Je vais essayer d'éclairer la contribution des agences régionales de la santé à la manière dont on prend soin des enfants et des adolescents.
La plupart des projets régionaux de santé ont parmi leurs priorités la prévention et la protection de la santé des enfants et des adolescents. Nous poursuivons cet objectif dans le cadre d'une approche qu'on pourrait qualifier d'« universalisme proportionné ». C'est-à-dire que notre action porte sur la santé de tous, mais il est évident que nous devons avoir une action d'ampleur et d'intensité proportionnelle au niveau de défaveur sociale. Nous nous adressons à tous, mais il faut toujours prendre plus particulièrement soin et attention des populations les plus vulnérables, au premier rang desquelles se trouvent, dans le domaine de la santé des adolescents, celles et ceux qui relèvent de la protection et de l'aide sociale à l'enfance.
On sait que les inégalités sociales de santé concernent tout particulièrement les enfants. Ils sont proportionnellement plus touchés par la pauvreté et par les problèmes de santé. Le plan « Ambition prévention » défini par la ministre des solidarités et de la santé, tout comme le plan de lutte contre la pauvreté, ont très clairement indiqué la cible pour les ARS. Agir pour ces enfants, agir le plus précocement possible, essayer de prévenir les risques auxquels ils sont exposés, est un enjeu central de santé publique, mais aussi de cohésion sociale.
Je voudrais d'abord dresser quatre constats, avant de formuler un certain nombre de propositions. Je prendrai l'exemple des Pays-de-la-Loire, mais beaucoup d'autres régions pourraient apporter leur témoignage au sujet de ce qu'on appelle l'accompagnement des jeunes en situation de handicap et les questions de santé relevant de la protection de l'enfance. Je me base sur un document que je tiens à votre disposition.
Le premier constat que nous avons mis en évidence dans la région, c'est que nous présentons une prévalence plus forte du handicap et des problématiques de santé somatique, psychiatrique et psychologique bien plus importantes pour tous les jeunes concernés. On constate encore une absence de données quantitatives et qualitatives précises. De très rares études ont été menées. Je vais en citer une qui est extrêmement intéressante. Cela me permettra de rendre hommage à la « recherche Saint-Ex », menée par des praticiens du CHU d'Angers au foyer de l'enfance Saint-Exupéry d'Angers.
Avec un certain nombre de partenaires, ils ont examiné une cohorte de 129 enfants, sur plus de vingt ans. Les enfants avaient été placés avant l'âge de quatre ans. Ils ont essayé de voir quels était leur parcours en matière de handicap et de santé. Eh bien, les chiffres montrent des prévalences plus élevées chez ce public : 25 % des enfants deviennent invalides à l'âge adulte et évoluent vers le handicap psychique, des troubles psychiatriques, des difficultés graves d'adaptation sociale… Le recours aux soins pédopsychiatrique est 42 fois plus élevé qu'en population générale : 75 % ont reçu des soins et 28 % ont été hospitalisés, soit 121 fois la prévalence de la population générale.
Vingt-sept de ces enfants ont bénéficié d'une prise en charge en établissement médico-social, soit 21 % d'entre eux. C'est 31 fois la proportion au sein de la population générale. Enfin, 21 enfants, soit un sur six, du fait de lourdes difficultés liées à la pathologie psychiatrique a bénéficié de mesures extrêmement complexes relevant à la fois du social, du médico-social et de la psychiatrie. Les rares études démontrent donc la prévalence et l'incidence extrêmement importantes des pathologies qui touchent ces enfants.
Pourtant, cette étude a révélé un enseignement plus encourageant, à savoir que les bébés prématurés à risque psycho-social, à partir du moment où ils ont bénéficié d'une intervention très précoce, connaissent, dans leur parcours de vie, une évolution nettement plus favorable que celles et ceux qui n'ont pas bénéficié du repérage et du dépistage le plus précoce. Cela signifie très clairement que, plus le délai entre la première alerte et le premier placement est grand, plus les hospitalisations psychiatriques ou les risques de handicap au cours du parcours de vie et de santé sont fréquents.
Beaucoup d'acteurs interviennent dans le domaine de la prévention et du soin. Le constat montre que les acteurs de la prévention sont, dans certains territoires, nombreux ; mais ils croisent insuffisamment leur regard. On constate à la fois un non-actionnement des dispositifs de prévention existants par les familles et les professionnels de la zone et, à l'inverse, une connaissance encore insuffisante de certains professionnels de santé au sujet des problématiques sociales et, notamment, des informations préoccupantes. On voit bien qu'il y a là un enjeu très important de décloisonnement et d'action collective, car il s'agit d'intervenir le plus précocement possible.
Un troisième constat a été révélé, à savoir que les jeunes concernés bénéficient parfois d'une multiplicité d'intervenants, mais aussi de projets. On a pu constater un cas où l'enfant pouvait suivre non moins de six projets : le projet pour l'enfant porté par l'ASE, le projet individualisé d'accompagnement, le projet personnalisé de scolarisation… Bref, beaucoup de projets et d'actions pour ces enfants, mais pas forcément très coordonnés.
