Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Jeudi 13 juin 2019
La séance est ouverte à neuf heures vingt.
Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents
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Mes chers collègues, nous recevons ce matin plusieurs responsables des politiques de santé : Mme Sylvie Escalon, adjointe auprès du sous-directeur de la régulation de l'offre de soins, et M. Thierry Kurth, chef du bureau prises en charge post-aigües, pathologies chroniques et santé mentale à la direction générale de l'offre de soins (DGOS) ; M. Samuel Pratmarty, directeur de l'offre de soins et de l'autonomie à l'agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine et M. Jean-Jacques Coiplet, directeur général de l'ARS des Pays-de-la-Loire.
Comme vous le savez, notre mission s'attache à analyser la politique de l'aide sociale à l'enfance dans un contexte global qui revêt de multiples aspects socio-éducatifs et de santé. Nous avons décidé la tenue de cette table ronde pour évoquer les dispositifs spécifiques qui peuvent être mis en place au bénéfice des enfants particulièrement fragiles et vulnérables.
Je représente aujourd'hui la direction générale de l'offre de soins (DGOS). La DGOS est compétente, au sein du ministère des solidarités et de la santé, pour toutes les actions actuellement en cours concernant le volet de l'offre de soins en faveur des enfants et des adolescents.
Comme vous le savez, c'est un axe prioritaire de la stratégie nationale de santé, lancée en 2017. C'est également l'un des axes prioritaires des travaux qui sont en cours et qui ont donné lieu, notamment, au projet de loi, en cours de discussion, sur l'organisation de la transformation du système de santé. Nous n'avons pas, à ce stade, de politique particulière pour les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Cependant, comme vous allez le voir, nous avons plusieurs dispositifs, au sein du ministère de la santé et, plus particulièrement, de la DGOS, qui sont des dispositifs très adaptés pour répondre aux exigences de soins plus particulières de ces enfants. L'ARS de Nouvelle-Aquitaine vous présentera un dispositif auquel nous avons participé. Cette expérimentation est en cours d'évaluation. Comme vous le savez, le secrétariat d'État de M. Taquet a lancé des travaux concernant la protection de l'enfance, depuis le mois de mars 2019.
Comment la DGOS peut-elle intervenir dans les domaines qui la concerne plus particulièrement ? En termes de constat, autour de 20 % des enfants relevant des services de l'ASE ont une reconnaissance de handicap par la « maison départementale des personnes handicapées » (MDPH). Ce chiffre n'inclut pas toutes les situations potentielles de handicap non repérées et non reconnues. Certaines structures relevant de la protection de l'enfance sont actuellement peu médicalisées. Dans le même temps, un tiers des enfants qui sont placés ont des difficultés psychiques. Celles-ci ne sont pas toujours bien repérées ou bien prises en charge. C'est une préoccupation pour nous aussi.
La direction générale de la cohésion sociale (DGCS), plus particulièrement compétente pour mener cette politique de protection de l'enfance, a pu montrer que les bilans de santé de l'enfant, au cours du placement, alors même qu'ils sont prévus dans les textes et sont obligatoires, ne sont pas toujours exhaustifs. Sur le handicap, sur la psychiatrie, sur les violences faites aux enfants ou sur le repérage, les bilans et le suivi, nous sommes, à la DGOS, fortement mobilisés.
Au ministère de la santé, nous n'avons pas de dispositif spécifiquement consacré à ces enfants en termes de santé, puisque notre travail de prise en charge consiste plutôt à développer des dispositifs de droit commun qui puissent s'adapter aussi à ces types de public. Je vais vous présenter quelques-unes de ces offres de soins : le repérage ; les travaux nés autour du programme « Ma santé 2022 » ; la psychiatrie et les violences ; le handicap ; les unités médico-judiciaires (UMJ).
La ministre nous a demandé de porter une attention toute particulière à l'offre de soins en psychiatrie et en santé mentale. Une feuille de route psychiatrie a été lancée l'année dernière, en juin 2018. Plusieurs de ses points et mesures doivent permettre de répondre à ce public particulier. L'offre de soins en psychiatrie infanto-juvénile est un axe prioritaire. Des moyens plus particuliers sont mis en oeuvre dès cette année, autour des situations de crise et de la prise en charge ambulatoire dont on pense que ces enfants pourraient bénéficier plus particulièrement.
En outre, nous menons des travaux généraux sur toutes les activités de soins et, plus particulièrement, sur la réforme des autorisations d'activités de soins. Tous les décrets de fonctionnement qui autorisent une activité dans un établissement de santé sont en train d'être évalués, à l'heure actuelle, par le ministère de la santé. Ce travail est piloté par la DGOS. À cette occasion, des discussions ont lieu, notamment dans le cadre du groupe de travail périnatalité, avec les professionnels de ces questions. Nous discutons avec eux du repérage le plus précoce et de la prise en charge, au cours de la grossesse, des mères chez qui on pourrait détecter une détresse psychique, de façon à mieux accompagner, après la grossesse, ces femmes, ces enfants et ces foyers.
Un autre axe d'action peut contribuer à la prise en charge sanitaire des enfants : les maisons des adolescents. C'est un dispositif, qui s'est développé depuis 2005, mais qui prend de plus en plus d'essor et montre toute son importance. S'agissant de la violence faite aux enfants, nous avons mis en oeuvre, à la fin de l'année dernière, des dispositifs de prise en charge des psycho-traumatismes. Ce sont des dispositifs généraux valables pour tout type de violence, mais qui sont conçus pour déboucher ensuite sur des prises en charge plus spécifiques, notamment en matière de violence faite aux enfants.
Un centre national de ressources et de résilience a été inauguré en février 2019. D'une certaine façon, il articule tous ces dispositifs. Il a également comme axe de travail la recherche, les recommandations de bonnes pratiques et la détection, ou l'aide à la détection, du psycho-traumatisme. Pour les enfants handicapés, des consultations destinées aux personnes handicapées ont été développées à partir de 2015. Un bilan va être fait cette année, pour voir s'il est nécessaire de les renforcer et de les adapter, et s'il faut revoir le modèle de financement.
Nous travaillons également sur les unités médico judiciaires (UMJ), structures de médecine légale du vivant implantées dans les établissements de santé. Nous en avons 48. Elles sont un outil indispensable d'aide à l'enquête nécessaire au bon fonctionnement du service public de la justice et de manifestation de la vérité.
Le dernier point sur lequel nous travaillons est la prise en charge des non-accompagnés : ces jeunes enfants migrants privés ; temporairement ou définitivement, de la protection de leur famille. Ils constituent un public fragilisé sur lequel nous avons aussi des discussions. Des travaux sont en cours pour remédier à la situation de ces enfants, qui peuvent relever des dispositifs de protection de l'enfance et de l'ASE.
Je vais essayer d'éclairer la contribution des agences régionales de la santé à la manière dont on prend soin des enfants et des adolescents.
La plupart des projets régionaux de santé ont parmi leurs priorités la prévention et la protection de la santé des enfants et des adolescents. Nous poursuivons cet objectif dans le cadre d'une approche qu'on pourrait qualifier d'« universalisme proportionné ». C'est-à-dire que notre action porte sur la santé de tous, mais il est évident que nous devons avoir une action d'ampleur et d'intensité proportionnelle au niveau de défaveur sociale. Nous nous adressons à tous, mais il faut toujours prendre plus particulièrement soin et attention des populations les plus vulnérables, au premier rang desquelles se trouvent, dans le domaine de la santé des adolescents, celles et ceux qui relèvent de la protection et de l'aide sociale à l'enfance.
On sait que les inégalités sociales de santé concernent tout particulièrement les enfants. Ils sont proportionnellement plus touchés par la pauvreté et par les problèmes de santé. Le plan « Ambition prévention » défini par la ministre des solidarités et de la santé, tout comme le plan de lutte contre la pauvreté, ont très clairement indiqué la cible pour les ARS. Agir pour ces enfants, agir le plus précocement possible, essayer de prévenir les risques auxquels ils sont exposés, est un enjeu central de santé publique, mais aussi de cohésion sociale.
