Intervention de Salvatore Stella

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 16h30
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Salvatore Stella, président du Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (CNAEMO) :

En termes de diversification, bien que je vous aie dit tout à l'heure que les dispositifs étaient très différents d'un territoire à l'autre, il existe tout de même des catégories de dispositifs :

Le milieu ouvert traditionnel, sous la forme judiciaire : à savoir l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ;

Le milieu ouvert sous la forme administrative : c'est-à-dire, l'accompagnement éducatif à domicile (AED) ;

Le placement.

Entre les deux, il existe de l'AEMO ou de l'AED intensive, sans hébergement. Dans ce cadre, le travailleur social passe beaucoup plus régulièrement et le relationnel est accentué avec l'enfant et sa famille.

Il existe également les AEMO renforcées, avec hébergement, ce qui signifie des moyens renforcés. La fréquence d'intervention peut être du 24h24 7 jours7, ce qui n'est pas le cas des services traditionnels en milieu ouvert qui interviennent du lundi au vendredi ou du lundi au samedi et non le dimanche ni les jours fériés. Au sein du service que je dirige, le SEMO, nous avons un système d'astreintes et si nous avons besoin d'héberger à 18 ou à 22 heures, nous pouvons déclencher toute une panoplie de moyens pour mettre en place l'hébergement dès le soir même, ce qui évite des placements, ce qui évite des allers-retours avec les magistrats et les ordonnances provisoires réalisées à la hâte.

Une dernière catégorie est le placement à domicile qui fait partie des dispositifs de diversification de la loi de 2007. L'AED et l'AEMO avec hébergement concerne le milieu ouvert, avec possibilité d'hébergement. Le placement à domicile reste un placement, mais le jeune peut rester un certain nombre de fois chez lui. Les responsabilités ne sont pas les mêmes, mais l'intervention en elle-même peut devenir assez similaire entre l'un et l'autre.

Les moyens et les prix de journée sont différents selon les catégories. Dans le milieu ouvert traditionnel, la mesure s'élève environ à 8 euros par jour. Dans le cadre de l'action éducative intensive, sans hébergement, les moyennes sont de 17 à 20 euros. S'agissant de l'AEMO et l'AED renforcée avec hébergement, les mesures s'élèvent en moyenne de 45 à 50 euros. Le PEAD peut atteindre facilement 75, 80 ou 85 euros. Le coût d'un placement peut commencer à 120 ou 130 euros et atteindre trois fois ce coût.

Voilà les catégories que nous pouvons mettre en place aujourd'hui. Concernant l'AEMO et l'AED renforcée avec hébergement, les dispositifs sont différents selon les territoires, puisqu'ils ne répondent pas à un cadre législatif. Entre le milieu ouvert et le placement, ce sont souvent des initiatives qui se construisent de deux façons sur le terrain. Soit par opportunité. Une sous-activité dans un domaine permet au financeur et à l'association de décider de nouveaux dispositifs à mettre en place. Soit par un réel projet qui a été proposé soit par l'association, soit via un appel à projets du Département, qui est inscrit dans un schéma départemental. Cela se fait plus souvent par opportunité et régulation de l'activité, ce qui peut parfois poser un certain nombre de problèmes. La diversification implique une articulation entre les différents services. Si l'action ne se fait que par opportunité et n'est pas inscrite dans un schéma, la diversification peut rimer avec confusion.

Vous avez fait référence à mes propos sur le milieu rural et le milieu urbain. La pertinence d'une mesure de protection de l'enfance s'étudie à l'échelle de toutes les réponses qui peuvent être apportées. Je vais vous donner des exemples très simples. Quand un magistrat écrit, dans un jugement qu'il faut un étayage important, que le jeune doit sortir de chez lui, qu'il doit aller au centre de loisirs, etc. mais qu'il n'existe aucun moyen de transport dans les 30 ou 40 kilomètres alentours ni aucun centre de loisirs à proximité, un dispositif important doit être mis en place. Le résultat ne sera donc pas tout à fait le même que sur un territoire plus urbain où il existe, pour les jeunes majeurs, des foyers de jeunes travailleurs. Dans ce cas, l'AEMO renforcée n'est pas toujours nécessaire parce qu'il existe d'autres solutions sur le territoire. Il faut considérer largement la pertinence de la mesure en fonction des possibilités existant dans le territoire et des possibilités hors du champ de la protection de l'enfance (prévention, éducation populaire, animation, etc.). Cette donnée est importante. En milieu rural, la situation en termes de mobilité et de transports peut poser problème pour mettre en place des dispositifs qui sont très simples dans d'autres territoires, comme à Paris. Le jeune peut avoir besoin d'aller dans un club de sports, de sortir de son environnement familial, ce qui peut s'organiser très facilement en travaillant sur l'autonomie, l'usage des transports, etc. alors que dans d'autres territoires, ce type de mesure demande une grande énergie. Le risque est de ne pas la mettre en place. C'était en ce sens que je parlais des différences territoriales.

