Intervention de Jean-Philippe Vinquant

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 17h30
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Jean-Philippe Vinquant, directeur général de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) :

Merci beaucoup. Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les Députés, merci de nous donner l'occasion de vous présenter le rôle que joue la Direction générale de la cohésion sociale au sein des ministères sociaux en matière de la politique de la protection de l'enfance et de répondre aux questions que vous nous avez posées sur l'articulation de l'État et des Conseils départementaux en matière de gouvernance de la politique de la protection de l'enfance. Vous avez posé également des questions précises au sujet de la formation professionnelle agissant dans le secteur de la protection de l'enfance et sur la qualité et le contrôle des structures d'accueil en matière de protection de l'enfance.

Pour resituer le rôle d'une direction de l'administration centrale sur une politique décentralisée, bien que la protection de l'enfance soit un champ anciennement décentralisé, depuis 1983, il reste néanmoins le besoin d'avoir une direction qui puisse concevoir, animer et piloter les politiques de solidarité. Des politiques sont décentralisées à l'échelle départementale, mais des textes réglementaires ou des documents nationaux doivent nécessairement être élaborés. Il revient aux directions, auprès des ministres concernés, de s'assurer que le cadre d'intervention des différentes autorités compétentes soit fixé le plus clairement et le plus fermement possible, dans la loi s'agissant des grands principes et dans les textes réglementaires s'agissant des modalités d'application des grands principes qui sont actés dans les lois. Ce rôle a été confié à la Direction générale de la cohésion sociale, dans le décret qui porte création de la Direction et ses missions. Au-delà de notre rôle général en matière de politiques de solidarité, il est précisé qu'en matière d'enfance et de famille, la protection de l'enfance étant clairement désignée dans le décret, la Direction générale de la cohésion sociale joue ce rôle de conception, sur la base des propositions qu'elle fait au ministre. Ensuite, la sous-direction en charge de l'enfance et de la famille que dirige Isabelle Grimault, est en charge, à titre particulier, du sujet de la protection de l'enfance. Néanmoins, comme vous le savez, l'État est pionnier en matière de protection de l'enfance puisque dans le partage des rôles, qui a été fait en 1983 entre les Conseils départementaux et l'État, comme le notait la Cour des comptes dans son rapport de 2009, la ligne de démarcation n'est pas aussi nette en matière de protection de l'enfance. Le rôle du Ministère de la Justice et des juridictions est très important en matière de protection de l'enfance puisqu'un certain nombre de mesures que doivent mettre en oeuvre les Conseils départementaux sont prescrites par décision de justice. Le Ministère de la Justice a également conservé une compétence importante en matière de protection judiciaire de la jeunesse, pour les mineurs concernés par des dispositions pénales, mais aussi pour des mineurs qui sont à la fois en danger au regard de leur famille et auteurs de délits et qui sont donc suivis à double titre par les juges, à la fois au titre civil et au titre pénal. Nous travaillons donc beaucoup avec nos homologues de la Direction du Ministère de la Justice en matière de protection de l'enfance.

Pour poursuivre la description de ce paysage très large des acteurs régionaux, nous travaillons beaucoup et de plus en plus actuellement, dans le cadre de la stratégie nouvelle qui est en cours de préparation, avec nos collègues du Ministère de la Santé, avec nos collègues du Ministère du Travail et de l'Emploi, sur l'accès aux soins ou le suivi en santé des enfants en protection de l'enfance. Nous travaillons avec des collègues de la DGEFP sur l'insertion sociale et professionnelle des jeunes majeurs, qui a connu une actualité, lors de la discussion sur la proposition de loi déposée par Brigitte Bourguignon. Nous travaillons aussi, avec le Secrétaire d'État chargé du handicap, sur les enfants qui peuvent relever d'une problématique de handicap. Nous savons que les enfants en protection de l'enfance sont plus sujets à des handicaps ou des troubles qui relèvent aussi de la politique en matière d'inclusion et d'accompagnement des enfants en situation de handicap.

