Intervention de Salvatore Stella

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 16h30
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Salvatore Stella, président du Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (CNAEMO) :

On nous pose souvent cette question. Faut-il continuer à maintenir les liens ? Faut-il continuer à laisser les enfants à domicile ? Ne faudrait-il pas passer à autre chose ? Actuellement, on parle aussi beaucoup d'adoption à la suite de ces mesures. Aujourd'hui, la mesure de milieu ouvert s'arrête en moyenne après trois ans. Parfois, pour certaines familles, la mesure dure 18 ans, mais 80 % des mesures s'arrêtent au terme des trois ans. Aujourd'hui, seulement 15 % des mesures de milieu ouvert se transforment en placement. Pour un certain nombre de situations difficiles, cette mesure est suffisante, mais elle peut être, à un moment donné, plus complexe et des crises peuvent intervenir. Dans ces situations, nous ne sommes pas toujours bons parce que nous avons peu de souplesse, comme je l'expliquais, alors que nous avons besoin de graduer les mesures et de ne pas attendre des semaines ou des mois.

Par ailleurs, quelle évaluation ? Nous travaillons beaucoup sur cette question au sein du Conseil national de la protection de l'enfance dont je suis membre. Aujourd'hui, il n'existe pas un référentiel d'évaluation sur le territoire national. Une évaluation valable pour les uns ne le sera pas pour les autres. Un progrès est à faire en la matière. Qu'est-ce que le risque de danger ? Nous devons probablement établir un référentiel, un cadre plus partagé sur l'ensemble du territoire. C'est en ce sens aussi que je parlais de chances identiques. Ne pas passer à côté d'une situation en un endroit et de l'autre, avoir une tolérance zéro et décider rapidement du placement.

Les écarts-types sont importants. Je disais que 15 % des mesures en milieu ouvert se transforment en placement, mais sur certains territoires, cette proportion est de 4 % et la mesure en milieu ouvert suffit, alors que dans d'autres, le taux atteint 60 %. Cette disparité importante mérite d'être analysée plus finement. Quelles sont les réponses ? Quelle est l'organisation ? Est-ce qu'il y a de la prévention ? Est-ce que le territoire est toujours maillé comme précédemment, avec des assistants sociaux du Département qui connaissaient très bien leur quartier ou leur canton ? Parfois, ils gèrent aujourd'hui un nombre de situations phénoménal. Certains agents en arrêt ne sont pas remplacés. Lorsque personne n'intervient sur un territoire pendant neuf mois, une situation peut largement évoluer. La paupérisation et les difficultés s'accentuent. En AEMO, nous sommes parfois amenés à régler des difficultés de logement ou d'énergie, des tas d'autres problèmes, avant d'arriver à l'enfant. Il y a encore 10 ou 15 ans, ces situations étaient à la marge et l'assistant social de secteur intervenait en appui et gérait ces situations. Aujourd'hui, si ces difficultés ne sont pas gérées, nous arrivons au placement. Il faut donc prendre du temps pour pallier ces difficultés, ce qui obère du temps passé au suivi de l'enfant. Nous sommes dans des injonctions paradoxales. On nous dit très souvent que nous ne visitons pas assez régulièrement les familles, mais tous les chiffres sont à la hausse. Sur certains territoires, les services n'ont plus de pédopsychiatre parce que leur nombre est insuffisant. L'évaluation ne sera pas la même. De plus en plus de parents peuvent relever de la psychiatrie. Si nous n'avons pas suffisamment de psychiatres ou de psychologues en interne, nous ne pourrons pas comprendre ce qui se passe avec les parents. Ils ont un problème psychiatrique et on leur demande de prendre en charge leur enfant correctement.

Tous ces aspects font qu'aujourd'hui, la situation est beaucoup plus complexe qu'à une époque. Du fait de la paupérisation, certains bassins de populations sont complètement sinistrés et l'ensemble du quartier pourrait faire l'objet d'une mesure. Dans la moitié de la France, le secteur de la protection de l'enfance est en suractivité et connaît des délais d'attente. Dans l'autre moitié de la France, le secteur n'est pas encombré, voire connaît une sous-activité. À certains endroits, les moyens ne sont pas tout à fait utilisés, alors que dans certains départements, comme en Seine-Saint-Denis ou à Paris, les délais d'attente sont de 18 mois pour démarrer une mesure de milieu ouvert, d'assistance éducative après qu'un juge a dit à des parents qu'ils ne font pas leur travail de parents et qu'une mesure judiciaire doit être prise. Il ne se passe rien pendant 18 mois, ce qui pose de réels problèmes. Un délai de deux mois sans intervenir, pour un tout-petit de 0 à 3 ans, peut avoir des conséquences très lourdes. Des contrôles et des accompagnements sont nécessaires. Nous avons besoin de vérifier l'évolution, la santé, etc. Nous avons des situations de jeunes filles de 14 ou 15 ans, enceintes et isolées, pour lesquelles une rupture de parcours pendant 6 mois peut conduire à perdre leurs traces ou à les retrouver dans la rue dans un cadre de prostitution, etc. Une rupture de suivi peut conduire à des conséquences extrêmement lourdes, selon les âges et les territoires. Dans certains territoires, même si la mesure de milieu ouvert ou de placement ne s'est pas mise en place, d'autres alertes ou accompagnements sont possibles. Dans d'autres territoires, rien n'existe en lieu et place de la mesure.

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