Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 25 avril 2019 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ASE
  • enfance
  • placement
  • recommandation
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 25 avril 2019

La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Mesdames, nous avons pris un peu de retard dans le cours de nos auditions ; nous allons essayer de le rattraper. Nous accueillons maintenant madame Geneviève Avenard, défenseure des enfants, accompagnée de madame Marie Lieberherr, madame Candice Lequiller et madame Bérengère Dejean.

Madame Avenard, vous êtes chargée de la défense et de la promotion des droits des enfants. Vos missions et réflexions portent sur un champ plus large que celui de notre mission d'information centrée sur le dispositif de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Néanmoins, vous avez à connaître de nombreuses questions qui sont au coeur de nos préoccupations. Il suffit pour s'en rendre compte de se référer à certaines des recommandations émises dans votre dernier rapport annuel, qu'il s'agisse de prohiber les châtiments corporels et de promouvoir une éducation bienveillante et positive, de rechercher l'opinion de l'enfant ou de désigner dans chaque département un médecin référent pour la protection de l'enfance. Votre analyse est donc précieuse pour nous. Je vous laisse la parole avant de passer à la traditionnelle séquence de questions-réponses avec mes collègues.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Monsieur le président, mesdames, messieurs, le défenseur des droits est une autorité administrative indépendante dont l'une des missions et de défendre et de promouvoir l'intérêt supérieur et les droits de l'enfant, tels qu'ils sont consacrés par un engagement international dûment ratifié par la France ou par la loi interne.

Au titre de ces engagements internationaux dûment ratifiés, la Convention internationale des droits de l'enfant est en première ligne. Nous célébrons cette année ses 30 ans d'adoption. Le défenseur des droits est l'autorité indépendante de suivi et de contrôle de sa mise en oeuvre dans notre pays.

Comme vous l'avez dit, les droits de l'enfant sont plus larges que ceux des seuls enfants relevant de la protection de l'enfance. Pour autant, ces enfants – cela va être tout l'objet de mon propos – doivent bénéficier de tous les droits qui sont consacrés par la Convention internationale des droits de l'enfant, pour tous les enfants, selon le principe d'universalité des droits, même si, par ailleurs, la vulnérabilité particulière de ces enfants – comme d'autres, du reste, tels que les enfants en situation de handicap ou les enfants étrangers, etc. – nécessite un accompagnement et des droits ajustés à leur situation.

Tout d'abord, je voudrais commencer en disant que la protection de l'enfance est le premier motif de saisine du défenseur des droits au titre de la protection et la promotion des droits de l'enfant. En 2018, par exemple, sur 3 029 réclamations reçues à ce titre, 35 % concernent la protection de l'enfance. Elles portent sur des contestations de placements ou des modalités de placement, des difficultés de mise en place des décisions de justice, des difficultés qui peuvent être quelquefois relationnelles avec l'ASE, par exemple sur la non-mise en place de droits de visite ordonnés par le magistrat, sur la question du respect ou non de l'autorité parentale ou sur des situations de danger insuffisamment prises en compte. Nous sommes également saisis pour des difficultés liées à des changements de lieu de placement, des défaillances des services de protection de l'enfance ou des lieux de placement des enfants. De plus en plus, des saisines collectives concernent des défaillances relevées au niveau départemental : absence de lieux de placement, délais de mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative, délais d'attente dans l'accès aux soins, diminution des offres de services – services sociaux mais aussi médico-sociaux. Des saisines portent également sur le non-respect des droits de l'enfant, par exemple en psychiatrie, pour des enfants devant bénéficier de soins en pédopsychiatrie.

À ces réclamations s'ajoutent les saisines d'office, que le défenseur des droits a le pouvoir de décider, puisque, pour les situations les plus graves, le défenseur use de son pouvoir et de la faculté qui lui est donnée par la loi organique de se saisir d'office. Concernant les situations les plus graves, l'affaire emblématique, si je puis m'exprimer ainsi, est celle de la petite Marina Sabatier. Le rapport de 2014, que vous connaissez, a fait le point concernant des questions sur lesquelles votre mission aura à travailler : cloisonnement entre les institutions, absence de culture professionnelle partagée, difficultés de repérage et d'identification des enfants en danger, etc. Depuis, nous nous sommes aussi autosaisis d'autres situations dont certaines, quoique dramatiques, n'ont heureusement pas conduit à des décès d'enfants – j'y reviendrai rapidement tout à l'heure.

