Intervention de Brice Castel

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 14h00
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Brice Castel, co-secrétaire général du Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUAS-FP FSU) :

Nous parlons d'environ 2 500 assistants de services sociaux. Deux autres services sociaux de l'Éducation nationale, les services sociaux en faveur des personnels et ceux en faveur des étudiants, complètent ce chiffre.

Les assistants de service social interviennent au sein des établissements d'un secteur, essentiellement dans le second degré – collèges et lycées. Le secteur est composé d'un établissement dans le meilleur des cas, jusqu'à six ou sept établissements, pour un assistant social. Cela dépend des choix du directeur académique et des moyens dévolus au département.

S'agissant de la protection de l'enfance, le rôle du service social en faveur des élèves s'articule autour de trois axes principaux : la prévention qui englobe le repérage et l'orientation ; la coordination, notamment le lien entre l'ASE et l'Éducation nationale et puis une question de plus en plus prégnante qui est celle des mineurs non accompagnés au sein des établissements.

On peut relever trois niveaux de prévention : la prévention primaire se rattache essentiellement à la question du soutien à la parentalité, à l'ensemble des élèves et des familles. Elle consiste à apporter des conseils éducatifs à travers des actions collectives notamment dans le cadre du comité d'éducation à la santé, à la citoyenneté au sein chaque établissement.

La prévention secondaire s'adresse aux élèves et aux familles chez lesquelles des difficultés ou des fragilités ont été repérées. Nous travaillons individuellement par le biais d'entretiens pour essayer de lever les freins, de relever les potentialités des élèves, des familles, des enfants et des familles afin de résoudre les difficultés dans le cadre d'un accompagnement social.

La prévention tertiaire s'adresse aux élèves en cas de mise en danger ou en tout cas d'un risque de mise en danger réelle, caractérisée, qui implique un besoin de protection de l'élève. Le service social scolaire mène une première évaluation qui généralement se traduit par un accompagnement de la famille ; ensuite, il oriente l'enfant pour une demande d'aide éducative ou une demande de placement – les possibilités sont relativement nombreuses.

La transmission d'un signalement ou d'une information préoccupante est un outil à la disposition du service social en faveur des élèves, ce n'est pas une fin en soi. Nombreuses sont les situations où l'on n'a pas recours à une information préoccupante. Il n'y a pas de transmission parce que le travail au quotidien avec les partenaires, notamment le conseil départemental, permet des échanges et la mise en oeuvre de mesures sans pour autant passer par une information préoccupante.

Le service social en faveur des élèves au sein des établissements est aussi reconnu comme un acteur de conseil technique auprès des chefs d'établissement, des équipes éducatives : enseignants, CPE et infirmières scolaires.

C'est un service qui a besoin de temps pour être reconnu au sein de son établissement. Il réalise un travail au quotidien, il fait infuser ses idées sur la protection de l'enfance, sur ce que signifie accueillir un enfant, recueillir sa parole, échanger avec les parents. C'est quelque chose qui s'apprend, qui demande beaucoup de temps. Les assistants sociaux scolaires sont des personnels formés à cet effet au sein des établissements scolaires.

J'en viens maintenant au travail de partenariat avec le conseil départemental, notamment avec l'ASE, à la coordination des élèves qui sont accueillis dans les dispositifs de l'ASE et qui sont scolarisés.

La scolarisation des enfants accueillis par l'ASE est souvent complexe. Elle est faite d'un certain nombre de ruptures au cours de la scolarité. La question de la temporalité est centrale dans de telles situations, puisque l'école raisonne sur une temporalité bien plus courte et bien plus contrainte que l'année scolaire ; l'ASE, le champ social raisonnent sur une temporalité beaucoup plus longue. L'ASE doit tenir compte du rythme de l'enfant et des parents. Il s'agit en général d'un premier point de tension entre l'école et l'ASE en général.

Le deuxième point de tension tient en ce que la vie de classe, la vie à l'école, impose un cadre collectif, régi par des règles et des codes. Les enfants accueillis à l'ASE peuvent parfois avoir une réelle difficulté quant au respect des règles, voire ne pas avoir acquis certains codes qui paraissent implicites à l'école. Une telle situation génère obligatoirement des tensions et des points de crispation au sein de l'école qui sollicite à de nombreuses reprises l'ASE, sans pour autant avoir de réponses satisfaisantes, voire elle a l'impression de pas avoir de réponses, deux éléments qui ajoutent aux crispations.

