Les tests osseux sont un élément important pour les avocats qui souhaitent contester la majorité. La marge d'erreur est d'un an et demi, et en règle générale, ils sont demandés pour qu'une personne estimée majeure soit jugée mineure.
Ils sont très peu pratiqués dans notre organisation, car ce n'est pas un élément très probant. Certains juges des enfants les demandent en cas des recours, les parquets les demandent très peu dans les investigations complémentaires. En règle générale, les investigations complémentaires consistent à faire évaluer les papiers par la police de l'air et des frontières, ce qui me semble un minimum. Le test de la clavicule serait sans doute plus pertinent, mais je ne suis pas médecin.
Vous me demandez ensuite ce qu'il advient des majeurs, et c'est bien pour cela que je vous parlais de la vulnérabilité, car ils sont laissés à la rue. Pour éviter qu'ils y restent, ils sont aidés par un certain nombre d'associations. La règle veut que nous leur donnions la totalité des éléments afin qu'ils puissent mieux gérer leur majorité. La procédure du droit d'asile leur est ouverte, mais l'obtention du statut est conditionnée par un certain nombre d'éléments qui écartent une grande majorité des demandeurs. Nous faisons également appel à des associations ou collectifs quand nous avons des craintes pour certaines personnes que nous considérons plus fragiles que d'autres.
Certaines de ces personnes ont des connaissances sur place, certains sont en France depuis plusieurs années, ils n'ont pas tous traversé la Méditerranée hier. Ils viennent au DDAEOMI car c'est un lieu où l'on peut être soigné, écouté, et tenter sa chance.
Pour nous qui sommes travailleurs sociaux, ces majeurs représentent le gros problème de notre dispositif. C'est pourquoi nous voulons faire l'évaluation aussi vite que possible, idéalement en cinq jours. Quand le jeune arrive le lundi, l'évaluation est prête le vendredi matin, elle doit arriver au conseil départemental avant midi, puis au parquet avant 14 heures, et la décision est rendue avant 17 heures. Nous mettons en place cette organisation dans tous les départements où nous sommes installés.
Afin d'accélérer cette procédure, tous utilisent les mêmes documents, même le parquet, de façon à ce que l'identification soit la même partout. Selon les départements, les décisions du parquet ne sont pas rendues sur les mêmes supports. Parfois, on ne comprend même pas si le jeune est déclaré majeur ou mineur, il faut déchiffrer le langage administratif. Nous avons essayé de rédiger les actes dans un français compréhensible, pour que les personnes chargées de les traduire puissent le faire. Sinon, certaines décisions sont intraduisibles car nous ne les comprenons tout simplement pas.
Si nous restons trop longtemps en lien avec ces personnes, nous ne pouvons plus nous en séparer. C'est une source de souffrance intense pour les travailleurs sociaux, nous en pleurons. Il est donc important que les contacts soient les plus brefs possibles, car l'avenir de la plupart de ceux qui sont déclarés adultes, c'est la rue, et ce n'est pas un lieu pour un être humain.
S'agissant du prix de journée, il n'y a aucune raison qu'il y ait des différences. L'article 375 nous impose de prendre en charge les mineurs sans distinction de nationalité, de couleur de peau, de religion, ou de culture. Il n'y a donc aucune différence de prix de journée fondée sur l'origine des mineurs. Certains peuvent avoir besoin de moins de prise en charge que d'autres, cela pourrait justifier une différence de prix, mais certainement pas l'origine des mineurs.
Je sais néanmoins que certains départements ont cette pratique, nous appelons cela les « ghettos noirs ». Mais si nous voulons insérer ces jeunes dans notre société, ils doivent vivre une jeunesse de Français : aller à l'école, recevoir une formation professionnelle. C'est ce que nous essayons de faire dans l'établissement que je dirige. Ces jeunes sont très attentifs à leur comportement, ils sont respectueux. Ils ont envie d'y arriver, ils ont envie d'apprendre et de servir le pays. Ils connaissent souvent mieux l'histoire de notre pays que nous, et la plupart d'entre eux sont très attachants. Nous avons besoin de ces jeunes, ils sont souvent embauchés avant de sortir de nos établissements car ils sont ponctuels, polis, souriants, travailleurs et ont envie de s'en sortir. Ils essaient de s'insérer avec les moyens à leur disposition.
Quant au conseil départemental, pour notre part, nous sommes un petit peu indépendants – vous aurez effectivement compris que je ne me laisse pas marcher sur les pieds, je suis d'origine catalane et ariégeoise –, mais nous ne le sommes pas vraiment : le président du conseil départemental reste le chef de file. La loi, c'est la loi, et nous tenons à ce qu'elle soit appliquée. Cela dit, notre partenaire privilégié reste le parquet. C'est avec lui que nous avons le plus de relations et que nous traitons les difficultés que nous rencontrons. Si nous avons besoin d'éléments supplémentaires pour faire évoluer nos évaluations, nous voyons cela avec le parquet. Dans notre organisation, il est au centre du dispositif.
C'est là l'une des spécificités de notre approche, puisqu'elle n'est pas déclinée ainsi dans le décret du 24 juin 2016, non plus, d'ailleurs, que dans l'arrêté : toute notre organisation s'articule autour du parquet. Cela nous semble cohérent : nous avons une justice en France, et le parquet, qui représente l'État, est censé faire respecter les lois françaises. Il nous semble donc cohérent que ce soit le parquet qui prenne ces décisions, ce qui n'empêche pas les recours auprès du juge des enfants ; ainsi les droits de toute personne sont-ils préservés, y compris lorsqu'elle considère ne pas avoir été traitée comme elle devait l'être. Et si un conseil départemental refuse cette approche, nous n'allons pas dans le département en question ; ce fut le cas dans certains départements où le conseil départemental considérait qu'il devait revenir à son président de décider. Dont acte, mais, pour notre part, c'est avec le parquet que nous travaillons.
Quant aux trajets, nous accompagnons les jeunes, éventuellement jusqu'à Metz ou à Lille, et il nous arrive de revenir avec eux. Ce n'est effectivement pas parce qu'une péréquation est prévue qu'elle est respectée. Il peut arriver qu'un département refuse d'accueillir le jeune. Et, à Marseille, au bout de trois nuits d'hôtel, les jeunes sont à la rue. Nous allons donc les rechercher ; il n'est pas question que des mineurs soient à la rue.