Le dispositif de protection de l'enfance présente une dualité originale puisqu'il revêt à la fois un caractère administratif et judiciaire. L'Aide sociale à l'enfance en est le dénominateur commun. Le conseil départemental est au coeur du dispositif de protection de l'enfance, depuis les réformes de 2007 et de 2016 qui ont affirmé, notamment, le principe de subsidiarité du judiciaire sur l'administratif. Le conseil départemental intervient à toutes les phases : le repérage de situations de danger ou de risque de danger, l'évaluation de la situation, la recherche d'une réponse adaptée, la prise en charge de mesures éducatives administratives, le signalement à l'autorité judiciaire des situations de danger, l'exécution des mesures de placement et le suivi des jeunes majeurs.
Ce que l'on peut dire déjà dans un premier temps, c'est que l'objectif de la loi du 5 mars 2007 de déjudiciariser la protection de l'enfance au profit des conseils départementaux a échoué. Concrètement, le nombre de saisines de l'autorité judiciaire a continué d'augmenter. Près de 70 % des mesures éducatives sont judiciaires. La loi de mars 2016 a eu pour objectif de mieux répondre aux besoins fondamentaux de l'enfant, de placer ce dernier au centre du dispositif de protection de l'enfance et d'adapter le statut des enfants placés depuis de nombreuses années. Ces objectifs n'ont été que très partiellement atteints. Force est de constater que le parcours des enfants faisant l'objet d'une mesure de protection sur le long terme reste bien souvent chaotique. Enfin, l'augmentation constante des saisines de l'autorité judiciaire a conduit à une saturation complète des dispositifs administratifs et judiciaires de protection de l'enfance.
Je vais développer mon propos en six points. L'idée est d'énumérer les différentes difficultés que nous avons constatées dans notre pratique. J'ai en effet exercé les fonctions de juge des enfants à plusieurs reprises. Je suis vice-présidente placée auprès du président de la cour d'appel de Grenoble. J'ai exercé en remplaçant des juges des enfants dans plusieurs juridictions. Quant à mon collègue, il a notamment exercé les fonctions de substitut.
S'agissant des mesures d'investigation, la mesure judiciaire d'investigation éducative, qui est une mesure pluridisciplinaire, a pour objet de diagnostiquer une situation familiale dans toutes ses différentes problématiques et d'apporter une proposition de réponse. Les rapports sont d'une grande qualité mais cela prend beaucoup de temps et c'est très cher. En conséquence dans certains départements, les mesures judiciaires d'investigation éducative ne sont plus prises en charge, ce qui entraîne un retard dans la prise en charge des situations familiales.
En outre, il n'est pas toujours nécessaire d'avoir une mesure d'investigation aussi lourde. Il ne serait pas inutile d'avoir des mesures d'investigation plus légères et plus rapides.
Le deuxième type de difficultés sont celles relatives à l'exécution des décisions judiciaires. Je me doute que nous ne sommes pas les premiers à vous en parler. Ce sujet a dû être récurrent parce que c'est vraiment le coeur. S'il y a un message que nous souhaitons faire passer aujourd'hui, c'est celui-ci. C'est un problème majeur que l'on rencontre sur tout le territoire. On constate que les mesures judiciaires de placement sont très souvent exécutées avec retard, voire pas du tout, par les conseils départementaux. Le plus souvent, ces mesures ne sont pas exécutées faute de places disponibles en famille d'accueil ou en foyer et faute de moyens suffisants alloués par les conseils départementaux à la protection de l'enfance.
Il arrive également que les conseils départementaux refusent purement et simplement d'exécuter une décision de placement, sans pour autant faire appel de la décision, considérant qu'ils ne disposent pas de structures adaptées et que l'enfant relève en réalité du champ médical. Je pense que tous les juges des enfants pourraient avoir un exemple à vous donner en l'occurrence. Il est vrai qu'il existe des enfants qui présentent de graves troubles de la personnalité et le système de santé est parfois démuni : il n'y a plus de places en service de pédopsychiatrie et en IME. C'est très difficile parce que parfois il y a une problématique éducative et une problématique médicale. Et parfois, le gros problème, c'est le médical. L'Aide sociale à l'enfance ne dispose pas de structures adaptées à la prise en charge de ces enfants qui présentent des difficultés.
Il y a donc le problème du retard de l'exécution mais aussi de l'inexécution des modalités des mesures de placement. Il s'agit du droit de visite médiatisé et des relations de fratrie. En principe, les frères et soeurs doivent rester ensemble et si ce n'est pas le cas, ils doivent pouvoir se rencontrer pour maintenir le lien. Souvent, ce n'est pas le cas, faute de structures et de moyens humains. Lorsque les modalités des mesures de placement ne sont pas exécutées, cela pose un problème. Cela signifie que le juge est dans l'incapacité de faire exécuter sa décision qui est ineffective. Aussi sa parole est décrédibilisée à l'égard des parents qui sont parfois demandeurs des mesures de placement ou ceux qui ne parviennent pas à voir leurs enfants alors qu'ils en ont le droit. À partir de là, il devient difficile d'obtenir leur collaboration, ce qui est compréhensible.
