Monsieur le président, mesdames, messieurs, le défenseur des droits est une autorité administrative indépendante dont l'une des missions et de défendre et de promouvoir l'intérêt supérieur et les droits de l'enfant, tels qu'ils sont consacrés par un engagement international dûment ratifié par la France ou par la loi interne.
Au titre de ces engagements internationaux dûment ratifiés, la Convention internationale des droits de l'enfant est en première ligne. Nous célébrons cette année ses 30 ans d'adoption. Le défenseur des droits est l'autorité indépendante de suivi et de contrôle de sa mise en oeuvre dans notre pays.
Comme vous l'avez dit, les droits de l'enfant sont plus larges que ceux des seuls enfants relevant de la protection de l'enfance. Pour autant, ces enfants – cela va être tout l'objet de mon propos – doivent bénéficier de tous les droits qui sont consacrés par la Convention internationale des droits de l'enfant, pour tous les enfants, selon le principe d'universalité des droits, même si, par ailleurs, la vulnérabilité particulière de ces enfants – comme d'autres, du reste, tels que les enfants en situation de handicap ou les enfants étrangers, etc. – nécessite un accompagnement et des droits ajustés à leur situation.
Tout d'abord, je voudrais commencer en disant que la protection de l'enfance est le premier motif de saisine du défenseur des droits au titre de la protection et la promotion des droits de l'enfant. En 2018, par exemple, sur 3 029 réclamations reçues à ce titre, 35 % concernent la protection de l'enfance. Elles portent sur des contestations de placements ou des modalités de placement, des difficultés de mise en place des décisions de justice, des difficultés qui peuvent être quelquefois relationnelles avec l'ASE, par exemple sur la non-mise en place de droits de visite ordonnés par le magistrat, sur la question du respect ou non de l'autorité parentale ou sur des situations de danger insuffisamment prises en compte. Nous sommes également saisis pour des difficultés liées à des changements de lieu de placement, des défaillances des services de protection de l'enfance ou des lieux de placement des enfants. De plus en plus, des saisines collectives concernent des défaillances relevées au niveau départemental : absence de lieux de placement, délais de mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative, délais d'attente dans l'accès aux soins, diminution des offres de services – services sociaux mais aussi médico-sociaux. Des saisines portent également sur le non-respect des droits de l'enfant, par exemple en psychiatrie, pour des enfants devant bénéficier de soins en pédopsychiatrie.
À ces réclamations s'ajoutent les saisines d'office, que le défenseur des droits a le pouvoir de décider, puisque, pour les situations les plus graves, le défenseur use de son pouvoir et de la faculté qui lui est donnée par la loi organique de se saisir d'office. Concernant les situations les plus graves, l'affaire emblématique, si je puis m'exprimer ainsi, est celle de la petite Marina Sabatier. Le rapport de 2014, que vous connaissez, a fait le point concernant des questions sur lesquelles votre mission aura à travailler : cloisonnement entre les institutions, absence de culture professionnelle partagée, difficultés de repérage et d'identification des enfants en danger, etc. Depuis, nous nous sommes aussi autosaisis d'autres situations dont certaines, quoique dramatiques, n'ont heureusement pas conduit à des décès d'enfants – j'y reviendrai rapidement tout à l'heure.
D'autres situations plus récentes y ont conduit, puisque nous nous sommes saisis d'une situation qui concernait le décès d'une petite fille de deux ans et demi à Toulouse, il y a deux ou trois ans, qui était suivie en action éducative en milieu ouvert (AEMO). Elle est rentrée au domicile de ses parents, sur décision judiciaire. Une décision existe à ce sujet, mais j'y reviendrai tout à l'heure.
Nous travaillons à partir de ces saisines et de ces réclamations, qui nous donnent une bonne connaissance des réalités concrètes qui sont vécues par les enfants et par les familles au sein des services d'ASE, et par les professionnels également. Cette connaissance de proximité constitue, il me semble, l'un des points forts de notre institution. Pour compléter ces saisines, nous disposons d'un partenariat très abouti dans ce domaine avec la société civile – notre comité d'entente rassemble deux fois par an des associations de protection de l'enfance – et d'une expertise dans notre collège consacrée aux droits de l'enfant. Au plan local, dans les départements, nos délégués territoriaux peuvent également être associés aux observatoires départementaux de protection de l'enfance (ODPE) et aux schémas départementaux de protection de l'enfance. Voilà donc le cadre de notre action et de notre intervention, qui explique que notre vision de la protection de l'enfance soit assez précise.
