Intervention de Vincent Ledoux

Réunion du lundi 3 juin 2019 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Ledoux, rapporteur spécial (Action extérieure de l'État) :

Mes questions porteront sur la réforme du réseau de renseignement français à l'étranger, piloté par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Il s'agit de près de 500 établissements homologués par l'éducation nationale, dans 140 pays, avec des statuts indiquant des liens plus ou moins étroits à l'Agence : établissements en gestion directe, conventionnés ou partenaires... Le réseau accueille au total 350 000 élèves, dont 125 000 Français et 225 000 étrangers, et les effectifs sont en hausse régulière.

Le réseau a fait l'objet de nombreuses évaluations ces dernières années, sous des angles divers et complémentaires : des référés de la Cour des comptes ont examiné la qualité de la gestion de l'agence ; une enquête de la Cour, présentée au Sénat, a porté sur le modèle économique du réseau et sur les enjeux d'accès des élèves français ; notre collègue Frédéric Petit a formulé des propositions pour moderniser l'enseignement et renouveler la contractualisation avec les établissements partenaires. Récemment, notre collègue Samantha Cazebonne, parlementaire en mission pour le Gouvernement, a remis un rapport comportant pas moins de 147 propositions pour garantir la qualité de l'enseignement et maintenir le lien de confiance entre les différentes parties prenantes du réseau.

Pour cet exercice d'évaluation, je me suis efforcé de mesurer l'adéquation entre, d'une part, les financements et les modes de gestion de l'Agence et, d'autre part, les objectifs de développement du réseau qui ont été fixés, dès 2016, par un COM de trois ans, prolongé en 2019.

Ces objectifs ont été nettement accentués en mars 2018 par le Président de la République avec le « plan pour le français et le multilinguisme », qui prévoit le doublement des effectifs scolarisés d'ici 2030. Cela impliquerait une croissance de 7 % à 8 % par an.

J'ai pu m'assurer que la contractualisation en cours a doté le ministère d'un outil effectif de suivi des objectifs fixés à l'Agence. Les indicateurs sont généralement bien calibrés et attestent de réussites comme le redéploiement, en trois ans, de 55 titulaires vers les zones géographiques prioritaires, alors que la cible était de 30 postes. De même l'Agence a entièrement recentré les enseignants à statut dit d'expatrié sur les fonctions d'encadrement, en divisant par dix la part des expatriés sur des postes d'enseignement.

L'Agence s'est dotée elle-même de nouveaux outils pour piloter son réseau et améliorer sa gestion, en suivant la « feuille de route » issue de différentes recommandations de la Cour des comptes. Elle a ainsi mis en place un système d'information budgétaire et comptable et dématérialisé ses procédures, ce qui permet au siège de mieux contrôler les activités des établissements, et de les aider à revoir leurs procédures internes et diversifier leurs sources de financement.

Une véritable fonction achat a été introduite dans les services centraux comme dans les établissements. Les dépenses de fonctionnement ont été contenues : par exemple, l'équipement de salles de visioconférence au siège de l'Agence à Paris Montparnasse a permis de réduire de 20 % les frais de déplacement.

Je relève que des économies supplémentaires pourraient provenir de la mutualisation de certaines dépenses, avec des services des ambassades, là où la situation le permet.

Monsieur le ministre, dans le cadre du nouveau pilotage par le Quai d'Orsay des différents réseaux de l'État à l'étranger, les nouveaux secrétariats généraux d'ambassade ont repris et élargi les fonctions des anciens chefs de services communs de gestion : envisageriez-vous de leur faire nouer des partenariats avec des établissements d'enseignement français pour optimiser certaines fonctions support ? Plus largement, quel premier bilan dressez-vous de la mise en oeuvre par l'Agence des objectifs fixés depuis 2016 et sur sa capacité à piloter le réseau ?

Pour rendre les objectifs d'expansion fixés par le Président de la République à la fois crédibles et soutenables, il s'agit désormais de doter l'Agence de bons outils pour en faire un opérateur du développement du réseau.

