Intervention de Émilie Bonnivard

Réunion du lundi 3 juin 2019 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Bonnivard, rapporteure spéciale (Tourisme) :

En tant que rapporteure spéciale des crédits du tourisme, je suis amenée à analyser les crédits de l'action 7 Diplomatie économique et développement du tourisme du programme 185, intitulé Diplomatie culturelle et d'influence, de la mission Action extérieure de l'État. En ce qui concerne l'exercice 2018, cela correspond à un budget de 37,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement pour le seul opérateur de la politique touristique de la France, à savoir Atout France. C'est donc un tout petit budget.

Je dois dire, d'emblée, que cette situation ne me satisfait pas : elle est symptomatique de la manière dont le tourisme est considéré au sein de la politique du Gouvernement. Il s'agit d'une unique petite action budgétaire, et non d'un programme dédié directement et entièrement au tourisme. Je me répète, car je le regrettais déjà l'année dernière, mais il n'est pas concevable, à mon sens, que la politique touristique ne dispose même pas d'un programme dans notre architecture budgétaire.

La France est pourtant la première destination mondiale. Le tourisme représente, dans son ensemble, 7 % de notre produit intérieur brut (PIB), soit un chiffre d'affaires d'environ 168 milliards d'euros, qui est réalisé par plus de 303 000 entreprises. C'est le premier secteur économique en France, et il enregistre une croissance soutenue depuis plusieurs années. C'est aussi le secteur qui génère le plus d'emplois dans notre pays : environ 2 millions, directs et indirects.

Il n'y a pas de programme budgétaire pour ce secteur crucial de notre économie, ni de ministre ou de secrétaire d'État de plein exercice, ce que déplorent systématiquement les professionnels que je rencontre au cours de mes auditions. Je le regrette également : je ne crois pas qu'une organisation éclatée entre différents ministères puisse remplacer l'incarnation d'une politique qui devrait être assurée, a minima, par un secrétaire d'État à part entière. Vous faites de votre mieux, mais votre mission va très largement au-delà de la question du tourisme.

Je me suis posée les questions suivantes lors de la rédaction de mon rapport. Le budget et la politique dédiée au tourisme sont-ils performants ? Ont-ils atteint leurs objectifs et, si c'est le cas, quelle est la part de la responsabilité du Gouvernement dans ce résultat ? Cette politique est-elle à la hauteur des problématiques et des enjeux de structuration et de renouvellement de cette filière économique ? La politique du Gouvernement doit-elle se réduire, comme c'est le cas aujourd'hui, à financer la promotion de la destination France en se retirant peu à peu de la question de la structuration et de la modernisation des infrastructures touristiques françaises, ce champ étant laissé à d'autres acteurs publics, les collectivités locales, notamment régionales, la Caisse des dépôts ou les acteurs privés ?

Je vais commencer par l'analyse de la performance des crédits spécifiquement dédiés à Atout France. Je peux dire que le petit budget entrant dans mon escarcelle – celui qui est consacré à cet opérateur – est très bien dépensé. La subvention de l'État s'élève à 37,4 millions d'euros, qui permettent de lever 38,4 millions d'euros en 2018 sous la forme de partenariats publics et privés, ce qui est exceptionnel. Il convient de souligner l'effort de presque 14,5 millions d'euros des conseils régionaux au titre des partenariats.

La part des partenariats publics et privés dans le budget d'Atout France fait l'objet d'un sous-indicateur de performance. En 2018, comme en 2017 et en 2016, le résultat est supérieur à l'objectif assigné par le projet annuel de performances : il est de 58 % contre un taux attendu de 51,23 %. La performance de l'opérateur – sa capacité à lever des financements complémentaires pour promouvoir la destination France – est donc plus que satisfaisante.

Dans le détail, 43 millions d'euros ont été consacrés en 2018 à la promotion de la destination France, sur un budget total de 76,4 millions d'euros, ce qui représente 57 % des dépenses ; 12 millions d'euros ont été alloués au fonctionnement de la structure, et 18 millions aux salaires et aux charges sociales.