Je voudrais d'abord dresser quatre constats, avant de formuler un certain nombre de propositions. Je prendrai l'exemple des Pays-de-la-Loire, mais beaucoup d'autres régions pourraient apporter leur témoignage au sujet de ce qu'on appelle l'accompagnement des jeunes en situation de handicap et les questions de santé relevant de la protection de l'enfance. Je me base sur un document que je tiens à votre disposition.
Le premier constat que nous avons mis en évidence dans la région, c'est que nous présentons une prévalence plus forte du handicap et des problématiques de santé somatique, psychiatrique et psychologique bien plus importantes pour tous les jeunes concernés. On constate encore une absence de données quantitatives et qualitatives précises. De très rares études ont été menées. Je vais en citer une qui est extrêmement intéressante. Cela me permettra de rendre hommage à la « recherche Saint-Ex », menée par des praticiens du CHU d'Angers au foyer de l'enfance Saint-Exupéry d'Angers.
Avec un certain nombre de partenaires, ils ont examiné une cohorte de 129 enfants, sur plus de vingt ans. Les enfants avaient été placés avant l'âge de quatre ans. Ils ont essayé de voir quels était leur parcours en matière de handicap et de santé. Eh bien, les chiffres montrent des prévalences plus élevées chez ce public : 25 % des enfants deviennent invalides à l'âge adulte et évoluent vers le handicap psychique, des troubles psychiatriques, des difficultés graves d'adaptation sociale… Le recours aux soins pédopsychiatrique est 42 fois plus élevé qu'en population générale : 75 % ont reçu des soins et 28 % ont été hospitalisés, soit 121 fois la prévalence de la population générale.
Vingt-sept de ces enfants ont bénéficié d'une prise en charge en établissement médico-social, soit 21 % d'entre eux. C'est 31 fois la proportion au sein de la population générale. Enfin, 21 enfants, soit un sur six, du fait de lourdes difficultés liées à la pathologie psychiatrique a bénéficié de mesures extrêmement complexes relevant à la fois du social, du médico-social et de la psychiatrie. Les rares études démontrent donc la prévalence et l'incidence extrêmement importantes des pathologies qui touchent ces enfants.
Pourtant, cette étude a révélé un enseignement plus encourageant, à savoir que les bébés prématurés à risque psycho-social, à partir du moment où ils ont bénéficié d'une intervention très précoce, connaissent, dans leur parcours de vie, une évolution nettement plus favorable que celles et ceux qui n'ont pas bénéficié du repérage et du dépistage le plus précoce. Cela signifie très clairement que, plus le délai entre la première alerte et le premier placement est grand, plus les hospitalisations psychiatriques ou les risques de handicap au cours du parcours de vie et de santé sont fréquents.
Beaucoup d'acteurs interviennent dans le domaine de la prévention et du soin. Le constat montre que les acteurs de la prévention sont, dans certains territoires, nombreux ; mais ils croisent insuffisamment leur regard. On constate à la fois un non-actionnement des dispositifs de prévention existants par les familles et les professionnels de la zone et, à l'inverse, une connaissance encore insuffisante de certains professionnels de santé au sujet des problématiques sociales et, notamment, des informations préoccupantes. On voit bien qu'il y a là un enjeu très important de décloisonnement et d'action collective, car il s'agit d'intervenir le plus précocement possible.
Un troisième constat a été révélé, à savoir que les jeunes concernés bénéficient parfois d'une multiplicité d'intervenants, mais aussi de projets. On a pu constater un cas où l'enfant pouvait suivre non moins de six projets : le projet pour l'enfant porté par l'ASE, le projet individualisé d'accompagnement, le projet personnalisé de scolarisation… Bref, beaucoup de projets et d'actions pour ces enfants, mais pas forcément très coordonnés.
Quatrième constat : les tensions se cristallisent souvent autour de la question de l'hébergement et des missions respectives de l'internat médico-social et de l'hébergement social. C'est la situation bien connue des enfants confiés à l'ASE, mais qui ne reçoivent pas de réponse, parce qu'il n'y a parfois pas de réponse en internat, dans le champ médico-social, ou en pédopsychiatrie. Ces enfants sont alors « baladés » entre différentes institutions.
Le document sur lequel je m'appuie a formulé sept propositions, à vocation régionale, dont je vous cite quelques-unes. Disposer d'une meilleure connaissance de ce public et de ses besoins, comme des attentes réciproques des acteurs quant à leur prise en charge, c'est-à-dire engager des études épidémiologiques et de santé, plaider auprès des départements pour la mise en place effective d'observatoires de protection de l'enfance et mener des études croisées entre les trois champs social, médico-social et de psychiatrie. Améliorer la prévention et le repérage précoce des handicaps et des problématiques somatiques, afin de mettre en place rapidement les accompagnements sociaux et médico-sociaux nécessaires, tel le projet que vous exposera M. Pratmarty. Garantir le partage de l'information autour des situations complexes, en s'appuyant sur les délibérations de la CNIL, pour alléger les formalités et permettre un suivi personnalisé des personnes accueillies, ce qui pose la question du secret partagé. Faciliter les relations entre les partenaires de la protection de l'enfance, ceux du handicap et ceux de la santé qui se penchent sur l'enfant en situation de vulnérabilité plurielle, pour mieux mettre en synergie tous les dispositifs qui existent, y compris en amenant des modalités de financement, des expérimentations et des accompagnements un peu différents de ce qu'on connaît.
Il s'agit aussi d'agir au niveau institutionnel. L'action des ARS n'est évidemment pas solitaire. Elles opèrent avec l'ensemble de leurs partenaires. Nous pourrons ainsi vous donner l'exemple de conventions réussies entre elles et des conseils départementaux, parfois associés à d'autres acteurs, tels que l'éducation nationale ou les services de la justice. Tout le monde se met autour de la table pour répondre aux besoins, et non l'inverse.
Enfin, comme je le disais, il faut tenir compte de la spécificité de ce public dans la planification de l'offre médico-sociale et de l'offre de santé, en incitant à la création de structures et de dispositifs qui peuvent croiser les réponses sociales, médico-sociale et sanitaire. Pour cela, il convient de renforcer la capacité d'accueil de l'ASE et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), en développant toute formule du « aller vers ». Nous pensons que tout ce qui concerne les équipes mobiles et les services sur le lieu de vie de l'enfant relèvent d'une bonne orientation. Il faut aussi développer pour les enfants l'offre de répit des établissements le week-end et pendant les vacances, dans certains départements. Car on observe des ruptures, lorsque les structures médico-sociales ou sanitaires n'ont pas toujours de réponse 365 jours par an, étant entendu que ces enfants ne peuvent pas non plus être baladés d'une institution à l'autre.
J'en terminerai sur le champ de la prévention et la promotion de la santé, en disant que les ARS interviennent pour lutter contre plusieurs risques. D'abord les risques sociaux et comportementaux, pour lesquels nous proposons le développement de compétences psychosociales, action qui peut s'adresser effectivement aux enfants et aux adolescents. Ensuite les risques environnementaux : les agences régionales de santé, avec leurs partenaires, ont aussi vocation à agir sur le milieu de vie, par exemple en matière d'habitat, en prenant toutes les mesures de prévention et de lutte contre l'habitat indigne et l'habitat insalubre.
Nous luttons aussi contre un troisième facteur de risque, à savoir les risques infectieux. Il y a ainsi une contribution des ARS à la vaccination, au dépistage, à la veille et à la gestion des risques sanitaires, notamment lorsqu'il y a des épidémies. Car, souvent, ces enfants vulnérables y sont plus exposés que d'autres. Nous luttons aussi contre les risques de violence, grâce à la sensibilisation des professionnels de santé sociaux : hospitaliers et libéraux, grâce au financement de l'unité médico-judiciaire pédiatrique et grâce à la prise en charge psychologique, psychiatrique ou somatique. À cet égard, je pourrais vous parler, en Pays-de-la-Loire, du déploiement d'une expérimentation qui s'appelle « Écoute-moi ». Elle a vocation à financer, pour les enfants et les parents, des temps de consultations psychologiques gratuites, pour les moins de 21 ans, en soutien avec la maison des adolescents.