Ceci exige de diversifier les formes de présence et d'accroître considérablement la part des établissements partenaires là où cela est possible. J'ai pu constater que l'Agence réoriente résolument sa stratégie afin de passer d'une approche, malthusienne, de gestion de ses établissements traditionnels vers une démarche prospective et proactive. L'Agence vient ainsi de créer un service d'appui au développement du réseau qui propose aux porteurs de projets d'établissements français une offre d'accompagnement, payante et modulée, en vue de leur homologation totale ou partielle, immédiate ou graduelle, dans le réseau... Les débuts sont très prometteurs.

Il faut développer cette structure qui va insuffler une nouvelle approche dans l'ensemble des services de l'Agence. Quels moyens supplémentaires pourraient être spécifiquement apportés à l'Agence pour la doter de compétences d'ingénierie suffisantes ?

Il revient également aux chefs des postes diplomatiques et consulaires de démarcher les porteurs de projets d'établissements sous « marque France ».

Monsieur le ministre, comment allez-vous mobiliser les chefs de postes diplomatiques, dans les pays à plus fort potentiel, comme en Afrique du Nord ou en Afrique francophone, pour lever les freins que certaines réglementations locales pourraient opposer au développement de filières privées d'enseignement français ?

Il faut également s'assurer que les familles des pays émergents qui recherchent un enseignement international identifient bien le baccalauréat français comme un véritable diplôme international permettant l'accès, aux meilleures universités mondiales, et pas exclusivement aux filières françaises.

Cependant, pour que l'Agence puisse pleinement mettre en oeuvre ces nouveaux objectifs, il faut, au préalable, qu'elle recouvre sa capacité à maintenir le réseau actuel, et donc qu'elle rétablisse son équilibre budgétaire. La subvention pour charges de service public de l'AEFE a été stabilisée à 384 millions d'euros en 2018, après des baisses importantes en 2016 et 2017, mais ce niveau est encore inférieur de 30 millions d'euros aux montants consommés en 2014.

L'Agence est donc confrontée, sur la durée, à l'effet ciseaux de la baisse des dotations publiques et de la hausse du nombre d'élèves dans le réseau. J'ajoute qu'elle a dû prendre à sa charge des surcoûts, non compensés, par exemple pour les pensions civiles des fonctionnaires détachés, ou pour la contribution sociale généralisée.

Pour rééquilibrer ses comptes, l'AEFE avait mis en place un prélèvement exceptionnel sur les établissements, en augmentant le taux de leur participation forfaitaire complémentaire (PFC), assise sur les droits de scolarité. Un retour à la normale est attendu par les établissements en 2020, ce qui paraît exiger le rebasage de la subvention pour charges de service public ; monsieur le ministre, à quels montants estimez-vous cette rectification?

De même, le prochain contrat qui liera l'Agence à la tutelle à compter de 2020 gagnerait à devenir un véritable contrat de moyens, et non pas seulement d'objectifs, afin de donner une visibilité sur les financements les trois prochaines années. Le schéma d'emplois actuel, qui a conduit l'Agence à supprimer 512 emplois en trois ans, ne paraît plus compatible ni avec l'accélération du redéploiement vers les établissements prioritaires, ni avec le maintien d'un niveau suffisant d'enseignants titulaires de l'éducation nationale au sein des établissements en expansion. Il s'agit pourtant d'une garantie de lien à la France et d'une garantie de qualité de l'enseignement, très clairement perçue comme telle par les familles françaises et étrangères.

Développer le réseau va donc nécessiter d'accroître les effectifs d'enseignants titulaires de l'éducation nationale présents à l'étranger, tous modes de départs confondus. Au regard des difficultés rencontrées pour obtenir des détachements ou des prolongements de détachements, pouvez-vous indiquer quelles bonnes pratiques peuvent être définies avec les services de l'éducation nationale ?

Je rappelle que des garanties nouvelles de flexibilité sont apportées par une circulaire de septembre dernier qui limite à un maximum de six années les détachements des personnels dits « résidents ». L'effet de cette mesure pour faciliter les redéploiements et fluidifier les parcours pourra être perçu progressivement à compter de la rentrée 2019.

