Je vais insister devant vous sur ce qui me paraît constituer une nécessité pour l'avenir, au vu de l'exemple de la région Nouvelle-Aquitaine, à savoir la nécessité d'une meilleure articulation entre les institutions et d'une meilleure organisation des parcours de soin pour les enfants qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance.
Je commencerai par la meilleure articulation entre les institutions compétentes, à un titre ou à un autre, en matière de prise en charge des enfants à titre principal, comme les conseils départementaux, ou à titre intermédiaire, comme les ARS, mais aussi les MDPH, voire la PJJ, pour ne citer que les principales. Il est absolument nécessaire de mieux articuler ces institutions – dans le respect de leurs champs de compétence respectifs, bien évidemment. Cela nous paraît une condition indispensable pour remédier aux difficultés qui ont pu être évoquées.
Je crois que tout le monde est d'accord pour dire que la santé et le bien-être des enfants dépendent d'une prise en charge qui doit être globale. Or cette prise en charge globale ne peut être assurée que si les différentes institutions coopèrent et travaillent entre elles. Cela veut donc dire, en pratique, que les politiques de ces différentes institutions doivent être articulées et coordonnées pour sortir d'une prise en charge « en silos », si vous me permettez l'expression. Il s'agit au contraire de garantir une approche globale.
En pratique, cela implique deux choses. D'abord, il faut simplement identifier les besoins collectivement et de manière croisée sans chercher à imposer son point de vue, s'écouter les uns et les autres, se mettre au niveau de ses interlocuteurs et faire en sorte d'adapter les dispositifs en conséquence. Ensuite, il faut tout simplement concevoir et mettre en oeuvre, ensemble, de manière coordonnée, les différents plans d'action qui auront pu être décidés entre les différents partenaires.
La formalisation de ces partenariats me paraît nécessaire, par exemple sous forme de conventions. Mais toute autre formalisation est bien évidemment possible, à la fois pour officialiser et, surtout, pour rendre opposable ce cadre d'action partagé entre les uns et les autres. Je voudrais, à cet égard, mettre en avant, un exemple de partenariat dans la région Nouvelle-Aquitaine, entre l'ARS, le conseil départemental de la Gironde et la MDPH de la Gironde. Ce partenariat prend la forme d'une convention, qui a été signée en 2017.
Cette convention est à la fois ambitieuse et modeste. Ambitieuse, parce qu'on est bien conscient des difficultés que nous devons régler collectivement. Modeste, au sens où nous avons fait le choix, plutôt que d'opter pour de grandes déclarations d'intention, de travailler ensemble sur des mesures pragmatiques et opérationnelles, en espérant qu'elles permettront de régler progressivement la situation.
Il est encore un peu tôt pour tirer un bilan de cette expérience commune. Mais on peut d'ores et déjà estimer que des progrès ont été permis. En tout cas, cette coopération nous paraît prometteuse. Certaines mesures sont déjà opérationnelles ; d'autres se mettront progressivement en place à compter de 2019. Je souhaite insister notamment sur le fait que nous avons mis en place conjointement une commission chargée de travailler sur la résolution d'un certain nombre de situations critiques, pour mieux orienter et assurer un meilleur placement et une meilleure prise en charge des enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance.
Dans le département de la Gironde, cette commission se réunit tous les mois et examine les situations individuelles d'enfants. Nous n'avons pas trouvé de solution, à ce stade, pour l'ensemble des enfants, mais, suite à la fermeture de l'une des unités du centre départemental de l'enfance, en janvier ou en février dernier, la question du placement des enfants qui étaient au sein de cette unité s'est posée. En travaillant ensemble, nous sommes parvenus à placer ces enfants dans des institutions adaptées, qui répondent à leurs besoins. C'est un succès modeste, étant donné qu'il y a beaucoup d'autres situations qui n'ont pas encore trouvé de solution, mais au moins sommes-nous parvenus à ce résultat grâce au travail conjoint avec le conseil départemental.
D'autres travaux sont en cours, qui ne devraient pas tarder à livrer des résultats opérationnels au cours des prochains mois : la création d'un dispositif d'alerte pour la prise en charge des enfants et adolescents pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, avec notification de la MDPH et en prenant en compte les problématiques de santé mentale. Bien évidemment, la situation de ces enfants et adolescents peut être examinée par la commission que j'évoquais ou par la commission chargée des situations critiques, dans le cadre de réponses accompagnées pour tous. Mais, parfois, cette temporalité n'est pas adaptée à la situation de crise et les décisions sont prises trop tardivement par rapport au moment où la crise s'est déclenchée.