Quatrième constat : les tensions se cristallisent souvent autour de la question de l'hébergement et des missions respectives de l'internat médico-social et de l'hébergement social. C'est la situation bien connue des enfants confiés à l'ASE, mais qui ne reçoivent pas de réponse, parce qu'il n'y a parfois pas de réponse en internat, dans le champ médico-social, ou en pédopsychiatrie. Ces enfants sont alors « baladés » entre différentes institutions.
Le document sur lequel je m'appuie a formulé sept propositions, à vocation régionale, dont je vous cite quelques-unes. Disposer d'une meilleure connaissance de ce public et de ses besoins, comme des attentes réciproques des acteurs quant à leur prise en charge, c'est-à-dire engager des études épidémiologiques et de santé, plaider auprès des départements pour la mise en place effective d'observatoires de protection de l'enfance et mener des études croisées entre les trois champs social, médico-social et de psychiatrie. Améliorer la prévention et le repérage précoce des handicaps et des problématiques somatiques, afin de mettre en place rapidement les accompagnements sociaux et médico-sociaux nécessaires, tel le projet que vous exposera M. Pratmarty. Garantir le partage de l'information autour des situations complexes, en s'appuyant sur les délibérations de la CNIL, pour alléger les formalités et permettre un suivi personnalisé des personnes accueillies, ce qui pose la question du secret partagé. Faciliter les relations entre les partenaires de la protection de l'enfance, ceux du handicap et ceux de la santé qui se penchent sur l'enfant en situation de vulnérabilité plurielle, pour mieux mettre en synergie tous les dispositifs qui existent, y compris en amenant des modalités de financement, des expérimentations et des accompagnements un peu différents de ce qu'on connaît.
Il s'agit aussi d'agir au niveau institutionnel. L'action des ARS n'est évidemment pas solitaire. Elles opèrent avec l'ensemble de leurs partenaires. Nous pourrons ainsi vous donner l'exemple de conventions réussies entre elles et des conseils départementaux, parfois associés à d'autres acteurs, tels que l'éducation nationale ou les services de la justice. Tout le monde se met autour de la table pour répondre aux besoins, et non l'inverse.
Enfin, comme je le disais, il faut tenir compte de la spécificité de ce public dans la planification de l'offre médico-sociale et de l'offre de santé, en incitant à la création de structures et de dispositifs qui peuvent croiser les réponses sociales, médico-sociale et sanitaire. Pour cela, il convient de renforcer la capacité d'accueil de l'ASE et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), en développant toute formule du « aller vers ». Nous pensons que tout ce qui concerne les équipes mobiles et les services sur le lieu de vie de l'enfant relèvent d'une bonne orientation. Il faut aussi développer pour les enfants l'offre de répit des établissements le week-end et pendant les vacances, dans certains départements. Car on observe des ruptures, lorsque les structures médico-sociales ou sanitaires n'ont pas toujours de réponse 365 jours par an, étant entendu que ces enfants ne peuvent pas non plus être baladés d'une institution à l'autre.
J'en terminerai sur le champ de la prévention et la promotion de la santé, en disant que les ARS interviennent pour lutter contre plusieurs risques. D'abord les risques sociaux et comportementaux, pour lesquels nous proposons le développement de compétences psychosociales, action qui peut s'adresser effectivement aux enfants et aux adolescents. Ensuite les risques environnementaux : les agences régionales de santé, avec leurs partenaires, ont aussi vocation à agir sur le milieu de vie, par exemple en matière d'habitat, en prenant toutes les mesures de prévention et de lutte contre l'habitat indigne et l'habitat insalubre.
Nous luttons aussi contre un troisième facteur de risque, à savoir les risques infectieux. Il y a ainsi une contribution des ARS à la vaccination, au dépistage, à la veille et à la gestion des risques sanitaires, notamment lorsqu'il y a des épidémies. Car, souvent, ces enfants vulnérables y sont plus exposés que d'autres. Nous luttons aussi contre les risques de violence, grâce à la sensibilisation des professionnels de santé sociaux : hospitaliers et libéraux, grâce au financement de l'unité médico-judiciaire pédiatrique et grâce à la prise en charge psychologique, psychiatrique ou somatique. À cet égard, je pourrais vous parler, en Pays-de-la-Loire, du déploiement d'une expérimentation qui s'appelle « Écoute-moi ». Elle a vocation à financer, pour les enfants et les parents, des temps de consultations psychologiques gratuites, pour les moins de 21 ans, en soutien avec la maison des adolescents.
Aux yeux des ARS, les actions les plus intéressantes sont celles que nous engageons dans le cadre d'un partenariat un peu systématique avec les conseils départementaux, sous la forme de contrats pluriannuels de partenariat et de confiance qui permettent effectivement d'inviter et de mieux rapprocher les problématiques de santé et les problématiques sociales.