C'est ce qui fait que l'USM sollicite davantage de structures d'accueil diversifiées, adaptées à des enfants présentant des troubles de la personnalité, le développement de placements à domicile et des structures permettant des visites médiatisées à la mesure des besoins.
En ce qui concerne les mesures de placement sur le long terme, nous n'avons pas de solutions à vous apporter, mais il est nécessaire qu'une réflexion soit menée sur le sujet. Il s'agit d'enfants dont les parents sont présents mais ces derniers ont des difficultés très importantes qui empêchent le retour au domicile de leurs enfants. Ces enfants sont obligés de faire leur vie ailleurs, ce qu'ils font. Mais, il arrive que l'institution elle-même ne soit pas à la hauteur, devienne maltraitante et crée des ruptures dans le parcours. Je citerai l'exemple d'enfants placés depuis de très nombreuses années au sein de la même famille d'accueil où l'assistante familiale part à la retraite. Cela crée une rupture qui est très difficile à vivre pour ces enfants.
Pour ce qui est des jeunes majeurs, de très nombreux départements ne financent plus ou de moins en moins les mesures. Le nombre de jeunes qui font l'objet de mesures d'assistance éducative qui se retrouvent sans aucun soutien à leur majorité est très important. C'est d'autant plus injuste que, par définition, ce sont des jeunes très vulnérables qui ne peuvent pas compter sur un soutien familial. Aujourd'hui, à 18 ans, il est très rare d'être en capacité de s'assumer psychologiquement et financièrement. Pour les enfants qui ont fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative, qui donc ont eu une histoire douloureuse, c'est illusoire. L'USM demande que chaque jeune majeur ayant fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative puisse bénéficier d'une prise en charge éducative et financière jusqu'à ses 21 ans.
Quand on dit jeune majeur, on fait aussi référence à la question des mineurs non accompagnés. On assiste depuis quelques années à l'émergence de difficultés supplémentaires dues à l'arrivée sur le territoire national de jeunes migrants, phénomène qui a déséquilibré le dispositif de protection de l'enfance. Premièrement, on a toute la question de l'évaluation de la minorité. S'ils sont mineurs, ils bénéficient d'une prise en charge. S'ils ne le sont pas, il n'y a rien. L'enjeu est donc extrêmement important pour ces jeunes. Deuxièmement, cela fait beaucoup plus de jeunes à prendre en charge par les conseils départementaux. Il a donc fallu assurer le financement de davantage de mesures. Toutefois, il est indispensable d'allouer plus de moyens à la protection de l'enfance, compte tenu de l'arrivée de ces familles.
Les difficultés intrinsèques à la justice des mineurs sont aujourd'hui très importantes. L'objectif de déjudiciarisation de 2007 a été un échec. Aujourd'hui, les cabinets des juges des enfants sont saturés. Dans le même temps, les juridictions ont été confrontées à des vacances de postes très importantes. L'USM estime la charge normale d'un cabinet à 350 ou 400 dossiers. Or un grand nombre de juges ont en charge 600 à 800 cas. Cela rend impossible une justice des mineurs de qualité. Il y a également un grand nombre de postes vacants dans les greffes des tribunaux pour enfants qui sont déjà largement sous-évalués. En 2012, 70 % des juges des enfants étaient contraints de tenir leurs audiences éducatives sans greffier.
Ces vacances de postes de magistrats et de greffiers créent une surcharge de travail considérable. Ceci peut également se traduire par des mesures d'assistance éducative renouvelées sans audience, en dépit de tous les principes que nous sommes censés respecter et appliquer. Les jugements sont peu ou pas motivés et des retards importants sont à noter dans la notification des décisions, donc dans la prise en charge des situations. L'USM demande à ce que les vacances de postes des juges des enfants et des greffiers soient comptées prioritairement, que chaque juge des enfants puisse tenir ses audiences en assistance éducative en présence d'un greffier, conformément aux règles de procédures civiles et que la circulaire de localisation des emplois soit réévaluée.
Pour conclure, je dirais que la protection de l'enfance est un enjeu essentiel dans toute démocratie. La qualité de celle-ci reflète l'importance accordée aux plus vulnérables. C'est également la plus efficace des préventions de la délinquance des mineurs. L'enjeu est tel qu'il exige des moyens à la hauteur des besoins, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. En effet, les dispositifs de protection de l'enfance sont totalement saturés et dans l'incapacité de prendre en charge la totalité des mesures ordonnées judiciairement. Je vous remercie.