Aux yeux des ARS, les actions les plus intéressantes sont celles que nous engageons dans le cadre d'un partenariat un peu systématique avec les conseils départementaux, sous la forme de contrats pluriannuels de partenariat et de confiance qui permettent effectivement d'inviter et de mieux rapprocher les problématiques de santé et les problématiques sociales.
Je vais insister devant vous sur ce qui me paraît constituer une nécessité pour l'avenir, au vu de l'exemple de la région Nouvelle-Aquitaine, à savoir la nécessité d'une meilleure articulation entre les institutions et d'une meilleure organisation des parcours de soin pour les enfants qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance.
Je commencerai par la meilleure articulation entre les institutions compétentes, à un titre ou à un autre, en matière de prise en charge des enfants à titre principal, comme les conseils départementaux, ou à titre intermédiaire, comme les ARS, mais aussi les MDPH, voire la PJJ, pour ne citer que les principales. Il est absolument nécessaire de mieux articuler ces institutions – dans le respect de leurs champs de compétence respectifs, bien évidemment. Cela nous paraît une condition indispensable pour remédier aux difficultés qui ont pu être évoquées.
Je crois que tout le monde est d'accord pour dire que la santé et le bien-être des enfants dépendent d'une prise en charge qui doit être globale. Or cette prise en charge globale ne peut être assurée que si les différentes institutions coopèrent et travaillent entre elles. Cela veut donc dire, en pratique, que les politiques de ces différentes institutions doivent être articulées et coordonnées pour sortir d'une prise en charge « en silos », si vous me permettez l'expression. Il s'agit au contraire de garantir une approche globale.
En pratique, cela implique deux choses. D'abord, il faut simplement identifier les besoins collectivement et de manière croisée sans chercher à imposer son point de vue, s'écouter les uns et les autres, se mettre au niveau de ses interlocuteurs et faire en sorte d'adapter les dispositifs en conséquence. Ensuite, il faut tout simplement concevoir et mettre en oeuvre, ensemble, de manière coordonnée, les différents plans d'action qui auront pu être décidés entre les différents partenaires.
La formalisation de ces partenariats me paraît nécessaire, par exemple sous forme de conventions. Mais toute autre formalisation est bien évidemment possible, à la fois pour officialiser et, surtout, pour rendre opposable ce cadre d'action partagé entre les uns et les autres. Je voudrais, à cet égard, mettre en avant, un exemple de partenariat dans la région Nouvelle-Aquitaine, entre l'ARS, le conseil départemental de la Gironde et la MDPH de la Gironde. Ce partenariat prend la forme d'une convention, qui a été signée en 2017.
Cette convention est à la fois ambitieuse et modeste. Ambitieuse, parce qu'on est bien conscient des difficultés que nous devons régler collectivement. Modeste, au sens où nous avons fait le choix, plutôt que d'opter pour de grandes déclarations d'intention, de travailler ensemble sur des mesures pragmatiques et opérationnelles, en espérant qu'elles permettront de régler progressivement la situation.
Il est encore un peu tôt pour tirer un bilan de cette expérience commune. Mais on peut d'ores et déjà estimer que des progrès ont été permis. En tout cas, cette coopération nous paraît prometteuse. Certaines mesures sont déjà opérationnelles ; d'autres se mettront progressivement en place à compter de 2019. Je souhaite insister notamment sur le fait que nous avons mis en place conjointement une commission chargée de travailler sur la résolution d'un certain nombre de situations critiques, pour mieux orienter et assurer un meilleur placement et une meilleure prise en charge des enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance.
Dans le département de la Gironde, cette commission se réunit tous les mois et examine les situations individuelles d'enfants. Nous n'avons pas trouvé de solution, à ce stade, pour l'ensemble des enfants, mais, suite à la fermeture de l'une des unités du centre départemental de l'enfance, en janvier ou en février dernier, la question du placement des enfants qui étaient au sein de cette unité s'est posée. En travaillant ensemble, nous sommes parvenus à placer ces enfants dans des institutions adaptées, qui répondent à leurs besoins. C'est un succès modeste, étant donné qu'il y a beaucoup d'autres situations qui n'ont pas encore trouvé de solution, mais au moins sommes-nous parvenus à ce résultat grâce au travail conjoint avec le conseil départemental.
D'autres travaux sont en cours, qui ne devraient pas tarder à livrer des résultats opérationnels au cours des prochains mois : la création d'un dispositif d'alerte pour la prise en charge des enfants et adolescents pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, avec notification de la MDPH et en prenant en compte les problématiques de santé mentale. Bien évidemment, la situation de ces enfants et adolescents peut être examinée par la commission que j'évoquais ou par la commission chargée des situations critiques, dans le cadre de réponses accompagnées pour tous. Mais, parfois, cette temporalité n'est pas adaptée à la situation de crise et les décisions sont prises trop tardivement par rapport au moment où la crise s'est déclenchée.
Nous travaillons donc actuellement sur la mise en place de cette cellule, qui a précisément vocation à assurer une orientation en urgence, sur mesure, de ces enfants. Cette cellule serait composée à la fois d'éducateurs et d'infirmiers spécialisés en psychiatrie, tandis que des psychiatres en assureraient la supervision. Le dispositif aurait vocation à faciliter l'orientation médico-unitaire ou médico-sociale en cas de crise ou de décompensation. Nous espérons pouvoir la mettre en place au cours des prochains mois, si nous parvenons à un accord.
Je souhaitais évoquer devant vous un deuxième exemple, qui me paraît, là aussi, répondre à des besoins, à savoir la structuration d'une offre d'accueil médico-sociale 365 jours sur 365. Aujourd'hui, en Gironde, comme dans la très grande majorité des départements de la région Nouvelle Aquitaine, les structures médico-sociales n'offrent pas de prise en charge 365 jours sur 365. Il n'y en a aucune de ce type en Gironde. Or cette situation peut être à l'origine de ruptures dans le parcours des enfants en général, et des enfants de l'ASE en particulier. Nous souhaitons donc mettre en place une offre alternative complémentaire, qui assure cette prise en charge subsidiaire les jours où les structures de droit commun sont fermées – je pense tout particulièrement au week-end et également aux vacances, notamment les vacances d'été.
Ainsi, nous sommes en train de concevoir un appel à candidatures pour désigner un ou plusieurs gestionnaires qui auront la charge d'assurer ce service au bénéfice des enfants de l'aide sociale à l'enfance. De la même manière, nous travaillons à la mise en place d'équipes mobiles « ressources médico-sociales à fort taux juvénile ». Elles auront pour mission d'intervenir sur les lieux de vie des enfants et des adolescents de l'aide sociale à l'enfance, quels que soient les lieux de vie : foyer de l'enfance ou familles d'accueil.
Leur mission sera triple : assurer la formation de base à la prise en charge des thématiques de santé mentale, auprès des professionnels de ces structures, notamment auprès des éducateurs ; apporter une forme de soutien ou d' « étayage » et proposer un accompagnement aux professionnels, pour qu'ils ne se sentent pas complètement désemparés face à ces situations qu'ils ont du mal à appréhender et à régler ; proposer une aide au diagnostic et à l'évaluation des troubles sur les lieux de vie, en vue d'une orientation future vers des structures plus adaptées.
L'initiative repose sur l'idée de mettre en place des équipes pluridisciplinaires composées à la fois d'éducateurs spécialisés, d'infirmiers psychiatriques et de psychologues, en allouant également le temps de psychiatres. Nous allons, là aussi, travailler pour arrêter le cahier des charges d'ici la fin de l'année et le début de l'année 2020. On envisage la création de deux ou trois équipes de ce type pour le seul département de la Gironde.
