Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 11h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • DDAEOMI
  • départemental
  • minorité
  • parquet

La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 13 juin 2019

La séance est ouverte à onze heures vingt-cinq.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Mes chers collègues, la mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Gérard Castells, directeur du pôle social du Chêne Vert de l'Association nationale de recherche et d'action solidaire (ANRAS), et de M. Julien Chanut, directeur-adjoint.

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Gérard Castells, directeur de l'Association nationale de recherche et d'action solidaire

L'Association nationale de recherche et d'action solidaire (ANRAS) est implantée principalement dans le sud de la France. Employant 20 00 salariés, elle regroupe des instituts médico-éducatifs (IME), des instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP), des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des centres éducatifs fermés (CEF).

Le pôle social du Chêne Vert, que je dirige, emploie 300 salariés. Il est composé d'une maison-relais pour des personnes isolées sans domicile fixe ainsi que d'une maison d'enfants à caractère social (MECS) de 130 places pour des jeunes âgés de quatre ans et demi à vingt et un ans, spécialisée dans les cas difficiles et les fratries. Six plateformes pour mineurs non accompagnés (MNA) y sont rattachées au titre de la protection de l'enfance, telle que la définit l'article 375 du code civil. Le pôle social comporte deux directions : l'une se consacre aux mineurs non accompagnés, l'autre plus particulièrement aux personnes isolées.

La plateforme procède aujourd'hui à 3 000 mises à l'abri par an. Il faut savoir que dès 2012, il y a eu une augmentation des arrivées de personnes se présentant comme mineurs isolés sur le territoire de la Haute-Garonne et qu'il est apparu rapidement que du fait de l'accueil de personnes majeures dans des maisons d'enfants, peu de places restaient pour les mineurs que nous avions l'habitude de voir depuis des années – éducateur d'origine comme mon collègue Julien Chanut, cela fait trente et un ans que je défends les valeurs de la protection de l'enfance.

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C'est notre collègue Sandrine Mörch, députée de Haute-Garonne, qui a proposé votre audition afin que vous nous parliez plus particulièrement de votre action auprès des mineurs non accompagnés et du dispositif départemental d'accueil, d'évaluation et d'orientation des mineurs isolés (DDAEOMI) que vous avez mis en place. Vous nous avez déjà transmis des documents éclairants sur la façon dont vous procédez à l'évaluation de la minorité et dont vous établissez des comptes rendus. Dans le Nord, de semblables dispositifs ont été mis en oeuvre et les résultats convergent. Comment expliquez-vous le fait qu'il y ait eu un renversement dans la reconnaissance de la minorité ? Quelle est la part de la mise en place du DDAEOMI dans cette évolution ? Combien coûte le parcours d'évaluation et combien de temps prend-il ? Entretenez-vous des rapports avec le parquet et tribunal de grande instance ? Si oui, lesquels ?

Il a beaucoup été question du fichier MNA créé par le décret du 30 janvier 2019. Qu'en pensez-vous ?

Le travail avec la métropole de Toulouse vous semble-t-il suffisant en matière de prise en charge des mineurs isolés et de protection de l'enfance ?

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Gérard Castells, directeur de l'Association nationale de recherche et d'action solidaire

La création du DDAEOMI procède d'une application à la lettre de la circulaire Taubira et du décret du 24 juin 2016 relatif à l'accueil et aux conditions d'évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Nous sommes souvent accusés d'être une gare de tri mais nous ne faisons qu'appliquer les textes grâce à une méthodologie précise. L'évaluation, qui coûte environ 3 000 euros, doit être réalisée en cinq jours, délai qui peut aller jusqu'à treize jours quand il y a des doutes, voire vingt et un jours quand ils n'ont pu être levés.

Ce dispositif existe en Haute-Garonne, dans l'Ariège et dans le Gers. Le Tarn, dans l'attente du lancement d'un appel à projets, s'est doté d'un dispositif expérimental d'évaluation (DEE). Nous allons ouvrir le 1er juillet un DDAEOMI à Clermont-Ferrand car le Puy-de-Dôme a connu 600 entrées en une année, ce qui a provoqué une saturation des hôtels du département. Nous n'arrivons pas à répondre à toutes les demandes et il y a déjà sept départements en attente.

Notre politique est simple : pas de jugement au faciès mais un accueil inconditionnel, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an.

La première de nos missions est la mise à l'abri. Nous donnons aux personnes qui arrivent de la nourriture et nous les laissons se reposer dans une chambre. Elles sont ensuite examinées par notre service de santé. Dans un souci éthique, pour que ce dispositif réponde de la manière la plus précise qui soit à la loi, nous avons collaboré étroitement avec le parquet de Toulouse, notamment avec Mme Florence Poudens, procureure de la République adjointe près le tribunal de grande instance de Toulouse.

Après cette phase d'accueil, le parcours d'évaluation du jeune se déroule en trois étapes. Il commence par un entretien visant à comprendre son parcours migratoire. L'entretien suivant est consacré à sa vie dans son pays d'origine et aux raisons pour lesquelles il a voulu le quitter. Vient ensuite un troisième entretien qui établit un faisceau d'indices permettant à chacun des partenaires avec lesquels nous travaillons régulièrement de trouver les réponses dont il a besoin : le parquet, le juge des enfants, la préfecture, la police aux frontières.

