Monsieur le ministre, nous avons bien compris, lors des débats que nous avons eus avec nos collègues sénateurs en commission mixte paritaire, que vous souhaitiez vous éviter une nouvelle lecture et de nouveaux débats sur votre texte ici même à l'Assemblée nationale, et que si vous vouliez qu'un certain nombre de dispositions puissent s'appliquer à la rentrée prochaine, il était nécessaire que ce projet de loi, fruit d'un compromis entre la droite sénatoriale et votre majorité, soit adopté aujourd'hui.
Monsieur le ministre, la confiance à l'école ne se décrète pas, encore moins dans une loi caractérisée par sa verticalité – toute jupitérienne. Votre texte est un texte de revanche, de détricotage de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, que nous avons votée il y a à peine cinq ans.
Je pense à la question de l'évaluation du système éducatif, avec la suppression du CNESCO et la remise en cause d'une instance indépendante reconnue de tous. Même si la composition du Conseil d'évaluation de l'école a quelque peu évolué dans un sens moins ministériel, on peut légitimement s'interroger sur la désignation de deux personnalités qualifiées sur treize par le chancelier de l'Institut de France. Je pense aussi aux ESPE, que vous supprimez sans avoir procédé à leur évaluation, et ce alors même que nous attendons un rapport intitulé « Former au XXIe siècle », dont vous avez retardé la publication. Vous créez ainsi les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation, dont la gouvernance sera à la main du ministre, puisque les directeurs seront nommés par les recteurs.
Votre texte est un mauvais coup porté au dialogue social, tant dans sa conception, puisqu'il a été rejeté par l'ensemble des instances consultatives, que dans ses versions successives soumises à discussion ici même, puisqu'il a fini par mobiliser l'ensemble de la communauté éducative contre lui. Je pense à la création improvisée, en première lecture, par un amendement de dernière minute, des établissements publics des savoirs fondamentaux, une mesure très contestée que vous avez été obligé de retirer, alors que nous apprenons cette semaine la fermeture de 400 écoles rurales et la réduction des postes d'AESH dans les unités localisées pour l'inclusion scolaire – ULIS – de nos collèges, à la rentrée prochaine.
Ce texte a été lourdement critiqué par le Conseil d'État, qui avait demandé le retrait de l'article 1er, qui vise à introduire un devoir d'exemplarité des fonctionnaires. Cet article inutile a provoqué l'ire des enseignants, tant il instaure un climat de défiance à leur égard. D'ailleurs, depuis l'introduction de cet article, avant même que la loi ne soit votée, les pressions, sous forme de demandes de retenue et de mesure, de la part de la hiérarchie se sont multipliés sur les enseignants, traduisant une volonté de mise au pas. C'est « silence dans les rangs » !
Ce débat a permis à la droite dure de faire la promotion de mesures caricaturales et déconnectées des préoccupations de la communauté éducative, en introduisant dans le texte une conception rétrograde de l'éducation morale et civique, avec la présence du drapeau tricolore et européen et des paroles de la Marseillaise dans chaque classe, sans véritable projet pédagogique associé. Je pense aussi à la suspension des allocations familiales de parents d'enfant absentéiste et à l'interdiction du port de signes religieux pour les parents accompagnateurs de sorties scolaires : deux dispositions votées au Sénat qui ne figurent plus, fort heureusement, dans le texte définitif, mais sur lesquelles, monsieur le ministre, vous avez fait preuve d'une certaine complaisance, ce qui est assez inhabituel chez vous.
En outre, ce texte dépossède le Parlement, car il renvoie trop souvent aux ordonnances et aux dispositions réglementaires sur des sujets aussi importants que la composition des conseils académiques ou départementaux de l'éducation nationale, qui sont les instances de concertation et de démocratie locale, et dont le rôle est essentiel dans nos établissements scolaires.
En revanche, nous sommes favorables à l'instruction obligatoire dès 3 ans, sachant que 97 % des enfants de 3 ans sont d'ores et déjà scolarisés. Mais il faut veiller à son application dans les territoires les moins pourvus en écoles maternelles. Ainsi, 7 000 des 26 000 enfants restant à scolariser sont issus des académies de Guyane et de Mayotte. Or 50 % des enfants sont scolarisés en maternelle à Mayotte, et 70 % en Guyane, ce qui donne une idée du chemin qu'il reste à parcourir dans ces deux territoires.
Surtout, l'article 4 de votre texte, qui rend obligatoire le financement des écoles maternelles privées sous contrat par les communes, sans compensation intégrale de l'État, se traduira par un surcoût financier de plus de 100 millions d'euros pour les collectivités territoriales, ce qui obligera les communes à faire des coupes dans leur budget pour les écoles publiques. C'est aussi un cadeau à l'enseignement privé, sans contrepartie en matière de mixité sociale.
Monsieur le ministre, le 26 mai 2017, vous vous disiez fier de ne pas défendre de « loi Blanquer ». Deux ans après, alors que tout le monde réclame une loi de reconnaissance et de programmation budgétaire afin d'améliorer les conditions de travail, c'est une loi sans colonne vertébrale éducative et sans réelles avancées pour la réussite des élèves que vous vous apprêtez à faire adopter. Le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce texte.