Enfin, et j'en terminerai là pour cet exemple, nous travaillons à la création d'un réseau de familles d'accueil renforcé. Cette mesure est assez complémentaire de la mesure précédente. Il s'agit de venir en aide aux assistants familiaux qui prennent en charge les enfants de l'ASE, par la mise à disposition de compétences sanitaires et médico-sociales, notamment sous la forme d'équipes mobiles. Là aussi, on se situe dans une perspective de relativement court terme, puisque la mesure pourrait être mise en place fin 2019 ou début 2020. Voilà donc un exemple de partenariat qui me paraît réussi, même s'il n'est probablement pas à la hauteur des enjeux et n'a pas encore porté tous les fruits attendus.
Nous ne sommes pas allés aussi loin dans la formalisation que dans un département de Nouvelle-Aquitaine, mais, au vu de ces premières expériences, nous nous disons qu'on pourrait potentiellement les proposer aux autres départements de la région.
Deuxième nécessité : une meilleure organisation des parcours de soins. L'articulation entre institutions est indispensable, mais pas suffisante. Elle doit être complétée par un travail de fond, d'organisation des parcours de prise en charge des enfants et des adolescents de l'ASE. Si les professionnels de santé – au sens large – prenant en charge ces enfants sont les mêmes que ceux qui s'occupent des autres enfants et adolescents, leur mobilisation doit être supérieure pour compenser la prévalence de certaines pathologies au sein de cette population. En outre, les méthodes d'intervention doivent être adaptées aux spécificités des enfants de l'ASE.
Le ministère en a pris conscience et soutient donc depuis quelques mois un projet d'expérimentation en application de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 : il s'agit de mettre en place un parcours de soins coordonné pour les enfants et adolescents protégés. Cette expérimentation est préparée par la direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé, en partenariat étroit avec le docteur Nathalie Vabres du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes. À ce stade, trois départements ont été présélectionnés pour participer à l'expérimentation – un en Loire-Atlantique et deux en Nouvelle-Aquitaine.
Cette expérimentation paraît très prometteuse et le parcours particulièrement bien pensé. C'est pourquoi nous avons souhaité y participer. Si elle fonctionne, idéalement, dans un deuxième temps, elle pourrait être déclinée plus largement. Les grands objectifs de ce parcours coordonné sont les suivants : rendre effective l'obligation légale d'évaluation à l'entrée dans le dispositif de l'ASE – cette obligation légale n'est que très marginalement respectée, comme l'a souligné le bilan réalisé en 2016 par le Défenseur des droits ; garantir une prise en charge somatique et en santé mentale la plus précoce possible ; mettre en place des soins et des prises en charge plus individualisés et mieux adaptés aux pathologies des enfants ; garantir la traçabilité des différentes étapes du parcours et alimenter le dossier médical pour permettre la prise en charge dans la durée. S'agissant d'enfants qui peuvent être « baladés » – si vous me permettez l'expression – d'une structure à une autre, il est absolument essentiel de conserver cette mémoire.
À l'entrée dans le dispositif, le parcours de soins reposera sur la réalisation d'un bilan somatique, psychologique et, si nécessaire, d'un bilan de santé mentale. Une actualisation sera réalisée tous les ans, afin de tenir compte de l'évolution de la situation des enfants et des adolescents. Sur la base de ces bilans et de leur actualisation, les enfants et les adolescents seront, le cas échéant, orientés vers des structures spécialisées.
Ce parcours sera confié à titre principal à un médecin généraliste ou à un pédiatre. Les professionnels concernés ne seront pas seuls – c'est l'intérêt de l'expérimentation. Ils pourront s'appuyer sur une structure dédiée. En effet, les référents éducatifs des enfants n'ont ni les compétences, ni le temps d'organiser le parcours de soins de l'enfant. la structure assurera leur suppléance : elle mettra à disposition une liste de professionnels volontaires – ainsi, après consultation du médecin généraliste, l'enfant ou l'adolescent pourra être adressé au médecin psychiatre compétent ; elle assurera le suivi des échéances.
Les professionnels volontaires seront confortés dans leur exercice par la mise à disposition de référentiels de bonnes pratiques. Dans le cadre de son programme de travail 2019, la DGCS a demandé à la Haute Autorité de santé (HAS) de réfléchir à un référentiel spécifique pour ces enfants. Les professionnels bénéficieront également d'une formation adaptée et de groupes d'échanges d'expertise sur dossier et d'échanges de pairs.
Enfin – c'est le socle de l'expérimentation –, un financement spécifique et adapté sera alloué afin de garantir l'effectivité du parcours de soins et la mobilisation des professionnels de santé. Il viendra en complément des financements actuels, qui ne prévoient pas le remboursement des consultations dites « longues » ou « complexes » pour les enfants de l'aide sociale à l'enfance, contrairement à ce qui existe pour certaines pathologies ou d'autres catégories de personnes. Or les consultations classiques ne permettent pas aux professionnels de prendre le temps dont ces enfants et adolescents ont besoin. En outre, le forfait prendra en charge des professionnels non remboursés par l'assurance maladie – psychologues, psychomotriciens. Enfin, il financera la structure d'appui à la coordination.
L'expérimentation va débuter au deuxième semestre 2019 et durera cinq ans. Une première évaluation – sur la faisabilité de la mise en oeuvre – sera réalisée dès l'année prochaine. L'évaluation des premiers résultats aura lieu dès l'année suivante.
Nous attendions avec impatience de vous recevoir. Nos auditions laissent apparaître une certaine disparité de prise en charge – et une mauvaise prise en charge – des enfants de l'ASE. Certes, beaucoup d'évolutions sont en cours. C'est bien, mais cela ne doit pas être le cas partout… Je rêve de ce que vous venez de décrire dans mon département ! L'unité médico-judiciaire (UMJ) a été installée il y a deux mois, à temps partiel, et elle est encore contestée.
En Nouvelle-Aquitaine, est-ce au niveau du département que se réalise l'expérimentation ?
C'est une expérimentation conjointe.
Certains départements se plaignent ; ils ne doivent pas connaître les possibilités offertes par les ARS. Je vous remercie de nous avoir expliqué le rôle moteur de l'ARS dans ces expérimentations.
Il ressort de nos auditions qu'on envoie nos enfants en Belgique car la France ne dispose pas de structures pour les enfants en grande difficulté. Savez-vous s'il est prévu de créer de tels établissements ? La France est capable de créer les conditions d'accueil de ces enfants !
S'agissant de la prévention, pourquoi les médecins ne sont-ils pas en pointe concernant la détection de la maltraitance des enfants ? Est-ce un problème de formation ou d'éthique ? Pourtant, ils sont parmi les premiers à pouvoir réaliser cette détection. On pourrait aller plus vite d'autant que, vous l'indiquiez, il faut agir précocement.
On parle beaucoup de suivi psychologique – et j'en suis ravie. Mais la pédopsychiatrie et la pédopsychologie sont des parents pauvres en France. Partagez-vous mon diagnostic ? A-t-on assez de professionnels pour mener à bien les expérimentations que vous avez décrites ? Dans le cas contraire, que met-on en place pour en disposer dans les années à venir et accompagner correctement ces dispositifs ?
Vous avez évoqué le suivi du parcours de santé de l'enfant. Comment imaginez-vous le mettre en place ? Faut-il un carnet de santé ou un dossier médical partagé (DMP), dématérialisé ? Mais les enfants ne disposent pas de carte Vitale – et le dossier médical y est normalement rattaché. Dans ce contexte, comment ne pas perdre les données – extrêmement importantes – de ces enfants ?
Vous avez souligné l'importance de la coordination des institutions : comment s'opère-t-elle ? Avez-vous connaissance d'exemples qui fonctionnent et que l'on pourrait démultiplier ?
Enfin, quelles expérimentations faut-il généraliser ?
Pour conclure, comment améliorer les dispositifs sanitaires à destination des publics les plus fragiles, avant le placement ? Si l'on pouvait mieux accompagner avant, peut-être n'aurait-on pas besoin d'intervenir aussi fortement ensuite…
Votre première question sur les établissements et l'accueil de certains enfants en Belgique est de la compétence de la DGCS. N'étant pas en charge de ce sujet, je me permettrai de ne pas y répondre.