Dans un contexte de modification continue de la composition du corps enseignant, il faudra également apporter de nouvelles garanties du maintien de l'excellence des équipes éducatives. Il sera nécessaire de développer la formation initiale et continue, sur place, des enseignants recrutés localement. Des initiatives en ce sens ont été prises au Maroc et au Liban... Pourraient-elles être reproduites en lien avec des universités françaises et locales ?

Enfin, je souhaite vous alerter sur deux verrous budgétaires qui relèvent d'une approche dépassée et qui contreviennent aux objectifs fixés par le président de la République.

Pour les effectifs tout d'abord : la loi de finances définit un plafond d'emplois dits « hors plafond » des établissements en gestion directe. Cela limite leur possibilité de recruter des personnels de droit local alors même que, dans ce cas, les rémunérations ne sont pas prises en charge par l'Agence, mais exclusivement par les familles au titre des droits de scolarité. Supprimer ce plafond n'entraînerait donc aucun coût supplémentaire pour l'État et permettrait d'accompagner la croissance des effectifs scolarisés. Quelles démarches pourriez-vous engager au plan interministériel afin de lever rapidement ce verrou ?

Le second obstacle majeur concerne l'immobilier, qui appelle des investissements importants. Depuis 2009, comme tous les opérateurs de l'État, l'AEFE ne peut plus recourir à l'emprunt, seulement à des avances du Trésor bornées à l'année civile, donc très souvent annulées, et totalement inadaptés à la mise en oeuvre d'un schéma pluriannuel immobilier.

Face à cette contrainte, les familles constituent une épargne, destinée aux projets immobiliers, dans les fonds de roulement des établissements. C'est loin d'être optimal, car ces dépenses devraient au moins partiellement être financées par l'emprunt, pour lisser l'effort sur le long terme et mettre à contribution les différentes générations de bénéficiaires.

Tout cela a fragilisé budgétairement l'AEFE, puisque Bercy a pu arguer du niveau important des fonds de roulement des établissements pour réduire la subvention pour charges de service public de l'Agence, alors qu'il n'y a aucun lien entre les deux.

Envisagez-vous de faciliter l'accès à l'emprunt pour financer les programmes immobiliers des lycées français ? À quelle échéance serait-il possible d'instaurer des dérogations à l'interdiction d'emprunter, assorties évidemment de garanties, comme des conditions de montants et de taux, sous contrôle de Bercy ?

Un autre obstacle concerne les établissements privés conventionnés, qui sont libres d'emprunter mais qui, dans de nombreux pays, ne peuvent le faire à des conditions raisonnables sans une garantie de l'État français. Cette garantie est accordée, depuis 1975, par le biais de l'Association nationale des écoles françaises à l'étranger (ANEFE) qui, en quarante ans, s'est portée garante de 156 établissements privés dans 97 pays, sans que ce mécanisme ait montré la moindre faiblesse.

Or, depuis l'été 2018, les octrois de garantie de l'ANEFE ont été interrompus par le ministère des finances, au motif que ce mécanisme serait contraire à des règles du droit européen de la concurrence en matière bancaire. Cela bloque aujourd'hui des projets importants de développement, à Mascate et à Panama, et obligerait par exemple le lycée de Conakry à emprunter au taux de 15 %, hors assurance, pour financer simplement 8 millions d'euros de travaux !

Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous pour sortir de cette impasse et rétablir un dispositif de garantie par l'État des emprunts des établissements privés d'enseignement français ?

Monsieur le ministre, à mesure que j'ai avancé dans ce travail visant à évaluer l'AEFE, je me suis rendu compte que l'enjeu est désormais de l'aider à évoluer, comme elle s'y emploie effectivement, pour relever le défi assigné par le président de la République. Il ne faut donc pas adresser de signaux contradictoires et il faut lever les contraintes d'un autre temps, tout en restant exigeants sur la conduite par l'Agence de sa démarche de transformation.

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