Nous travaillons donc actuellement sur la mise en place de cette cellule, qui a précisément vocation à assurer une orientation en urgence, sur mesure, de ces enfants. Cette cellule serait composée à la fois d'éducateurs et d'infirmiers spécialisés en psychiatrie, tandis que des psychiatres en assureraient la supervision. Le dispositif aurait vocation à faciliter l'orientation médico-unitaire ou médico-sociale en cas de crise ou de décompensation. Nous espérons pouvoir la mettre en place au cours des prochains mois, si nous parvenons à un accord.
Je souhaitais évoquer devant vous un deuxième exemple, qui me paraît, là aussi, répondre à des besoins, à savoir la structuration d'une offre d'accueil médico-sociale 365 jours sur 365. Aujourd'hui, en Gironde, comme dans la très grande majorité des départements de la région Nouvelle Aquitaine, les structures médico-sociales n'offrent pas de prise en charge 365 jours sur 365. Il n'y en a aucune de ce type en Gironde. Or cette situation peut être à l'origine de ruptures dans le parcours des enfants en général, et des enfants de l'ASE en particulier. Nous souhaitons donc mettre en place une offre alternative complémentaire, qui assure cette prise en charge subsidiaire les jours où les structures de droit commun sont fermées – je pense tout particulièrement au week-end et également aux vacances, notamment les vacances d'été.
Ainsi, nous sommes en train de concevoir un appel à candidatures pour désigner un ou plusieurs gestionnaires qui auront la charge d'assurer ce service au bénéfice des enfants de l'aide sociale à l'enfance. De la même manière, nous travaillons à la mise en place d'équipes mobiles « ressources médico-sociales à fort taux juvénile ». Elles auront pour mission d'intervenir sur les lieux de vie des enfants et des adolescents de l'aide sociale à l'enfance, quels que soient les lieux de vie : foyer de l'enfance ou familles d'accueil.
Leur mission sera triple : assurer la formation de base à la prise en charge des thématiques de santé mentale, auprès des professionnels de ces structures, notamment auprès des éducateurs ; apporter une forme de soutien ou d' « étayage » et proposer un accompagnement aux professionnels, pour qu'ils ne se sentent pas complètement désemparés face à ces situations qu'ils ont du mal à appréhender et à régler ; proposer une aide au diagnostic et à l'évaluation des troubles sur les lieux de vie, en vue d'une orientation future vers des structures plus adaptées.
L'initiative repose sur l'idée de mettre en place des équipes pluridisciplinaires composées à la fois d'éducateurs spécialisés, d'infirmiers psychiatriques et de psychologues, en allouant également le temps de psychiatres. Nous allons, là aussi, travailler pour arrêter le cahier des charges d'ici la fin de l'année et le début de l'année 2020. On envisage la création de deux ou trois équipes de ce type pour le seul département de la Gironde.
Enfin, et j'en terminerai là pour cet exemple, nous travaillons à la création d'un réseau de familles d'accueil renforcé. Cette mesure est assez complémentaire de la mesure précédente. Il s'agit de venir en aide aux assistants familiaux qui prennent en charge les enfants de l'ASE, par la mise à disposition de compétences sanitaires et médico-sociales, notamment sous la forme d'équipes mobiles. Là aussi, on se situe dans une perspective de relativement court terme, puisque la mesure pourrait être mise en place fin 2019 ou début 2020. Voilà donc un exemple de partenariat qui me paraît réussi, même s'il n'est probablement pas à la hauteur des enjeux et n'a pas encore porté tous les fruits attendus.
Nous ne sommes pas allés aussi loin dans la formalisation que dans un département de Nouvelle-Aquitaine, mais, au vu de ces premières expériences, nous nous disons qu'on pourrait potentiellement les proposer aux autres départements de la région.