De manière générale, nous ne nous lançons pas dans la mise en place d'un nouveau dispositif tant que nous n'avons pas pu réunir les parties concernées. Dans la perspective de l'ouverture du DDAEOMI de Clermont-Ferrand, nous avons déjà ainsi eu deux réunions d'ensemble. Il est essentiel que nous nous assurions que nous avançons tous dans le même sens et que nous partageons les mêmes codes sinon l'évaluation risque de perdre de son sens.

Chaque évaluation nécessite une douzaine d'heures de travail. Le rapport final comprend six à sept pages, dont la moitié est consacrée à une analyse. Nous ne nous contentons pas de retranscrire le récit de vie fait par la personne ; nous tentons de mettre au jour d'éventuelles contradictions.

À cela s'ajoute une évaluation scolaire qui nous permet d'avoir une meilleure connaissance du parcours du jeune dans son pays d'origine ainsi qu'une évaluation de son comportement dans la structure d'hébergement, fournie par les éducateurs.

Les seules personnes qui ne participent pas à l'évaluation sont les membres du service de santé et les psychologues. Ces derniers se consacrent aux problématiques psychiques que rencontrent ces jeunes et elles sont nombreuses, je ne vous le cache pas. Il y a beaucoup de pathologies de santé et les soins qu'elles nécessitent sont financés en totalité par les conseils départementaux – les agences régionales de santé sont totalement absentes du dispositif. Nous avons accès aux permanences d'accès aux soins de santé (PASS) mais vous savez comme moi qu'elles sont saturées. Les médicaments et les soins sont payés par le DDAEOMI et sont dispensés par une équipe d'infirmiers et d'infirmières au top, ayant une connaissance fine des problèmes rencontrés par les jeunes de vingt-quatre nationalités différentes que nous accueillons aujourd'hui. Même si le DDAEOMI 31 n'a ouvert qu'en juillet 2016, nous avons l'impression d'avoir une expérience bien plus ancienne : chaque année semble valoir cinq ans dans une autre structure tant le flux de nouveaux arrivants est nourri. Nous faisons tout pour maintenir une attitude bienveillante à leur égard car il s'agit bien souvent de victimes. Il arrive, bien sûr, que certains viennent en France avec un visa touristique et un cartable tout prêt au dos mais beaucoup ont subi des violences. En Haute-Garonne, nous accueillons des jeunes filles guinéennes victimes de traite. Une interruption volontaire de grossesse est pratiquée chaque mois. Il faut savoir que les garçons aussi sont abusés. Ceux qui sont passés par la Libye ont été considérés plus comme des objets que comme des êtres humains. Ils y ont été matraqués, harcelés, abîmés. Nous avons pu croire que le fait que ce pays ne soit plus un point de passage obligé était une bonne nouvelle mais apparemment, ils subissent aussi des sévices lorsqu'ils transitent par l'Espagne, mais dans une moindre mesure.

Depuis que plusieurs DDAEOMI ont été mis en place, force est de constater que les taux de reconnaissance de minorité par les parquets sont inférieurs à 20 % – 11,9 % en Haute-Garonne, 5 % dans le Gers.

Nous pouvons aussi tenter de savoir si les jeunes reconnus mineurs sont vraiment mineurs. En Haute-Garonne, la mission est séparée en trois unités bien distinctes : l'unité de mise à l'abri ; l'unité d'évaluation qui héberge les jeunes le temps des entretiens ; l'unité d'orientation qui prend en charge ceux qui sont déclarés mineurs par le parquet. Une fois la minorité reconnue, deux parcours sont possibles : si le département bénéficie de la péréquation, les jeunes sont orientés par la cellule nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) vers les départements censés avoir des places ; si le département n'en bénéficie pas, ils sont placés en Haute-Garonne qui reçoit en plus des mineurs d'autres départements.

Petit aparté sur la péréquation. Dans le principe, c'est une bonne chose puisqu'elle repose sur la solidarité nationale : une clef de répartition s'appliquant à l'ensemble du territoire national permet de soulager les départements saturés. En réalité, les départements qui font l'effort d'appliquer la loi sont punis, comme j'ai eu l'occasion de le dire à Mme Belloubet lors de sa visite au DDAEOMI, il y a quinze jours. Le nombre d'entrées dans le département est divisé par deux dès que nous apposons une plaque DDAEOMI. Dans un premier temps, nous servons beaucoup de dispensaire : des jeunes et des moins jeunes viennent se faire soigner et nous les recevons tous car nous avons pour principe de pratiquer un accueil inconditionnel. Comme nous appliquons la loi, tout leur est expliqué dans leur langue d'origine. En règle générale, 40 % des jeunes nous quittent avant la fin de l'évaluation et 30 % fuguent. Certains ne passent que quelques jours, en transit entre l'Espagne et la région parisienne.

En 2018, en Haute-Garonne, nous avons réalisé 1 079 évaluations qui ont été remises au conseil départemental qui les a ensuite transmises au parquet. Toutes les décisions appartiennent au procureur. Le président du conseil départemental n'a pas à se prononcer. À Clermont-Ferrand, la juge des enfants va être déchargée en grande partie de ses dossiers et le procureur décidera, au vu des éléments fournis dans notre avis.

Nos avis aboutissent à trois types de conclusion.