D'autres situations plus récentes y ont conduit, puisque nous nous sommes saisis d'une situation qui concernait le décès d'une petite fille de deux ans et demi à Toulouse, il y a deux ou trois ans, qui était suivie en action éducative en milieu ouvert (AEMO). Elle est rentrée au domicile de ses parents, sur décision judiciaire. Une décision existe à ce sujet, mais j'y reviendrai tout à l'heure.

Nous travaillons à partir de ces saisines et de ces réclamations, qui nous donnent une bonne connaissance des réalités concrètes qui sont vécues par les enfants et par les familles au sein des services d'ASE, et par les professionnels également. Cette connaissance de proximité constitue, il me semble, l'un des points forts de notre institution. Pour compléter ces saisines, nous disposons d'un partenariat très abouti dans ce domaine avec la société civile – notre comité d'entente rassemble deux fois par an des associations de protection de l'enfance – et d'une expertise dans notre collège consacrée aux droits de l'enfant. Au plan local, dans les départements, nos délégués territoriaux peuvent également être associés aux observatoires départementaux de protection de l'enfance (ODPE) et aux schémas départementaux de protection de l'enfance. Voilà donc le cadre de notre action et de notre intervention, qui explique que notre vision de la protection de l'enfance soit assez précise.

Je voudrais dire, avant de commencer, que nous nous réjouissons que la protection de l'enfance fasse aujourd'hui l'objet d'une attention particulière de la part des pouvoirs publics, en particulier de l'État, de votre Assemblée et de cette mission d'information. Nous saluons sa mise en place, ainsi que la nomination d'un secrétaire d'État à la protection de l'enfance, le lancement d'une concertation par ses soins, et différents travaux, soit déjà engagés, soit qui vont l'être, sur la protection maternelle et infantile, sur l'adoption ou sur les jeunes majeurs sortant de l'ASE. La protection de l'enfance est un sujet extrêmement complexe, difficile, tellement complexe que j'ai coutume de dire à son sujet que l'on peut dire une chose et son contraire et avoir toujours raison. Il est important que la protection de l'enfance, qui est trop longtemps restée une affaire de spécialistes, et donc a peiné à bénéficier d'un portage politique fort, fasse l'objet d'une attention particulière.

Mon propos ne consistera pas à reprendre l'ensemble des constats, des analyses et des recommandations que nous avons formulés sur la protection de l'enfance au sens large. Nous pourrons vous communiquer les liens à consulter vers nos travaux, le rapport sur Marina Sabatier, nos rapports annuels consacrés aux droits de l'enfant, dont plusieurs ont été consacrés à la protection de l'enfance, nos recommandations générales établies à partir des réclamations, etc. Je ne traiterai pas non plus de l'ensemble des sujets qui relèvent de la thématique de la protection de l'enfance.

Vous le savez, faire des choix est difficile, parce qu'il faut renoncer. Il nous a semblé qu'il était important d'éclairer vos travaux avec la grille de lecture des droits de l'enfant. Qui mieux que notre institution peut évoquer les droits de l'enfant comme un facteur et comme un levier puissant d'amélioration, ou du moins d'interrogation sur les pratiques professionnelles, les organisations et les fonctionnements ?

Notre rapport annuel 2017 sur les droits de l'enfant a été en partie consacré à un premier bilan de l'effectivité de la loi du 14 mars 2016. La question est bien celle de l'effectivité des textes existants, celle de la mise en oeuvre concrète des dispositions prises, que nous avions saluées en leur temps.

L'intérêt du rapport 2017 consiste dans le fait qu'il a été élaboré deux ans après la fin du cinquième examen périodique de la France devant le Comité des droits de l'enfant de l'Organisation des nations unies (ONU), Comité qui a adressé à la France un certain nombre de recommandations, notamment concernant la protection de l'enfance. Je cite une première recommandation : « Adopter toutes les mesures nécessaires pour améliorer la gestion nationale et locale des politiques de protection de l'enfance en promouvant la communication, les approches transversales et la coordination entre les différents acteurs. » Voici l'un des enjeux de votre mission. La deuxième recommandation que je voulais citer rejoint d'ailleurs la question de l'effectivité, à savoir veiller à l'application de la loi – qu'il s'agisse de celle de 2007 ou de celle, ensuite, de 2016 –, « notamment pour ce qui est de la prévention, de l'identification des enfants exposés à un risque ou de la qualité des interventions de protection. »

Je vais donc aborder ce que je vous avais annoncé, à savoir la grille de lecture par les droits. Quelle est-elle et qu'apporte-t-elle ? Qu'est-ce que cette approche par les droits peut apporter à la protection de l'enfance, au-delà des analyses cliniques, au-delà des analyses organisationnelles et de fonctionnement ?