Deuxième nécessité : une meilleure organisation des parcours de soins. L'articulation entre institutions est indispensable, mais pas suffisante. Elle doit être complétée par un travail de fond, d'organisation des parcours de prise en charge des enfants et des adolescents de l'ASE. Si les professionnels de santé – au sens large – prenant en charge ces enfants sont les mêmes que ceux qui s'occupent des autres enfants et adolescents, leur mobilisation doit être supérieure pour compenser la prévalence de certaines pathologies au sein de cette population. En outre, les méthodes d'intervention doivent être adaptées aux spécificités des enfants de l'ASE.
Le ministère en a pris conscience et soutient donc depuis quelques mois un projet d'expérimentation en application de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 : il s'agit de mettre en place un parcours de soins coordonné pour les enfants et adolescents protégés. Cette expérimentation est préparée par la direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé, en partenariat étroit avec le docteur Nathalie Vabres du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes. À ce stade, trois départements ont été présélectionnés pour participer à l'expérimentation – un en Loire-Atlantique et deux en Nouvelle-Aquitaine.
Cette expérimentation paraît très prometteuse et le parcours particulièrement bien pensé. C'est pourquoi nous avons souhaité y participer. Si elle fonctionne, idéalement, dans un deuxième temps, elle pourrait être déclinée plus largement. Les grands objectifs de ce parcours coordonné sont les suivants : rendre effective l'obligation légale d'évaluation à l'entrée dans le dispositif de l'ASE – cette obligation légale n'est que très marginalement respectée, comme l'a souligné le bilan réalisé en 2016 par le Défenseur des droits ; garantir une prise en charge somatique et en santé mentale la plus précoce possible ; mettre en place des soins et des prises en charge plus individualisés et mieux adaptés aux pathologies des enfants ; garantir la traçabilité des différentes étapes du parcours et alimenter le dossier médical pour permettre la prise en charge dans la durée. S'agissant d'enfants qui peuvent être « baladés » – si vous me permettez l'expression – d'une structure à une autre, il est absolument essentiel de conserver cette mémoire.
À l'entrée dans le dispositif, le parcours de soins reposera sur la réalisation d'un bilan somatique, psychologique et, si nécessaire, d'un bilan de santé mentale. Une actualisation sera réalisée tous les ans, afin de tenir compte de l'évolution de la situation des enfants et des adolescents. Sur la base de ces bilans et de leur actualisation, les enfants et les adolescents seront, le cas échéant, orientés vers des structures spécialisées.
Ce parcours sera confié à titre principal à un médecin généraliste ou à un pédiatre. Les professionnels concernés ne seront pas seuls – c'est l'intérêt de l'expérimentation. Ils pourront s'appuyer sur une structure dédiée. En effet, les référents éducatifs des enfants n'ont ni les compétences, ni le temps d'organiser le parcours de soins de l'enfant. la structure assurera leur suppléance : elle mettra à disposition une liste de professionnels volontaires – ainsi, après consultation du médecin généraliste, l'enfant ou l'adolescent pourra être adressé au médecin psychiatre compétent ; elle assurera le suivi des échéances.
Les professionnels volontaires seront confortés dans leur exercice par la mise à disposition de référentiels de bonnes pratiques. Dans le cadre de son programme de travail 2019, la DGCS a demandé à la Haute Autorité de santé (HAS) de réfléchir à un référentiel spécifique pour ces enfants. Les professionnels bénéficieront également d'une formation adaptée et de groupes d'échanges d'expertise sur dossier et d'échanges de pairs.
Enfin – c'est le socle de l'expérimentation –, un financement spécifique et adapté sera alloué afin de garantir l'effectivité du parcours de soins et la mobilisation des professionnels de santé. Il viendra en complément des financements actuels, qui ne prévoient pas le remboursement des consultations dites « longues » ou « complexes » pour les enfants de l'aide sociale à l'enfance, contrairement à ce qui existe pour certaines pathologies ou d'autres catégories de personnes. Or les consultations classiques ne permettent pas aux professionnels de prendre le temps dont ces enfants et adolescents ont besoin. En outre, le forfait prendra en charge des professionnels non remboursés par l'assurance maladie – psychologues, psychomotriciens. Enfin, il financera la structure d'appui à la coordination.
L'expérimentation va débuter au deuxième semestre 2019 et durera cinq ans. Une première évaluation – sur la faisabilité de la mise en oeuvre – sera réalisée dès l'année prochaine. L'évaluation des premiers résultats aura lieu dès l'année suivante.