Première possibilité : nous reconnaissons la minorité. Le procureur peut bien sûr prendre une décision autre, au vu de l'évaluation que nous lui fournissons.

Deuxième possibilité : les éléments rassemblés ne nous permettent pas de déterminer si la personne est bien mineure, ce qui aboutit à une prolongation de la prise en charge au-delà des cinq jours. Des investigations complémentaires sont décidées. Si les papiers sont envoyés à la police aux frontières, ils sont le plus souvent déclarés « techniquement valables », ce qui veut dire que le tampon est placé au bon endroit alors même qu'ils peuvent être faux. Un simple exemple : l'état civil en Guinée étant déclaratif, une personne, une fois arrivée à Paris, peut faire aisément établir une carte consulaire à l'ambassade de Guinée, qui lui permet ensuite d'obtenir un passeport biométrique guinéen moyennant une centaine d'euros. Nous évitons donc au maximum de passer par la case « police aux frontières » (PAF) car les avocats peuvent se saisir de ses analyses pour faire des recours auprès du juge des enfants qui déclarera la minorité – même si la personne a quarante-cinq ans – en vertu de l'article 47 du code civil aux termes duquel : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

C'est un problème éthique, nous sommes dans le cadre de la protection de l'enfance, et il est nécessaire que le budget consacré aux enfants leur bénéficie, et non à des adultes.

Nous avons fait part de ces difficultés à Mme Nicole Belloubet, et il semble que l'hypothèse retenue serait d'ajouter un alinéa à l'article 47 pour reconnaître l'évaluation lorsqu'elle est menée conformément au décret du 24 juin 2016. Le juge des enfants pourrait s'appuyer sur cet alinéa pour rejeter la demande de reconnaissance de minorité.

Actuellement, sur le département de la Haute-Garonne, près de 70 % des personnes intentant un recours sont reconnues mineures grâce à cet article 47 du code civil, et reviennent ainsi dans le champ de l'aide sociale à l'enfance. Ce n'est pas le cas dans tous les départements, le juge des enfants est souverain et peut appliquer la première phrase de l'article 47 avec plus ou moins d'exceptions. Nous espérons donc que cet article sera complété.

J'en viens aux péréquations. Aujourd'hui, certains départements bien identifiés, qui ne veulent pas appliquer le décret, déclarent un taux de minorité de 90 %, voire 100 %. Si un département qui a accueilli 800 personnes cette année, dont 200 MNA, déclare les 600 autres personnes comme mineures, il bénéficiera du système de péréquation. Les jeunes seront instantanément réorientés dans les autres départements, et même s'ils ne sont pas réorientés, ils seront à la charge du département d'accueil. De ce fait, les départements qui ne jouent pas le jeu sont très nombreux, et cette péréquation constitue un problème majeur.

Nous avons prévu d'en discuter avec la directrice nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Il suffirait que la cellule nationale de la PJJ s'intéresse aux conditions d'application du décret et détermine si l'évaluation a été pluridisciplinaire, si elle s'est accompagnée d'une analyse ou s'il s'agit juste d'un recueil de données, avant de donner accès à cette péréquation. Les départements qui n'appliquent pas la loi seront dans l'obligation de le faire, ou subiront très rapidement un préjudice financier.

Aujourd'hui, les départements qui jouent le jeu de l'accueil inconditionnel sont victimes de ce système. Sans aller jusqu'à dire que les départements sont poussés à déclarer la minorité, notre mission, qui est de faire en sorte que les mineurs ne soient pas traités comme les majeurs, est galvaudée.

Avant la création du DDAEOMI, tous ces jeunes étaient parqués dans des hôtels, et le coût était de 21 millions d'euros pour le département de la Haute-Garonne. Le DDAEOMI coûte 4 millions d'euros, les frais pour le département sont donc divisés par cinq, simplement en appliquant la loi. Nous souhaitons que l'ensemble des départements fassent de même. Cela impose une organisation spécifique, la construction d'une évaluation n'est pas aisée et une formation continue est prévue sur l'ensemble des départements. Nos hébergements sont solidaires, nous croyons à la mutualisation des moyens et nous pensons qu'il serait préférable d'avoir des plateformes régionales, même si une entité existe dans chaque département.

Nous mettons en place une équipe mobile d'évaluateurs. Dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, beaucoup de personnes se prétendent MNA alors qu'elles sont majeures. Nous souhaitons donc y intervenir pour réaliser une évaluation qui fournira un certain nombre d'éléments au parquet. Aujourd'hui, nous mélangeons aux mineurs des personnes adultes, parfois âgés. Certaines des personnes qui se présentent ont mon âge ! On peut le comprendre sachant que la seule alternative est le Samu social, pour ceux qui veulent être protégés ou soignés, le DDAEOMI est une possibilité. Pour autant, ils n'ont pas à entrer dans le cadre de l'article 375 du code civil.

La péréquation doit donc être modérée, la directrice nationale de la PJJ est d'accord, il faut trouver les moyens pour qu'elle ne bénéficie qu'aux départements qui respectent la loi.

