J'ai l'honneur de défendre, au nom du groupe Les Républicains, une motion de renvoi en commission de ce projet de loi si particulier pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, que nous examinons aujourd'hui en nouvelle lecture. Les motions sont parfois déposées par les oppositions à des fins dilatoires ou pour disposer d'un temps de parole supplémentaire ; tel n'est pas le cas de cette motion de renvoi en commission, comme je vais essayer de vous le démontrer.
Pour assurer la concorde nationale, que nous pensons hautement souhaitable sur Notre-Dame de Paris, il faut retravailler le projet de loi en commission. Vous nous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, que vous alliez proposer des modifications substantielles du texte. Celui-ci, de notre point de vue, n'a pas encore atteint l'équilibre souhaitable entre le rêve et le possible, notamment parce qu'il ne prend pas suffisamment en compte les débats très importants qui ont traversé notre pays depuis la funeste soirée du 15 avril.
Notre-Dame de Paris, mémoire de pierre au coeur de l'île de la Cité tout autant que lieu vivant du culte des chrétiens, est fragile. L'édifice lui-même est fragile, comme nous avons pu le constater lors de la visite effectuée par le bureau de la commission des affaires culturelles et de l'éducation le 5 juin dernier. Auditionné par le groupe d'études sur le patrimoine, que je copréside avec notre collègue Raphaël Gérard, Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, chargé de la restauration de la cathédrale, a affirmé que la fragilité de Notre-Dame s'était accentuée à cause de récents événements climatiques, notamment la tempête qui a sévi il y a quelques semaines dans la capitale. La voûte de la cathédrale n'est pas consolidée, le travail de sécurisation et de consolidation s'avérant encore colossal.
Grâce à l'extraordinaire professionnalisme et au très grand courage de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, à laquelle nous ne devons jamais cesser de témoigner notre immense reconnaissance, l'essentiel de la cathédrale, notamment ses deux tours, et la très grande majorité des oeuvres inestimables qui s'y trouvaient ont été préservés.
Fragilisée, mais debout, la cathédrale Notre-Dame de Paris doit être conservée et restaurée, et non reconstruite : nous avons beaucoup insisté sur cette différence sémantique lors de la première lecture du projet de loi. Cette oeuvre des siècles nous dépasse : si nous souhaitons participer à sa restauration et à son embellissement, nous devons agir, de notre point de vue, avec prudence, précaution et beaucoup d'humilité, tant il serait illusoire d'encercler ce joyau de l'art gothique religieux, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, dans des gestes contemporains à la mode, par nature fugace. Voilà pourquoi le groupe Les Républicains défendra l'idée d'une restauration à l'identique, un amendement précisant que les travaux de restauration devront restituer le monument dans le « dernier état visuel connu avant le sinistre ». Cette formulation, reprise du texte de nos collègues sénateurs, nous semble fidèle à l'esprit et à la lettre de la charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite charte de Venise.
La fragilité matérielle de la cathédrale Notre-Dame de Paris a heureusement déclenché une réponse opérationnelle immédiate, grâce à la très grande réactivité et au savoir-faire remarquable des nombreuses entreprises sollicitées, qui s'étaient d'ailleurs spontanément proposées pour la plupart. Cette réponse a bénéficié du régime de l'urgence, qui permet de déroger à certaines règles des marchés publics édictées par l'ordonnance no 2015-899 du 23 juillet 2015.
Par ailleurs, de très nombreuses promesses de dons ont afflué, alimentées par le vaste élan de générosité qui s'est développé partout en France, mais également au-delà de nos frontières. Malgré un léger désaccord sur la date à laquelle la souscription nationale devrait être lancée, nous sommes favorables à ce que des dispositions fiscales adaptées soutiennent la solidarité. L'attachement des Français à leur patrimoine est réel : la première édition du loto du patrimoine a été un succès, même si nous avions eu un débat il y a quelques mois sur la part des taxes que l'État avait refusé, dans un premier temps, d'affecter à l'objet même du jeu. Il serait pertinent, de notre point de vue, d'intensifier nos réflexions sur les moyens de soutenir durablement l'engouement des Français pour le patrimoine, y compris religieux, de notre pays. Le secteur du patrimoine crée des emplois et attire, chaque année, des millions de touristes dans notre pays.
