La France s'est engagée dans une trajectoire ambitieuse pour son aide au développement. Comme je vous l'avais d'ailleurs exposé à l'automne dernier, nous n'en voyons pas encore la traduction dans l'exercice 2018, ce qui est logique puisque cette évolution est intervenue lors de la réunion interministérielle de février 2018. L'idée est de passer à un taux de 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022.
Ces précisions faites, rappelons que la mission ne représente qu'un tiers environ de l'effort d'aide au développement consenti par la France. La mission est composée du programme 110 Aide économique et financière au développement et du programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, qui relèvent respectivement du ministre des finances et de celui de l'Europe et des affaires des étrangères. Le reste de l'aide, et notamment les frais d'écolage pour les étudiants étrangers, relève d'autres ministères. Pour une vue d'ensemble, il faudra se reporter au document de politique transversale dont nous n'aurons connaissance qu'à l'automne prochain.
Nous ne disposons pas encore des chiffres de l'aide française pour 2018 mais, en 2017, elle a atteint 10,1 milliards d'euros, soit 0,43 % du RNB, un taux qu'il faudra porter à 0,55 % d'ici à 2022. L'exécution de la mission Aide publique au développement est maîtrisée : 2,9 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et 2,6 milliards d'euros de crédits de paiement. Elle a connu peu de mouvements de crédits en cours de gestion, le plus significatif étant l'annonce par le Président de la République d'une aide de 50 millions d'euros à la Syrie pour des raisons évidentes. Une contribution moins importante que prévu au Fonds européen de développement (FED) a permis de financer une grande partie de cette aide.
La loi de finances rectificative pour 2018 a néanmoins ouvert 500 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour financer une opération de bonification de prêts au bénéfice de l'Association internationale de développement, l'institution de la Banque mondiale dédiée au soutien aux pays les plus pauvres de la planète. Nous avons eu l'occasion de voter sur ce dispositif.
Mon rapport traite aussi d'un compte de concours financiers qui détaille les prêts accordés par la France aux pays tiers, que ce soit directement par le Trésor ou indirectement par l'Agence française de développement (AFD). Il y a peu de nouveaux prêts du Trésor en 2018 et je suis surpris de constater que l'un d'eux, qui s'élève à 45 millions d'euros et qui est quasiment le plus important, a été octroyé au Mali pour le déploiement de la télévision numérique terrestre. Est-ce vraiment la priorité dans un pays où le taux d'électrification des ménages est très faible, où l'assainissement est quasiment inexistant et où l'adduction d'eau est très limitée ? N'y avait-il pas mieux à faire avec ces 45 millions d'euros d'aide ?
Le compte retrace en particulier l'exécution des accords sur la dette des pays pauvres. À cet égard, nous constatons une nouvelle dégradation de l'endettement des pays les plus fragiles, malgré les rééchelonnements et allégements de dette qui leur ont été accordés. Les taux d'intérêt très faibles favorisent cet endettement. Nous risquons donc de devoir renégocier certaines dettes au cours des prochaines années. Huit des dix-neuf pays que nous considérons comme prioritaires sont déjà concernés par ce risque de surendettement. Le Club de Paris, qui a été peu utilisé durant les dernières années, pourrait avoir à traiter de gros dossiers – on évoque notamment celui du Soudan – dans un proche avenir.
Pour ce qui est du pilotage des deux programmes de la mission, certains indicateurs – comme la part de l'aide versée aux institutions multilatérales qui bénéficie aux pays les moins avancés – nous semblent pertinents. La Banque mondiale, en particulier, cible vraiment ces pays. Je souhaiterais néanmoins que figure aussi la part de l'aide attribuée aux pays que nous considérons comme prioritaires, c'est-à-dire les dix-neuf pays qui sont pour l'essentiel des pays africains.
Avant de passer aux deux thèmes d'évaluation retenus, je souhaiterais appuyer une demande que j'ai déjà formulée dans de précédents rapports : que soit comptabilisé dans l'aide publique au développement l'avantage fiscal dont bénéficient les dons à des organisations de solidarité internationale. Une partie des dons effectués par nos compatriotes bénéficie d'avantages fiscaux qui pourraient être comptabilisés au titre de l'aide publique au développement. D'après nos informations, certains pays étrangers incluent les dons défiscalisés dans le montant de leur aide. Pourquoi ne le ferions-nous pas ? En ne le faisant pas, nous minorons notre aide d'un montant que je suis incapable d'estimer. Le calcul est assez compliqué car un don à la Croix-Rouge, par exemple, peut rester pour partie en interne. Quoi qu'il en soit, les dons affectés à des organisations de solidarité internationale doivent être comptabilisés car ils participent à l'effort national.
À ce stade, monsieur le secrétaire d'État, j'aurai trois questions assez classiques.
Quand allons-nous examiner la loi d'orientation et de programmation de notre aide au développement ? Notre collègue Hervé Berville a effectué un gros travail sur ce projet. Quand allons-nous voter ? Pour que ce vote soit pertinent, il doit intervenir avant le G7 de la fin de l'été et avant l'adoption du budget sinon ce texte sur l'aide au développement sera une loi de constatation – je parle sous le contrôle de l'auteur du rapport – mais pas davantage. Tant qu'à prendre une décision, autant qu'elle soit efficace et pertinente. Elle doit précéder les décisions qui seront prises par l'exécutif si nous ne voulons pas nous retrouver dans la pire des situations, celle d'être une chambre d'enregistrement a posteriori.
