Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 16h15

Résumé de la réunion

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  • cabinet
  • magistrat
  • parents
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  • problématique
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 16 mai 2019

La séance est ouverte à seize heures quinze.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Nous poursuivons avec l'audition de Béatrice Brugère, secrétaire générale et de Claire Danko, membre du bureau national du syndicat Unité magistrats-SNM FO. Je sais, Madame Brugère, que vous avez un impératif d'heure. Votre audition complète celle de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF). Elle devrait nous permettre d'aborder la question des relations avec les différents acteurs de l'ASE en lien avec l'enfant, l'adaptation des procédures, la formation des magistrats ou le suivi des affaires judiciaires. Je vais vous laisser la parole pour une brève intervention ce qui nous permettra ensuite de privilégier les échanges avec le rapporteur et avec les membres de la Mission.

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Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité magistrats –SNM FO

Je vous remercie, Monsieur le Président. Notre syndicat est très heureux de faire cette audition pour une raison très simple : nous pensons depuis très longtemps que les mineurs doivent être l'épicentre de la réflexion de la justice. Nous avions déploré lors des chantiers de la Justice que les enfants en soient les grands oubliés. Nous sommes absolument ravis de votre mission. J'espère que vous nous accorderez un peu plus de cinq minutes pour pouvoir nous exprimer car pour nous, c'est un sujet absolument fondamental. Nous allons tenter d'apporter quelques éléments avec votre réflexion. Nous restons bien évidemment à votre disposition si vous voulez que l'on aille plus loin.

Je laisse la parole à Madame Danko. C'est une magistrate qui connaît très bien le sujet pour avoir travaillé à la PJJ, au ministère, et pour avoir été juge des enfants, ce qui n'est pas mon cas, même si, quand on est secrétaire générale, on est censé tout savoir.

Notre syndicat aborde ces sujets sans aucun dogmatisme ni aucune idéologie. Ce qui nous intéresse, c'est le service d'intérêt général que le ministère de la Justice doit rendre, en particulier sur la protection de l'enfance. Aujourd'hui, nous sommes obligés de constater que l'on est loin du compte. Or, des comptes, on doit en rendre sur ce sujet et pas simplement nous. La problématique est faite en effet de la multiplicité des acteurs. Sur ce sujet précisément, d'autres acteurs que les magistrats sont parfois primo-intervenants.

Il y a donc une problématique de pilotage, mais aussi une problématique de chiffres, de statistiques. Je ne sais pas ce que vous avez dans votre mission, et j'espère que vous avez beaucoup de choses, parce que nous, nous n'avons quasiment rien. Le problème est déjà de savoir de quoi on parle. Même si nous n'avons pas la religion des chiffres, ils sont tout de même des indicateurs utiles pour comprendre ce qui se passe.

Nous aimerions aussi que votre mission puisse devenir ou déboucher sur une inflexion de ce qui est en train de se passer au niveau de l'ordonnance de 1945. Nous avions déploré qu'il n'y ait rien sur les mineurs – visiblement on nous a entendus puisqu'on va faire quelque chose aujourd'hui. Je ne reviens pas sur les méthodes car peu importe. Chacun est dans sa légitimité. Le politique choisit la méthode qu'il lui plaît et nous, nous ne sommes que des magistrats et nous apportons un regard d'experts. Simplement, je dirais qu'enfin, l'ordonnance de 1945 revient sur la table, et j'espère qu'il y aura des débats intéressants pour vous. Toutefois, elle revient sans ce qui nous semblait le plus important, c'est-à-dire l'aide à la protection de l'enfance. On ne peut pas traiter l'un sans l'autre.

Nous avons beaucoup d'espoir dans votre mission. Nous espérons qu'il en débouchera une clarification et un pilotage clair et net sur un sujet qui, malheureusement, est parfois plus connu par les faits divers et les scandales.

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Claire Danko, membre du bureau national

Pour notre organisation syndicale, la protection de l'enfance devrait, doit, être déclarée « grande cause nationale ». Puisque votre mission s'attache à l'aide sociale à l'enfance, par rapport aux missions de notre syndicat, nous tenterons d'apporter des éléments à votre réflexion, s'agissant des modalités de prise en charge des dysfonctionnements et des insuffisances.