Nous avons un autre problème, lié au décret relatif au fichier national biométrique pour les mineurs non accompagnés. Nous avons été invités à Paris au mois de novembre pour discuter de la rédaction de l'arrêté qui le met en oeuvre. Nous étions tous favorables à ce fichier national, mais tel qu'il est prévu par le décret, c'est un non-sens. Tout d'abord, il est géré par le ministère de l'intérieur, il s'agit donc plutôt d'un fichier de police que de protection. Ensuite, les rédacteurs du décret imaginaient que les personnes se présenteraient spontanément à la préfecture pour donner leurs empreintes et s'acquitter de toutes les formalités.

Nous ne mettons pas en oeuvre cette procédure, car les personnes intéressées préfèrent saisir le juge des enfants. Ce dernier va édicter une ordonnance de placement provisoire, qui n'est utilisée que pour les mineurs, et de ce fait attribuer un statut à la personne avant qu'elle ait été évaluée. C'est autant de grain à moudre pour les avocats, et l'aide juridictionnelle fonctionne à plein pot. Le décret sur le fichier national est une manne pour eux, car il y aura des recours en permanence.

Une fois que le juge des enfants a édicté une ordonnance de placement provisoire, le jeune est installé dans un établissement en attendant une décision qui prend trois à six mois. Vous imaginez bien que lorsque l'on a créé des liens privilégiés avec une personne, on ne s'en débarrasse pas trois ou six mois après car on considère qu'une erreur a été commise. Il n'est pas possible de traiter les gens de la sorte.

Pourquoi ne pas avoir mis en place ce fichier au niveau de la cellule nationale de la PJJ, qui a toutes les informations ? Je ne comprends pas que ce fichier ait été installé en préfecture. Lors de la réunion préparatoire pour la rédaction de l'arrêté, la directrice de la cohésion sociale nous a expliqué que cinquante postes de fonctionnaires seraient créés dans les préfectures pour absorber l'afflux de nouveaux arrivants. Une juge des enfants du département de Seine-Saint-Denis lui a répondu qu'il serait préférable de créer trois cents postes de juge des enfants, car tout le monde serait orienté vers le tribunal pour enfants. Les passeurs et les collectifs qui organisent le système sont très réactifs, bien plus rapides que nous. Nous risquons très rapidement de nous trouver en difficulté, avec des taux de minorité proches de 100 % et des maisons pour enfants remplies de personnes majeures.

Je souhaite lancer un cri d'alerte, car la population que nous accueillons est vraiment très abîmée. La pédopsychiatrie est inexistante, pour avoir des soins, je demande à la procureure d'édicter une ordonnance, sinon il n'est pas possible d'avoir une place en hospitalisation.

Quant aux agences régionales de santé, nous ne les connaissons pas. Nous avons eu deux réunions avec elles pour monter un système permettant aux jeunes de recevoir l'aide médicale d'État, et nous avons eu l'impression de demander une chose inconcevable. L'ARS craignait une saturation des « pass santé », je leur ai expliqué que tant que le jeune n'était pas déclaré majeur, la loi le considère mineur, et n'a donc rien à faire dans le système des « pass santé ». J'ai assisté aux deux premières réunions, puis j'ai abandonné, ce n'était pas de la mauvaise volonté de la part de l'ARS, mais nous sommes dans un système technocratique tellement fermé qu'il est très difficile d'y insuffler un peu de logique pour faire face aux enjeux actuels et futurs.

Je travaille avec la protection judiciaire de la jeunesse depuis trente ans, et elle a été progressivement déshabillée. Ils sont toujours de bonne volonté, mais les moyens dont ils disposent sont insuffisants.

Aujourd'hui, les enfants sont donc confrontés à une pédopsychiatrie moribonde, à une PJJ qui fait ce qu'elle peut, à des ARS absentes, et nous. Si nous ne donnons pas la priorité aux mineurs dans nos établissements et dans nos maisons d'enfants, nous aurons rapidement de graves problèmes d'ordre public. Si nous n'accompagnons pas ces jeunes, ils seront pris en charge par des personnes qui leur expliqueront comment fonctionner, et nous risquons de nous retrouver dans des situations malheureuses. La France a connu dans son passé récent des problèmes de radicalisation, et un certain nombre des jeunes concernés sont passés dans nos établissements. Ils en sont arrivés à cette situation car nos établissements sont sursaturés, ce n'est pas une plainte, c'est un constat.

Il faut que nous arrivions à régler certains des problèmes dont je vous ai fait part : fichier national, péréquation, mention de l'évaluation à l'article 47 du code civil. Pourquoi le décret du 24 juin 2016 n'est pas appliqué sur le territoire national ? Les conseils départementaux sont chefs de file, mais pourquoi s'autorisent-ils à ne pas appliquer ce décret par souci d'économie ? Ce système est absurde.

Je vous fais part de ma vérité, après trente et un ans passés au service des enfants. J'ai écrit le projet du DDAEOMI, mes collaborateurs l'ont enrichi, et aujourd'hui, toute une équipe fait fonctionner ce dispositif. Je serais naturellement favorable à la généralisation des DDAEOMI à l'échelle nationale, ou régionale. Dans notre région, un dispositif de mutualisation va nous permettre d'améliorer notre efficacité. Il ne faut pas plus d'argent, aujourd'hui, nous dépensons plus que nécessaire, car tout le monde est enfermé dans une case. La gestion des MNA se fait par flux, il y a des périodes basses et des périodes hautes, et elles ne sont pas concomitantes dans tous les départements. Des équipes nombreuses ont parfois moins de travail, la mutualisation permet donc non seulement d'enrichir l'expérience de chacun, mais aussi de préserver le budget du conseil départemental afin qu'il continue d'exercer sa mission.