Les assistants de service social sont des professionnels qui sont à la croisée des regards, ils ont une double culture : le travail social de par leur formation, l'Éducation nationale de par leur employeur et leur lieu d'exercice.

Cela nous permet de faire le lien entre ces deux institutions, de partager des informations avec les acteurs de la protection de l'enfance, de les diffuser aux personnels de l'établissement pour aider à la compréhension de la situation et de ce qui peut poser problème. Nous sommes soumis au secret professionnel dans l'établissement avec les infirmières, elles-mêmes soumises au secret médical. La relation avec l'ASE en est d'autant facilitée pour nous, les échanges informations étant plus simples. Nous avons également la capacité à expliciter les codes et les sigles de l'ASE, mais aussi ceux de l'école qui sont aussi nombreux et qui ne sont pas les mêmes que ceux de l'ASE. Nous servons donc de facilitateurs ; tel est l'intérêt de notre rôle.

Pour les mineures non accompagnés (MNA) et les jeunes majeurs sans titre de séjour, qui sont un certain nombre, l'école reste un des rares services publics où l'accueil est inconditionnel. Cela ne veut pas dire qu'elle le soit toujours dans les faits, mais théoriquement, l'accueil est inconditionnel. Pour les MNA, l'école est un lieu de référence, un lieu qu'ils vont investir, qu'ils considéreront comme une chance pour s'intégrer à la société par l'apprentissage de la langue, un projet professionnel et de formation. Dans le même temps, il n'y a pas souvent, voire pas du tout, de relais à l'extérieur, ce qui implique que l'établissement scolaire se retrouve à gérer beaucoup de demandes de MNA qui dépassent le simple cadre scolaire. C'est ainsi que les ASE scolaires sont régulièrement saisis de demandes relevant de besoins primaires concernant les repas, l'hébergement, la vêture. Cette situation conduit à mobiliser, à la fois l'interne – le Fonds social, les internats – mais aussi tous les réseaux de soutien citoyens ou associatifs qui existent dans la mesure où les prises en charge de MNA par le conseil départemental sont rares au regard du nombre de MNA présents dans les établissements scolaires.

Aujourd'hui, de nombreux collègues nous disent leur épuisement face à la perte de sens de leur intervention auprès des MNA. On constate une montée des risques psychosociaux sociaux ; certains collègues expérimentés quittent ce secteur pour rejoindre des secteurs où les MNA sont moins nombreux, parce qu'ils sont épuisés et que les situations sont insupportables à vivre.

Il existe un certain nombre de freins à l'intervention du service social scolaire.

Le premier est une méconnaissance institutionnelle. On ne compte plus les nombreux rapports et plans d'action qui font l'impasse sur l'existence même du service social scolaire. J'en veux pour preuve la circulaire de rentrée sur l'école inclusive parue aujourd'hui : pas une seule fois, le service social scolaire n'est nommé alors même que les sujets qui sont abordés dans ces rapports sont au coeur de nos missions. Cette méconnaissance peut s'expliquer par deux raisons majeures : en raison de leur taille, les services sociaux sont des services confidentiels. Par ailleurs, leur présence est perlée au sein des établissements et se limite à une journée ou deux journées par semaine. Quand un assistant de service social est présent le lundi dans un établissement qu'il n'y revient que le lundi suivant, bien des choses se sont passées en termes d'identification. La nature, par essence, a horreur du vide. On s'adresse aux autres personnes présentes.

La confidentialité de ce service est liée à une méconnaissance plus générale des missions des services sociaux et des compétences acquises lors de la formation initiale. L'assistant de service social est reconnu dans ses missions d'accès au droit, bien moins dans ses compétences psychosociales qui constituent pourtant le socle de sa formation initiale.

Le troisième frein tient à la notion de secret professionnel qui nous oblige à être discrets au sein même des établissements sur ce qui s'y passe et sur ce que les élèves peuvent nous confier. Notre exercice n'est donc pas toujours rendu visible.