Concernant la prévention, je rejoins votre préoccupation : il faut tout faire pour que le parcours de ces enfants ne commence pas par des difficultés majorées par rapport aux autres. La révision des décrets de fonctionnement des activités d'autorisation de soins s'est focalisée sur deux activités, la périnatalité et la psychiatrie. Un groupe de travail regroupe tous les professionnels de la périnatalité – gynécologues-obstétriciens, professionnels de la néonatalogie, sages-femmes, infirmiers – et réfléchit à la meilleure façon de détecter précocement les difficultés sociales ou psychiques. En effet, les gynécologues-obstétriciens nous ont alertés sur ce sujet, qu'il est essentiel de traiter dans les prochaines années.
De même, un comité de pilotage de la psychiatrie a été mis en place par le ministère des solidarités et de la santé et s'est penché sur la santé psychique des femmes enceintes et son impact sur leurs enfants. Là encore, il souligne la nécessité d'agir très précocement. L'entretien prénatal précoce n'est pas aussi exhaustif que nous le souhaiterions. Nous cherchons donc à le muscler et à le focaliser sur certaines problématiques. Les exemples étrangers et européens démontrent qu'un investissement particulier est indispensable. La réflexion est en cours mais, vous le voyez, nous avons à coeur de prendre cet enjeu à bras-le-corps.
Vous nous avez interrogés sur la détection de la maltraitance et le problème de la formation. Les dispositifs de prise en charge globale du psychotraumatisme – récents – sont un outil, tout comme le Centre national de ressources et de résilience (CN2R). Ce dernier émet des recommandations et diffuse la connaissance et les bonnes pratiques. Le plan de prévention de la violence va bientôt arriver à son terme. Des réflexions sont à l'oeuvre pour mieux détecter la maltraitance. Vous avez raison, il faut mieux former tous les professionnels, afin qu'ils puissent détecter les signaux d'alerte et prendre rapidement les mesures adéquates.
Vous avez également évoqué le problème démographique qui touche les psychiatres. C'est l'un des objectifs de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie. La ministre, Agnès Buzyn, pilote le comité stratégique mis en place en juin 2018. La feuille de route est précise et très dense. Elle inclut à la fois la question du nombre, mais aussi celle de la formation des professionnels et de l'attractivité du métier. La ministre a annoncé la présence à terme d'un poste de professeur des universités praticien hospitalier (PU-PH) de pédopsychiatrie par faculté de médecine. C'est un objectif de long terme, mais aussi un signal fort envoyé à la profession et aux jeunes étudiants. Comme dans les autres secteurs médicaux, la formation d'infirmiers de pratique avancée est déjà en cours. En outre, la psychiatrie est un domaine où la télémédecine peut avoir un grand intérêt : les télé-consultations sont déjà généralisées ; la téléexpertise est en cours d'étude. Ces solutions de court terme permettront d'atténuer le creux démographique, qui ne va pas se résorber l'an prochain et pose de réelles difficultés.
La DGOS n'est pas compétente sur le DMP, qui est du ressort de la direction générale de la santé (DGS), mais elle y est attentive. La dématérialisation est prévue pour 2020.
Vous avez raison de souligner l'importance du parcours de santé et de vie. Les mille premiers jours de la vie d'un enfant – de la conception à deux ans – sont fondamentaux. C'est sur cette période que tous les acteurs, tous les financements, tous les dispositifs doivent converger et être mieux coordonnés, afin de prévenir, diagnostiquer et dépister dès le plus jeune âge. Beaucoup d'initiatives se sont développées : soutien parental, équipes mobiles, etc. Reste à mieux les coordonner au niveau territorial, voire infraterritorial.
Vous aurez compris dans nos propos que nous mettons beaucoup d'espoir dans l'expérimentation portée par le docteur Vabres du CHU de Nantes : grâce à l'article 51 de la LFSS 2018, son financement est souple et forfaitaire ; elle valorise des intervenants non pris en compte dans le droit commun – psychologues, psychomotriciens ; elle s'inscrit dans une dynamique de parcours, avec une première consultation, longue et complexe.
Pourquoi les professionnels de santé ne sont-ils pas en mesure de détecter la maltraitance ? Il y a de multiples raisons, mais leur formation initiale et continue ne les y prépare pas. Ils ne sont pas toujours sensibilisés aux problématiques sociales. En outre, dans certains territoires, la démographie médicale est en berne et il faut avoir du temps pour mener ce type d'analyse, tout en disposant d'une bonne connaissance du territoire.
C'est tout l'intérêt de l'expérimentation menée par le docteur Vabres et ses équipes : elle permettra une consultation longue et complète – un dépistage en amont – au service de la traçabilité et du suivi du parcours de ces enfants. Vous avez raison concernant leur carnet de santé, extrêmement important : très souvent, l'historique de leur parcours n'est pas connu ; il est parfois perdu entre les différentes institutions.
Une deuxième expérimentation intéressante est désormais menée dans de nombreux territoires : il s'agit du développement des compétences psychosociales des enfants. Certaines expériences sont menées dès deux ou trois ans à l'école maternelle. Elles visent à apprendre aux enfants à mieux exprimer leurs sentiments, à verbaliser, à échanger et à s'écouter. En Loire-Atlantique, près de 8 000 jeunes de CM1 et CM2 en ont bénéficié, avec des enseignants formés. Ces compétences sont probantes – elles ont fait leurs preuves : nous formons de futurs citoyens capables d'exprimer leurs sentiments, d'échanger, de s'écouter et de se respecter. Cela fonctionne également avec les parents, qui peuvent avoir des difficultés, ou des jeunes adultes. L'apprentissage de ces compétences est en cours de généralisation dans certains territoires, en partenariat, et nous souhaiterions qu'il puisse se déployer à l'école.
D'autres expériences sont intéressantes, comme le programme de promotion de la santé et de l'attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents (PANJO), dispositif de soutien aux puéricultrices de la protection maternelle et infantile (PMI) mis en place dans de nombreux départements, qui vise à les aider dans leur travail de supervision et à développer les visites à domicile.
« Ecout'Emoi » oriente des jeunes de 11 à 25 ans vers des consultations de psychologues prises en charge par l'assurance maladie.
Ces expérimentations sont complémentaires – notre collègue de la DGOS l'a bien décrit : le déficit en pédopsychiatres ou psychiatres est réel, mais il est aussi important de développer les interventions pluridisciplinaires – pratiques avancées, délégation de tâches, etc. Le décloisonnement, la souplesse, les réponses partagées sont fondamentaux : quand les enfants de l'ASE rencontrent des difficultés, on est tenté de renvoyer la faute au pédopsychiatre ou aux acteurs médico-sociaux ou sociaux. Il faut dépasser cette vision des choses – les agences tentent de le faire, en liaison avec les conseils départementaux – et inventer des solutions différentes : financement d'équipes mobiles qui se déplacent sur le lieu de vie des enfants ; financements croisés entre le conseil départemental et l'ARS ; mise en place de structures innovantes. Ainsi, en Loire-Atlantique, nous avons imaginé un nouveau type de familles d'accueil avec le conseil départemental, à la hauteur de nos moyens, de nos ambitions, des projets de chacun et dans le respect des compétences des uns et des autres. Auparavant, souvent, pendant le week-end, les jours fériés ou les vacances, les jeunes étaient transférés de la pédopsychiatrie au médico-social – et inversement – ou du médico-social et de la pédopsychiatrie vers l'aide sociale à l'enfance. En partant de l'ASE, nous avons donc imaginé une formule innovante de familles d'accueil « étayée », soutenue par le sanitaire et le médico-social. Cette formule hybride démontre que nous pouvons apporter des réponses innovantes, mieux coordonnées, financées de manière souple et forfaitaire, mais surtout inclusives. Nous encourageons les acteurs du champ médico-social dans cette direction, mais cela vaut également pour l'aide sociale à l'enfance et la pédopsychiatrie, Cela ne veut pas dire que nous n'aurons plus besoin de structures « contenantes », mais nous devons imaginer des formules plus souples et des équipes plus mobiles, allant vers les besoins, plutôt que d'amener les enfants dans les institutions.