La compétence sur la protection de l'enfance reste sous l'autorité du président du conseil départemental, nous avons donc peu de liens avec Toulouse métropole. Mais le maire de Toulouse met gratuitement à notre disposition les médecins du CCAS pour soigner les MNA qui présentent des pathologies avérées. À ce propos, nous accueillons des centaines de migrants dans nos dispositifs, sans médecins et sans que nous ne puissions détecter si certains sont atteints de pathologies dangereuses pour eux-mêmes ou pour les autres. Nous détectons la gale, l'hépatite et la tuberculose, mais il y a d'autres pathologies que nous ne pouvons détecter.

Nous espérons rajouter un élément à notre évaluation, qui n'est pas prévu par le décret du 24 juin 2016, sur la vulnérabilité. Nous considérons qu'il est important de prendre en compte la vulnérabilité de la personne, quel que soit son âge. En appliquant la loi, nous pouvons réaliser des économies substantielles : les dépenses du département du Gers pour les MNA sont passées de 7 millions d'euros à 780 000 euros. Une petite partie des fonds ainsi économisés pourrait être consacrée à des personnes vulnérables.

Quelles sont ces personnes ? J'ai à l'esprit l'exemple d'une jeune femme guinéenne qui a déclaré à peu près quatorze viols, qui porte un enfant, et qui est contaminée par le HIV. Bien qu'elle ait été déclarée majeure, nous ne pouvons pas la laisser au Samu social. Il serait donc nécessaire de nous permettre de conserver cette personne jusqu'à ce que les dispositifs nécessaires pour l'accompagner soient mis en place.

Autre exemple, un jeune qui a été fortement maltraité, dont une jambe a été mal remise en place, qui a du mal à se déplacer et a perdu un oeil. S'il est déclaré majeur, il va se retrouver à la rue.

C'est pour ce type de situations que nous souhaiterions pouvoir ajouter la notion de vulnérabilité à notre évaluation. Nous commençons à travailler à cette grille de lecture et le président du conseil départemental du Puy-de-Dôme est d'accord pour expérimenter cette nouvelle ligne d'évaluation dans son département, en lien avec les services de santé, de façon à élaborer une grille de lecture aussi pertinente que possible. Nous devons prendre garde à éviter que ce critère n'amène les jeunes à se faire mal volontairement pour rester dans nos dispositifs.

Cette grille de lecture devrait être disponible l'été prochain, c'est un gros travail que nous réalisons dans le cadre de notre formation continue sur l'évaluation. Le chef de service du DDAEOMI du Gers s'en occupe, la directrice de la cellule nationale lui a d'ailleurs demandé d'être formateur pour les évaluateurs. Nous n'avons pas le temps de le faire, mais c'est une reconnaissance de la qualité des évaluations.

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Vous proposez donc des formations à l'évaluation qui sont reconnues, et recherchées au niveau national.

Les juges demandent-ils souvent des recours aux tests osseux dans les départements où vous êtes implantés, et pour quelle raison le font-ils ?

Vous sentez-vous complètement indépendant du conseil départemental ?

Quand l'un des jeunes que vous recevez est évalué majeur, que faites-vous ? Existe-t-il un accompagnement minimal, au-delà du dispositif pour personnes vulnérables que vous venez de nous présenter ?

Lorsque vous prenez en charge des mineurs, le prix de journée est-il différent de celui d'autres enfants ?

Et quand des mineurs sont envoyés dans d'autres départements par le jeu de la péréquation, qui est responsable du voyage ?

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Gérard Castells, directeur de l'Association nationale de recherche et d'action solidaire

Les tests osseux sont un élément important pour les avocats qui souhaitent contester la majorité. La marge d'erreur est d'un an et demi, et en règle générale, ils sont demandés pour qu'une personne estimée majeure soit jugée mineure.

Ils sont très peu pratiqués dans notre organisation, car ce n'est pas un élément très probant. Certains juges des enfants les demandent en cas des recours, les parquets les demandent très peu dans les investigations complémentaires. En règle générale, les investigations complémentaires consistent à faire évaluer les papiers par la police de l'air et des frontières, ce qui me semble un minimum. Le test de la clavicule serait sans doute plus pertinent, mais je ne suis pas médecin.

Vous me demandez ensuite ce qu'il advient des majeurs, et c'est bien pour cela que je vous parlais de la vulnérabilité, car ils sont laissés à la rue. Pour éviter qu'ils y restent, ils sont aidés par un certain nombre d'associations. La règle veut que nous leur donnions la totalité des éléments afin qu'ils puissent mieux gérer leur majorité. La procédure du droit d'asile leur est ouverte, mais l'obtention du statut est conditionnée par un certain nombre d'éléments qui écartent une grande majorité des demandeurs. Nous faisons également appel à des associations ou collectifs quand nous avons des craintes pour certaines personnes que nous considérons plus fragiles que d'autres.

Certaines de ces personnes ont des connaissances sur place, certains sont en France depuis plusieurs années, ils n'ont pas tous traversé la Méditerranée hier. Ils viennent au DDAEOMI car c'est un lieu où l'on peut être soigné, écouté, et tenter sa chance.