Tout d'abord, je voudrais rappeler l'importance de la loi du 14 mars 2016, qui est venu réaffirmer l'importance de respecter les droits de l'enfant relevant de l'ASE, et de garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant. Parler des droits de l'enfant, c'est aussi parler de leurs besoins fondamentaux. La Convention internationale des droits de l'enfant organise une interdépendance entre trois notions clefs : les droits de l'enfant, les besoins fondamentaux et l'intérêt supérieur de l'enfant. L'objectif est de parvenir au meilleur niveau de développement et de bien-être des enfants grâce à cette interdépendance. Quand nous parlons de droits fondamentaux des enfants, nous faisons référence aux besoins fondamentaux des enfants et à l'intérêt supérieur des enfants, qui est une notion qui, quoique d'application directe aujourd'hui dans notre droit interne, n'est pas définie par la convention. L'intérêt supérieur de l'enfant peut être défini comme la synthèse de la réalisation complète de l'ensemble des besoins fondamentaux des enfants, qu'ils soient physiques, mentaux, sociaux etc., ainsi que de ses besoins d'affection et de sécurité. Vous savez que dans la « démarche de consensus », le besoin de sécurité a été érigé comme un méta besoin. Voilà la cohérence de l'approche que je souhaitais rappeler en préambule.

Sur la question des droits des enfants, je vous livrerai quelques exemples qui montrent que l'effectivité des droits de l'enfant en protection de l'enfance est mise à mal, dans la prise en charge concrète et quotidienne des enfants concernés.

Nous pointons des atteintes récurrentes au droit à la santé des enfants confiés, alors que la santé est essentielle à la qualité de vie et au bien-être de chaque enfant. Cette dimension de la santé est d'autant plus importante pour des enfants qui ont vécu un certain nombre de difficultés qui ont justifié leur entrée en protection de l'enfance. Nous constatons que cette dimension est insuffisamment investie par les professionnels du champ social et du champ éducatif.

Nous avons cofinancé, avec le Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, dit « Fonds CMU », une recherche, publiée en juin 2016, qui portait sur la santé des enfants confiés au titre de la protection de l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse. Cette recherche a fait apparaître plusieurs faiblesses, parmi lesquelles l'insuffisance des actions de prévention et de suivi de la santé des enfants confiés, comme l'absence de carnet de santé pour les enfants confiés à l'ASE. Nous avions fait ce constat dans notre rapport précédent de 2015.

Nous pointons également une approche de la santé axée principalement sur le suivi médical ; la santé n'est pas appréhendée par la définition globale qu'en donne l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir un état de bien-être complet, mais plutôt au travers de la problématique des soins et de la maladie. Étant centrée principalement sur le suivi médical, la santé n'est dès lors pas un enjeu de l'accompagnement éducatif. Elle reste conçue par les professionnels de la protection de l'enfance comme relevant d'autres professionnels, les professionnels de soins. Les professionnels intervenant auprès des enfants dans le cadre de la protection de l'enfance peinent à appréhender cette dimension dans leur pratique et dans les projets qui peuvent être conclus pour les enfants. Cette étude a été publiée. Elle a donné lieu à une recommandation du défenseur des droits.

Nous avions également souligné, dans notre rapport de 2015 consacré aux enfants handicapés relevant de la protection de l'enfance, qui s'intitulait « Des droits pour des enfants invisibles », le morcellement du parcours de soins et des prises en charge des enfants en situation de handicap et pris en charge en protection de l'enfance. Nous avions formulé douze préconisations, dont certaines très concrètes, telles que celles sur le carnet de santé et celle sur un référent santé dans les établissements et services, qui ne soit pas forcément un médecin. Ce référent existait, il y a plusieurs années, mais a été abandonné.