La grande question que l'on est en droit de se poser aujourd'hui dans le cadre de votre mission d'information, c'est celle de la bonne lisibilité de ce que fait et ne fait pas ou ce que ne peut pas faire l'aide sociale à l'enfance. En effet, on ne sait pas véritablement ce que l'on fait. On a aujourd'hui une pluralité de missions. L'aide sociale à l'enfance assure le signalement, elle intervient dans le cadre administratif, elle assure le suivi et intervient désormais dans le suivi des mineurs de retour des zones irako-syriennes. Elle a une multitude de missions, une multitude de fonctions. Toutefois, a-t-elle la capacité de véritablement les satisfaire ?

Pour répondre à cette question ou apporter des éléments de réflexion, rentrons ensemble, si vous le voulez bien, dans le cabinet d'un juge des enfants. Madame la Rapporteure, je tiens à vous féliciter, au nom de notre organisation syndicale, puisque vous avez une démarche très intéressante que nous encourageons, vous êtes rentrée dans le cabinet du juge des enfants. Cela fera écho sans doute à ce que nous allons présenter.

Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les Députés, Monsieur le Président, Madame la Rapporteure, on assiste à un véritable paradoxe. En d'autres termes, le juge des enfants est dans l'incapacité d'être le garant du droit. Le juge des enfants est ainsi face à un paradoxe majeur : il prononce des décisions longuement motivées où il décrit dans le détail la situation de danger et la nécessité urgente d'intervenir pour aider la famille ou pour extraire, au moins provisoirement, l'enfant de sa famille et les décisions ne sont pas exécutées. Pire encore, nous n'avons pas ou peu de lisibilité sur le nombre de décisions que les juges de la jeunesse prononcent et qui ne sont pas exécutées.

Donc premier sujet, avons-nous la possibilité d'avoir a minima une instance départementale qui pourrait satisfaire à une obligation – c'est ce que soutient notre organisation syndicale – d'une prise de connaissance du nombre de jugements qui ne sont pas exécutés dans chaque cabinet, et une régulation du dispositif ? Je ne voudrais pas rendre cauchemardesque le descriptif que je suis en train de faire mais lorsqu'on ne fait pas pour les placements, on ne fait pas aussi pour les mesures éducatives prononcées par le juge des enfants.

Autre sujet. Vous le savez aussi bien que nous, nous disposons de deux lois majeures : celle de 2007 et celle de 2016. Il est surprenant, pour ne pas dire énervant, de constater qu'en dépit des mesures et des dispositions législatives de ces lois, nombre d'entre elles ne sont pas appliquées encore aujourd'hui, c'était pourtant un changement de paradigme avec la loi de 2016. Nous sommes dans une configuration qui tend à considérer que ce n'est pas aux mineurs de s'adapter à l'institution mais à l'institution de s'adapter aux mineurs.

Revenons dans le cabinet d'un juge des enfants. Que se passe-t-il concrètement ? Tout d'abord, vous le savez, il y a de moins en moins de placements directs. On est essentiellement sur des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance avec l'espoir, qu'après une période la plus courte possible – je pars de l'hypothèse où le placement est exécuté – la proposition de lieu de placement correspondra aux besoins fondamentaux de l'enfant. Vous connaissez tous cette terminologie puisqu'il s'agit de l'article premier de la dernière loi sur la protection de l'enfance.

Et là, surprise. On se rend compte que finalement ce ne sont pas des lieux de placement adaptés à l'enfant qui sont proposés. Il n'y a aucun choix possible et lorsqu'il a lieu, le mineur est confié à un dispositif qui a une disponibilité de places. C'est une réalité. On attend, et parfois, on attend jusqu'aux 18 ans de l'enfant. C'est une véritable difficulté que soulèvent les juges des enfants depuis des années. Dans le cadre de votre mission d'information, vous avez entendu nombre d'intervenants. À chaque fois qu'une organisation syndicale a l'occasion de se prononcer sur la protection de l'enfance, les mêmes choses sont dites et redites.

Certains rapports apportent une bonne lisibilité. Ils sont des sujets d'analyses pour tirer des préconisations et voir ce qu'est véritablement la vie des tribunaux pour enfants. Ce sont des rapports des tribunaux pour enfants. C'est une obligation depuis 2008 de les transmettre à la direction de la protection de la jeunesse. Tout ce que je viens de vous dire y est décrit de manière récurrente, à savoir le manque de places, des dispositifs qui sont ce qu'ils sont et le magistrat qui doit totalement en prendre acte. Nous regrettons, en ce qui concerne notre organisation syndicale, que la synthèse de ces rapports qui sont véritablement une mine d'or à exploiter, ne soit plus réalisée depuis 2012. Là encore, on se demande sur quoi on travaille, sur quels éléments et documentations nous sommes en capacité d'avoir véritablement une analyse réflective.

