Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Jeudi 6 juin 2019
La séance est ouverte à seize heures trente.
Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents
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Nous poursuivons nos auditions en recevant le président du Carrefour National de l'Action Éducative en Milieu Ouvert, Monsieur Salvatore Stella. Cette audition nous permettra d'en savoir plus sur cette solution qui fait partie de l'une des multiples modalités de mode d'accueil que connaissent les enfants relevant de l'ASE. Quels types d'enfants sont concernés ? Cette solution est-elle souvent utilisée ? Comment est-elle expliquée et ressentie par les enfants et les familles ? Que faudrait-il améliorer ? Ce sont autant de questions concrètes que nous allons aborder avec vous, après que vous nous aurez brièvement présenté le Carrefour national de l'action éducative. Je vous laisse environ dix minutes de propos liminaires. Nos collègues vous poseront ensuite des questions, en priorité Madame la rapporteure.
Merci. Bonjour à toutes et à tous. Merci d'accueillir le Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (CNAEMO) que je représente aujourd'hui et que je préside depuis 2015. Le Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert est un mouvement national qui représente aujourd'hui une centaine d'associations et de services. Je rappelle qu'il existe environ 160 services prenant en charge des enfants dans le cadre de leur milieu d'origine. On peut remplacer le mot « milieu ouvert » par « milieu d'origine ». 10 000 enfants sont aujourd'hui pris en charge, en protection de l'enfance, à partir de leur milieu naturel et non par une autre modalité. Il convient de le repréciser. Le Carrefour national de l'action éducative représente également environ 4 900 professionnels et comprend 200 adhérents personnes physiques.
Il existe depuis 40 ans. Sa création coïncide aux premières lois de décentralisation. Un certain nombre d'acteurs, sur le territoire, se sont demandés si la décentralisation ne risquait pas d'instaurer des iniquités territoriales, question qui est posée encore aujourd'hui. Nous fêterons, l'année prochaine, les 40 ans d'existence de ce mouvement, sachant qu'un certain nombre de questions posées à l'époque se posent toujours aujourd'hui. Certains acteurs, notamment de Normandie, de la région lyonnaise et de la région parisienne, s'étaient entretenus et ont créé le Carrefour pour veiller aux effets provoqués par les lois de décentralisation du début des années 80. Tel est le contexte historique.
Quelques mots de façon plus générale. J'interviens régulièrement pour le Carrefour national en tant que président et nous mettons souvent en avant les disparités territoriales. Qui dit disparités territoriales dit chances inégalitaires pour les enfants et les familles. Au vu des territoires, les dispositifs sont aujourd'hui extrêmement variés. Un dispositif à un endroit précis ne correspond absolument pas à un autre. Cette disparité est très marquée sur le territoire. À l'époque de la création du CNAEMO, il existait grosso modo deux possibilités en protection de l'enfance, soit le milieu ouvert avec l'accompagnement à domicile, soit le placement. Nous avons donc beaucoup réfléchi et écrit sur la manière de sortir du mode binaire entre milieu ouvert et placement. Il existe aujourd'hui une palette de dispositifs et de services diversifiés entre le milieu ouvert traditionnel et le placement. Nous avons écrit un livre, que nous avons reçu hier de notre éditeur et qui s'intitule « Protection de l'enfance, la diversification dans tous ses états », où nous expliquons la palette existant aujourd'hui sur le territoire national. Cet ouvrage fait suite aux Assises nationales que nous avions organisées à Évreux et que la ministre de l'époque, Madame Rossignol, avait ouvertes, neuf jours après la promulgation de la loi de 2016. Nous avons essayé de faire état de ce qui existe aujourd'hui sur le territoire, sachant que l'ensemble des dispositifs entre le milieu ouvert et le placement ne répondent pas à une loi ou à une réglementation très précise.
Je dirige pour ma part le service des SEMO. En 1974, deux personnes, au sein de l'association l'ACSEA où je travaille aujourd'hui, se sont dit que certaines situations étaient trop complexes pour être suivies en milieu ouvert traditionnel, mais n'étaient pas assez dégradées pour conduire au placement. D'où l'idée, qui date de 1974 et qui a été expérimentale jusqu'à la loi de 2007, de créer de l'AEMO renforcée avec hébergement, que je pourrai, si vous le souhaitez, vous présenter plus en détail. Avec la loi de 2007 et tous ses enjeux de diversification, ce dispositif a été rendu beaucoup plus visible et n'a plus été expérimental. Cette expérimentation tenait d'une volonté politique des différents acteurs, à la fois du Conseil départemental, de l'association qui l'avait créée et des magistrats du tribunal de grande instance de Caen. La protection de l'enfance comprend aujourd'hui, en France, une multitude de dispositifs qui sont très différents selon les territoires.
