracées et gravées dans le mandat du Conseil.
M. Krabal a évoqué la francophonie et le plurilinguisme. Nous prendrons connaissance avec intérêt des travaux sur la langue française dans l'Union européenne confiés à M. Fuchs par l'Assemblée parlementaire de la francophonie. La diversité linguistique qui caractérise Union européenne a été mise à mal ces dernières années. Aussi engageons-nous avec l'Alliance française bruxelloise, un fort travail de formation des fonctionnaires européens ou des fonctionnaires des États membres affectés à Bruxelles. D'autre part, la France manifeste son souci de la francophonie au sein de l'Union de façon parfois symbolique mais forte ; ainsi Philippe Léglise-Costa, notre représentant permanent, a-t-il quitté des réunions importantes quand les documents de séance n'étaient pas disponibles en français. Les membres du Gouvernement s'attachent naturellement à ne parler qu'en français dans les enceintes communautaires. Mais il faudra, hélas, mettre les bouchées doubles. Bien souvent, pour les sujets relatifs au commerce, les traductions prennent trop de temps et ce n'est pas acceptable. L'espace francophone gagnerait effectivement à se doter d'une stratégie de francophonie économique, pour l'instant trop souvent éclipsée par les aspects culturels ou politiques. À cette fin, il serait bon de renforcer tout ce qui peut être fait au sein de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Que l'Afrique de l'Ouest soit également irriguée par le droit continental participe de la défense du commerce en français.
Madame Tanguy, nous souhaitons maintenir un niveau d'exigence élevé dans les négociations à venir. Cela suppose de tisser des alliances avec un certain nombre de partenaires, au premier rang desquels l'Allemagne, naturellement. Il est intéressant de constater que le Parlement européen n'a pas réussi à dégager une position commune du mandat de négociation entre l'Union européenne et les États-Unis. C'est dire que des interrogations persistent, que la France a traduites par son vote. Le fait que le Parlement européen ne donne pas de blanc-seing exprime aussi une forme d'exigence pour ces négociations.
La préservation de l'environnement, madame Michel, est pour nous un sujet de préoccupation constante et nous souhaitons la prise en compte des émissions de gaz à effet serre dues aux transports, maritimes notamment. Comme je l'ai signalé, cette exigence figure dans les mandats de négociation de l'Union européenne avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. C'est une application concrète du plan CETA, qui vise véritablement à modifier la manière d'appréhender les échanges commerciaux ; la position de la France dans les enceintes européennes le prouve.
Enfin, il existe, pour le CETA, un forum de la société civile qui conduit à un dialogue avec la Commission européenne. Je m'en félicite, comme je me réjouis de la diffusion de cette audition sur les réseaux sociaux, pour toujours mieux impliquer nos concitoyens dans ces questions, car l'adhésion à ce que le commerce international peut apporter n'est pas toujours franche et entière. Pour ma part, je suis convaincu qu'il peut apporter beaucoup, dès lors qu'il se fait dans des conditions d'équité et de justice. On en revient donc aux chantiers en cours, cruciaux pour l'Union européenne, qui doit, pour se faire respecter, obtenir la discipline en matière de subventions et se doter de la capacité à faire respecter les accords, y compris en réglant les différends par le droit. C'est un des enjeux des semaines à venir.
Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que votre équipe. Je remercie aussi les commissaires puisque, Jacques Maire l'a dit, c'est grâce à eux que nous disposons désormais d'un suivi par filière sensible des effets de l'accord de libre-échange avec le Canada, une méthode qui sera étendue à d'autres accords commerciaux. La commission a voulu, et a obtenu, un suivi par filière qui n'existait auparavant dans aucune étude d'impact ; j'en suis très heureuse. Nous allons continuer notre travail, comme il est de notre responsabilité.
La séance est levée à 18 heures 40.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 7 mai 2019 à 17 heures
Présents. - Mme Aude Amadou, Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Michel Herbillon, M. Rodrigue Kokouendo, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Mounir Mahjoubi, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye, Mme Monica Michel, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy
Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Moetai Brotherson, M. Bernard Deflesselles, Mme Laurence Dumont, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Bruno Joncour, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson, M. Bernard Reynès, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman
Assistaient également à la réunion. - M. Jacques Krabal, Mme Laurence Vichnievsky