Vous avez fait une allusion à la problématique des placements. Vous êtes en train de découvrir ce que nous faisons au quotidien, c'est-à-dire du bricolage. Ce bricolage peut aller jusqu'à un détournement de procédures. Je ne sais pas si on aura le temps d'en parler, mais il y a dans votre sujet un aspect qu'il ne faut jamais oublier, celui de l'augmentation du nombre de mineurs non accompagnés (MNA). On est typiquement dans un détournement de procédure puisque la procédure utilisée pour les MNA devrait être une procédure de tutelle. Or aujourd'hui, on est sur une autre procédure. On utilise en effet la procédure d'assistance éducative, avec toutes les conséquences que je ne décrirai pas ici. Finalement, le juge des enfants se retrouve avec un stock de procédures d'assistance éducative avec des obligations de placement. On voit bien que l'on touche du doigt la confusion des procédures. Comme on n'a pas les moyens, on bricole ; comme on bricole, on détourne ; comme on détourne, on arrive à des confusions.
La réalité – et c'est là où je m'adresse à vous parce que cela me semble être la chose la plus importante – est qui aujourd'hui doit être responsable de cet état de fait ? Est-ce la justice ? Est-ce le département ? Est-ce un problème de politique globale, sachant que l'on est sur une problématique non conjoncturelle mais structurelle ? Quand c'est conjoncturel, le bricolage peut « s'entendre ». On a tous connu cela, on fait avec les moyens du bord. Cependant, les MNA ne sont pas conjoncturels mais structurels. Jusqu'à quand va-t-on accepter ces détournements de procédures, sachant que l'on a un nombre extrêmement contraint de places ? Quelle place le politique a-t-il envie de donner à l'assistance éducative en France ?
Les MNA sont un problème de politique publique et non pas judiciaire. C'est un peu comme le droit d'asile, c'est une question de politique publique. Qu'attend notre pays ? Comment fait-on ? Sommes-nous toujours dans des vases communicants ? Il y a une responsabilité des politiques publiques et on repasse le bébé au judiciaire parce qu'il est plus facile d'ouvrir une procédure d'assistance éducative, que de faire une procédure de tutelle qui relève du département. La question n'est pas de dire qu'il ne faut rien faire. La question est : qui fait quoi et à quel niveau ?
La justice est déjà en grande difficulté. À quoi cela sert-il de faire des procédures coûteuses, chronophages, avec des magistrats qui s'investissent, si elles ne sont pas mises en place derrière ? Il faut que vous ayez une vision globale. Aujourd'hui, je pense que c'est aussi l'objet de votre mission et Mme Danko vous en dira sans doute un mot, c'est le positionnement de l'ASE. Qui fait quoi ? Qui est pilote ? C'est bien de dire qu'on veut plus d'ASE, mais déjà faut-il encore voir ce qu'elle fait et comment elle le fait. Les départements ont des budgets et des politiques différentes. Or nous, magistrats, nous ne sommes pas sur ces logiques.