Un autre aspect me paraît important. Très souvent, on oppose le suivi d'un enfant ou d'un adolescent en protection de l'enfance aux aides ou au suivi de la famille et des parents. Il nous paraît important d'affirmer que les deux ne sont pas en opposition. Certaines lois se sont centrées sur l'intérêt de l'enfant, d'autres sur l'environnement à prendre en compte. Nous avions répondu à un rapport de la Cour des comptes, en 2009-2010 et à un rapport sur le milieu ouvert de l'ONED, en 2013. Nous avions créé un groupe de travail conjoint avec deux fédérations, le CNAEMO et la FNAAFP. Nous avions réuni des professionnels autour de 11 critiques et questions et avions essayé de répondre de façon assez simple à ce qu'était le travail en milieu ouvert. Est-il plutôt centré sur l'enfant ou sur la famille ? Est-il centré sur les deux ? Est-ce qu'il travaille sur les compétences parentales ou non ? Comment être garant d'une certaine protection de l'enfant tout en travaillant d'autres aspects qui ne répondent pas aux premiers objectifs du magistrat dans une mesure d'AEMO ? Nous avons réalisé un document dit de vulgarisation pour expliquer très simplement les critiques émises sur le milieu ouvert. Notamment, comment l'AEMO peut-elle à la fois protéger l'enfant et avoir un impact sur le fonctionnement familial ? Nous avons essayé d'y répondre assez simplement. Une autre question souvent posée est de savoir si le nombre de mesures par éducateur a un impact sur la qualité de l'intervention. Nous pouvons penser que la réponse est « oui », mais nous avons expliqué que de nombreux facteurs intervenaient, notamment la façon dont le territoire et les services eux-mêmes étaient organisés, la présence de fonctions supports ou pas, la présence de psychologues et de psychiatres dans les services, etc. Nous avons essayé d'apporter des explications simples. Ce document a été largement diffusé et a rencontré un franc succès puisqu'il reprend les questions qui peuvent se poser sur les mesures de milieu ouvert.
En termes d'iniquités territoriales, comme je l'ai dit récemment dans un groupe de travail au Sénat, les professionnels des associations ne cherchent pas à disposer tous des mêmes moyens. Nous cherchons plutôt à avoir les mêmes chances pour les enfants, les adolescents et leurs familles. On nous oppose souvent les moyens en disant que les moyens sont insuffisants sur tel ou tel territoire. Quelles mêmes chances pouvons-nous donner aux uns et aux autres ? Cette question nous paraît importante.
Le CNAEMO réfléchit et écrit également beaucoup sur l'articulation entre les Départements et les associations et entre les Départements et l'État dans le champ de la protection de l'enfance. Dans certains territoires, cette articulation fonctionne bien, mais dans beaucoup d'autres, elle est extrêmement compliquée, ce qui a un impact sur les réponses apportées aux enfants et aux adolescents.
Voilà un panorama rapide du milieu ouvert et de la fédération du CNAEMO qui existe depuis une quarantaine d'années. Nous avons une expertise de terrain grâce à 17 délégations régionales. Je suis seul aujourd'hui à cette audition puisqu'a lieu, à Lille, notre séminaire politique qui présente toutes les actions réalisées cette année et celles prévues l'an prochain. Je l'ai ouvert ce matin et je repars à Lille tout à l'heure pour poursuivre les travaux. La fédération a la particularité de regrouper des personnes en activité, de toutes les fonctions, tant des directeurs généraux que des travailleurs sociaux, des psychologues, des secrétaires, etc. ce qui nous permet d'avoir un regard multiple. Les associations et les professionnels adhérents de la fédération ont également une vision sur le milieu rural. La protection de l'enfance en milieu rural est tout à fait différente de la protection de l'enfance dans les grandes villes ou à Paris. Sont souvent évoquées les situations d'un département à l'autre, mais avec notre vision du terrain, nous pensons qu'il faut affiner cette analyse par bassin de population et par bassin de vie. Il est inutile que je vous présente par exemple l'état des mesures en attente dans le Calvados, sachant que dans ce département, Caen et son agglomération connaissent une suractivité et les autres territoires, plus ruraux, une sous-activité. Il faut donc aller au-delà des études et des chiffres par département pour avoir une vision globale de l'état actuel de la protection de l'enfance.
Merci Monsieur le Président. Pourriez-vous revenir rapidement sur les différents modes d'accompagnement en milieu d'origine qui existent ? Qu'est-ce que vous sous-entendez par une prise en charge différente entre le milieu rural et Paris ? La prise en charge est-elle moins bonne ? Est-ce que les situations sont moins bien détectées dans le milieu rural qu'à Paris ? Est-ce que l'accompagnement est différent ? Enfin, en fonction de votre expérience, que faudrait-il améliorer dans la protection de l'enfance ?
En termes de diversification, bien que je vous aie dit tout à l'heure que les dispositifs étaient très différents d'un territoire à l'autre, il existe tout de même des catégories de dispositifs :
Le milieu ouvert traditionnel, sous la forme judiciaire : à savoir l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ;
Le milieu ouvert sous la forme administrative : c'est-à-dire, l'accompagnement éducatif à domicile (AED) ;
Le placement.
Entre les deux, il existe de l'AEMO ou de l'AED intensive, sans hébergement. Dans ce cadre, le travailleur social passe beaucoup plus régulièrement et le relationnel est accentué avec l'enfant et sa famille.
Il existe également les AEMO renforcées, avec hébergement, ce qui signifie des moyens renforcés. La fréquence d'intervention peut être du 24h24 7 jours7, ce qui n'est pas le cas des services traditionnels en milieu ouvert qui interviennent du lundi au vendredi ou du lundi au samedi et non le dimanche ni les jours fériés. Au sein du service que je dirige, le SEMO, nous avons un système d'astreintes et si nous avons besoin d'héberger à 18 ou à 22 heures, nous pouvons déclencher toute une panoplie de moyens pour mettre en place l'hébergement dès le soir même, ce qui évite des placements, ce qui évite des allers-retours avec les magistrats et les ordonnances provisoires réalisées à la hâte.
Une dernière catégorie est le placement à domicile qui fait partie des dispositifs de diversification de la loi de 2007. L'AED et l'AEMO avec hébergement concerne le milieu ouvert, avec possibilité d'hébergement. Le placement à domicile reste un placement, mais le jeune peut rester un certain nombre de fois chez lui. Les responsabilités ne sont pas les mêmes, mais l'intervention en elle-même peut devenir assez similaire entre l'un et l'autre.