Lorsque le législateur a conçu ce schéma de décentralisation et de partage des rôles entre l'État et les Conseils départementaux, il n'avait pas prévu d'instance qui les mette en contact direct et régulier sur la politique de la protection de l'enfance, ce qui a fait dire à une ancienne ministre que la protection de l'enfance avait été, à un moment, une forme d'angle mort des politiques publiques, faute d'avoir, au niveau national, un pilotage prévu avec des instances spécifiquement mobilisées, à l'exception du GIP Enfance en danger (GIPED), réunissant l'État et les Conseils départementaux, dont le rôle a été important depuis la loi de 2007 et qui a été conforté par la loi de 2016. Il était déjà un point de rencontre entre l'État et les Conseils départementaux qui partagent la gouvernance et le financement de ce GIP. C'est pourquoi – notre Direction a joué un rôle dans cette proposition – il a été créé un Conseil national de la protection de l'enfance par la loi de mars 2016, relative à la protection de l'enfance, pour faire en sorte qu'outre les représentants de l'État et des Conseils départementaux, les représentants des associations et des professionnels puissent disposer d'une instance de dialogue, de réflexion et de travail partagé pour créer ainsi davantage de lien et de coordination entre les institutions, les acteurs associatifs et permettre, sur la base d'un diagnostic partagé, que des orientations et des pistes d'action puissent être déployées. Cela ne nous a pas semblé suffisant pour animer de façon concrète la politique de la protection de l'enfance. Nous avons mené un travail important autour de la loi de mars 2016 pour élaborer des guides et des référentiels pour la mise en oeuvre des outils qui avaient été créés ou parfois confirmés par la loi de mars 2016, afin que les Conseils départementaux, leurs services et leurs professionnels puissent être mieux accompagnés et mieux et étayés par des documents nationaux. Nous avons fait un travail important sur l'ensemble des référentiels, notamment sur le rapport sur la situation des enfants. Nous avons mobilisé un groupe de travail pour essayer de donner des conseils et de la guidance sur l'élaboration du projet pour l'enfant. Nous avons mené ce travail conjointement avec des représentants de Conseils départementaux qui nous avaient été désignés par l'Assemblée des Départements de France ou l'Association nationale des directeurs de l'action sociale et de la santé des Conseils départementaux avec qui nous échangeons régulièrement. Nous avons mobilisé aussi les acteurs associatifs pour co-construire ces guides, référentiels et modes d'emploi, pour une meilleure appropriation de ces outils qui avaient parfois été créés par la loi de 2007, mais qui n'étaient pas mis en oeuvre dans une majorité de Conseils départementaux. Parallèlement, au titre de l'Observatoire national de la protection de l'enfance, un appui a été apporté par le GIPED et la Direction générale de la cohésion sociale pour faire en sorte que l'information des observatoires départementaux de la protection de l'enfance puisse être transmise à l'Observatoire national, afin qu'il puisse établir son rapport sur les chiffres, les données, les profils et les caractéristiques des enfants en protection de l'enfance.

Enfin, nous avons créé, avec l'accord de l'Assemblée des Départements de France et la Ministre, un réseau des référents protection de l'enfance, un réseau mixte représentant les Conseils départementaux, très souvent les directeurs des services de l'enfance des Conseils départementaux, et les services de l'État, à la fois du Ministère de la Cohésion sociale, via les directions départementales de la cohésion sociale, mais aussi de la protection juridique de la jeunesse, afin de les réunir deux à trois fois par an autour de thématiques de travail et de réflexion. Une réunion de ce réseau national des référents de protection de l'enfance s'est tenue la semaine dernière. Nous invitons ceux qui mettent en oeuvre cette politique sur le terrain à partager leurs expériences, les bonnes pratiques et à exprimer les difficultés. Nous invitons également l'Assemblée des Départements de France, les collègues de la DPJJ et d'autres partenaires, à présenter leurs actions, afin de pouvoir améliorer le pilotage de cette politique. Des dispositions ont donc été prises pour faire en sorte que cette politique soit mieux articulée, mieux coordonnée et que l'action de l'État, dans toutes ses dimensions, soit plus en phase avec les difficultés exprimées parfois par les Conseils départementaux.