Je voudrais dire, avant de commencer, que nous nous réjouissons que la protection de l'enfance fasse aujourd'hui l'objet d'une attention particulière de la part des pouvoirs publics, en particulier de l'État, de votre Assemblée et de cette mission d'information. Nous saluons sa mise en place, ainsi que la nomination d'un secrétaire d'État à la protection de l'enfance, le lancement d'une concertation par ses soins, et différents travaux, soit déjà engagés, soit qui vont l'être, sur la protection maternelle et infantile, sur l'adoption ou sur les jeunes majeurs sortant de l'ASE. La protection de l'enfance est un sujet extrêmement complexe, difficile, tellement complexe que j'ai coutume de dire à son sujet que l'on peut dire une chose et son contraire et avoir toujours raison. Il est important que la protection de l'enfance, qui est trop longtemps restée une affaire de spécialistes, et donc a peiné à bénéficier d'un portage politique fort, fasse l'objet d'une attention particulière.
Mon propos ne consistera pas à reprendre l'ensemble des constats, des analyses et des recommandations que nous avons formulés sur la protection de l'enfance au sens large. Nous pourrons vous communiquer les liens à consulter vers nos travaux, le rapport sur Marina Sabatier, nos rapports annuels consacrés aux droits de l'enfant, dont plusieurs ont été consacrés à la protection de l'enfance, nos recommandations générales établies à partir des réclamations, etc. Je ne traiterai pas non plus de l'ensemble des sujets qui relèvent de la thématique de la protection de l'enfance.
Vous le savez, faire des choix est difficile, parce qu'il faut renoncer. Il nous a semblé qu'il était important d'éclairer vos travaux avec la grille de lecture des droits de l'enfant. Qui mieux que notre institution peut évoquer les droits de l'enfant comme un facteur et comme un levier puissant d'amélioration, ou du moins d'interrogation sur les pratiques professionnelles, les organisations et les fonctionnements ?
Notre rapport annuel 2017 sur les droits de l'enfant a été en partie consacré à un premier bilan de l'effectivité de la loi du 14 mars 2016. La question est bien celle de l'effectivité des textes existants, celle de la mise en oeuvre concrète des dispositions prises, que nous avions saluées en leur temps.
L'intérêt du rapport 2017 consiste dans le fait qu'il a été élaboré deux ans après la fin du cinquième examen périodique de la France devant le Comité des droits de l'enfant de l'Organisation des nations unies (ONU), Comité qui a adressé à la France un certain nombre de recommandations, notamment concernant la protection de l'enfance. Je cite une première recommandation : « Adopter toutes les mesures nécessaires pour améliorer la gestion nationale et locale des politiques de protection de l'enfance en promouvant la communication, les approches transversales et la coordination entre les différents acteurs. » Voici l'un des enjeux de votre mission. La deuxième recommandation que je voulais citer rejoint d'ailleurs la question de l'effectivité, à savoir veiller à l'application de la loi – qu'il s'agisse de celle de 2007 ou de celle, ensuite, de 2016 –, « notamment pour ce qui est de la prévention, de l'identification des enfants exposés à un risque ou de la qualité des interventions de protection. »
Je vais donc aborder ce que je vous avais annoncé, à savoir la grille de lecture par les droits. Quelle est-elle et qu'apporte-t-elle ? Qu'est-ce que cette approche par les droits peut apporter à la protection de l'enfance, au-delà des analyses cliniques, au-delà des analyses organisationnelles et de fonctionnement ?