Enfin, nous sommes essentiellement implantés dans le second degré. S'il est vrai que depuis quelques années, notamment dans le cadre de l'éducation prioritaire, nous commençons à intervenir, notre intervention se limite à des conseils techniques, non pas à des interventions directes avec les élèves et les familles. Or, le Syndicat de tous les assistants sociaux de la fonction publique considère que la présence du service social est indispensable tant dans le premier que dans le second degré.

Dans le second degré, le collège est le temps de la pré-adolescence et de l'entrée dans l'adolescence, sources de mises en danger et de difficultés éducatives pour les parents ou pour l'équipe éducative. Un réel besoin d'accompagnement est nécessaire qui s'avère nécessaire au lycée, notamment pour « les vieux mineurs-jeunes majeurs ». Nous rencontrons des situations qui peuvent amener à des ruptures familiales et à des difficultés d'accès à l'autonomie. Les lycéens jeunes majeurs notamment ont accès à peu d'interlocuteurs hors de l'Éducation nationale. Je ne reviens pas sur les contrats Jeune majeur. Pour autant, nous considérons que le service social aurait toute sa place dans le premier degré. C'est pourquoi nous revendiquons la création d'un quatrième service social à l'Éducation nationale, un service social du premier degré. Il nous paraît essentiel d'intervenir à ce moment-là pour accompagner les familles et les élèves, pour repérer des situations qui ne le sont souvent qu'à l'entrée au collège et qui se sont installées.

Nous avons évalué le besoin à près de 5 000 postes. Nous nous sommes référés au nombre de 5 000 psychologues du premier degré de l'Éducation nationale. Cela paraît beaucoup quand on parle d'un service de 2 900 rapporté au nombre de personnels de l'Éducation nationale qui est d'un million. C'est un choix à faire, mais ce n'est pas énorme en proportion.

En conclusion, on pourrait dire que les assistants de service social, que ce soit dans leur dimension de prévention, de repérage, d'accompagnement ou de protection, développent des compétences qui sont souvent inexistantes au sein des établissements scolaires. L'assistant de service social est une personne-ressource pour les personnels de direction, les enseignants et les autres membres des équipes éducatives. Pourtant, le manque de moyens ne permet pas à ce service de prendre pleinement sa part dans la protection de l'enfance. L'obligation de travailler dans l'urgence entraîne une incapacité à investir pleinement ce sujet et prive les établissements scolaires de compétences fortes et indispensables.

En moyenne, selon les derniers chiffres, au titre de la protection de l'enfance, le service social en faveur des élèves est à l'origine de plus de 60 % des signalements faits par l'Éducation nationale et de plus de 80 % des recueils d'informations préoccupantes. Je parle du second degré, puisque nous sommes peu présents dans le premier degré.

Dans le premier degré, les transmissions d'informations par les personnels enseignants peuvent être sources de difficultés pour les enseignants et contre-productifs au regard de la technicité à mobiliser dans le relationnel avec les parents pour que cela puisse prendre du sens et être un point de départ à la restauration de la fonction parentale et non pas un point final à la relation école-parents.

Plus généralement, la protection de l'enfance est multiforme et implique des compétences particulières. La synergie des équipes éducatives est indispensable et l'assistant de service social est un professionnel moteur sur cette question.

Le manque de moyens et la méconnaissance de ses compétences ne permettent pas toujours d'asseoir son intervention de façon pérenne et c'est par un investissement important auprès des services sociaux que cette question de la protection de l'enfance pourra devenir non pas une politique en plus au sein de l'Éducation nationale, mais une politique présente dans l'ensemble des autres politiques éducatives.

Je conclurai par une citation de M. Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du Conseil national de la protection de l'enfance. Dans une interview, parue fin avril, dans Lien social, il a déclaré « Alors que la première ligne de protection des enfants est familiale, tous les pans du dispositif de proximité susceptibles d'aider les parents sont en crise : le service social scolaire et le service de promotion de la santé en faveur des élèves sont toujours exsangues, la pédopsychiatrie souvent inexistante, la pédiatrie souffre, la PMI « médecine de quartier » facilement accessible régresse et dans dix-sept départements la prévention spécialisée n'existe déjà plus. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.