Néanmoins, bien que des progrès aient été accomplis, demeure le sujet de la gouvernance et du pilotage d'une politique qui, même si elle a été confiée à des autorités décentralisées, à des collectivités territoriales, reste une politique nationale. J'en prends pour preuve le fait que les articles de la loi de mars 2016, relative à la protection de l'enfant, ont redéfini ce qu'était la politique de la protection de l'enfance. Le législateur a défini une politique nationale. Il n'a pas dit que la protection de l'enfance est une politique départementale, consolidée au niveau national ex-post. Il a bien fixé ce qu'était la politique de la protection de l'enfance. Si nous voulons vraiment que cette politique nationale soit mise en oeuvre dans un cadre qui offre un socle, qui respecte les dispositions législatives et les droits de l'enfant attestés dans la convention internationale des droits de l'enfant, il faut une meilleure coordination et une articulation supérieure. C'est pourquoi Adrien Taquet, le Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, auprès d'Agnès Buzyn, a initié une démarche de groupes de travail pour redéfinir quel devait être le cadre de la politique de la protection de l'enfance et a souhaité que l'un de ces groupes de travail soit spécifiquement dédié aux questions de gouvernance et de pilotage de la protection de l'enfance, à la fois nationale et territoriale. J'ai été chargé par Adrien Taquet de coprésider ce groupe avec Frédéric Bierry qui est le président de la commission sociale de l'Assemblée des Départements de France et le président du Conseil départemental du Bas-Rhin. Nous avons tenu hier la deuxième réunion de ce groupe où nous avons dialogué, sur la base d'un diagnostic réalisé lors de la première séance, sur tous les éléments de la gouvernance nationale et territoriale qui méritaient d'être améliorés. Nous avons commencé à discuter avec les membres de ce groupe pluriel, où sont présents des jeunes protégés, notamment, une jeune fille qui est placée dans un village d'enfants depuis maintenant huit ans et qui a pu s'exprimer sur ces sujets pour essayer de faire émerger des propositions qui améliorent la gouvernance et le pilotage de la protection de l'enfance. Un point nous semble névralgique à tous et à toutes, à savoir que nous ne pourrons pas améliorer le pilotage si nous n'avons pas une meilleure connaissance ni de meilleures données sur la protection de l'enfance, sur l'activité des Conseils départementaux, mais aussi des juridictions. Il faut savoir pourquoi nous rencontrons parfois cette difficulté de délais d'exécution très longs des décisions de justice, afin d'analyser s'il existe un décalage entre les ressources disponibles localement pour l'assistance éducative ou pour les placements et les décisions qui sont prises par les juges ou si la politique de placement est trop importante par rapport à des mesures de prévention et d'accompagnement des familles. Sans une connaissance très fine des phénomènes, même avec les meilleures instances qui soient, nous ne pourrons pas améliorer le pilotage et la gouvernance. Nous avons donc intégré ce sujet des données, de la connaissance et du reporting comme étant un point essentiel de la gouvernance et du pilotage.

Concernant la formation des professionnels en protection de l'enfance, le législateur et le pouvoir réglementaire ne sont pas allés aussi loin que pour d'autres champs, notamment les établissements sociaux et médico-sociaux, en définissant que très peu de règles minimales de fonctionnement des établissements. Ils n'ont pas prévu de façon très fine et détaillé le type de professionnels, les diplômes ni le taux d'encadrement de ces structures. Lors de la décentralisation, il avait été décidé laisser les autorités départementales choisir quels devaient être les moyens mobilisés à la fois en termes quantitatifs et de qualification des professionnels. Ces structures n'ont pas les mêmes règles de fonctionnement, fixées par voie réglementaire, que les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Une plus grande marge a été laissée au dialogue local entre les Conseils départementaux et des établissements et services. C'est peut-être un point de réflexion ou d'amélioration que d'essayer de définir un socle plus précis.

Par ailleurs, sur la formation des professionnels, l'État, au travers de la Direction générale de la cohésion sociale, a la charge de définir les diplômes d'État en travail social. Il le fait de façon partenariale au sein d'une Commission professionnelle consultative, la CPC du travail social. Nous avons donc conduit, avec les membres de la CPC, un important travail de refonte des diplômes d'éducateurs, à la fois pour réexaminer le contenu des programmes et des formations qui avait vieilli et revaloriser les professions d'éducateur, en faisant passer du niveau 3 de certification au niveau 2 les trois diplômes d'éducateur. Nous avons conduit deux ans de travaux, mobilisant l'ensemble des membres de la Commission professionnelle consultative du travail social.

Je ne partage pas totalement le constat selon lequel nous avons noyé, dans la pluridisciplinarité, les spécificités des différents métiers d'éducateurs. Le socle commun de formation a fait débat et a causé des remous lors du lancement de la démarche des États généraux du travail social. Ce socle commun comprend deux notions. Les connaissances partagées entre les trois métiers d'éducateurs et les cinq diplômes qui ont été portés au niveau 2 atteignent environ 30 % du temps total de formation . Nous conservons une spécialisation dans les trois diplômes d'éducateurs, avec des différences importantes entre les éducateurs pour la petite enfance, les éducateurs spécialisés et les éducateurs techniques spécialisés. Chaque cursus de formation permet d'avoir un niveau de spécialisation qui rend les professionnels aptes à assurer les missions qui seront les leurs, selon qu'ils se dirigent vers des structures accueillant des enfants de moins de six ans ou vers l'éducation spécialisée. Les stages permettent aussi de découvrir, par la pratique, les prérequis, le contexte et les missions des différents métiers. Je ne pense pas que nous ayons atteint une dilution de la spécialisation des trois métiers d'éducateurs avec la mise en place de ce socle commun. La déontologie de l'intervention des professionnels, les pratiques d'évaluation sociale des personnes, les pratiques d'accompagnement des parcours des personnes ne sont pas si spécifiques qu'elles ne peuvent pas être partagées par les trois professions d'éducateurs. C'est ma position et je n'ai pas pour l'instant de retour de la part des employeurs ou des organisations professionnelles qui m'indiqueraient que nous sommes allés trop loin dans le bloc de savoirs communs et partagés entre les trois professions d'éducateurs. Il ne peut pas être démontré de façon sûre et certaine que nous sommes allés trop loin dans le socle partagé de formation.