Les moyens et les prix de journée sont différents selon les catégories. Dans le milieu ouvert traditionnel, la mesure s'élève environ à 8 euros par jour. Dans le cadre de l'action éducative intensive, sans hébergement, les moyennes sont de 17 à 20 euros. S'agissant de l'AEMO et l'AED renforcée avec hébergement, les mesures s'élèvent en moyenne de 45 à 50 euros. Le PEAD peut atteindre facilement 75, 80 ou 85 euros. Le coût d'un placement peut commencer à 120 ou 130 euros et atteindre trois fois ce coût.
Voilà les catégories que nous pouvons mettre en place aujourd'hui. Concernant l'AEMO et l'AED renforcée avec hébergement, les dispositifs sont différents selon les territoires, puisqu'ils ne répondent pas à un cadre législatif. Entre le milieu ouvert et le placement, ce sont souvent des initiatives qui se construisent de deux façons sur le terrain. Soit par opportunité. Une sous-activité dans un domaine permet au financeur et à l'association de décider de nouveaux dispositifs à mettre en place. Soit par un réel projet qui a été proposé soit par l'association, soit via un appel à projets du Département, qui est inscrit dans un schéma départemental. Cela se fait plus souvent par opportunité et régulation de l'activité, ce qui peut parfois poser un certain nombre de problèmes. La diversification implique une articulation entre les différents services. Si l'action ne se fait que par opportunité et n'est pas inscrite dans un schéma, la diversification peut rimer avec confusion.
Vous avez fait référence à mes propos sur le milieu rural et le milieu urbain. La pertinence d'une mesure de protection de l'enfance s'étudie à l'échelle de toutes les réponses qui peuvent être apportées. Je vais vous donner des exemples très simples. Quand un magistrat écrit, dans un jugement qu'il faut un étayage important, que le jeune doit sortir de chez lui, qu'il doit aller au centre de loisirs, etc. mais qu'il n'existe aucun moyen de transport dans les 30 ou 40 kilomètres alentours ni aucun centre de loisirs à proximité, un dispositif important doit être mis en place. Le résultat ne sera donc pas tout à fait le même que sur un territoire plus urbain où il existe, pour les jeunes majeurs, des foyers de jeunes travailleurs. Dans ce cas, l'AEMO renforcée n'est pas toujours nécessaire parce qu'il existe d'autres solutions sur le territoire. Il faut considérer largement la pertinence de la mesure en fonction des possibilités existant dans le territoire et des possibilités hors du champ de la protection de l'enfance (prévention, éducation populaire, animation, etc.). Cette donnée est importante. En milieu rural, la situation en termes de mobilité et de transports peut poser problème pour mettre en place des dispositifs qui sont très simples dans d'autres territoires, comme à Paris. Le jeune peut avoir besoin d'aller dans un club de sports, de sortir de son environnement familial, ce qui peut s'organiser très facilement en travaillant sur l'autonomie, l'usage des transports, etc. alors que dans d'autres territoires, ce type de mesure demande une grande énergie. Le risque est de ne pas la mettre en place. C'était en ce sens que je parlais des différences territoriales.
Les services doivent également s'organiser en fonction de l'organisation du territoire. Je m'explique. De nombreux services de milieu ouvert sont sectorisés. Le service que je dirige comprend huit équipes différentes, positionnées sur le territoire du Calvados, avec des antennes à Caen, dans le Pays d'Auge, sur la côte, sur le Bessin, etc. En d'autres endroits, comme dans la Sarthe, le territoire ne nécessite pas de déconcentrer les secteurs. Il est important d'avoir une adéquation entre le territoire et l'organisation des services, ce qui n'est pas toujours le cas, pour différentes raisons, mais notamment pour des raisons financières. Des équipes déconcentrées nécessitent de disposer de différents locaux, de payer plusieurs loyers, d'assurer des transports entre les uns et les autres. Il faut donc que la forme d'organisation soit adaptée par rapport au territoire. Il me paraît important de rappeler que ce qui est valable sur un territoire ne l'est pas forcément sur un autre. Mes propos allaient plutôt en ce sens et ne consistaient absolument pas à dire que certains territoires disposent de moins d'équipes ou que le Département délaisse un territoire pour un autre.
Que faudrait-il améliorer aujourd'hui ? Je vais vous donner un exemple assez simple. Je dirige quatre services différents de milieu ouvert, au sens du code de l'action sociale : l'AEMO traditionnelle, le SEMO qui est un service d'AEMO renforcée avec hébergement, un service pour grands mineurs et jeunes majeurs de protection en milieu ouvert et un quatrième service d'investigation, de médiation familiale, etc. concernant la parentalité et l'aide à la décision du magistrat. Si nous estimons, à un moment donné, qu'il serait préférable qu'un jeune, qui est suivi dans l'un de ces services, passe en AEMO renforcée avec hébergement, alors que le directeur est le même pour les quatre services, qu'il connaît les places disponibles et que le besoin est repéré, il serait utile de ne pas avoir à attendre la décision d'un magistrat ou d'un Conseil départemental. Le délai peut durer des semaines, voire des mois, ce qui est difficile pour les professionnels qui ont fait l'évaluation et ce qui est dommage au vu d'une situation qui se dégrade. Le CNAEMO et les professionnels demandent de pouvoir faire de la régulation entre les mesures, de bénéficier d'une souplesse, sans avoir à attendre une décision. Dans les services que je dirige, j'ai plusieurs cas où nous ne pouvons pas moduler d'une mesure à une autre sans décision.
Cela dit, l'expérimentation du SEMO est très intéressante. Depuis 1974, lorsque nous mettons en place un hébergement, selon les différentes lois de 2002, 2007 et 2016, il faut une autorisation du magistrat. Dans le cadre du SEMO, nous pouvons héberger sans revenir vers le magistrat et le Conseil départemental. Les trois acteurs principaux, les magistrats, les Départements et l'association, se sont mis d'accord sur le fait de pouvoir héberger à tout moment, sans une nouvelle décision d'un magistrat, ce qui fonctionne depuis 45 ans. En d'autres termes, quand un magistrat a confié la mesure au SEMO, il offre une palette de possibilités, y compris l'hébergement, sans avoir besoin d'une nouvelle décision judiciaire.