Nous avions également souligné des difficultés, pour les assistants familiaux, de gestion de la santé des enfants qui leur sont confiés. Les assistants familiaux, quand ils rencontrent des difficultés en rapport avec la santé des enfants, ne trouvent pas forcément des réponses adaptées auprès des services de l'ASE. Or, pour nous, la santé doit être investie comme un élément essentiel de la prise en charge des enfants en protection de l'enfance. Le droit à la santé des enfants en protection de l'enfance doit faire l'objet d'une attention particulière, puisque ceux-ci peuvent présenter une vulnérabilité particulière et des troubles résultant de carences, de négligence ou de maltraitances antérieures, dont ils ont pu être victimes.

Promouvoir le droit à la santé des enfants en protection de l'enfance, c'est aussi travailler autrement avec les familles, et travailler concrètement sur des sujets précis, sur le bien-être et sur la vie de leur enfant. Cette approche permet de décentrer le travail des sujets qui fâchent. Voilà l'enjeu de notre rapport de 2015, celui de « l'alliance thérapeutique » avec les parents, qui va dans l'intérêt de l'enfant, à partir du moment où les professionnels et les parents se parlent dans un dialogue qui soit un dialogue authentique.

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La protection maternelle et infantile le fait.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Effectivement, mais de manière insuffisante.

Je voulais également intervenir sur le droit à l'éducation. En 2016, dans notre rapport annuel, nous avions déjà pointé le fait que les enfants qui relevaient de la protection de l'enfance rencontraient souvent des difficultés dans les apprentissages et présentaient des retards scolaires plus ou moins sévères. Nous constatons également des ruptures de scolarisation, lors de la mise en place des accueils, qu'il s'agisse d'accueil en famille ou en établissement, et ce tout au long de la première année du placement. Par exemple, nous avons été saisis par des parents inquiets quant à l'absence de scolarisation de leurs enfants après plusieurs semaines, voire plusieurs mois d'accueil par les services de l'ASE. Leur droit à l'éducation n'est donc pas respecté.

À la suite de nos investigations, nous nous sommes rendus compte que la scolarisation d'un enfant confié n'est souvent pas une priorité pour les services gardiens, d'autres aspects de sa prise en charge devant être traités au préalable. On nous dit que l'arrêt de la scolarité peut être justifié par la nécessité de permettre à l'enfant de s'installer dans le placement, ce que nous pouvons comprendre, sous réserve que cette décision résulte d'une évaluation individuelle de chaque situation et qu'il ne s'agisse pas d'une recommandation générale ou de modalités générales qui s'appliquent quelle que soit la situation de l'enfant. Pour nous, il faut d'abord réfléchir au droit à l'éducation et faire valoir la continuité de la scolarisation de l'enfant en premier lieu. Évidemment, pour un enfant qui a fait l'objet de mauvais traitements et qui présente des problèmes de santé au moment où il s'installe dans le placement, il faudra passer par l'étape de reconstruction et de restauration. L'idée que nous défendons est que le droit à l'éducation doit être prioritaire dans l'élaboration du projet et dans la prise en charge qui va être conduite.

Nous avons d'autres constats à vous présenter, mais vous les entendrez aussi dans le cadre de votre mission. Les enfants qui relèvent de l'ASE se voient plutôt proposer des cursus de formation courts, sans possibilité de poursuivre des études qui pourraient, dans un certain nombre de cas, correspondre à leurs capacités. Cette situation n'est pas nouvelle, mais elle tend à s'aggraver depuis quelques années, en raison notamment des contraintes budgétaires que rencontrent les départements. Ces faits me semblent importants à souligner, tout comme celui des mineurs non accompagnés.

Un autre… mon temps de parole est-il épuisé ?

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Madame, nous avons un impératif. L'audition suivante doit impérativement commencer à onze heures trente-cinq, parce que la personne auditionnée doit prendre un train à douze heures trente. Si nous voulons que nos collègues puissent poser des questions, il nous faut vraiment être concis.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Je vais donc essayer de vous donner de l'appétence pour ce que j'aurais pu vous dire. (Sourires.) Voilà notre rôle de promotion des droits de l'enfant ! Je prendrai trois minutes supplémentaires.

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Vous serait-il possible de nous transmettre vos notes ?