Je me suis rendue au siège d'Atout France il y a quelques semaines : j'ai pu constater concrètement l'impressionnant travail réalisé par les équipes, notamment sur le site France.fr, qui a été traduit en quinze langues et adapté en vingt-huit versions afin de mieux correspondre aux attentes des marchés ciblés. Il y a eu également plusieurs campagnes de promotion et de communication adaptées.

J'en viens à la question des moyens humains. La performance consiste aussi à assurer une maîtrise budgétaire. En dix ans, l'opérateur a réduit ses effectifs de plus de 130 contrats. On est passé de 435 ETP en 2009, au moment de la fusion entre la Maison de la France et ODIT France, à 302 ETP. L'effort de rationalisation, de réorganisation et d'externalisation a été considérable, et il faut le saluer. C'est dans ce contexte que le Gouvernement a annoncé une nouvelle demande d'économies de 4 millions d'euros sur la masse salariale d'Atout France en 2020, ce qui représente 12,5 % de la subvention pour charges de service public. Il ne me paraît pas pertinent de réduire encore le budget d'Atout France. L'effort de l'État pour le budget du tourisme me semble déjà assez réduit pour un pays tel que la France. Par ailleurs, la crise des « gilets jaunes » a eu un impact sur l'image de la France auprès de certaines clientèles.

On peut aussi s'interroger sur le seuil à ne pas dépasser en matière d'économies budgétaires si on ne veut pas atteindre le coeur de l'action réalisée par l'opérateur et risquer d'altérer sa performance. C'est pourtant ce que vous vous apprêtiez à faire, et je le regrette, dans le cadre d'une lettre envoyée en catimini aux ambassadeurs au début de l'année pour leur demander de supprimer, ou d'obtenir la suppression, de postes dès cette année dans les bureaux de l'opérateur à l'étranger, alors que la masse salariale est déjà faible et que ce sont les équipes effectuant le travail concret de promotion à l'étranger qui sont visées. Sur le plan de la méthode, cela constitue une gestion de fait à l'égard de l'opérateur, méthode contestable qu'il conviendra de ne pas suivre de nouveau. J'y serai attentive au titre de ma fonction de contrôle de l'action du Gouvernement.

J'ai une question précise à vous poser à propos de la demande d'économies budgétaires que j'ai évoquée. Nous sommes un peu perdus : fin mars, vous avez soutenu qu'il était question d'économies de fonctionnement, ce qui est plus général que la seule masse salariale ; un mois plus tard, vos services ont écrit qu'« il est attendu d'Atout France de nouveaux efforts de gestion d'ici à fin 2020, impliquant une réduction de 17 % de sa masse salariale, à hauteur de 4 millions d'euros », alors que vous annonciez dans le même temps à la presse une augmentation des crédits de communication d'Atout France, de la région d'Île-de-France et de la Ville de Paris. J'aimerais sincèrement comprendre votre position. L'effort demandé par le Gouvernement concerne-t-il uniquement la masse salariale ou porte-t-il sur le fonctionnement global de la structure ?

Dans le jeu des « plus » et des « moins », combien le Gouvernement prévoit-il pour le budget du tourisme, au-delà des recettes des droits de visa ? Il n'est jamais bon pour la lisibilité budgétaire de jouer au bonneteau : on enlève 4 millions ici et on en gagne 5 avec les droits de visa. Il faut des économies, bien sûr, et elles ont été réalisées, mais on ne doit pas procéder aveuglément et systématiquement dans les mêmes secteurs, sous prétexte qu'ils se portent bien et qu'ils fonctionnent.