Je vais prendre l'exemple d'une situation extrêmement conflictuelle entre les parents et les enfants, un vendredi, à 16 heures 30. L'une se passe à l'AEMO et l'autre au SEMO. À l'AEMO, je n'ai pas d'hébergement. Si nous ne pouvons pas solutionner le conflit en cours, il faudra recourir à une décision de magistrat. Au vu de l'heure, nous travaillerons avec le magistrat de permanence et le procureur qui établiront une ordonnance provisoire. Quinze jours plus tard, une audience confirmera ou non un placement de six mois. Au sein du SEMO, nous pouvons déclencher directement un hébergement. Nous arrivons ainsi à faire descendre la tension en cas de crise. Le but du SEMO n'est pas d'héberger pendant des semaines. Nous faisons soit de l'hébergement ponctuel d'un à trois jours, le temps de trouver d'autres solutions et que la crise s'apaise, soit de l'hébergement périodique. Nous travaillons par exemple l'autonomie et la séparation d'un jeune qui rentre dans un parcours de professionnalisation ou qui doit partir de chez lui pour aller en internat, en l'hébergeant une fois ou deux par semaine.
L'hébergement dit de protection sera donc très différent selon l'AEMO et le SEMO. La modulation serait vraiment intéressante. Une situation nous arrive à un instant T par un jugement et il nous est fait état d'un certain nombre de difficultés. Deux mois plus tard, les difficultés peuvent être plus importantes ou moindres. Il serait intéressant de pouvoir moduler, intensifier ou réduire l'accompagnement, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui. Dans le cadre d'une mesure, il faut refaire état au magistrat et au Département, ce qui peut parfois durer un certain temps. Nous sommes parfois dans des situations de rupture où nous n'avons pas l'équipement nécessaire pour mettre en place un dispositif, ce qui est très frustrant.
Je ne pense pas que l'aspect financier soit le seul critère, mais plutôt la perte de pouvoir des uns et des autres sur une décision. Qui décide ? Qui paye ? Qui évalue ? Les tensions peuvent être très importantes en la matière. Personne ne veut perdre son pouvoir. Je crois qu'il est intéressant de le dire assez simplement. Dans le cadre du SEMO, tous les acteurs ont décidé d'une certaine souplesse, d'une mesure sur mesure, c'est-à-dire de pouvoir s'adapter à la situation du jeune et d'être réactif. Le SEMO concerne des jeunes de 13 à 21 ans. Quand les adolescents ont décidé de parler, il faut les accueillir tout de suite et non pas lors d'un rendez-vous 15 jours plus tard. Sans cette souplesse, nous passons parfois à côté de choses importantes.
Bonjour. Est-ce que la loi de 2016 a eu des impacts dans les services AEMO renforcée ou non ? Si oui, quels changements avez-vous constatés ? Merci.
Le premier élément intéressant sur la loi de 2016 a été la concertation qui a duré plus d'un an. De nombreux échanges ont été organisés et nous y avons participé. Nous sommes partis de constats partagés, à la fois des différents acteurs et des personnes accompagnées, des ex-enfants placés et des mouvements de parents tels qu'ATD Quart Monde, etc. Cette vision partagée me paraît intéressante. La loi s'est recentrée sur les besoins de l'enfant, ce qui était nécessaire, mais le risque était d'opposer besoins de l'enfant et droits des parents. Nous avons donc été extrêmement vigilants et nous avons participé, à notre niveau, à la concertation. Madame Rossignol a écrit un article, dans ce livre, sur ce sujet.
Les décrets d'application ont été ensuite quelque peu décevants. Le projet pour l'enfant notamment a été créé en 2007 et a été renforcé en 2016. Participant à la concertation et étant membre du Conseil national de la protection de l'enfance, instance que je trouve intéressante, mais dont la pleine mesure n'est pas développée puisqu'aucun moyen ne lui a été alloué, j'ai pris connaissance des projets de décrets et des décrets. Entre les deux, les différences étaient parfois importantes. Je parlais de perte de pouvoir, de lobbying, etc. Les décrets ont ainsi précisé que le projet pour l'enfant devait rester sous la coupe des Départements, que les associations ne devaient pas prendre la place des Départements qui restaient le chef de file. Suivre le parcours de l'enfant et disposer d'un PPE est une très bonne idée. Au CNEAMO, nous avons deux parrainsmarraines ou deux ambassadeurs, deux personnes qui ont 40 ans aujourd'hui, qui ont été placées et suivies en milieu ouvert au cours de leur jeunesse. Elles portent un regard sur ce qui leur a manqué. Par exemple, l'une a 39 ans, a consulté son dossier et a trouvé une simple photo, après 20 ans de mesures. Nous essayons de travailler ces questions, notamment avec des co-formations entre professionnels, personnes accompagnées et parents.
Entre l'intention et la philosophie du projet pour l'enfant, entre ce qui s'est dit à la concertation, le décret en lui-même et son application, cette loi est devenue, à certains endroits, un outil administratif supplémentaire et non pas l'idée que nous pouvions nous en faire. Je suis extrêmement favorable au PPE, dans le sens où il permet d'avoir un regard sur le parcours du jeune et d'offrir une meilleure lisibilité, mais il est décevant qu'en certains endroits, il devienne un outil uniquement administratif. Je ne suis pas sûr que l'intention d'origine, qui est que le jeune puisse revenir sur son dossier et son parcours, corresponde à ce qui existe aujourd'hui.