Les services doivent également s'organiser en fonction de l'organisation du territoire. Je m'explique. De nombreux services de milieu ouvert sont sectorisés. Le service que je dirige comprend huit équipes différentes, positionnées sur le territoire du Calvados, avec des antennes à Caen, dans le Pays d'Auge, sur la côte, sur le Bessin, etc. En d'autres endroits, comme dans la Sarthe, le territoire ne nécessite pas de déconcentrer les secteurs. Il est important d'avoir une adéquation entre le territoire et l'organisation des services, ce qui n'est pas toujours le cas, pour différentes raisons, mais notamment pour des raisons financières. Des équipes déconcentrées nécessitent de disposer de différents locaux, de payer plusieurs loyers, d'assurer des transports entre les uns et les autres. Il faut donc que la forme d'organisation soit adaptée par rapport au territoire. Il me paraît important de rappeler que ce qui est valable sur un territoire ne l'est pas forcément sur un autre. Mes propos allaient plutôt en ce sens et ne consistaient absolument pas à dire que certains territoires disposent de moins d'équipes ou que le Département délaisse un territoire pour un autre.

Que faudrait-il améliorer aujourd'hui ? Je vais vous donner un exemple assez simple. Je dirige quatre services différents de milieu ouvert, au sens du code de l'action sociale : l'AEMO traditionnelle, le SEMO qui est un service d'AEMO renforcée avec hébergement, un service pour grands mineurs et jeunes majeurs de protection en milieu ouvert et un quatrième service d'investigation, de médiation familiale, etc. concernant la parentalité et l'aide à la décision du magistrat. Si nous estimons, à un moment donné, qu'il serait préférable qu'un jeune, qui est suivi dans l'un de ces services, passe en AEMO renforcée avec hébergement, alors que le directeur est le même pour les quatre services, qu'il connaît les places disponibles et que le besoin est repéré, il serait utile de ne pas avoir à attendre la décision d'un magistrat ou d'un Conseil départemental. Le délai peut durer des semaines, voire des mois, ce qui est difficile pour les professionnels qui ont fait l'évaluation et ce qui est dommage au vu d'une situation qui se dégrade. Le CNAEMO et les professionnels demandent de pouvoir faire de la régulation entre les mesures, de bénéficier d'une souplesse, sans avoir à attendre une décision. Dans les services que je dirige, j'ai plusieurs cas où nous ne pouvons pas moduler d'une mesure à une autre sans décision.

Cela dit, l'expérimentation du SEMO est très intéressante. Depuis 1974, lorsque nous mettons en place un hébergement, selon les différentes lois de 2002, 2007 et 2016, il faut une autorisation du magistrat. Dans le cadre du SEMO, nous pouvons héberger sans revenir vers le magistrat et le Conseil départemental. Les trois acteurs principaux, les magistrats, les Départements et l'association, se sont mis d'accord sur le fait de pouvoir héberger à tout moment, sans une nouvelle décision d'un magistrat, ce qui fonctionne depuis 45 ans. En d'autres termes, quand un magistrat a confié la mesure au SEMO, il offre une palette de possibilités, y compris l'hébergement, sans avoir besoin d'une nouvelle décision judiciaire.

Je vais prendre l'exemple d'une situation extrêmement conflictuelle entre les parents et les enfants, un vendredi, à 16 heures 30. L'une se passe à l'AEMO et l'autre au SEMO. À l'AEMO, je n'ai pas d'hébergement. Si nous ne pouvons pas solutionner le conflit en cours, il faudra recourir à une décision de magistrat. Au vu de l'heure, nous travaillerons avec le magistrat de permanence et le procureur qui établiront une ordonnance provisoire. Quinze jours plus tard, une audience confirmera ou non un placement de six mois. Au sein du SEMO, nous pouvons déclencher directement un hébergement. Nous arrivons ainsi à faire descendre la tension en cas de crise. Le but du SEMO n'est pas d'héberger pendant des semaines. Nous faisons soit de l'hébergement ponctuel d'un à trois jours, le temps de trouver d'autres solutions et que la crise s'apaise, soit de l'hébergement périodique. Nous travaillons par exemple l'autonomie et la séparation d'un jeune qui rentre dans un parcours de professionnalisation ou qui doit partir de chez lui pour aller en internat, en l'hébergeant une fois ou deux par semaine.

L'hébergement dit de protection sera donc très différent selon l'AEMO et le SEMO. La modulation serait vraiment intéressante. Une situation nous arrive à un instant T par un jugement et il nous est fait état d'un certain nombre de difficultés. Deux mois plus tard, les difficultés peuvent être plus importantes ou moindres. Il serait intéressant de pouvoir moduler, intensifier ou réduire l'accompagnement, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui. Dans le cadre d'une mesure, il faut refaire état au magistrat et au Département, ce qui peut parfois durer un certain temps. Nous sommes parfois dans des situations de rupture où nous n'avons pas l'équipement nécessaire pour mettre en place un dispositif, ce qui est très frustrant.

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