Je compléterai l'exposé de mes deux collègues par la description de certaines actions concrètes, inscrites dans la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie délivrée par la ministre en juin 2018.
Vous soulignez la disparité des situations sur notre territoire : la création de postes de chefs de clinique en pédopsychiatrie vise à y remédier. Le renforcement de la pédopsychiatrie est engagé depuis 2018 et se poursuivra en 2019.
Vous avez évoqué les médecins généralistes : ils sont effectivement en première ligne. La feuille de route prévoit de favoriser un stage en santé mentale pendant le troisième cycle des études de médecine générale.
Les soins de réhabilitation psychosociale sont également inscrits dans la feuille de route ; ils ont fait l'objet d'une instruction très récente, du 16 janvier 2019 – avec un financement à la clé. Ils reposent sur la mise en oeuvre de programmes d'éducation thérapeutique, de remédiation cognitive, de techniques d'entraînement des compétences et des habilités sociales ou de psychothérapies cognitivo-comportementales. Ces thérapies ont fait leurs preuves – le Centre de preuves en psychiatrie et santé mentale les a identifiées comme concluantes au niveau international. L'instruction demande aux ARS de veiller à ce qu'une telle offre soit proposée sur tout le territoire, et à tous les enfants. Ces nouveaux outils thérapeutiques sont porteurs de sens et d'espoir pour les patients et pour leurs proches.
Ils doivent s'inscrire dans un travail en réseau. C'est tout l'intérêt des projets territoriaux de santé mentale, prévus par une instruction ministérielle de la DGOS de juin 2018. Ces derniers mettent l'accent sur la prévention, qui passe par un repérage, un diagnostic et une intervention précoces, fondamentaux pour le comportement et la santé ultérieurs de ces enfants.
Les projets donnent accès aux modalités de soins et d'accompagnement les plus adaptées et les plus innovantes. Ils visent spécifiquement les parcours de soins coordonnés correspondant à des situations complexes ou à risque – et donc les enfants et adolescents de l'ASE.
Enfin, il s'agit d'aller au-devant des personnes – ce que l'on appelle « l'aller-vers ». Les projets déclineront donc les modalités ambulatoires, la prise en charge psychiatrique, mais également somatique – les deux étant étroitement liées.
Ces actions concrètes sont impulsées au niveau national, puis mises en oeuvre dans les régions par les directions générales des ARS, dans une dynamique ascendante, qui s'appuie sur les acteurs.
Votre constat est juste, madame la rapporteure : les différents dispositifs que nous avons évoqués ne pourront donner pleinement satisfaction que s'ils peuvent s'appuyer sur la disponibilité et la mobilisation des professionnels de santé. On ne peut pas déconnecter les politiques en faveur de la prise en charge sanitaire de l'aide sociale à l'enfance de la lutte contre les déserts médicaux, tant les territoires sont marqués par des disparités très importantes.
La mère de toutes les batailles, c'est de reconstituer un volant d'enseignants en pédopsychiatrie. Tant que ce corps n'aura pas été reconstitué, tant que toutes les facultés de médecine n'auront pas au moins un PU-PH de pédopsychiatrie, nous ne pourrons pas envisager d'augmenter le nombre global de pédopsychiatres. Toutes les mesures nécessaires ont été prises, mais elles ne porteront leurs fruits que sur la durée.
À court terme, les ARS disposent de quelques leviers pour compenser, en partie, ces inégalités territoriales. Le premier est l'affectation des internes. En Nouvelle-Aquitaine, l'affectation des internes se faisait plutôt au profit des grands établissements bien placés géographiquement. Forts de ce constat, nous avons fait le choix de « redynamiser » la politique d'affectation des internes pour l'équilibrer en faveur des onze établissements dits périphériques. Cela suppose des discussions parfois vives entre les responsables des commissions de répartition, mais cette politique commence à porter ses fruits : on constate une correction, certes modeste, semestre après semestre. S'agissant de la psychiatrie, nous avons acté, avec la conférence des présidents de commission médicale d'établissement de deux centres hospitaliers spécialisés et la Fédération hospitalière de France, la mise en place d'un groupe de travail pour aller plus loin encore et définir un quota d'internes en deçà duquel un établissement ne devrait pas descendre, afin de garantir la disposition de temps médical et de maintenir la compétence.
Le second levier, qui n'est pas spécifique à la psychiatrie, mais qui peut aussi être utilisé, c'est la promotion du temps partagé entre grands établissements et plus petits établissements. Il faut convaincre les premiers de jouer le jeu, mais cette solidarité s'avère essentielle, voire vitale dans certains territoires. Cela permet de rendre un service important aux petits établissements, sans pour autant demander aux plus importants de se sacrifier. En Nouvelle-Aquitaine, nous soutenons cette politique en subventionnant plusieurs dizaines de postes chaque année.
S'agissant du suivi médical, il me semble que le meilleur vecteur reste le carnet de santé papier, qui a le mérite d'être généralisé. Certes, il peut être perdu, mais il demeure un support adapté. Au terme de sa montée en charge, le dossier médical personnel prendra le relais. Il paraît constituer l'outil le plus le plus adapté, celui qui permet la meilleure maintenance de l'information sur la durée. Dans l'intervalle, les professionnels peuvent, pour échanger entre eux, utiliser la messagerie sécurisée de santé. Celle-ci n'est pas encore généralisée, mais elle tend à se déployer : en Nouvelle-Aquitaine, les trois quarts des médecins généralistes en sont équipés.
S'agissant des expérimentations, je comprends votre impatience, mais j'aimerais vous convaincre que le passage par une expérimentation s'avère parfois nécessaire. C'est l'objet même de l'article 51 de la LFSS pour 2018. Les bonnes idées ne sont pas forcément opérationnelles et l'expérimentation permet de tester la faisabilité de leur mise en oeuvre. Beaucoup d'expérimentations ont par ailleurs donné lieu à généralisation.
Pour répondre à votre question sur l'articulation entre les institutions, je ne peux qu'évoquer à nouveau le partenariat entre le conseil départemental de la Gironde et l'ARS Nouvelle-Aquitaine. Cela est à la portée de tous et n'a rien de complexe, dès lors que les parties, visant le même objectif, acceptent de s'asseoir autour de la même table, de définir ensemble les priorités et les plans d'action. Certes, cela ne résout pas tous les problèmes, loin s'en faut, mais c'est une démarche incontournable, par laquelle il faut commencer.
Nous apportons déjà des réponses pour faire en sorte que la psychiatrie ne soit pas le parent pauvre, monsieur le président. En matière de financements, vous avez sans doute noté des évolutions en 2018 ; en 2019, sur les 100 millions d'euros supplémentaires consacrés à la psychiatrie, 20 millions seront ciblés vers la pédopsychiatrie. Les travaux sont en cours. On sait que certains départements, par exemple, n'offrent pas de possibilité d'hospitalisation complète en pédopsychiatrie. Par ailleurs, 10 millions du fonds d'innovation seront consacrés à la pédopsychiatrie. Une instruction devrait être prochainement publiée. Au second semestre 2019, les ARS et les acteurs sont appelés à construire des projets innovants, qui permettent de réduire les disparités et de répondre à des publics spécifiques en matière de pédopsychiatrie.
Je suis interloquée. On semble découvrir seulement maintenant que le partenariat fonctionne et qu'il s'agit d'asseoir les acteurs autour de la même table pour débloquer les situations. Je ne comprends pas pourquoi il existe tant de freins. Certes, il faut du temps, mais je trouve que les choses sont toujours très lentes à se faire : pourquoi faut-il des mois pour qu'un projet aboutisse ? Oui, nous sommes quelque peu impatients : lorsque les urgences sont identifiées, il faut aller beaucoup plus vite ! Vous décrivez un monde idéal, mais dans la réalité, ça ne fonctionne pas.