Certains grands donateurs font montre de prudence et de retenue pour concrétiser leur générosité, en raison, peut-être, de la fragilisation – apparue depuis le début de l'examen de ce projet de loi d'exception – de l'esprit de concorde nationale qui avait prévalu dans les toutes premières heures suivant l'incendie. Très tôt, des voix s'étaient élevées pour mettre en garde contre les risques suscités par la volonté de restaurer trop rapidement Notre-Dame de Paris, cathédrale dont la construction s'est étalée sur cent quatre-vingt-deux ans. Je fais bien entendu référence à la tribune signée par plus de mille conservateurs, architectes, experts et professeurs de nombreux pays, dont le titre était : « Monsieur le président, ne dessaisissez pas les experts du patrimoine ! ». À la suite de cette tribune, de nombreux articles, interviews, positions et pétitions diverses se sont interrogés sur le respect de la charte de Venise.
Il ne reste dans le texte aujourd'hui soumis à notre examen, issu de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de notre assemblée, aucune trace des apports du Sénat ni des propositions avancées par le groupe Les Républicains en première lecture. En conséquence, certaines de nos inquiétudes subsistent. L'échec de la CMP, fait rarissime pour un texte relevant du champ culturel, aurait dû conduire la majorité à prendre conscience de la nécessité de faire de vrais compromis. L'examen en nouvelle lecture du texte par la commission des affaires culturelles et de l'éducation a été l'occasion de détricoter presque toutes les avancées et tous les apports, qui nous semblaient à bien des égards utiles et remarquables, dus à nos collègues sénateurs.
Ainsi en est-il de l'alinéa 2 de l'article 2, que la commission a supprimé alors qu'il précisait utilement la signification du mot « conservation ». De même, la rédaction insérée par le Sénat à l'article 3 a disparu : elle concernait les dispositions de conventionnement avec les fondations, qui s'étaient immédiatement mobilisées après l'incendie. La commission a édulcoré la possibilité de signer des conventions en la remplaçant par une faculté très vague d'en conclure, et a éliminé la mention garantissant le respect de l'intention des donateurs ou de l'objet du don. Sur ce point, nous souhaitons mettre en garde contre les risques juridiques que la version actuelle du texte fait courir au regard des articles L. 111-9 et suivants du code des juridictions financières.
Nous pourrions retravailler substantiellement en commission l'article 7, qui encadre la gestion des fonds et les modalités de contrôle. Nous avions en effet proposé, suivant en cela l'avis du Conseil d'État, des mécanismes de plus grande transparence sur l'utilisation des dons reçus dans le cadre de la souscription nationale. Une audition semestrielle par les commissions parlementaires des finances et des affaires culturelles garantirait un meilleur respect de cet objectif ; en outre, un espace internet unique et ouvert, disponible en plusieurs langues, pourrait communiquer au monde entier des données relatives aux dons et à leur affectation. La commission des affaires culturelles et de l'éducation a rejeté sans débat ces propositions, émises par voie d'amendement.
Nous aurions également souhaité que la commission apporte, à l'article 8, des précisions sur la nature administrative de l'établissement public et la composition et le rôle précis du conseil scientifique. La consultation du conseil scientifique, adossé à l'établissement public, sur les études et les opérations de conservation et de restauration de la cathédrale ne sera pas systématique : cette absence d'obligation est une source d'interrogations, d'autant moins levée que le rejet par la commission d'un amendement sur le sujet n'a pas été clairement motivé.
L'un des motifs essentiels de notre motion de renvoi en commission tient au dépôt fort tardif, hier en toute fin d'après-midi, de deux amendements du Gouvernement modifiant substantiellement les articles 8 et 9.