Pour vous, comment faire en sorte que le PPE existe partout et qu'il soit un réel outil dans le parcours de l'enfant, sachant qu'il est plutôt plébiscité par l'ensemble des professionnels ?
Dans son intention, il est plébiscité. Nous sommes tous d'accord pour dire que le PPE pourrait être un progrès très important dans le domaine de la protection de l'enfance. Dans les territoires où les PPE sont mis en place, ils le sont sans aucune concertation des différents acteurs. La co-élaboration est très peu développée. J'insiste sur le mot « co-élaboration » et non pas « co-construction ». Quatre artisans peuvent travailler côte-à-côte à la construction d'une maison qui prendra l'eau de tous les côtés. Une co-élaboration nécessite de se mettre d'accord sur l'outil, sur la façon de le faire vivre, sur la façon de le travailler avec la famille et l'enfant. En d'autres termes, quel sens va prendre ce PPE pour les uns et les autres ? Aujourd'hui, pour des raisons diverses et variées, cette co-élaboration n'existe pas. Aucun moyen n'est notamment dédié au PPE. Une personne référente devrait suivre le PPE. Dans certains territoires, l'outil existe, mais sans aucune personne référente. On ne sait pas qui gère le PPE ni à quoi il va servir. Il faut trois rendez-vous pour élaborer, avec les personnes accompagnées, des PPE de 15 à 20 pages, alors qu'en milieu ouvert, un travailleur social se rend tous les quinze jours à domicile. Il ne peut pas, pendant un mois et demi, travailler seulement à ce PPE. Nous nous perdons aujourd'hui dans des méandres administratifs, alors que la mise en place de cet outil est une réelle opportunité. Le PPE n'est d'ailleurs pas qu'un outil, mais il est développé souvent comme un simple outil. Il arrive souvent du jour au lendemain, sans concertation ni discussion entre les différents acteurs, ce qui est la meilleure façon pour qu'il ne prenne pas sens.
Depuis la loi de 2002, de nombreuses avancées ont été réalisées sur les outils pour les personnes accompagnées, mais à chaque mise en place de nouveaux outils, personne ne s'est demandé s'ils faisaient doublon, s'il fallait arrêter le DIPEC ou le contrat de séjour. Il existe aujourd'hui six à sept outils différents à mettre en place au cours des deux à trois premiers mois de la mesure. Le risque est de ne pas parler de l'essentiel avec les personnes accompagnées. Des adaptations sont faites. Dans mon département, le PPE est mis en place et il n'est plus nécessaire de faire des projets personnalisés, etc. mais en d'autres endroits, ces adaptations n'existent pas, ce qui pose un certain nombre de problèmes. Le risque est également de faire du copier-coller dans l'ensemble des outils, ce qui a très peu de sens, à la fois pour les personnes accompagnées et les professionnels.
Cela dit, la loi de 2002 a été une avancée considérable. Elle a permis de prendre en compte l'avis des personnes accompagnées. Je ne parle pas d'usagers, comme dans la loi, mais de personnes accompagnées. La comparaison entre les écrits antérieurs à 2002 et ceux d'aujourd'hui montrent que nous avons considérablement changé la façon de rédiger. Les personnes peuvent revenir sur leurs écrits, peuvent définir un nouveau cadre qui va poser un certain nombre de questions. Cette évolution était nécessaire, mais nous sommes aujourd'hui face à un millefeuille. Le PPE a été mis en place sans avoir regardé l'articulation avec les autres documents, ce qui est une réelle difficulté.
Les chiffres montrent que nous avons perdu, en cinq ans, 10 % de travailleurs sociaux qui sortent des écoles. Les raisons sont diverses et variées. Elles sont liées au métier, mais aussi au volet administratif très important qui est demandé et qui peut être, pour certains, rédhibitoire.
Puisque vous l'avez évoqué, je trouve intéressant que vous approfondissiez le sujet. Qu'est-ce qui a manqué aux parrains, marraines ? Avez-vous des précisions concrètes à nous apporter ? Vous parliez également d'une question de pouvoir, d'une question de culture, visiblement très complexe à désincarcérer, ce qui dommage. Nous sommes obligés d'avancer en la matière. C'est aussi une question de vigilance puisque chacun se dit qu'il est le garant. À quel moment pouvons-nous faire de la politique avec des adolescents qui sont dans l'immédiateté absolue ? Que proposeriez-vous ?
Faysal Hanneche et Sofia Aouine sont aujourd'hui parrains, marraines, ambassadeurs du CNEAMO. Il nous a paru important de mettre en avant la parole des personnes qui ont été accompagnées. Nous leur demandons d'expliquer la manière dont ils ont vécu leur parcours en protection de l'enfance, tant négativement que positivement. Je ne crois pas en des parcours entièrement négatifs ou positifs. Faysal Hanneche est aujourd'hui un explorateur qui habite en Norvège. Sofia Aouine est auteur, écrivain et a été, à un moment donné, journaliste sur France Inter.
Pour Sofia Aouine, il a été intéressant de nous dire comment, à 39 ans, elle a vécu son retour en arrière et la consultation de son dossier. Elle a souligné le peu de traces, de photos, etc. Les écoles de formation forment à toujours plus d'écrits. Les photos sont plus nombreuses dans le cadre d'un hébergement, d'un foyer, mais quasi inexistantes en milieu ouvert. Sofia Aouine a raconté son histoire devant 1 100 personnes lors de nos assises annuelles, ce qui a été un choc pour tous les participants. Je travaille dans le secteur depuis 20 ans, l'absence de photos en milieu ouvert n'est pas de notre volonté, mais je crois que nous n'y avons même pas pensé. Cette phrase qu'elle a dite aux Assises a valu les dix interventions précédentes sur différents sujets. Ses propos ont une valeur tout à fait intéressante. Nous avons commencé à réfléchir, dans le service que je dirige et dans les formations, sur la trace que nous pouvons laisser. Les photos permettent de dire les endroits fréquentés de tel âge à tel âge. Dans son dossier épais, elle n'a trouvé que des écrits et des éléments très peu positifs et rien sur la manière dont elle a évolué, etc. Elle a exprimé ce manque de manière forte.
