Intervention de Claire Danko

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 16h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Claire Danko, membre du bureau national :

Pour notre organisation syndicale, la protection de l'enfance devrait, doit, être déclarée « grande cause nationale ». Puisque votre mission s'attache à l'aide sociale à l'enfance, par rapport aux missions de notre syndicat, nous tenterons d'apporter des éléments à votre réflexion, s'agissant des modalités de prise en charge des dysfonctionnements et des insuffisances.

La grande question que l'on est en droit de se poser aujourd'hui dans le cadre de votre mission d'information, c'est celle de la bonne lisibilité de ce que fait et ne fait pas ou ce que ne peut pas faire l'aide sociale à l'enfance. En effet, on ne sait pas véritablement ce que l'on fait. On a aujourd'hui une pluralité de missions. L'aide sociale à l'enfance assure le signalement, elle intervient dans le cadre administratif, elle assure le suivi et intervient désormais dans le suivi des mineurs de retour des zones irako-syriennes. Elle a une multitude de missions, une multitude de fonctions. Toutefois, a-t-elle la capacité de véritablement les satisfaire ?

Pour répondre à cette question ou apporter des éléments de réflexion, rentrons ensemble, si vous le voulez bien, dans le cabinet d'un juge des enfants. Madame la Rapporteure, je tiens à vous féliciter, au nom de notre organisation syndicale, puisque vous avez une démarche très intéressante que nous encourageons, vous êtes rentrée dans le cabinet du juge des enfants. Cela fera écho sans doute à ce que nous allons présenter.

Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les Députés, Monsieur le Président, Madame la Rapporteure, on assiste à un véritable paradoxe. En d'autres termes, le juge des enfants est dans l'incapacité d'être le garant du droit. Le juge des enfants est ainsi face à un paradoxe majeur : il prononce des décisions longuement motivées où il décrit dans le détail la situation de danger et la nécessité urgente d'intervenir pour aider la famille ou pour extraire, au moins provisoirement, l'enfant de sa famille et les décisions ne sont pas exécutées. Pire encore, nous n'avons pas ou peu de lisibilité sur le nombre de décisions que les juges de la jeunesse prononcent et qui ne sont pas exécutées.

Donc premier sujet, avons-nous la possibilité d'avoir a minima une instance départementale qui pourrait satisfaire à une obligation – c'est ce que soutient notre organisation syndicale – d'une prise de connaissance du nombre de jugements qui ne sont pas exécutés dans chaque cabinet, et une régulation du dispositif ? Je ne voudrais pas rendre cauchemardesque le descriptif que je suis en train de faire mais lorsqu'on ne fait pas pour les placements, on ne fait pas aussi pour les mesures éducatives prononcées par le juge des enfants.

Autre sujet. Vous le savez aussi bien que nous, nous disposons de deux lois majeures : celle de 2007 et celle de 2016. Il est surprenant, pour ne pas dire énervant, de constater qu'en dépit des mesures et des dispositions législatives de ces lois, nombre d'entre elles ne sont pas appliquées encore aujourd'hui, c'était pourtant un changement de paradigme avec la loi de 2016. Nous sommes dans une configuration qui tend à considérer que ce n'est pas aux mineurs de s'adapter à l'institution mais à l'institution de s'adapter aux mineurs.

Revenons dans le cabinet d'un juge des enfants. Que se passe-t-il concrètement ? Tout d'abord, vous le savez, il y a de moins en moins de placements directs. On est essentiellement sur des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance avec l'espoir, qu'après une période la plus courte possible – je pars de l'hypothèse où le placement est exécuté – la proposition de lieu de placement correspondra aux besoins fondamentaux de l'enfant. Vous connaissez tous cette terminologie puisqu'il s'agit de l'article premier de la dernière loi sur la protection de l'enfance.

Et là, surprise. On se rend compte que finalement ce ne sont pas des lieux de placement adaptés à l'enfant qui sont proposés. Il n'y a aucun choix possible et lorsqu'il a lieu, le mineur est confié à un dispositif qui a une disponibilité de places. C'est une réalité. On attend, et parfois, on attend jusqu'aux 18 ans de l'enfant. C'est une véritable difficulté que soulèvent les juges des enfants depuis des années. Dans le cadre de votre mission d'information, vous avez entendu nombre d'intervenants. À chaque fois qu'une organisation syndicale a l'occasion de se prononcer sur la protection de l'enfance, les mêmes choses sont dites et redites.

Certains rapports apportent une bonne lisibilité. Ils sont des sujets d'analyses pour tirer des préconisations et voir ce qu'est véritablement la vie des tribunaux pour enfants. Ce sont des rapports des tribunaux pour enfants. C'est une obligation depuis 2008 de les transmettre à la direction de la protection de la jeunesse. Tout ce que je viens de vous dire y est décrit de manière récurrente, à savoir le manque de places, des dispositifs qui sont ce qu'ils sont et le magistrat qui doit totalement en prendre acte. Nous regrettons, en ce qui concerne notre organisation syndicale, que la synthèse de ces rapports qui sont véritablement une mine d'or à exploiter, ne soit plus réalisée depuis 2012. Là encore, on se demande sur quoi on travaille, sur quels éléments et documentations nous sommes en capacité d'avoir véritablement une analyse réflective.

Nous souhaitons également dire que, dans les médias, on a beaucoup parlé du budget qui allait être consacré à la création de 33 centres éducatifs fermés. Permettez-nous une parenthèse. Nous aimerions le même enthousiasme pour des dispositifs de protection de l'enfance. Nous n'avons jamais entendu parler de création de nouveaux lieux de vie, de nouveaux lieux d'accueil, de faire revivre de ses cendres pour des questions budgétaires les établissements pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), les écoles de la deuxième chance. Que fait-on pour encourager également le recrutement des familles d'accueil ? C'est un sujet que l'on aborde systématiquement chez Unité magistrats, chaque fois que nous avons l'occasion d'intervenir.

La moyenne d'âge des familles d'accueil est de 55 ans. Quand elles partent à la retraite, le mineur peut être confié à une structure collective mais il ne pourra pas de fait rester dans la famille d'accueil. Quelle politique publique nationale est menée pour encourager au recrutement des familles d'accueil ? Quelle politique publique nationale est menée pour encourager la qualification et la professionnalisation des familles d'accueil ? Quels moyens sont donnés à l'accompagnement, à l'encadrement ? Qu'avons-nous pensé concrètement sur les formations communes, la qualification ? Ce qui est vrai pour les familles d'accueil l'est également pour de nombreuses autres structures relatives à l'aide sociale à l'enfance. Certes, la protection de l'enfance est décentralisée, mais je crois que l'on pourrait engager – pardonnez-moi cette provocation – une procédure contre l'État pour délaissement de ces mineurs en danger.

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