Les financements, notamment le fonds d'intervention régional (FIR), existent. Pourquoi est-il si compliqué avec les ARS de les actionner ? Dans mon département, où les grandes structures sont inexistantes, ce sont souvent des petits acteurs, des associations, qui doivent se perdre dans les papiers et abandonnent parfois leur projet pour une case mal cochée. Je trouve que l'on manque d'audace. J'enrage parce que je sais que les financements existent, mais que les petites structures n'y ont pas accès.
Vous avez évoqué la mise en place de forfaits adaptés au parcours de soins : qui est concerné, les libéraux ou les structures ?
J'entends votre impatience et votre souhait que certaines structures puissent être plus facilement financées. Le ministère a compris que l'enveloppe du FIR, qui représente plus de 3 milliards d'euros répartis entre les différentes ARS, constituait un vrai levier d'action, à la main des agences, sous son autorité. Mais cette action n'aura d'effets que si nous unissons nos forces. Cela peut prendre du temps dans certains territoires.
Il faut se dire qu'il existe des situations où la psychiatrie ne peut pas tout, qu'il faut davantage de prévention ou d'accompagnement social, ce qui suppose une dynamique partenariale, une mise en musique territoriale qui, c'est vrai, prennent du temps. Les ARS sont de plus en plus dans cette synergie, au plus près du terrain, elles délèguent aux directions territoriales pour raccourcir les procédures. Beaucoup d'ARS, dont celle des Pays-de-la-Loire, délèguent les crédits et les actions pour des réponses plus adaptées. Tous les dossiers ne remontent pas forcément au siège. Les citoyens ont bien exprimé ce besoin d'obtenir des réponses rapides, concrètes, au plus près des besoins. Il existe un rapport d'activité national du Fonds pour l'innovation : Peut-être devrions-nous mieux communiquer et expliquer les initiatives qui sont prises sur le terrain grâce au FIR et aux partenaires.
Le FIR est un outil parfaitement adapté et d'une très grande souplesse d'utilisation. S'il peut y avoir de la rigidité, c'est dans les choix d'affectation des crédits, dans la mesure où les enveloppes sont limitées. Cependant, les ARS ont une très grande latitude et il me semble que les fonds peuvent être alloués avec réactivité, sans difficulté particulière.
Le forfait que j'ai évoqué n'existe pas encore, il sera créé dans le cadre de l'expérimentation, donc au cours des prochains mois. Il viendra s'ajouter aux modalités de financement de droit commun. Son montant n'est pas encore fixé, mais il permettra d'augmenter la valeur des consultations des médecins généralistes et des pédiatres qui assureront l'évaluation d'entrée et l'évaluation annuelle des enfants pris en charge par l'ASE, de couvrir la rémunération des professionnels de santé, psychologues et psychomotriciens, qui n'est pas prise en charge par l'assurance maladie, et de compenser le coût de la coordination confiée au dispositif d'appui. Il concernera aussi bien les libéraux que les professionnels qui exercent comme salariés dans les structures.
Un forfait de ce type a été mis en place pour les médecins libéraux dans le cadre de la stratégie autisme. L'intérêt de ces forfaits est qu'ils financent des professionnels qui ne sont pas conventionnés, permettant ainsi à des publics en précarité d'y accéder. L'idée est d'éviter l'hospitalocentrisme : tout ne doit pas revenir vers la structure d'hospitalisation, où la prise en charge est plus lourde. Ce forfait lève un des freins à une meilleure coordination et coopération.
La mission a été sensibilisée au problème des violences commises entre enfants dans les lieux d'hébergement. Disposez-vous d'une évaluation de ce phénomène ? Existe-il une solution qui permette aux enfants de dénoncer le plus rapidement possible ces violences ?
Certaines associations nous ont alertés sur le fait que lorsque le diagnostic d'autisme n'était pas posé correctement, l'ASE pouvait être amenée à prendre des mesures de placement inadéquates. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, comment améliorer les détections précoces de difficultés chez les enfants alors que la médecine scolaire a quasiment disparu de bon nombre d'établissements scolaires ?
Je ne peux pas vous répondre sur les violences commises dans les structures ; c'est la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) qui pourra vous apporter des éléments d'évaluation.
Sur la question de la violence scolaire, des partenariats territoriaux se nouent avec l'éducation nationale. L'offre sanitaire n'est pas désengagée : au contraire, elle peut être un recours lorsqu'il n'y a pas d'offre en médecine scolaire.
La DGOS est totalement impliquée dans la stratégie nationale pour l'autisme 2018-2022, notamment avec le comité de pilotage (COPIL) « psychiatrie ». S'agissant des centres médico-psychologiques (CMP), une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a montré que des améliorations étaient nécessaires. Après les annonces de la ministre, nous lancerons des travaux au deuxième semestre sur les CMP et l'offre ambulatoire de psychiatrie, pour mieux répondre à la problématique des autistes qui se trouvent hospitalisés, alors qu'ils pourraient être pris en charge par des structures médico-sociales ou sociales.
Dans les Pays-de-la-Loire, nous n'avons pas de visibilité sur les violences commises dans les foyers entre ou à l'encontre des enfants protégés. Cela montre combien des observatoires départementaux et régionaux seraient nécessaires pour partager l'information et agir de façon mieux ciblée.
Sur les informations préoccupantes dont font l'objet des enfants porteurs de handicap, nous devons objectiver les alertes des associations et déterminer dans combien de cas la procédure est due à l'existence d'un handicap et non à des difficultés sociales.
Je suis frappée, semaine après semaine, audition après audition, d'entendre toujours les mêmes mots – « détection », « prévention », « formation », « passerelles ». Ce sont comme d'immenses murs qui se dressent et je me demande pourquoi nous ne pouvons pas abattre ces murs. Cela me fait bouillir de nous sentir de plus en plus enfermés, alors que nous avançons et que nous devrions être davantage éclairés.
Vous avez parlé, madame Escalon, d'un plan de prévention de la maltraitance. Dans notre pays, 10 % des enfants sont victimes de violences, et l'on sait que les enfants « dys » et les enfants placés sont particulièrement vulnérables. Vous avez indiqué quelques pistes sur la prévention, mais cela reste tout à fait général. Si vous abandonniez votre costume de professionnelle, quelles recommandations feriez-vous pour combattre à la racine les violences faites aux enfants ? De quelle manière sont évalués les dispositifs ? Comment travailler de façon optimale avec le 119 pour être le plus efficace possible, prévenir et détecter les violences ?
Dans le projet de loi pour une école de la confiance, il est prévu que tous les enfants seront scolarisés dès l'âge de 3 ans et qu'un bilan médical sera effectué en première année. Dans ce cadre, comment travailler de façon optimale avec les médecins scolaires pour, là encore, prévenir et détecter ?
On en revient toujours aux déserts médicaux. Dans mon département, le Gers, il est compliqué de trouver des médecins de PMI. Le budget prévisionnel de l'ASE est de 25 790 000 euros cette année, sans parler des autres dépenses sociales. Aux problèmes de financement s'ajoutent des difficultés pour la prévention médicale et l'accompagnement social. Parmi les enfants confiés à l'ASE, 76 % sont placés dans des familles d'accueil, qui rencontrent des difficultés grandissantes dans leur travail d'accompagnement. Le nombre d'enfants qui bénéficient d'un suivi éducatif explose.
Les départements ne font qu'appliquer des mesures qui leur sont « imposées » par d'autres. Sans doute devraient-ils se voir conférer plus de latitude dans leur action et davantage de responsabilités.
Les cadres ASE du Gers que j'ai rencontrés m'ont surtout fait part de leurs préoccupations concernant les sorties des jeunes majeurs qui souffrent de troubles psychologiques et psychiatriques. Ce jour-là, le 25 mai, dix jeunes majeurs étaient « sans solution » – une appellation terrible – c'est-à-dire sans place dans une structure adaptée. Estimez-vous qu'il existe une carence de places dans les établissements médico-sociaux ?