Au sujet du contrôle des lieux d'accueil, nous avons encore une compétence partagée. Les Conseils départementaux sont l'autorité de droit commun qui autorise et contrôle les structures, puisque leur responsabilité a été confiée en matière d'aide sociale à l'enfance, mais le préfet garde néanmoins un pouvoir de contrôle subsidiaire par rapport au président du Conseil départemental, au titre de la sécurité des populations. Ainsi, le préfet intervient parfois à la demande ou en cas de carence du Conseil départemental. Dans certains départements, les équipes du Conseil départemental ne peuvent parfois pas être face à la complexité des situations. Tel est souvent le cas par exemple dans les départements d'outre-mer où les équipes territoriales du Conseil départemental s'avouent parfois dans l'incapacité de mener un contrôle dans une structure où des faits graves ont été avérés ou font l'objet d'une suspicion importante. Ces contrôles sont conduits par les Conseils départementaux sur les mêmes bases que toute autorité en charge du contrôle. Elle essaie de le faire de façon régulière afin que toute structure soit visitée dans un délai raisonnable. Ensuite, elle le fait sur signalement ou sur présomption, lorsqu'elle pense que le fonctionnement de l'établissement n'est pas satisfaisant. La Direction générale de la cohésion sociale ne dispose pas de chiffres sur le nombre de contrôles qui sont effectués. Cela ne fait pas partie des informations que les Départements communiquent, conformément à des obligations qui auraient fixées dans les textes.

Nous constatons, me semble-t-il, une prise de conscience collective assez large – certains faits médiatiques y ont peut-être aidé – sur le fait qu'il était important d'assurer une pratique plus régulière des contrôles. Il existe des dispositifs communs à l'ensemble des centres sociaux et médico-sociaux, comme la pratique des évaluations externes, qui sont en cours de refonte depuis qu'ils ont été confiés par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 à la Haute Autorité de Santé. Nous ne pourrons pas contrôler tous les établissements chaque année, ce qui serait très lourd et très compliqué en termes opérationnels. Au sein de l'Éducation nationale, les inspecteurs académiques ne contrôlent pas l'ensemble des classes tous les ans. Il y a des plans de contrôle et une certaine rotation. Si nous renforçons les référentiels d'évaluation externes et si un tiers extérieur est mandaté pour vérifier la conformité du fonctionnement de l'établissement à un référentiel précis, nous aurons sans doute gagné beaucoup en termes d'amélioration du fonctionnement des établissements. L'évaluation externe permet de pointer ce qui est fait et ce qui n'est pas fait dans l'établissement par rapport au respect de la loi. Elle repose aussi sur le principe de la participation des personnes qui sont prises en charge par l'établissement. L'expression de la parole des enfants ou des jeunes en matière de protection de l'enfance est un point de progrès évident dans l'organisation et le fonctionnement des établissements. Elle permet de faire progresser les règles de fonctionnement de l'établissement et les règles de vie commune, de façon beaucoup plus acceptée et beaucoup plus appropriée par les enfants et les jeunes. Elle permet d'apaiser les tensions qui peuvent naître dans certains établissements, autour de sujets très concrets tels que les modalités d'entrée et de sortie de l'établissement, la gestion de l'accès aux téléphones portables et à internet. Certains établissements s'appuient sur les Conseils de vie sociale ou sur des délégués des jeunes pour essayer de trouver les meilleurs arbitrages. Les enfants doivent avoir accès de la façon la plus normale possible à ce dont les autres enfants profitent et jouissent, mais nous n'allons pas donner nécessairement un téléphone portable à un enfant, dans un foyer, à 9 ans. Toutes ces règles peuvent se définir avec la participation des enfants et être beaucoup appropriées par les établissements.

La fonction de contrôle doit être reprise et organisée et l'État peut y contribuer, le cas échéant, lorsque le Conseil départemental rencontre une difficulté pour mener un contrôle particulièrement difficile. Nous devons aussi améliorer la façon dont l'établissement, avec l'évaluation externe, se met de lui-même en conformité avec les règles de fonctionnement des établissements en matière de protection de l'enfance.

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