Faysal Hanneche, qui était intervenu également aux Assises l'année précédente, a eu un parcours très complexe, aux frontières de la protection de l'enfance, de la délinquance et de la santé mentale. Il parle simplement de la rencontre qu'il a eue avec deux travailleurs sociaux qui l'ont, pour lui, sauvé. Il dit qu'il n'était pas bon à l'école, qu'un certain nombre de choses se passaient mal dans sa vie, mais que deux travailleurs sociaux lui ont appris à faire du sport. Ces deux figures l'ont conduit à développer des compétences sportives jusqu'à réaliser un exploit mondial puisqu'il est le seul au monde, aujourd'hui, à avoir visité le pôle nord et le pôle, la même année, sans assistance. Il explique très bien pourquoi il a réalisé ce voyage, le désir de reconnaissance et d'être quelqu'un d'autre par rapport à son histoire personnelle. Il explique qu'il a rencontré de très nombreuses personnes avec lesquelles les relations n'étaient pas bonnes et que grâce à cette rencontre, il a pu avancer.
Ce sont deux histoires différentes. Elles restent des témoignages et chaque témoignage est unique. Il faut veiller à ne pas en faire de généralités, mais ces témoignages sont importants. Faysal Hanneche souhaite faire de la transmission, être régulièrement associé à des professionnels, rencontrer certains jeunes pour leur transmettre une expérience. Un jeune peut être, à un moment donné, au fond du trou et se raccrocher à quelque chose. Faysal Hanneche s'est raccroché au sport.
Faut-il donner un statut à ces personnes en particulier ? Tous les jeunes ont quasiment raconté la même chose, à savoir une boussole adulte, à un moment donné, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse d'un référent ou d'un formateur. Quasi systématiquement, sur le chemin du jeune, il y a une personne marquante. La rencontre est souvent laissée au hasard et parfois, elle ne se fait pas.
Il est important que ces paroles soient entendues et nous constatons aujourd'hui une certaine libération de cette parole. Il faut peut-être leur donner une place plus institutionnalisée. Le CNEAMO a eu besoin, à un moment donné, d'institutionnaliser la parole de ces personnes représentant d'autres personnes. Elles sont intervenues aux Assises et interviennent à diverses occasions. En tant que président du CNEAMO, je disais récemment qu'il faudrait peut-être ouvrir les statuts afin qu'ils puissent avoir une représentativité. Ce mouvement est plutôt à l'origine professionnel, mais nous ne pouvons plus nous cantonner à une forme de parole.
Je prends un autre exemple. Dans le service que je dirige, nous avons mis en place une co-formation avec ATD Quart Monde, avec des personnes qui ont elles-mêmes des mesures que nous mettons en oeuvre et avec des professionnels. Nous travaillons beaucoup sur le photo-langage et avons demandé à chacun de trouver une photo pour représenter l'accompagnement en protection de l'enfance. Les personnes accompagnées ont choisi une photo de tauromachie et les professionnels la photo d'une personne qui monte un col en vélo et d'une autre qui la pousse. Ils avaient fait une formation ensemble et avaient évoqué un certain nombre de sujets, mais les représentations sont différentes. Les personnes accompagnées disaient que pour elles, se protéger revient parfois à ne pas dire la vérité, pour éviter le risque de placement. Les professionnels apportent d'autres témoignages. Je crois qu'il faut beaucoup plus co-élaborer. Cette co-élaboration repose davantage aujourd'hui sur des personnes, en lieu et place d'institutions et d'organisations. Le risque est que tout reparte à zéro lorsqu'un professionnel change de service.
Ma question porte sur les politiques publiques en matière de protection de l'enfance dans les cinquante dernières années. Il y a encore 30 ans, nous connaissions les MECS et un placement assez facile. L'idée était d'extraire l'enfant du milieu familial pour qu'il soit accueilli en établissement ou en famille d'accueil. Les années 80 ont conduit à un changement de politique, avec le maintien du lien familial et le maintien dans la famille. Au final, je m'interroge. Au vu de la dégradation des familles et des difficultés rencontrées par les parents eux-mêmes, au vu de certains faits divers, malgré toutes les mesures d'accompagnement mises en oeuvre, je me demande si l'on ne s'est pas trompé. Je vous pose la question.
On nous pose souvent cette question. Faut-il continuer à maintenir les liens ? Faut-il continuer à laisser les enfants à domicile ? Ne faudrait-il pas passer à autre chose ? Actuellement, on parle aussi beaucoup d'adoption à la suite de ces mesures. Aujourd'hui, la mesure de milieu ouvert s'arrête en moyenne après trois ans. Parfois, pour certaines familles, la mesure dure 18 ans, mais 80 % des mesures s'arrêtent au terme des trois ans. Aujourd'hui, seulement 15 % des mesures de milieu ouvert se transforment en placement. Pour un certain nombre de situations difficiles, cette mesure est suffisante, mais elle peut être, à un moment donné, plus complexe et des crises peuvent intervenir. Dans ces situations, nous ne sommes pas toujours bons parce que nous avons peu de souplesse, comme je l'expliquais, alors que nous avons besoin de graduer les mesures et de ne pas attendre des semaines ou des mois.