Tout d'abord, je voudrais rappeler l'importance de la loi du 14 mars 2016, qui est venu réaffirmer l'importance de respecter les droits de l'enfant relevant de l'ASE, et de garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant. Parler des droits de l'enfant, c'est aussi parler de leurs besoins fondamentaux. La Convention internationale des droits de l'enfant organise une interdépendance entre trois notions clefs : les droits de l'enfant, les besoins fondamentaux et l'intérêt supérieur de l'enfant. L'objectif est de parvenir au meilleur niveau de développement et de bien-être des enfants grâce à cette interdépendance. Quand nous parlons de droits fondamentaux des enfants, nous faisons référence aux besoins fondamentaux des enfants et à l'intérêt supérieur des enfants, qui est une notion qui, quoique d'application directe aujourd'hui dans notre droit interne, n'est pas définie par la convention. L'intérêt supérieur de l'enfant peut être défini comme la synthèse de la réalisation complète de l'ensemble des besoins fondamentaux des enfants, qu'ils soient physiques, mentaux, sociaux etc., ainsi que de ses besoins d'affection et de sécurité. Vous savez que dans la « démarche de consensus », le besoin de sécurité a été érigé comme un méta besoin. Voilà la cohérence de l'approche que je souhaitais rappeler en préambule.
Sur la question des droits des enfants, je vous livrerai quelques exemples qui montrent que l'effectivité des droits de l'enfant en protection de l'enfance est mise à mal, dans la prise en charge concrète et quotidienne des enfants concernés.
Nous pointons des atteintes récurrentes au droit à la santé des enfants confiés, alors que la santé est essentielle à la qualité de vie et au bien-être de chaque enfant. Cette dimension de la santé est d'autant plus importante pour des enfants qui ont vécu un certain nombre de difficultés qui ont justifié leur entrée en protection de l'enfance. Nous constatons que cette dimension est insuffisamment investie par les professionnels du champ social et du champ éducatif.
Nous avons cofinancé, avec le Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, dit « Fonds CMU », une recherche, publiée en juin 2016, qui portait sur la santé des enfants confiés au titre de la protection de l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse. Cette recherche a fait apparaître plusieurs faiblesses, parmi lesquelles l'insuffisance des actions de prévention et de suivi de la santé des enfants confiés, comme l'absence de carnet de santé pour les enfants confiés à l'ASE. Nous avions fait ce constat dans notre rapport précédent de 2015.
Nous pointons également une approche de la santé axée principalement sur le suivi médical ; la santé n'est pas appréhendée par la définition globale qu'en donne l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir un état de bien-être complet, mais plutôt au travers de la problématique des soins et de la maladie. Étant centrée principalement sur le suivi médical, la santé n'est dès lors pas un enjeu de l'accompagnement éducatif. Elle reste conçue par les professionnels de la protection de l'enfance comme relevant d'autres professionnels, les professionnels de soins. Les professionnels intervenant auprès des enfants dans le cadre de la protection de l'enfance peinent à appréhender cette dimension dans leur pratique et dans les projets qui peuvent être conclus pour les enfants. Cette étude a été publiée. Elle a donné lieu à une recommandation du défenseur des droits.
Nous avions également souligné, dans notre rapport de 2015 consacré aux enfants handicapés relevant de la protection de l'enfance, qui s'intitulait « Des droits pour des enfants invisibles », le morcellement du parcours de soins et des prises en charge des enfants en situation de handicap et pris en charge en protection de l'enfance. Nous avions formulé douze préconisations, dont certaines très concrètes, telles que celles sur le carnet de santé et celle sur un référent santé dans les établissements et services, qui ne soit pas forcément un médecin. Ce référent existait, il y a plusieurs années, mais a été abandonné.
Nous avions également souligné des difficultés, pour les assistants familiaux, de gestion de la santé des enfants qui leur sont confiés. Les assistants familiaux, quand ils rencontrent des difficultés en rapport avec la santé des enfants, ne trouvent pas forcément des réponses adaptées auprès des services de l'ASE. Or, pour nous, la santé doit être investie comme un élément essentiel de la prise en charge des enfants en protection de l'enfance. Le droit à la santé des enfants en protection de l'enfance doit faire l'objet d'une attention particulière, puisque ceux-ci peuvent présenter une vulnérabilité particulière et des troubles résultant de carences, de négligence ou de maltraitances antérieures, dont ils ont pu être victimes.
Promouvoir le droit à la santé des enfants en protection de l'enfance, c'est aussi travailler autrement avec les familles, et travailler concrètement sur des sujets précis, sur le bien-être et sur la vie de leur enfant. Cette approche permet de décentrer le travail des sujets qui fâchent. Voilà l'enjeu de notre rapport de 2015, celui de « l'alliance thérapeutique » avec les parents, qui va dans l'intérêt de l'enfant, à partir du moment où les professionnels et les parents se parlent dans un dialogue qui soit un dialogue authentique.