Nous souhaitons également dire que, dans les médias, on a beaucoup parlé du budget qui allait être consacré à la création de 33 centres éducatifs fermés. Permettez-nous une parenthèse. Nous aimerions le même enthousiasme pour des dispositifs de protection de l'enfance. Nous n'avons jamais entendu parler de création de nouveaux lieux de vie, de nouveaux lieux d'accueil, de faire revivre de ses cendres pour des questions budgétaires les établissements pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), les écoles de la deuxième chance. Que fait-on pour encourager également le recrutement des familles d'accueil ? C'est un sujet que l'on aborde systématiquement chez Unité magistrats, chaque fois que nous avons l'occasion d'intervenir.

La moyenne d'âge des familles d'accueil est de 55 ans. Quand elles partent à la retraite, le mineur peut être confié à une structure collective mais il ne pourra pas de fait rester dans la famille d'accueil. Quelle politique publique nationale est menée pour encourager au recrutement des familles d'accueil ? Quelle politique publique nationale est menée pour encourager la qualification et la professionnalisation des familles d'accueil ? Quels moyens sont donnés à l'accompagnement, à l'encadrement ? Qu'avons-nous pensé concrètement sur les formations communes, la qualification ? Ce qui est vrai pour les familles d'accueil l'est également pour de nombreuses autres structures relatives à l'aide sociale à l'enfance. Certes, la protection de l'enfance est décentralisée, mais je crois que l'on pourrait engager – pardonnez-moi cette provocation – une procédure contre l'État pour délaissement de ces mineurs en danger.

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Je vous remercie. Je vous propose d'échanger. Cela permettra de compléter.

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Le tribunal de Versailles m'a effectivement accueillie pendant trois demi-journées, ce qui m'a permis de me rendre compte des difficultés et des limites des juges sur cette politique.

J'ai des questions précises. On nous a dit dans les précédentes auditions que les placements étaient parfois la voie de recours pour certains juges, quand les mesures proposées en milieu ouvert n'étaient pas possibles au niveau de la durée de mise en place. J'aimerais savoir si parfois il y a des analyses croisées justicedépartement pour évaluer la situation du département (voir les places disponibles, le type de structures). Avez-vous votre mot à dire, dans les jugements, sur un accueil familial ou collectif ?

Tout à l'heure, on nous a également indiqué qu'il fallait transférer certaines missions du juge aux affaires familiales vers le juge des enfants pour renforcer ce dernier, comme notamment la délégation de l'autorité parentale. Qu'en pensez-vous ?

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Claire Danko, membre du bureau national

Les lieux de rencontre entre les professionnels de l'Aide sociale à l'enfance et les juges des enfants existent, mais c'est encore en fonction de la bonne volonté des personnes et de la qualité des relations professionnelles qui sont instaurées au sein d'un cabinet. Bien évidemment, j'écarte l'hypothèse des turn-over trop importants. Quand la personne qui impulse ce type de rencontres n'est plus assez dynamique, on perd encore une fois un temps important de rencontres. Toutefois, elles existent et elles sont souhaitées.

Ceci permet de rebondir sur quelque chose de très important. Lorsqu'un juge des enfants ou un magistrat de manière générale est évalué, il l'est d'abord sur des considérations de stock, de délais pour rendre ses décisions. Or l'une des fonctions majeures du juge des enfants, et à laquelle il aspire, est d'étayer le partenariat, de sortir de son cabinet pour se former. C'est aussi important de mieux se connaître et d'aider chaque professionnel à savoir comment la justice fonctionne.

Or, aujourd'hui, les magistrats coordonnateurs n'ont aucune reconnaissance par rapport à cet engagement ni aucune décharge d'activités. Pour se rencontrer, discuter et faire un état des lieux, il faut de la disponibilité – ce qui représente un certain luxe pour la majorité des cabinets – un soutien de sa hiérarchie et du conseiller délégué à la protection de l'enfance au niveau de la cour d'appel. Lorsque j'évoquais tout à l'heure les difficultés de l'Aide sociale à l'enfance, il n'y a rien de pire dans la situation d'un enfant que de rendre une décision de placement parce qu'une mesure en milieu ouvert ne peut pas s'exécuter. Oui, cela arrive. Et même si cela n'arrivait qu'une seule fois, cela serait déjà trop.