Par ailleurs, quelle évaluation ? Nous travaillons beaucoup sur cette question au sein du Conseil national de la protection de l'enfance dont je suis membre. Aujourd'hui, il n'existe pas un référentiel d'évaluation sur le territoire national. Une évaluation valable pour les uns ne le sera pas pour les autres. Un progrès est à faire en la matière. Qu'est-ce que le risque de danger ? Nous devons probablement établir un référentiel, un cadre plus partagé sur l'ensemble du territoire. C'est en ce sens aussi que je parlais de chances identiques. Ne pas passer à côté d'une situation en un endroit et de l'autre, avoir une tolérance zéro et décider rapidement du placement.
Les écarts-types sont importants. Je disais que 15 % des mesures en milieu ouvert se transforment en placement, mais sur certains territoires, cette proportion est de 4 % et la mesure en milieu ouvert suffit, alors que dans d'autres, le taux atteint 60 %. Cette disparité importante mérite d'être analysée plus finement. Quelles sont les réponses ? Quelle est l'organisation ? Est-ce qu'il y a de la prévention ? Est-ce que le territoire est toujours maillé comme précédemment, avec des assistants sociaux du Département qui connaissaient très bien leur quartier ou leur canton ? Parfois, ils gèrent aujourd'hui un nombre de situations phénoménal. Certains agents en arrêt ne sont pas remplacés. Lorsque personne n'intervient sur un territoire pendant neuf mois, une situation peut largement évoluer. La paupérisation et les difficultés s'accentuent. En AEMO, nous sommes parfois amenés à régler des difficultés de logement ou d'énergie, des tas d'autres problèmes, avant d'arriver à l'enfant. Il y a encore 10 ou 15 ans, ces situations étaient à la marge et l'assistant social de secteur intervenait en appui et gérait ces situations. Aujourd'hui, si ces difficultés ne sont pas gérées, nous arrivons au placement. Il faut donc prendre du temps pour pallier ces difficultés, ce qui obère du temps passé au suivi de l'enfant. Nous sommes dans des injonctions paradoxales. On nous dit très souvent que nous ne visitons pas assez régulièrement les familles, mais tous les chiffres sont à la hausse. Sur certains territoires, les services n'ont plus de pédopsychiatre parce que leur nombre est insuffisant. L'évaluation ne sera pas la même. De plus en plus de parents peuvent relever de la psychiatrie. Si nous n'avons pas suffisamment de psychiatres ou de psychologues en interne, nous ne pourrons pas comprendre ce qui se passe avec les parents. Ils ont un problème psychiatrique et on leur demande de prendre en charge leur enfant correctement.
Tous ces aspects font qu'aujourd'hui, la situation est beaucoup plus complexe qu'à une époque. Du fait de la paupérisation, certains bassins de populations sont complètement sinistrés et l'ensemble du quartier pourrait faire l'objet d'une mesure. Dans la moitié de la France, le secteur de la protection de l'enfance est en suractivité et connaît des délais d'attente. Dans l'autre moitié de la France, le secteur n'est pas encombré, voire connaît une sous-activité. À certains endroits, les moyens ne sont pas tout à fait utilisés, alors que dans certains départements, comme en Seine-Saint-Denis ou à Paris, les délais d'attente sont de 18 mois pour démarrer une mesure de milieu ouvert, d'assistance éducative après qu'un juge a dit à des parents qu'ils ne font pas leur travail de parents et qu'une mesure judiciaire doit être prise. Il ne se passe rien pendant 18 mois, ce qui pose de réels problèmes. Un délai de deux mois sans intervenir, pour un tout-petit de 0 à 3 ans, peut avoir des conséquences très lourdes. Des contrôles et des accompagnements sont nécessaires. Nous avons besoin de vérifier l'évolution, la santé, etc. Nous avons des situations de jeunes filles de 14 ou 15 ans, enceintes et isolées, pour lesquelles une rupture de parcours pendant 6 mois peut conduire à perdre leurs traces ou à les retrouver dans la rue dans un cadre de prostitution, etc. Une rupture de suivi peut conduire à des conséquences extrêmement lourdes, selon les âges et les territoires. Dans certains territoires, même si la mesure de milieu ouvert ou de placement ne s'est pas mise en place, d'autres alertes ou accompagnements sont possibles. Dans d'autres territoires, rien n'existe en lieu et place de la mesure.
Comment se passent les relations avec les magistrats ? Comment pourraient-elles être améliorées ?
Les relations entre les magistrats et les professionnels des associations dépendent tellement des personnes que je suis incapable de répondre à votre question. Les associations essaient de rencontrer régulièrement les magistrats sur leur territoire, au moins une fois par an, afin d'échanger. Les magistrats et les professionnels des Départements essaient de se rencontrer également, comme ils le peuvent, dans leurs agendas contraints. Les associations rencontrent également les Départements. Je regrette que ces rencontres associent très rarement l'ensemble des trois acteurs. Lorsqu'il en manque un, la faute revient toujours à celui qui est absent et qui ne fait pas le job. C'est un vrai problème. Ces rencontres tripartites sont organisées à certains endroits, selon la volonté de personnes, et n'ont pas lieu en d'autres endroits pour différentes raisons. Les deux acteurs présents voient parfois un intérêt à ce que le troisième intervenant ne soit pas présent.