Nous sommes entre gens de bonne compagnie et je resterai courtoise. Mais laissez-moi vous dire le grand décalage qui existe entre ce que vous nous dites et ce que vivent les travailleurs sociaux et les professionnels sur le terrain.
Autrefois, il existait un « mandat PMI ». Dès le quatrième mois de grossesse, les services sociaux étaient informés par la CAF et ils se rendaient systématiquement dans les familles pour prendre connaissance de la situation environnementale, du milieu familial, des difficultés sociales et financières. Des réunions pluridisciplinaires, avec l'ASE, le médecin de PMI, les psychiatres – de permanence – permettaient d'évoquer les cas problématiques. Il existait toute une organisation territoriale, avec des pédopsychiatres dans les circonscriptions, dans les dispensaires, que vous semblez décrire aujourd'hui lorsque vous parlez d'expérimentations. Mais pourquoi expérimenter des choses qui ont déjà fonctionné ? Peut-être la donne a-t-elle changé ? La priorité des priorités n'est-elle pas de changer de politique publique et de remettre les professionnels sur le terrain, dans les familles, plutôt que d'attendre que les gens se rendent dans les permanences ? Peut-être cela n'est-il pas politiquement correct, trop intrusif ? Je pense que si nous en sommes là, c'est que les choses demeurent trop dans le flou !
Il y a, dans les foyers, des actes de violence inacceptables. Comment un gamin de 10 ans qui a tout cassé et a été emmené à l'hôpital psychiatrique par la police peut-il revenir dès le lendemain avec des médicaments ? C'est au point que certains départements se demandent s'il ne faut pas du personnel médical dans les foyers, en plus des éducateurs ! Il y a des déviances, et elles débouchent sur des situations insolubles, qui de surcroît alimentent la presse.
Vous parlez beaucoup d'interdisciplinarité. Ne faudrait-il pas, déjà, que vous l'exerciez au niveau des ministères, plutôt que de vous retrouver dans des silos ? Un service général pourrait ainsi regrouper la DGS, la DGOS et la médecine scolaire. C'est une proposition, mais je sais bien que la décision ne vous appartient pas !
J'ai rencontré plusieurs associations qui travaillent en lien avec l'aide sociale à l'enfance. Les Apprentis d'Auteuil nous ont parlé de la psycho-éducation, discipline venue du Québec. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette approche qui constitue une alternative à la psychanalyse et la psychiatrisation ?
En région Pays-de-la-Loire, 8 000 enfants ont bénéficié de cette approche globale qui prend en compte leur être au sens large. Nous comptons former des enseignants ou des éducateurs à accompagner les enfants soit à l'école, soit dans un autre cadre de vie, en utilisant cette méthode un peu différente de celles qu'ils connaissent et qui a fait ses preuves. Nous sommes là à la frontière entre la santé, le social et le médico-social.
Madame Dubié, vous vous demandez pourquoi nous ne faisons pas confiance aux acteurs. Mais je vous pose à mon tour une question : pourquoi à votre avis les équipes de PMI ne vont plus vers les familles ?
Cela joue mais la principale raison tient au fait que les services de PMI sont fortement mobilisés par l'agrément des structures individuelles ou collectives. Pensez-vous que le métier d'une puéricultrice de PMI soit vraiment de se consacrer aux procédures d'agrément ?
Vous avez raison, aujourd'hui nous avons besoin de travailleurs sociaux qui vont à la rencontre des familles. Mais je considère que nous n'avons pas d'autre choix que d'agir ensemble et de renforcer les partenariats entre ARS et conseil départemental. Le problème que rencontre un travailleur social peut aussi être un problème du côté du secteur sanitaire et du secteur du médico-social. Nous avons à faire un pari en faisant confiance aux acteurs et à des actions concrètes.
Les métiers qui se situent en première ligne – travailleurs sociaux, puéricultrices, familles d'accueil – ont besoin de retrouver la dimension du « aller vers ». Cela suppose au préalable de régler certains problèmes. Votre collègue Michèle Peyron les évoque très clairement dans son rapport consacré à la PMI.
Vous vous demandez, madame Dubié, l'intérêt qu'il y a à mener des expérimentations sur des organisations qui ont déjà été mises en place. Disons d'abord qu'elles n'ont pas forcément toutes perduré. Ensuite, il est intéressant de pouvoir débloquer des financements complémentaires, qui sont comme en bien d'autres domaines le nerf de la guerre. Il faut bien voir que si certains acteurs se sont désengagés, c'est aussi pour des raisons financières.
Quand la mobilisation n'est pas suffisante, comment faire en sorte que les professionnels prennent le temps nécessaire ? Il y a deux pistes principales : valoriser les consultations pour ceux qui bénéficient déjà d'une prise en charge par l'assurance maladie ; solvabiliser l'accès à ceux qui ne sont pas pris en charge dans le droit commun de l'assurance maladie. Si l'expérimentation donne lieu à une généralisation, cela voudra dire que tout ce dispositif rentrera dans le droit commun. Il y aura un nouveau modèle de financement qui améliorera considérablement l'accès à l'ensemble de ces professionnels. Cela ne réglera pas la question de la crise démographique que traversent certaines professions mais cela devrait permettre d'améliorer l'accès à certaines d'entre elles.
Je ne sais pas si toutes vos remarques appelaient des réponses. Plusieurs d'entre elles portaient sur la nécessité de décloisonner. Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) sont un élément extrêmement important de cette politique qui a une dimension interministérielle puisque l'éducation nationale en est partie prenante. Mis en place en 2017 et 2018, ils commencent à porter leurs fruits. Citons encore les fonds d'innovation qui ne sont pas seulement des gadgets : il s'agit de donner des financements pour soutenir des initiatives locales au plus près des besoins du terrain. Le national n'est pas là pour dicter une façon générale de faire. Les deux ARS qui sont autour de cette table sont confrontées à des problématiques complètement différentes et il est important qu'on puisse laisser aux territoires cette faculté d'adaptation. Il serait impensable pour nous de donner une instruction générale pour que tout le monde s'y conforme.
S'agissant des violences, j'ai évoqué les dispositifs spécialisés dans la prise en charge globale des psycho-traumatismes inaugurés en février dernier. Cela ne vous semble peut-être pas assez concret mais les professionnels qui les attendaient depuis des années en sont extrêmement satisfaits. Ils ont un rôle de ressources pour tout ce qui concerne les actions de repérage, de sensibilisation et de diffusion. Pour l'heure, ils sont au nombre de dix et nous les évaluerons pour savoir s'il y en a suffisamment. Loin de tout fonctionnement en silo, ils reposent sur une collaboration entre le sanitaire, le médico-social et le social.
Il a été aussi question des déserts médicaux. Je n'ai pas cité les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) car je n'ai pas voulu vous abreuver d'informations mais il s'agit d'un outil intéressant appelé à se développer.
Le problème, c'est que l'on ne pourra savoir que dans plusieurs années si elles ont leur utilité !
Je ne représente que la DGOS et il aurait peut-être fallu regrouper au sein d'une même audition toutes les directions des administrations centrales pour vous montrer que nous travaillons ensemble. J'ai essayé de vous indiquer quel pouvait être l'interlocuteur le plus pertinent.
Je vais peut-être casser un mythe : développer des CPTS et des PTSM, c'est bien mais encore faut-il écouter les territoires. Or, d'expérience, je sais que les relations avec les ARS sont compliquées. Je comprends que vous ayez des problèmes budgétaires mais pour que ces outils, bons sur le fond, aient la même force de frappe qu'en Nouvelle-Aquitaine, il faut que tout le monde joue le jeu. J'aimerais vraiment que les internes viennent dans la Nièvre car, pour l'instant, Dijon les garde !
La réunion s'achève à onze heures quinze.
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Membres présents ou excusés
Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance
Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 9 h 15
Présents. – Mme Delphine Bagarry, Mme Gisèle Biémouret, Mme Jeanine Dubié, Mme Nathalie Elimas, Mme Perrine Goulet, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.
Excusés. – Mme Françoise Dumas, M. Franck Marlin.