Ensuite, vous vous interrogiez sur une augmentation des missions du juge des enfants, notamment la délégation de l'autorité parentale. Nous sommes quelque peu réservés. Nous n'avons pas d'idée arrêtée, mais pour le moment, il convient de faire en sorte que les missions actuelles du juge des enfants soient d'ores et déjà bien exercées.

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Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité magistrats –SNM FO

Vous avez fait une allusion à la problématique des placements. Vous êtes en train de découvrir ce que nous faisons au quotidien, c'est-à-dire du bricolage. Ce bricolage peut aller jusqu'à un détournement de procédures. Je ne sais pas si on aura le temps d'en parler, mais il y a dans votre sujet un aspect qu'il ne faut jamais oublier, celui de l'augmentation du nombre de mineurs non accompagnés (MNA). On est typiquement dans un détournement de procédure puisque la procédure utilisée pour les MNA devrait être une procédure de tutelle. Or aujourd'hui, on est sur une autre procédure. On utilise en effet la procédure d'assistance éducative, avec toutes les conséquences que je ne décrirai pas ici. Finalement, le juge des enfants se retrouve avec un stock de procédures d'assistance éducative avec des obligations de placement. On voit bien que l'on touche du doigt la confusion des procédures. Comme on n'a pas les moyens, on bricole ; comme on bricole, on détourne ; comme on détourne, on arrive à des confusions.

La réalité – et c'est là où je m'adresse à vous parce que cela me semble être la chose la plus importante – est qui aujourd'hui doit être responsable de cet état de fait ? Est-ce la justice ? Est-ce le département ? Est-ce un problème de politique globale, sachant que l'on est sur une problématique non conjoncturelle mais structurelle ? Quand c'est conjoncturel, le bricolage peut « s'entendre ». On a tous connu cela, on fait avec les moyens du bord. Cependant, les MNA ne sont pas conjoncturels mais structurels. Jusqu'à quand va-t-on accepter ces détournements de procédures, sachant que l'on a un nombre extrêmement contraint de places ? Quelle place le politique a-t-il envie de donner à l'assistance éducative en France ?

Les MNA sont un problème de politique publique et non pas judiciaire. C'est un peu comme le droit d'asile, c'est une question de politique publique. Qu'attend notre pays ? Comment fait-on ? Sommes-nous toujours dans des vases communicants ? Il y a une responsabilité des politiques publiques et on repasse le bébé au judiciaire parce qu'il est plus facile d'ouvrir une procédure d'assistance éducative, que de faire une procédure de tutelle qui relève du département. La question n'est pas de dire qu'il ne faut rien faire. La question est : qui fait quoi et à quel niveau ?

La justice est déjà en grande difficulté. À quoi cela sert-il de faire des procédures coûteuses, chronophages, avec des magistrats qui s'investissent, si elles ne sont pas mises en place derrière ? Il faut que vous ayez une vision globale. Aujourd'hui, je pense que c'est aussi l'objet de votre mission et Mme Danko vous en dira sans doute un mot, c'est le positionnement de l'ASE. Qui fait quoi ? Qui est pilote ? C'est bien de dire qu'on veut plus d'ASE, mais déjà faut-il encore voir ce qu'elle fait et comment elle le fait. Les départements ont des budgets et des politiques différentes. Or nous, magistrats, nous ne sommes pas sur ces logiques.

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Claire Danko, membre du bureau national

Pour compléter le propos de Mme Brugère, il faut aujourd'hui avoir conscience d'une urgence sociale et d'une urgence judiciaire. En d'autres termes, en fonction de l'endroit où naissent et vivent les mineurs, en fonction du lieu où exercent les magistrats de la jeunesse, le traitement des mineurs n'est absolument pas le même.

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On a entendu le voeu d'une association qui gère des maisons d'accueil. Elle aurait aimé que les ordonnances de placement soient plus longues dans le temps. Les juges demandent à revoir les enfants très régulièrement pour savoir où ils en sont. Ils savent que pour certaines procédures cela va durer plus longtemps. Est-ce que cela ne serait pas un moyen de désemboliser et d'avoir moins de travail pour les juges ? L'association a indiqué qu'un jeune pouvait passer jusqu'à 17 fois devant le juge, ce qui est une source d'inquiétude, de stress supplémentaire pour lui.