Le service est toujours représenté dans les audiences. L'instauration est le seul cas où nous ne sommes pas présents, lorsque le magistrat n'a pas encore décidé de la mesure. Sinon, systématiquement, un professionnel du service se rend aux audiences et je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement. Nous constatons plutôt l'inverse, à savoir que parfois, des personnes sont à l'audience, alors qu'elles ne connaissent absolument pas la situation. Elles sont envoyées par d'autres services parce que le Département n'est pas tout à fait d'accord avec la mesure en milieu ouvert et préférerait un placement. En général, cette présence provoque plutôt un effet d'énervement qu'un effet d'apaisement. Les audiences engagent normalement une continuité de service et en cas d'absence du référent habituel, une autre personne doit représenter le service. Un problème se pose lorsque les audiences se font dans des tribunaux hors du territoire. Certains services ne souhaitent pas que leurs travailleurs sociaux sortent du territoire et se rendent dans le territoire voisin ou plus loin en France parce qu'ils ont une délégation de compétence envers le tribunal. D'autres services le font. Nous ne pouvons pas le faire trop souvent parce que le professionnel doit partir un ou deux jours et selon le droit du travail, il ne doit pas faire plus de tant d'heures, alors qu'il reste une nuit sur place. Cela ne se fait pas sur l'ensemble des territoires et cette pratique peut engager des moyens considérables. Il est important que le débat contradictoire se fasse à l'audience.
Dans votre introduction, vous avez indiqué que les dispositifs AEMO renforcés n'étaient pas cadrés par la loi. Devons-nous le faire ou devons-nous laisser la main afin que les dispositifs soient plus adaptés aux territoires ou à l'organisation ?
Nous estimons que le repérage des besoins sur un territoire doit venir du terrain et qu'il faut laisser une certaine liberté de proposer un projet, ce qui n'est plus vraiment le cas aujourd'hui avec le système des appels à projets. Un certain nombre d'acteurs répondent à l'appel à projets, y compris des acteurs qui ne sont pas du territoire, qui ne connaissent pas toujours la situation et qui dans deux cas sur trois, obtiennent l'appel d'offres parce qu'il est alloué au moins-disant. Nous pensons qu'il faut laisser la possibilité de réfléchir, de rendre compte des besoins et d'innover.
En parallèle, il existe tellement de dispositifs différents qu'il faudrait, à un moment donné, les classer par catégorie. Il n'est pas possible de faire une AEMO identique à 70 euros et à 10 euros. Parfois, il y a des exigences différentes. Pour moi, il faudrait essayer de réglementer davantage, sans aller jusqu'à une loi qui poserait un modèle d'AEMO renforcée à décliner sur l'ensemble du territoire. Dans les conclusions du livre, nous appelons à une diversification portée par le sens et non pas par un modèle unique qui aurait du sens à un endroit et aucun sens à d'autres.
Vous avez dit également dans votre introduction que les moyens financiers ne permettent pas toujours de mettre en place les solutions. Dès lors, que devons-nous mettre en place au-delà des moyens financiers ?
La facilité serait de dire que nous n'avons pas les moyens. Il y a 20 ans, nous avions des moyens et les dispositifs ne fonctionnaient pas toujours mieux. La protection de l'enfance ne fonctionne pas toujours dans les Départements les plus riches et le nombre d'actions mises en place n'est pas toujours plus important. Au-delà des moyens, la réelle volonté politique de tous les acteurs est essentielle. Sommes-nous d'accord sur le besoin et le projet ?
Je vous donne un exemple concret. Je parlais tout à l'heure de diversification par opportunité ou par réel projet ou besoin. Dans certains départements, le schéma départemental est prorogé depuis des années et n'est plus en adéquation avec la situation actuelle du territoire. Il fait référence à des besoins, à des bassins de population et à une activité économique qui ne sont absolument plus les mêmes qu'il y a dix ans. Le schéma est prorogé et ne conduit à aucune discussion ni concertation. Le risque est de passer outre les réels besoins. Il faut vraiment que les différents acteurs puissent se réunir pour définir des schémas. Les différents schémas ne sont pas coordonnés : le schéma départemental de la protection de l'enfance, celui sur les prestations familiales, un autre réalisé sous l'égide du préfet, celui de la PMI. C'est un réel problème. Les mêmes acteurs, qui interviennent dans ces différents schémas, ne tiennent pas toujours le même discours.
Il manque certes des moyens à certains endroits, mais au-delà des moyens, la volonté politique de tous les acteurs est essentielle. On ne peut pas tout attendre d'en-haut, ni des acteurs de terrain. Nous recevons parfois des injonctions paradoxales. On nous dit parfois que les coûts sont trop élevés, mais que l'on attend plus. Il n'est pas possible de prendre ces deux éléments en considération. Il faut également absolument associer les personnes accompagnées. Elles ont des choses à dire sur l'accompagnement, les besoins, l'accueil. Des expérimentations sont lancées sur différents territoires. Des projets de service sont réalisés avec des personnes accompagnées. Elles donnent leur avis sur l'accueil et sur un certain nombre d'éléments et elles participent même à la réduction de certaines parties inutiles. Leur implication me paraît fondamentale. Très souvent, les associations sont la variable d'ajustement. À certains moments, chacun souhaite que nous donnions notre avis et en parallèle, nous n'avons pas été consultés sur le projet pour l'enfant, alors que nous mettons en oeuvre ce projet à 70 %. Il faut donc que ce projet fasse sens auprès des équipes et des personnes accompagnées, ce qui est difficile lorsqu'elles n'ont pas participé à son élaboration. Pour moi, la question des moyens est importante, mais la volonté politique de tous les acteurs est la priorité.
Monsieur Stella, merci beaucoup de votre participation. Bon retour à Lille. Merci d'avoir fait l'aller-retour pour nous.
Merci beaucoup.
La réunion s'achève à dix-sept heures cinquante.
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Membres présents ou excusés
Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 16 h 30
Présents. – Mme Jeanine Dubié, Mme Perrine Goulet, Mme Monique Limon, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, M. Alain Ramadier.
Excusés. – Mme Delphine Bagarry, M. Paul Christophe, Mme Françoise Dumas, M. Franck Marlin.