Pour nous qui sommes travailleurs sociaux, ces majeurs représentent le gros problème de notre dispositif. C'est pourquoi nous voulons faire l'évaluation aussi vite que possible, idéalement en cinq jours. Quand le jeune arrive le lundi, l'évaluation est prête le vendredi matin, elle doit arriver au conseil départemental avant midi, puis au parquet avant 14 heures, et la décision est rendue avant 17 heures. Nous mettons en place cette organisation dans tous les départements où nous sommes installés.

Afin d'accélérer cette procédure, tous utilisent les mêmes documents, même le parquet, de façon à ce que l'identification soit la même partout. Selon les départements, les décisions du parquet ne sont pas rendues sur les mêmes supports. Parfois, on ne comprend même pas si le jeune est déclaré majeur ou mineur, il faut déchiffrer le langage administratif. Nous avons essayé de rédiger les actes dans un français compréhensible, pour que les personnes chargées de les traduire puissent le faire. Sinon, certaines décisions sont intraduisibles car nous ne les comprenons tout simplement pas.

Si nous restons trop longtemps en lien avec ces personnes, nous ne pouvons plus nous en séparer. C'est une source de souffrance intense pour les travailleurs sociaux, nous en pleurons. Il est donc important que les contacts soient les plus brefs possibles, car l'avenir de la plupart de ceux qui sont déclarés adultes, c'est la rue, et ce n'est pas un lieu pour un être humain.

S'agissant du prix de journée, il n'y a aucune raison qu'il y ait des différences. L'article 375 nous impose de prendre en charge les mineurs sans distinction de nationalité, de couleur de peau, de religion, ou de culture. Il n'y a donc aucune différence de prix de journée fondée sur l'origine des mineurs. Certains peuvent avoir besoin de moins de prise en charge que d'autres, cela pourrait justifier une différence de prix, mais certainement pas l'origine des mineurs.

Je sais néanmoins que certains départements ont cette pratique, nous appelons cela les « ghettos noirs ». Mais si nous voulons insérer ces jeunes dans notre société, ils doivent vivre une jeunesse de Français : aller à l'école, recevoir une formation professionnelle. C'est ce que nous essayons de faire dans l'établissement que je dirige. Ces jeunes sont très attentifs à leur comportement, ils sont respectueux. Ils ont envie d'y arriver, ils ont envie d'apprendre et de servir le pays. Ils connaissent souvent mieux l'histoire de notre pays que nous, et la plupart d'entre eux sont très attachants. Nous avons besoin de ces jeunes, ils sont souvent embauchés avant de sortir de nos établissements car ils sont ponctuels, polis, souriants, travailleurs et ont envie de s'en sortir. Ils essaient de s'insérer avec les moyens à leur disposition.

Quant au conseil départemental, pour notre part, nous sommes un petit peu indépendants – vous aurez effectivement compris que je ne me laisse pas marcher sur les pieds, je suis d'origine catalane et ariégeoise –, mais nous ne le sommes pas vraiment : le président du conseil départemental reste le chef de file. La loi, c'est la loi, et nous tenons à ce qu'elle soit appliquée. Cela dit, notre partenaire privilégié reste le parquet. C'est avec lui que nous avons le plus de relations et que nous traitons les difficultés que nous rencontrons. Si nous avons besoin d'éléments supplémentaires pour faire évoluer nos évaluations, nous voyons cela avec le parquet. Dans notre organisation, il est au centre du dispositif.

C'est là l'une des spécificités de notre approche, puisqu'elle n'est pas déclinée ainsi dans le décret du 24 juin 2016, non plus, d'ailleurs, que dans l'arrêté : toute notre organisation s'articule autour du parquet. Cela nous semble cohérent : nous avons une justice en France, et le parquet, qui représente l'État, est censé faire respecter les lois françaises. Il nous semble donc cohérent que ce soit le parquet qui prenne ces décisions, ce qui n'empêche pas les recours auprès du juge des enfants ; ainsi les droits de toute personne sont-ils préservés, y compris lorsqu'elle considère ne pas avoir été traitée comme elle devait l'être. Et si un conseil départemental refuse cette approche, nous n'allons pas dans le département en question ; ce fut le cas dans certains départements où le conseil départemental considérait qu'il devait revenir à son président de décider. Dont acte, mais, pour notre part, c'est avec le parquet que nous travaillons.

Quant aux trajets, nous accompagnons les jeunes, éventuellement jusqu'à Metz ou à Lille, et il nous arrive de revenir avec eux. Ce n'est effectivement pas parce qu'une péréquation est prévue qu'elle est respectée. Il peut arriver qu'un département refuse d'accueillir le jeune. Et, à Marseille, au bout de trois nuits d'hôtel, les jeunes sont à la rue. Nous allons donc les rechercher ; il n'est pas question que des mineurs soient à la rue.

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Je veux tout d'abord vous remercier. Cela fait du bien de vous entendre. Plusieurs fois, vous avez parlé de l'enfant. Or, au cours de nombre d'auditions, j'ai entendu parler de moyens, de techniques, de volonté, sans doute pas de vision, et pas de l'enfant. Il s'agit pourtant bien de défendre ici les intérêts supérieurs de l'enfant et ses droits.

