Bien sûr, les Lorrains sont déçus, madame la ministre. Nous aurions aimé des engagements et un calendrier sur plusieurs sujets. La Lorraine n'est qu'à quelques kilomètres. La création de la nouvelle collectivité produira des effets de bord et suscitera un sentiment d'injustice. En réponse aux appels lancés de tous les bancs, vous auriez pu prendre quelques engagements, notamment celui de réunir les forces de Lorraine pour trouver des solutions équilibrées, sans recourir à une loi de différenciation, aux questions très concrètes – sur les péages, ou encore dans le domaine social et médico-social – que nous avons soulevées.
Je salue néanmoins votre bienveillance et votre patience qui ne se sont pas démenties pendant l'examen du projet de loi.
En revanche, – je m'adresse moins à vous qu'au Premier ministre – , je m'interroge sur la méthode. Certes, dans l'urgence, il a cherché un compromis, mais ce n'est pas une manière de procéder. Je l'ai dit à plusieurs reprises pour que l'aveu venant d'un socialiste soit bien entendu : nous avons mené une politique de Gribouille, nous ne la corrigerons pas par une autre politique de Gribouille. Nous devons penser une politique globale. Le nouvel acte de décentralisation ne pourra pas se faire à la découpe. Ce qu'Hervé Saulignac et moi-même avons entendu pendant deux jours ne correspond pas à ce que nous souhaitons demain pour les territoires de France. Il nous faut une vision globale et des principes. Je plaide pour une réflexion de philosophie politique sur ce que doit être le nouvel acte de décentralisation.
Je ne parle pas des visions régionalistes que je réprouve – j'ai condamné l'allusion aux minorités oppressées qui me paraissait totalement déplacée. Lorsque j'écoute M. Straumann avec lequel j'ai pourtant de nombreux points communs, je suis étonné d'entendre vanter, après une décentralisation uniforme, le temps des distinctions. Qu'est-ce que cela signifie ? Avant de nous jeter les mots à la figure dans l'hémicycle, prenons le temps de réfléchir : la décentralisation a-t-elle été uniforme ? Au contraire, elle a donné à chaque territoire des libertés nouvelles pour s'adapter. À cet égard, j'ai déjà cité l'expression : « l'anfractuosité de l'environnement », employée par Gaël Faye, qui lui est un vrai déraciné, originaire du Rwanda.
Que serait la distinction pour ces territoires auxquels la décentralisation a octroyé les mêmes pouvoirs pour agir ? Nous devons réfléchir à cette notion de différenciation.
Sur ce débat entre commun et singulier, je vous livre quelques repères. D'abord, Patrick Hetzel a rappelé que le Conseil constitutionnel ne censure pas les distinctions à condition que celles-ci soient fondées sur l'utilité commune ou sur des spécificités. Je ne suis pas sûr que j'aurais interprété de la même manière la Constitution.
Pour l'avenir, nous pourrions nous inspirer de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui est d'une grande pureté. Nous pourrions étendre aux territoires ce qu'elle dit des individus : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». Nous devons méditer ces phrases. J'adhère pleinement à la nécessité d'enracinement, de proximité, et de citoyenneté, mais nous avons tout autant besoin d'élaborer des plans pour répondre aux défis de la transition écologique – il est symbolique et pas anecdotique que l'examen d'un projet de loi dont l'enjeu est la permanence même de l'humanité soit retardé d'une journée.
Nous aurons besoin autant d'enracinement et de singulier que d'universel et de planification. Il nous faudra des racines et des ailes. Le groupe Socialistes s'abstiendra sur ce projet de loi qui, loin de la préfiguration annoncée, est un bégaiement.