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Oui, tout à fait. Nous transmettrons les documents et les liens vers nos principales décisions. Je voulais aborder aussi la difficile effectivité du droit à grandir en sécurité dans un environnement stable et sécurisant et les saisines, au travers des situations que nous rencontrons, qui peuvent illustrer l'absence de continuité et de stabilité dans le lieu de prise en charge de l'enfant confié, par exemple avec des changements successifs de familles d'accueil auxquels sont confrontés les enfants, qui sont insuffisamment informés et consultés sur les décisions envisagées. J'y reviendrai, même dans les trois minutes qui me restent, car c'est un point sur lequel je voudrais insister. Je reviendrai aussi sur l'évaluation.

Concernant les familles d'accueil, nous avons pris une décision sur la nécessité d'être vigilant pour la concordance entre une assistante familiale et un enfant, notamment dans le cas d'une assistante familiale plus âgée et d'un enfant qui entre en protection de l'enfance très jeune, pour éviter justement des ruptures, qui pourraient être évitées si cette préparation et ce souci existaient.

Nous voudrions insister sur un autre sujet, sur la question de la stabilité, notamment de la stabilité affective et d'un environnement sécurisant pour les enfants. Ces difficultés sont constatées dans le recours à des personnes de l'environnement familial et à des tiers dignes de confiance. Cette possibilité, prévue par les par les textes, est très insuffisamment utilisée, alors que ces personnes pourraient être des ressources possibles et qu'elles pourraient être sollicitées lors des évaluations. Dans tous les cas, elles pourraient permettre de répondre de manière efficace à l'intérêt supérieur des enfants, sous réserve d'une évaluation. J'ai plusieurs fois parlé d'évaluation : c'est un mot central en protection de l'enfance, qui rejoint la question de la formation. Je ne pourrais malheureusement pas tout aborder dans les trois minutes qui me restent, et qui, j'imagine, se réduisent désormais à deux. (Sourires.) Nous avons aussi travaillé sur le sujet des tiers dignes de confiance, notamment en demandant que les tiers dignes de confiance aient un véritable statut et un véritable accompagnement, pour qu'ils ne soient pas seuls face à des difficultés, notamment au moment de l'adolescence.

Les questions du maintien des liens, de l'organisation des visites entre parents et enfants, le maintien des liens entre fratries, etc., tous ces sujets sont des sujets importants qui se réfèrent à ce droit de l'enfant à grandir dans un environnement sécurisant et stable. De plus, à propos de tous ces sujets, nous sommes saisis à la fois en métropole et en outre-mer. En outre-mer, nous notons des situations difficiles en Guyane et à Mayotte. N'oublions pas cela.

Par ailleurs, nous déplorons le cloisonnement des institutions et des acteurs de la protection de l'enfance, parce que ce cloisonnement est préjudiciable à la prise en charge et à l'approche globale et cohérente de l'enfant et de son intérêt supérieur. C'est la raison pour laquelle, en 2015, à la suite d'une enquête que nous avions lancée auprès de l'ensemble des départements, nous avons produit une recommandation sur le projet pour l'enfant. Je cite cette notion de « projet pour l'enfant », en demandant une simplification des obligations qui pèsent sur les institutions, en termes de production de documents écrits. Dans notre rapport de 2015, nous avons montré que, pour un enfant handicapé qui se trouve en protection de l'enfance, ce ne sont pas moins de six documents de prise en charge qui doivent être élaborés. À chaque fois, les parents vont être convoqués avec des équipes différentes – équipes médico-sociales, sociales, etc. – avec des cultures professionnelles, des attentes et des approches différentes, qui ne sont pas toutes cohérentes pour tous les enfants. Le projet pour l'enfant nous semble absolument indispensable, sous réserve qu'il soit bien compris, qu'il soit bien mené et qu'il soit bien accompagné au niveau des professionnels. Je voulais aussi aborder la fin brutale des prises en charge de l'ASE, mais je ne vais pas développer.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Restreindre ainsi mon propos, voilà qui est compliqué.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Je vais juste conclure, monsieur le président.

Je n'ai évoqué que quelques-uns des droits des enfants qui doivent être particulièrement respectés concernant la protection des enfants relevant de la protection de l'enfance. Cependant, d'autres droits sont tout aussi tout aussi importants.