Le nombre de mineurs non accompagnés double d'année en année, et nous ne savons pas très bien comment en tenir compte dans nos politiques publiques. Quelle est votre vision ? Quelles sont vos recommandations ?

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Gérard Castells, directeur de l'Association nationale de recherche et d'action solidaire

Le nombre de mineurs non accompagnés ne double pas chaque année. En fait, la même personne est déclarée successivement dans plusieurs départements, ce qui explique l'augmentation de ce nombre. Celui qui s'appelait Mohammed à Toulouse ou Ahmed dans le Gers s'en ira en Picardie, où son prénom sera Georges, etc. Comme il suffit de changer un nom, de photocopie en photocopie, sur ce fameux papier reconnu partout… Je ne dis pas que le nombre de MNA n'augmente pas ; cependant, je ne crois absolument pas qu'il double. C'est un phénomène d'errance national qui tend à s'installer, dû à cette problématique supplémentaire des péréquations.

La personne peut changer de nom tous les jours. C'est extrêmement facile. J'ai proposé à la première juge des enfants de Toulouse qui ne me croyait pas de lui permettre d'avoir un passeport guinéen, qui lui donnerait l'âge de seize ans et demi : cela m'a pris dix jours ! C'est d'une facilité déconcertante. Je ne sais donc pas d'où sortent les chiffres avancés. Je ne dis pas que le nombre de MNA baisse : entre problèmes d'eau et violences, le monde va mal. Voyez au Bangladesh : les habitants ont maintenant de l'eau jusqu'à la taille. Dans notre pays qui compte 65 millions d'habitants, tout le monde va se retrouver dans la capitale. Les migrations climatiques existent, c'est évident. À nous de rester vigilants si nous voulons demeurer le pays des droits de l'homme, à nous d'organiser le système de façon que nous puissions accueillir les plus fragiles. Aujourd'hui, ce ne sont pas les plus fragiles qui arrivent dans notre pays ; ce sont les castes supérieures de certains pays. Des Bangladais issus de familles riches arrivent en avion, avec une valise Samsonite… C'est aussi une réalité. Ce ne sont pas que les personnes qui ont besoin de nous qui arrivent sur le territoire national. J'espère que nous pourrons organiser le système pour accueillir les plus fragiles, et je vous encourage ardemment à travailler en ce sens ; pour ma part, je suis à votre disposition, éventuellement dans le cadre d'une autre instance, si nous pouvons nous aider dans un travail technique.

Nous ne détenons pas la vérité, je tiens à le dire. Ce que je vous dis n'est pas la vérité, c'est ma vérité, notre vérité, et je ne veux pas qu'elle soit entendue autrement, mais nous pouvons peut-être apporter notre petite pierre à l'édifice. Si vous en avez besoin, c'est avec grand plaisir que nous le ferons. Les enfants ont besoin de cette protection. Je retrouve aujourd'hui des mineurs de mon établissement, je retrouve ces sourires d'enfant que nous avions perdus de vue depuis un certain temps puisque ces jeunes restaient dans leurs familles, maltraités chez eux, n'ayant plus de place dans les établissements. Je suis très heureux que les portes de nos établissements soient rouvertes aux enfants plutôt qu'aux adultes. Et je rappelle que les enfants nés sur le territoire européen n'ont pas les mêmes droits que les migrants : eux ont une carte nationale identité. Quand ils atteignent l'âge de 18 ans, ils entrent dans le cadre de l'aide aux jeunes majeurs, et quand ils atteignent celui de 21 ans ils sont adultes, tandis qu'avec le trafic de papiers actuel, des personnes de 25 ou 30 ans peuvent continuer à être prises en charge par la protection de l'enfance ! Quelle plaisanterie ! Ce n'est pas normal. Il faut, d'un point de vue éthique, que tout le monde ait les mêmes droits, et que ces droits soient respectés. Qu'il s'agisse d'étrangers, on s'en moque : tout le monde doit être respecté et un enfant reste un enfant. Imaginez un enfant âgé de douze ans qui se retrouve dans la chambre d'un autre enfant, soi-disant âgé de quatorze ans, qui en a en fait vingt et un ou vingt-cinq, qui a parfois lui-même des enfants dans son pays. Je ne tiens pas là des propos caricaturaux.

Une directrice d'école m'a envoyé un jour une petite photo : une jeune fille était assise dans la salle d'une classe de quatrième, à côté d'un garçon… qui aurait pu être son père. Cherchez l'erreur ! Même si nous n'avons pas à juger au faciès, c'était visible comme le nez au milieu du visage. On peut ainsi mettre en danger un certain nombre de personnes, et je ne voudrais pas que l'on fasse le lit des extrêmes en s'abstenant d'organiser les dispositifs comme ils devraient l'être.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci pour ce témoignage, et de nous dire qu'on peut mettre certains enfants en danger en mettant des adultes. On nous a récemment rétorqué que ce n'était pas possible. Merci de faire remonter cette réalité.

Lorsqu'un évaluateur indique qu'un jeune est majeur, cela entraîne-t-il des pressions ou des menaces ? Et quel est le taux de recours à la suite de vos évaluations ?

Permalien
Gérard Castells, directeur de l'Association nationale de recherche et d'action solidaire

Il y a effectivement eu des pressions, essentiellement dues à des collectifs qui se sont organisés pour nous attaquer.

