Que cela soit entendu aussi précisément que possible : Notre-Dame reste, qu'on soit athée ou croyant, la cathédrale commune de tous les Français, et certainement de bien d'autres. Elle surgit comme un monument qui, quelles que soient les convictions de chacun, est d'abord l'apothéose de l'esprit humain.
Certains voient dans sa magnificence la main de Dieu, mais sans doute pensent-ils également que, s'il en est ainsi, c'est parce que les êtres humains qui l'ont construite y ont mis le meilleur d'eux-mêmes, et le meilleur de leur esprit. Et ceux qui pensent que l'univers est vide de sens, et que la condition humaine est absurde, y trouvent la trace de cet acharnement incroyable à vouloir faire, imaginer et dépasser les limites. Si bien que, du premier calcul que l'on a établi quand a été planté le premier clou d'or – bientôt suivi de beaucoup d'autres – , afin de mesurer ce que l'on allait faire, jusqu'au moment où la sonde Rosetta est arrivée à proximité de Tchouri, c'est une seule et même chose, un seul et même effort, une seule et même intelligence qui se déploie, génération après génération, les uns montant sur les épaules des autres pour penser et agir.
Au fond, Notre-Dame n'appartient à personne – je ne le dis pas pour blesser la foi catholique, qui y célèbre ses cultes – , pas plus que les pyramides situées sur la plateau de Gizeh n'appartiendraient à je ne sais quel culte pharaonique. Notre-Dame a avant tout à voir avec l'humanité universelle, celle de la science et du savoir.
Regardez les dates : sa construction, entre 1100 et 1200 – c'est le temps qu'il a fallu – , intervient peu après le retour des croisades, dont le seul effet bénéfique fut d'initier dans l'Occident chrétien une phase de renouveau des sciences et de l'intelligence directement liée à tout ce qu'on avait pu rapporter de savoir.
Les vitraux de Notre-Dame sont le produit de la chimie, qui n'existait pas auparavant. La capacité d'élever, grâce à des calculs, une nef à trente-trois mètres de haut – ce qu'on ne savait pas faire auparavant – relève de la physique. Sur le plan architectural, ce n'était pas du tout la même chose de construire des voûtes romanes, qu'il ne me viendrait pas à l'idée de déprécier, et d'élever une voûte aussi haute que celle de Notre-Dame.
J'ai cité deux exemples. Je pourrais en prendre d'innombrables. Voilà pour la connexion entre le vieux souvenir des basiliques romaines où l'on débattait et l'idée d'une splendide machine à prier installée sur la trajectoire du soleil de l'Orient vers l'Occident. Mais Notre-Dame est aussi, ce qu'on oublie, un bâtiment politique. Les premiers états généraux qui se sont tenus dans notre pays, à l'appel de Philippe le Bel, l'ont été dans cette cathédrale.
L'humour – bien français – de l'histoire est que le roi avait réuni tous les participants pour qu'ils le soutiennent dans sa bataille contre le pape Boniface VIII, lequel prétendait dans sa bulle Ausculta, fili que, les rois étant soumis au temporel, le pape leur commandait, puisqu'il régissait le spirituel. Le roi de France lui répond alors : « Pas du tout. Moi, c'est Dieu qui m'a nommé. S'il y a un hérétique dans cette histoire, c'est vous. » C'est la première bataille politique durant laquelle le pouvoir politique prétend qu'il ne reçoit pas d'ordre de l'Église ni de son chef. Ces événements, dont je me garderai de faire une bataille laïque, ont eu lieu là. Les états généraux de 1789 feront eux aussi un détour par la cathédrale pour dire ce qu'ils ont à dire.
Bref, le bâtiment parle à notre esprit, à notre coeur, à notre capacité d'amour de la philosophie et du savoir. Cela vaut donc la peine de le réhabiliter – pour la seconde fois, car on prétend parfois que la cathédrale n'a jamais brûlé. Or, cela s'est déjà produit en 1235, d'après Viollet-le-Duc, qui, en réhabilitant la cathédrale, a retrouvé les traces d'un incendie.
Sans doute s'agissait-il d'une punition méritée. À cette époque, régnait Louis IX, qui étrangement fut canonisé, alors qu'il inventa de faire percer au fer rouge la langue des hérétiques, imposa aux juifs le port de la rouelle et instaura les premiers autodafés de Torah. Cette histoire – celle du temps long – bouillonne et nous parle.
Mais venons-en à l'actualité, qui est plus triviale. Pourquoi sommes-nous hostiles au projet de loi ? Parce que, tout bien pesé, nous nous demandons pourquoi il en faudrait un.
Je vous rappelle que la meilleure manière de réhabiliter les bâtiments est d'empêcher qu'ils ne brûlent. Or, dans le cas de Notre-Dame, ce qu'on a pu lire est terrible. Il semble qu'il ait fallu plus d'une demi-heure pour interpréter les premiers signaux de l'alerte au feu, qu'il y ait eu un seul responsable au lieu de deux et enfin qu'une fois que les services de sécurité s'y sont mis, avec toute leur bravoure et leur intelligence, on n'ait tiré aucune leçon pour d'autres bâtiments.
Peut-être me démentirez-vous, monsieur le ministre, mais j'ai lu dans une enquête qu'il n'y avait ni point feu ni alerte pour protéger le bâtiment quand les ouvriers procédaient au meulage ou à d'autres activités dont on pouvait craindre qu'elles ne contribuent, même de manière diffuse, à propager un incendie.
Quoi qu'il en soit, il est essentiel de disposer de crédits permettant d'assurer la sécurité des bâtiments. Ce n'est pas le cas et les budgets qui ont été votés ne permettent pas de penser que ce le sera par la suite.
Après cela, je vous dirai encore bien volontiers que nous ne sommes pas d'accord pour que les dons soient restitués à 75 % aux donateurs sous forme de crédit d'impôt. Nous y avons réfléchi et nous ne sommes pas d'accord ! Nous éprouvons de sérieux doutes sur la privatisation de l'impôt permettant à celui qui les paie de choisir ce qu'il ne paiera pas, ou ce à quoi il dédie une dépense de l'impôt, car, en l'espèce, à bien y réfléchir, il s'agit d'un don forcé.
Si, après avoir déclaré ses revenus, un bon contribuable paie ses impôts afin de pourvoir à la dépense commune, cette part de la dépense commune sera grevée par les dons qui seront payés par l'impôt des autres.