Deuxième question : pouvez-vous nous indiquer les derniers arbitrages budgétaires sur la fameuse trajectoire qui doit nous conduire à consacrer 0,55 % du RNB à l'aide au développement d'ici à 2022 ? Nous connaissons le point d'aboutissement, l'année 2022, mais nous ne connaissons pas la trajectoire. Nous n'avons pas encore atteint le terme des arbitrages budgétaires qui sont le propre de l'exécutif, mais il n'est pas illogique, surtout à ce moment du calendrier organisé par le président Woerth, que nous ayons quelques précisions à ce sujet.
Troisième et dernière question : avons-nous des avancées concernant la comptabilisation de l'avantage fiscal précédemment évoqué ?
J'en viens aux deux thèmes d'évaluation retenus : l'aide de la France à l'Algérie et au Maroc. J'ai effectué un déplacement dans ces deux pays pour me rendre compte de l'efficacité de l'aide publique. J'ai volontairement choisi ces deux pays parce qu'ils sont, en termes d'aide publique française au développement, aux antipodes : le Maroc est très ouvert, l'Algérie est très fermée.
L'Algérie est pratiquement hermétique à toute aide au développement car elle refuse de s'endetter à l'extérieur. C'est un refus total, théorisé. Il y a, semble-t-il, certains intérêts chinois présents en Algérie. En tout cas, il n'y a pas du tout d'aide française. Comme ce n'est pas non plus l'un des pays les plus pauvres de la planète, il est logique qu'il n'y ait pas de dons vers l'Algérie. Cette situation très particulière peut-elle évoluer ?
Les événements actuels pourraient entraîner une évolution qui s'était esquissée dans le débat public algérien en 2016. Le système algérien est fondé sur une redistribution massive de la rente pétrolière : l'essence est vendue entre 10 et 15 centimes d'euro le litre, les prix du pain et des logements sont très bas, l'éducation est relativement diffusée. Ce contrat social algérien est-il tenable avec la baisse – qui peut d'ailleurs s'interrompre – du prix du pétrole ?
Présente en Algérie, l'AFD y est l'arme au pied. Elle attend des évolutions internes et elle est en mesure d'y répondre. Nous avons évidemment tout intérêt à éviter une explosion et les risques afférents, en particulier migratoires. Quelques priorités pourraient être mises en avant si ce pays s'ouvre, ce qui pourrait aller assez vite en cas d'évolution politique : la diversification de l'économie pour sortir de la rente pétrolière ; la transition énergétique pour les mêmes raisons ; la formation professionnelle pour les masses de jeunes du pays.
À l'inverse, le Maroc jouit d'une position privilégiée dans notre aide au développement. L'AFD y possède son plus gros stock d'engagements, c'est-à-dire environ 2,5 milliards d'euros. Le Brésil arrive en deuxième position dans ce domaine. En termes de flux, le Maroc est le deuxième « client » de l'AFD après la Turquie où nous contribuons au financement des camps de réfugiés. À rythme constant, le Maroc est le premier pays bénéficiaire notre aide.
Nous avons eu l'occasion d'emprunter, entre Casablanca et Rabat, la ligne à grande vitesse qui relie aussi Kénitra à Tanger. C'est une très belle réalisation française à laquelle ont participé la SNCF, Alstom et d'autres entreprises. La moitié des 2 milliards d'euros du coût total du projet a été financée par l'aide publique française sous forme de prêts.
Le Maroc a fondé son développement récent sur l'ouverture internationale. Comme dans tout pays en plein développement, le mouvement s'est accompagné d'inégalités. Nos interlocuteurs ont beaucoup insisté sur les inégalités territoriales qui se creusent au bénéfice du Maroc utile autour de Casablanca et de Rabat, et au détriment du Maroc montagneux, du Rif, ou de l'extrême sud. On constate également le succès des écoles françaises dans ce pays.
La Maroc est le premier bénéficiaire de notre aide alors qu'il ne fait pas partie des dix-neuf pays prioritaires. Il faudra peut-être, à un moment donné, s'interroger sur la densité de notre aide à l'égard de ce pays qui va sortir de la zone des pays les plus fragiles, ce qui est très bien pour lui.
Il faut aussi intégrer un autre phénomène : le rôle africain que joue le Maroc. Ce pays est en train de s'engager de façon massive dans les services bancaires et financiers dans toute l'Afrique. Les établissements marocains sont les premiers à bancariser et à assurer la population africaine. Nous y voyons un moyen de diffuser la francophonie.
Pour conclure, je voudrais insister sur les liens que nous devons créer entre cette politique d'aide au développement et la politique migratoire. Pour illustrer mon propos je vais prendre l'exemple des laissez-passer consulaires. Le Maroc n'accède qu'à 30 % de nos demandes en la matière. Ce taux atteint 50 % pour l'Algérie et 75 % pour le Niger. Notre politique d'aide est généreuse et elle est appelée à le devenir un peu plus encore si tant est que nous respections les engagements fixés par le Président de la République. Ces engagements doivent s'accompagner d'efforts réciproques des uns et des autres.