Je voudrais notamment évoquer le droit des enfants à exprimer librement leur opinion, comme le stipule l'article 12 de la convention, sur les questions qui les concernent, et à ce que leur opinion soit dûment prise en considération. Je parlais tout à l'heure, en introduction, du fait que les droits au sens large, et les droits de l'enfant en particulier, peuvent et doivent constituer un levier important d'amélioration des politiques en général et de la politique de protection de l'enfance en particulier. Parmi ces droits, la réalisation du droit à la participation prévu par cet article 12 constitue un levier extrêmement important, à plusieurs égards. Je ne vais pas développer car je n'ai pas le temps. Les professionnels et les enfants eux-mêmes disent qu'ils ne sont pas suffisamment impliqués et associés, et que souvent ils n'ont même pas eu l'information a minima d'un changement de famille d'accueil, d'une décision concernant leur orientation scolaire, des raisons pour lesquelles ils ne peuvent plus voir leurs parents dans telle ou telle condition, etc. Cela paraît tout à fait invraisemblable, et, dans tous les cas, ne respecte pas leurs droits.

C'est la raison pour laquelle nous avons lancé, cette année, dans le cadre de notre rôle de mécanisme indépendant de contrôle de l'application de la Convention internationale des droits de l'enfant, une consultation des enfants. Entre 600 et 1 000 enfants vont être consultés sur la réalisation de leurs droits ; nous allons leur demander comment s'exerce, dans leur cas, cet article 12. Dans le panel d'enfants que nous avons défini, l'une de nos priorités est de donner la parole aux enfants les plus vulnérables, dont, notamment, les enfants relevant de la protection de l'enfance. Ils seront non seulement consultés, mais vont travailler – il s'agit bien d'un travail, car ce n'est pas une consultation sous forme de questionnaire, mais un vrai travail, avec des propositions qui vont émerger jusqu'à cet été. Nous pourrons vous communiquer des éléments ultérieurement.

Je termine sur le fait que, cette année, notre rapport annuel consacré aux droits des enfants s'intéressera aux violences en institutions, et pas seulement dans les institutions relevant de la protection de l'enfance. Il s'agit aussi de montrer combien les organisations et les fonctionnements des structures peuvent primer, être prioritaires sur l'intérêt supérieur de l'enfant et sur ses droits, et peuvent produire une violence, qui, bien qu'invisible, peut être très concrète et très réelle pour les enfants concernés.

J'en ai fini, mais j'ai beaucoup de regrets de ne pas avoir pu développer tous les sujets.

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Nous en sommes vraiment désolés, mais notre emploi du temps est contraint. Nous ne disposons que d'un quart d'heure pour l'ensemble des questions et des réponses.

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Quand allez-vous publier votre rapport sur les violences en institutions ?

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

En novembre.

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J'avais trois rapides questions. Vous avez publié un rapport ou une note sur le cas du jeune Denko Sissoko, qui est décédé l'année dernière. Que dénoncez-vous dans ce rapport ? Est-ce un cas isolé, ou un cas plus répandu dans les institutions ?

Je souhaitais aussi évoquer avec vous la nécessité d'avoir soit un représentant ad hoc, ou, encore mieux, un avocat, pour défendre les enfants. Qu'en pensez-vous ?

Nous avons par ailleurs reçu beaucoup de témoignages sur des placements abusifs. Quand vous êtes saisie de tels cas, concluez-vous à des placements abusifs ou non ?

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Vos propos, madame, m'ont ramenée à un temps pas si lointain où je travaillais dans le domaine humanitaire sur la protection des droits de l'enfant, mais à une échelle internationale. Les mots-clefs étaient « éducation », « santé » et « violence ». Quel que soit l'endroit où nous nous trouvons, quels que soient les enjeux, ce qui nous construit et fait que l'enfant peut devenir autonome et responsable est intimement lié à ces trois piliers.

Ma question est un peu hors champ. Elle est relative au droit à l'identité. En France, aujourd'hui, des enfants se retrouvent-ils sans certificat de naissance ? Sont-ils de plus en plus nombreux ? Certains signaux faibles me laissent croire que c'est le cas. Le cas échéant, qu'est-ce qui est fait pour détecter des enfants non déclarés ?

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Merci, madame, pour votre exposé, qui, bien que concis, nous donne un cadre. Je souhaiterais revenir sur la question des violences. Ma vie professionnelle a fait que j'étais travailleur social, entre autres dans les institutions. Je ne pense pas que les institutions décrètent être violentes. Il n'empêche que ces violences existent, et qu'elles sont reconnues. Avez-vous pensé à des préconisations qui permettraient d'éliminer ces violences dans les institutions ?