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Claire Danko, membre du bureau national

Ayant été juge des enfants pendant plusieurs années en métropole et en outre-mer, et notre syndicat étant très engagé sur la justice des mineurs, je crois pouvoir dire que l'on est assez réservé sur cette vision des choses, même si nous l'entendons et la comprenons. Pourquoi ? Parce que l'audience est aussi un temps d'expression important pour tous les intervenants. C'est surtout un moment où le magistrat prend une décision. La prolongation du placement n'est pas automatique. Cela fait partie d'un moment contradictoire où on peut échanger avec les parents et le mineur sur les évolutions du projet. En effet, on est avec la loi de 2016 sur un projet pour l'enfant à long terme. Ce long terme, il sera intéressant de le voir sous le prisme du projet pour l'enfant.

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Dans votre cabinet, et de manière générale, quelle est la place de la parole de l'enfant ? N'y a-t-il pas quelque chose qui manque perpétuellement, ne serait-ce que dans la compréhension, dans le suivi de ce qui va lui arriver ? Ne manque-t-il pas un intermédiaire ? Je n'en sais rien, mais il me semble que la parole de l'enfant – ne parlons pas de l'adolescent – est traitée comme si elle n'existait pas.

Par ailleurs, vous dites qu'à chaque département correspond un régime particulier. C'est aussi valable pour les juges des enfants. À chaque département, des juges différents avec des sensibilités différentes, des juges qui peuvent être militants. Puisque c'est le cafouillage et le bricolage, chacun y va de sa manière. Je sais qu'à Toulouse, par exemple, pour reconnaître la minorité, tant que c'était le département qui gérait, il y avait 80 % d'acceptation et 20 % de refus. Quand cela a été délégué au dispositif départemental d'accueil, d'évaluation et de d'opération de mineurs (DDAEOMI), le résultat s'est inversé : 80 % de refus et 20 % d'acceptation. Parmi ces enfants, 40 % sont en fugues et 40 % font un recours. À la suite de ces recours, 90 % sont reconnus mineurs. Cela dépasse l'entendement et on comprend bien qu'on est dans le militantisme à cause de cette boîte à bricolage qui ne fonctionne plus du tout.

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Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité magistrats –SNM FO

Ce que vous décrivez, c'est l'absence de pilotage. La question du traitement judiciaire est inhérente à ce problème. On ne pourra pas totalement la gommer, mais on peut l'adoucir en ayant un pilotage. C'est ce qui est intéressant. La question n'est pas tant de savoir qui fait quoi dans son coin, que de savoir si toutes ces données remontent pour que l'on ait une vision de ce que vous décrivez. En fait, le problème est que l'on navigue à vue. On peut faire les plus belles interventions, être intelligent, dire des choses merveilleuses et être complètement hors sol. On vous renvoie la problématique entière.

Deuxièmement, s'agissant de la parole de l'enfant, vous le savez, en France, l'enfant est celui qui ne parle pas. Dans l'étymologie, c'est celui qui est privé de parole. Cette parole est pourtant primordiale. Le coeur même de la réflexion de la justice des mineurs est de compenser cette faiblesse de l'enfant, pour lui donner toutes les garanties nécessaires, pour remettre cet équilibre, afin de protéger et de recueillir la parole de l'enfant.

Sans rentrer dans des débats, parce qu'il y a de nombreux colloques qui traitent de la place et des droits de l'enfant. Je pense que l'on a avancé. On a des avocats de plus en plus spécialisés, on a des méthodologies, mais tout reste à faire. Il va de soi que la parole de l'enfant est un sujet important, mais tout dépendra de la capacité de la personne en face à recueillir cette parole. Vous avez, en effet, des enfants qui parlent, que l'on n'écoute pas et que l'on n'entend pas. Il ne suffit pas de parler, encore faut-il avoir un interlocuteur qui en fasse quelque chose. On a pléthore de dossiers qui sont dramatiques. Des enfants ont dénoncé des choses et on ne les a pas crus, on ne les a pas entendus.

Cela renvoie aussi à la problématique – je pense que c'est un vrai sujet pour votre mission – de l'évaluation du travail de l'ASE sur ce point et de toutes les carences qui existent au sein de ces institutions. Le problème de ces institutions, qui sont de plus en plus fortes et qui veulent de plus en plus de pouvoir, est de savoir quels contre-pouvoirs ou quels contrôles on va apporter pour que cela fonctionne. Que cela soit un département ou un magistrat, les choses peuvent être bien faites ou mal faites. Donc, quels sont les contre-pouvoirs, les moyens et la capacité de contrôle ?

Encore une fois, vous vous saisissez d'une mission extrêmement intéressante mais sur quels matériaux allez-vous évaluer la qualité sur la protection de l'enfance ?