J'ai ainsi appris un certain nombre de mots que je ne connaissais pas : j'ai été traité de « négrophobe », de « raciste d'État », de « Françafricain », tous mots régulièrement tagués sur les murs de la rue où se trouve le dispositif d'évaluation. Nous avons la chance d'avoir un service d'ordre qui nous protège un petit peu et j'ai systématiquement saisi un juge d'instruction pour être protégé.

L'organisation en collectif plutôt qu'en association présente un avantage : en l'absence de personne morale, personne ne peut être attaqué… Ainsi ceux qui veulent nous cracher dessus à longueur de journée n'ont qu'à se constituer en collectif plutôt qu'en association pour le faire sans que nous puissions réagir. Une juge d'instruction a voulu s'appuyer sur le droit international pour faire cesser de tels agissements sur Facebook ; les auteurs ont plutôt renchéri ! Cela dit, les choses se sont un peu calmées, car, ayant eu à accueillir un certain nombre de jeunes sortant de nos dispositifs, les personnes concernées se sont rendu compte qu'il n'était pas si facile d'accueillir des êtres humains en difficulté qui, eux aussi, peuvent ne pas être contents. Les tensions s'en sont trouvées progressivement réduites, et la pression est aujourd'hui bien moindre.

Dans notre dispositif, les évaluateurs sont très protégés, car ils ne prennent aucune décision. Ils ne donnent qu'un avis, à partir d'une grille légale. C'est le parquet qui décide. Nous aurions des pressions si le président du conseil départemental déléguait le pouvoir de décision à une personne, qui déléguerait elle-même, et ainsi de suite. À l'arrivée, il y aurait une personne à qui dix autres, plus haut placées, expliqueraient que c'est à elle de décider… Ce ne serait pas très cohérent ni très éthique. Cela nous semble une sécurité que le parquet décide. Il peut y avoir des pressions, mais nous renvoyons vers le parquet : nous n'avons, pour notre part, fait que donner un avis, qui tient en une ligne. L'essentiel, c'est l'analyse de la situation que nous soumettons au parquet, qui prendra sa propre décision. À la limite, nous pourrions ne pas mettre cette phrase à la fin des rapports ; il suffit que le parquet lise notre analyse pour prendre sa propre décision.

Si la pression est modérée, c'est aussi parce que tout le monde a été confronté à la même problématique. À un moment, les établissements étaient saturés, et force était de constater que ce n'était guère par des enfants. Certains de mes éducateurs redécouvrent les enfants.

De 2014 à 2016, avant que le premier dispositif départemental d'accueil, d'évaluation et d'orientation des mineurs isolés n'ouvre en Haute-Garonne, la proportion d'enfants dans nos établissements devait être très limitée. Il faut également savoir que le taux de minorité tournait autour de 95 % dans le département. Quel n'a donc pas été notre étonnement en découvrant un taux de minorité aussi bas ! En réalité, nous avons très peu de mineurs, mais il faut le comprendre : si vous n'êtes pas mineur, vous n'avez rien. Nous comprenons donc que certains frappent à nos portes, et elles s'ouvrent, tout le temps – je tiens à le dire.

Le taux de recours est très variable. Il fut un temps très élevé. Il est compliqué de lutter contre le recours. Le parquet veut éviter les appels que nous risquons de perdre – ils feraient jurisprudence, et nous n'en sortirions plus. Dans nos départements, les cours d'appel sont plutôt favorables à la minorité – je ne devrais pas prononcer ces mots, mais je le vois comme cela. Sur une centaine de personnes déclarées majeures par le parquet, il y a environ 70 recours – les avocats les attendent à la sortie… Sur ces 70 recours, le taux de minorité sera de 90 %, 80 % aujourd'hui. En cas d'appel, nous perdons à peu près systématiquement, quand bien même nous assistons à toutes les audiences, pour représenter les conseils départementaux – il nous paraît effectivement indispensable de pouvoir défendre nos positions. Nous préconisons que les conseils départementaux prennent aussi des avocats, pour que chaque partie soit assistée par un avocat.

Il ne s'agit pas pour nous de « faire du majeur ». Je ne veux pas que mes propos soient mal interprétés. Ce qui arrive à ces personnes est malheureux, leur souffrance est extrême, mais que faire ? Pour notre part, nous sommes là pour les enfants, et nous devons pouvoir nous dire qu'aucun enfant n'est dans la rue, en danger.

Il faut savoir qu'il y a des ghettos organisés où les enfants sont nombreux. Nous y allons, des équipes essaient de récupérer ces enfants, mais c'est extrêmement compliqué, puisqu'en règle générale ils sont tributaires d'adultes, envoyés à des réseaux de drogues ou de prostitution. Il est extrêmement difficile de les sortir de ces endroits, surtout qu'ils ont connu une liberté absolue ; le cadre prévu pour un mineur en France, avec des adultes qui surveillent, leur est difficilement supportable.

Nombreux sont donc les facteurs pour lesquels tous les mineurs ne peuvent pas être pris en charge aujourd'hui, malheureusement.

La réunion s'achève à douze heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 11 h 15

Présents. - Mme Delphine Bagarry, Mme Gisèle Biémouret, Mme Jeanine Dubié, Mme Nathalie Elimas, Mme Perrine Goulet, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusés. – Mme Françoise Dumas, M. Franck Marlin.