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Je suis frappé, pour avoir observé l'ASE dans les départements, par la faiblesse de la procédure du contradictoire entre le juge des enfants et l'ASE. Le service d'ASE est tout-puissant, il est à la fois le prescripteur, celui auquel le juge va confier l'enfant, puis celui qui effectuera le suivi auprès du juge. Ainsi, au sein de ce lien très fort entre le juge et le service de l'ASE, l'enfant a du mal à se faire entendre, moins lors des premières décisions et des premières audiences que pour le suivi. De plus, que pèse la famille face à ce duo ? Quel dispositif imaginer ? Quel est le rôle de l'avocat de l'enfant ? Ne faudrait-il pas, plutôt qu'un avocat, introduire un tiers dans cette procédure, tiers qui soit composé de professionnels ou d'anciens professionnels de l'ASE, capables de faire une évaluation contradictoire et d'apporter un autre regard ? Ce tiers pourrait être le défenseur des droits de l'enfant, faire preuve d'écoute et faire le lien avec la famille. Comment sortir de ce binôme, qui n'assure pas, de mon point de vue, une vraie équité de procédure, et peut conduire à des situations de placement abusif ? Dans le département que nous connaissons, madame Avenard, j'ai constaté des cas où le juge prenait des décisions de placement, décision la plus radicale possible, en ne qualifiant pas le danger. Sans danger identifié, le placement paraît bien abusif.

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Madame, dans votre rapport, vous évoquez le développement de la formation aux droits de l'enfant pour tous les professionnels, y compris ceux de l'ASE. Quels sont aujourd'hui les prérequis actuels de formation en matière de droits de l'enfant pour les professionnels de l'ASE, et à quels types de formation pensez-vous ?

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Mme Lieberherr complétera mon propos sur certains points.

La formation des professionnels est un enjeu essentiel qu'il faut prendre à bras-le-corps, collectivement. Au-delà de la refonte des diplômes, il faut s'interroger sur le contenu des formations. Les formations initiales et continues des différents intervenants auprès des enfants ne contiennent pas ou pratiquement pas de module consacré aux droits de l'enfant. Cela est d'autant plus grave, pour les travailleurs sociaux, que le décret du 6 mai 2016 définit le travail social comme devant permettre la réalisation des droits fondamentaux. Nous revenons sur l'enjeu de la formation chaque fois que nous publions des recommandations d'amélioration. Cet enjeu concerne l'ensemble des professionnels, mais en particulier les cadres de direction, les chefs de service et l'encadrement, etc. La formation doit en effet permettre une approche partagée et une culture commune de l'ensemble des niveaux et des échelons professionnels.

Lorsque nous rencontrons des professionnels, nous entendons beaucoup parler de perte de sens dans la protection de l'enfance. J'ai commencé à travailler dans la protection de l'enfance en 1985, au moment de la décentralisation. Il me fait mal de voir certains professionnels confrontés à des difficultés et à des souffrances au travail liées à cette perte de sens et de repères au travail. L'approche par les droits, avec un langage commun et partagé à tous les niveaux, entre le niveau décisionnel, l'encadrement, le chef de service et les professionnels devrait permettre d'apporter des repères.

Vous parliez du duo juge-ASE et d'une forme de fermeture. La protection de l'enfance a longtemps été refermée sur elle-même. Cela pose la question de la démocratisation et de la démocratie au sein de la protection de l'enfance. Comment les enfants sont-ils entendus ? Comment les familles et les parents sont-ils associés ? D'où l'importance du projet pour l'enfant, qui prévoit que les parents soient présents dans l'élaboration de cet outil dynamique.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

En effet, la disparité dans la mise en oeuvre des mesures est importante. La question du droit à la participation des enfants est cruciale. Si la participation des enfants devient un enjeu des pratiques professionnelles, des projets de service de l'ASE et des projets d'établissement et de service, je pense que nous progresserons.