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Claire Danko, membre du bureau national

Nous sommes certains, compte tenu de la qualité des débats au sein de votre mission d'information, que vous allez utiliser et exploiter le rapport du Défenseur des droits.

Pour compléter le propos de Mme Brugère et pour donner quelques pistes de réflexion, il s'agit aussi de reconnaître des droits aux enfants dans la tranche 0-6 ans. Aujourd'hui, lorsque l'enfant n'est pas capable de discernement, le juge n'est pas dans la capacité de commettre d'office un avocat. Les avocats qui exercent et se spécialisent dans la justice des mineurs sont de très grande qualité. Tous les juges des enfants vous le diront et les rapports des tribunaux pour enfants le soulignent et s'en satisfont unanimement. Or, dans les hypothèses, lorsque l'enfant est victime de maltraitance, avérée ou supposée, de ses propres parents, le juge des enfants devrait avoir la possibilité de lui désigner un avocat commis d'office pour que sa parole soit entendue et qu'il y ait cette espèce d'intermédiaire auquel vous faisiez allusion, Madame la Députée.

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J'ai une question à vous poser à Mme Danko. Vous avez indiqué avoir été juge des enfants en Métropole et en Outre-mer. Y a-t-il des spécificités en Outre-mer ? Les problématiques sont-elles les mêmes ? Si oui, pouvez-vous nous exposer un peu ces problématiques ?

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Claire Danko, membre du bureau national

Monsieur le Président, vous relevez mes propos comme un juge d'instruction. Effectivement, je l'ai dit sciemment parce que l'exercice de la fonction de juge des enfants en Outre-mer a très peu à avoir avec l'exercice de cette fonction en Métropole. Vous me permettrez d'élargir la réponse à tous nos collègues sympathisants de notre syndicat qui nous font remonter leur expérience dans les Outre-mer. L'exercice est très différent par rapport au lieu où l'on exerce ses fonctions.

D'abord, on est très éloigné, ce qui pose un véritable problème. Ensuite, les dispositifs sont encore plus pauvres, voire insuffisamment déployés, par rapport à la métropole ? Les professionnels sont de bonne volonté mais on fait avec les moyens du bord mais surtout avec des distances géographiques qui sont conséquentes, des dispositifs qui sont insuffisants et qui sont très rapidement saturés et des moyens humains et financiers qui sont très faibles. C'est compliqué, mais cela n'est pas impossible. Cependant, il est très rare qu'un focus soit porté sur la façon dont on exerce la protection de l'enfance en Outre-mer, sur les dispositifs à mettre en place pour soutenir la protection de l'enfance. C'est une question fondamentale pour notre organisation syndicale et je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir posé cette question.

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Plusieurs personnes ont accusé de collusion l'ASE et le juge. Les parents ne se sentent pas écoutés parce que le juge ayant beaucoup de dossiers - il serait d'ailleurs intéressant de savoir la moyenne de dossiers gérés par les juges. Pouvez-vous faire une juste représentation de la situation en vous basant sur le rapport de l'ASE ? Visiblement, tout se fonde sur ce rapport.

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Claire Danko, membre du bureau national

Je me garderai de porter de telles accusations. Le nombre de dossiers est variable en fonction du cabinet, mais il sera toujours trop important. Le temps d'audience sera proportionnel au nombre de dossiers. Après, il y a le temps de la rédaction, d'entendre la famille. Le rapport de l'aide sociale à l'enfance fait-il foi pour un juge des enfants ? On ne peut absolument pas soutenir cela. Parfois les rapports n'existent pas ou nous sont adressés tardivement, ce qui pose un vrai problème de contradictoire par rapport aux parents.

Il est évident que le juge des enfants entend les parents. C'est un échange contradictoire. Les audiences en assistance éducative partent de ce principe. Après, Madame la députée, vous le saviez bien, nous devons travailler avec l'adhésion des parents. Lorsque les conclusions de l'aide sociale à l'enfance ne sont pas partagées par les parents, cela peut créer quelques crispations. Il est du rôle de chacun d'arriver à bien comprendre que l'on n'avancera pas dans le conflit et sans les parents.

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Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré. Nous continuons nos travaux.

La réunion s'achève à dix-sept heures.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 16 h 15

Présents. - Mme Delphine Bagarry, Mme Nathalie Elimas, Mme Nadia Essayan, Mme Perrine Goulet, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier

Excusée. - Mme Jeanine Dubié