J'en viens à ma question centrale : le tourisme doit-il se réduire à la promotion dans un pays tel que la France ou est-ce une filière économique à part entière qu'il convient d'accompagner pour lui permettre de s'adapter aux attentes des clientèles et aux évolutions du marché ? Force est de constater que le Gouvernement a décidé de réduire le tourisme à la promotion, pour l'essentiel, puisqu'il a supprimé en 2018 les crédits dédiés au tourisme dans la mission Économie relevant du ministère de l'économie et des finances. Le tourisme n'a donc plus sa place dans la politique économique du Gouvernement. Symboliquement, et sur le fond, c'est assez violent pour la filière. Il n'y a plus de ligne budgétaire pour soutenir les actions, certes modestes, visant au déploiement des labels « Qualité Tourisme » et « Tourisme & Handicap » ou concernant DATAtourisme, les contrats de destination et le tourisme social. C'était un petit budget, mais il avait le mérite d'exister.

Après avoir appris que nous supprimions ce budget, j'ai finalement su qu'il avait fait l'objet en 2018 d'une réallocation interne, un peu opaque, qui permet à une direction de Bercy de vivoter mais ne peut pas constituer une solution satisfaisante, d'une manière pérenne. Qu'allez-vous donc faire de ces actions ? Allez-vous les supprimer ou opter de nouveau pour une réallocation interne, d'une manière opaque pour le travail parlementaire ?

Il n'y a pas de crédits pour le tourisme du côté de Bercy, et je souhaite mettre la situation en perspective : le budget en faveur de l'artisanat et des services s'élève à 60 millions d'euros, tandis que les actions relatives aux entreprises industrielles représentent 248 millions d'euros.

Pourquoi le Gouvernement ne s'investit-il pas d'une manière stratégique dans la structuration de l'offre touristique en France et dans l'utilisation du tourisme comme vecteur d'aménagement du territoire ? Vous avez confirmé votre positionnement politique dans le dossier de presse du quatrième comité interministériel du tourisme, qui a eu lieu le 17 mai dernier. Il était indiqué que l'État considère désormais son rôle en matière touristique comme étant « subsidiaire ».

Je viens d'une région où les plans « neige » décidés dans les années 1960 au plus haut niveau de l'État ont créé et aménagé des stations de sports d'hiver de haute montagne, ce qui a durablement offert de l'emploi et des perspectives d'avenir aux territoires concernés et a construit l'offre touristique d'aujourd'hui. Je regrette que le Gouvernement renonce à agir en État stratège et en investisseur dans le domaine touristique, aux côtés des acteurs locaux, en vue d'assurer la rénovation de l'offre d'une manière durable, pour l'avenir. Il y a de vraies problématiques et des défis structurants à relever, mais l'État n'apporte pas de réponses concrètes pour le moment. On voit bien que la stratégie est plutôt de gagner un peu de temps en demandant de l'ingénierie, qui dira certainement ce que l'on sait déjà, malheureusement, en ce qui concerne la requalification de l'immobilier de loisir. Je m'interroge sur le rôle de l'État en matière d'aménagement du territoire, au-delà de l'action menée par Atout France et par France Tourisme Ingénierie en ce qui concerne l'immobilier de loisir.

S'agissant de la taxe de séjour, nous avons fait en sorte que les hébergements sans classement ou en attente de classement soient désormais taxés proportionnellement au coût par personne de la nuitée. J'étais tout à fait favorable à l'esprit de cette réforme mais il semblerait, d'après les nombreuses auditions de communes, de loueurs et d'offices du tourisme que j'ai réalisées, qu'il y ait un vrai problème lié à la complexité et à la lisibilité du dispositif, qui va conduire, selon moi, à des erreurs de calcul et in fine, de collecte. Nous devons en prendre conscience. Je crois qu'il convient d'attendre la fin de l'année pour réaliser un premier bilan global des coûts et des bénéfices de la réforme, notamment pour savoir si les communes, dans leur ensemble, recevront finalement plus ou moins de recettes en 2019 au titre de la taxe de séjour. Je tiens à indiquer qu'il y a un consensus assez fort, au-delà des plateformes numériques, contre un système qui est complexe et difficilement applicable par les acteurs du tourisme, les communes et les loueurs. Il faudra sans doute que nous réfléchissions collectivement à une simplification qui permettrait au barème d'être mieux compris et donc mieux appliqué.

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