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Marie Lieberherr

La manière dont se déroulent les procédures judiciaires en protection de l'enfance nous préoccupe. Une instruction est en cours, pour laquelle nous avons interrogé la ministre de la justice, notamment quant au constat que nous dressons concernant le manque de moyens de la justice en matière de protection de l'enfance. Les audiences se déroulent sans greffier, sans procureur ; les délais d'audiences en appel sont insupportables ; certaines audiences en appel se déroulent la veille de l'échéance de la nouvelle audience devant le juge des enfants. Voilà qui est inacceptable. La justice est un levier puissant, elle doit proposer les moyens adaptés à l'enjeu qui est celui de la protection de l'enfance. Voilà une première réponse.

Quant à la question de l'avocat, puisque nous n'avons pas le temps de développer, je souhaite vous renvoyer à la page 44 du rapport annuel 2018, où nous avons évoqué cette question, notamment pour les enfants non discernants, c'est-à-dire pour les enfants âgés de zéro à six ans. Pour ces enfants, notre position est claire, à savoir la désignation d'un administrateur ad hoc, qui pourra faire le choix de la demande d'un avocat pour cet enfant. En effet, juridiquement, ce sont les parents qui disposent de l'autorité parentale, et la demande d'un avocat est un acte non usuel. À moins qu'une disposition législative ne vienne indiquer que l'enfant puisse disposer automatiquement d'un avocat commis d'office, à droit constant, c'est l'administrateur ad hoc qui peut le faire.

Nous appelons aussi à la clarification de l'article 1186 du code de procédure civile. J'étais présente la semaine dernière à un séminaire d'avocats. Cet article pose des difficultés pratiques dans les tribunaux et engendre de grandes disparités dans les pratiques judiciaires.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Concernant l'affaire du mineur non accompagné de Châlons-en-Champagne, ce n'est pas un cas isolé. Nous avons régulièrement produit des recommandations à ce sujet. Nous sommes de plus en plus saisis pour des situations de mineurs non accompagnés. Je vous invite donc à vous référer à nos recommandations.

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Marie Lieberherr

Il s'agit d'une situation spécifique et isolée, que l'on ne retrouve pas partout. Cependant, le point commun, que nous retrouvons de façon extrêmement récurrente, est celui de la présence éducative. Nous constatons un manque de présence éducative auprès des jeunes de manière très récurrente.

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Geneviève Avenard, défenseure des enfants

Quand nous sommes saisis d'une contestation de placement, la difficulté est la limite que nous impose la loi organique : nous ne pouvons pas contester une décision de justice, ce qui freine, bien évidemment, notre intervention. Je tiens à le rappeler, car cela est souvent mal compris par les réclamants, qui vont considérer que nous n'avons pas fait notre travail.

Nous n'allons pas nous prononcer directement sur le fait que le placement est abusif ou non, mais nous regardons si les droits ont été respectés, si les règles de procédures ont été respectées et s'il y a eu dysfonctionnement. L'approche par les droits peut donc être complétée par l'examen des défaillances du service public de la justice et de l'ASE. Par ce biais-là, nous pouvons arriver à traiter la situation, sans contester la décision de justice.

Je me garderai bien de faire quelque généralité que ce soit ; cependant, dans les réclamations que nous traitons et pour lesquelles nous menons des investigations, avec tous nos pouvoirs de communication et d'analyse du dossier, nous constatons un certain nombre de défaillances importantes, puisque certaines d'entre elles conduisent à des drames, notamment à des décès d'enfants.

Nous allons publier, dans le courant du mois de mai, une décision qui nous semble importante, même si les faits remontent à très longtemps. Il s'agit d'une jeune femme qui a été prise en charge par les services de l'ASE quand elle était enfant, et qui n'a pas été protégée des violences exercées à son encontre, au domicile de ses parents. Ces faits sont anciens, antérieurs à la loi de 2007, mais nous avons cependant souhaité conduire et poursuivre nos investigations jusqu'au bout, parce qu'un certain nombre de constats dressés nous semblaient pouvoir éclairer certaines pratiques actuelles. Nous vous communiquerons cette décision en mai, une fois publiée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, mesdames, au nom de toute la mission d'information, pour cette intervention très intéressante. Je suis désolé pour ce planning très serré. Nous sommes preneurs de tout élément que vous pourrez nous communiquer.

La réunion s'achève à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 25 avril 2019 à 10 h 30

Présents. - Mme Nathalie Elimas, Mme Perrine Goulet, Mme Monique Limon, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier

Excusés. - Mme Delphine Bagarry, Mme Gisèle Biémouret, M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, M. Jean Terlier

Assistait également à la réunion. - M. Jacques Marilossian