Il y a effectivement eu des pressions, essentiellement dues à des collectifs qui se sont organisés pour nous attaquer.
J'ai ainsi appris un certain nombre de mots que je ne connaissais pas : j'ai été traité de « négrophobe », de « raciste d'État », de « Françafricain », tous mots régulièrement tagués sur les murs de la rue où se trouve le dispositif d'évaluation. Nous avons la chance d'avoir un service d'ordre qui nous protège un petit peu et j'ai systématiquement saisi un juge d'instruction pour être protégé.
L'organisation en collectif plutôt qu'en association présente un avantage : en l'absence de personne morale, personne ne peut être attaqué… Ainsi ceux qui veulent nous cracher dessus à longueur de journée n'ont qu'à se constituer en collectif plutôt qu'en association pour le faire sans que nous puissions réagir. Une juge d'instruction a voulu s'appuyer sur le droit international pour faire cesser de tels agissements sur Facebook ; les auteurs ont plutôt renchéri ! Cela dit, les choses se sont un peu calmées, car, ayant eu à accueillir un certain nombre de jeunes sortant de nos dispositifs, les personnes concernées se sont rendu compte qu'il n'était pas si facile d'accueillir des êtres humains en difficulté qui, eux aussi, peuvent ne pas être contents. Les tensions s'en sont trouvées progressivement réduites, et la pression est aujourd'hui bien moindre.
Dans notre dispositif, les évaluateurs sont très protégés, car ils ne prennent aucune décision. Ils ne donnent qu'un avis, à partir d'une grille légale. C'est le parquet qui décide. Nous aurions des pressions si le président du conseil départemental déléguait le pouvoir de décision à une personne, qui déléguerait elle-même, et ainsi de suite. À l'arrivée, il y aurait une personne à qui dix autres, plus haut placées, expliqueraient que c'est à elle de décider… Ce ne serait pas très cohérent ni très éthique. Cela nous semble une sécurité que le parquet décide. Il peut y avoir des pressions, mais nous renvoyons vers le parquet : nous n'avons, pour notre part, fait que donner un avis, qui tient en une ligne. L'essentiel, c'est l'analyse de la situation que nous soumettons au parquet, qui prendra sa propre décision. À la limite, nous pourrions ne pas mettre cette phrase à la fin des rapports ; il suffit que le parquet lise notre analyse pour prendre sa propre décision.
Si la pression est modérée, c'est aussi parce que tout le monde a été confronté à la même problématique. À un moment, les établissements étaient saturés, et force était de constater que ce n'était guère par des enfants. Certains de mes éducateurs redécouvrent les enfants.
De 2014 à 2016, avant que le premier dispositif départemental d'accueil, d'évaluation et d'orientation des mineurs isolés n'ouvre en Haute-Garonne, la proportion d'enfants dans nos établissements devait être très limitée. Il faut également savoir que le taux de minorité tournait autour de 95 % dans le département. Quel n'a donc pas été notre étonnement en découvrant un taux de minorité aussi bas ! En réalité, nous avons très peu de mineurs, mais il faut le comprendre : si vous n'êtes pas mineur, vous n'avez rien. Nous comprenons donc que certains frappent à nos portes, et elles s'ouvrent, tout le temps – je tiens à le dire.
Le taux de recours est très variable. Il fut un temps très élevé. Il est compliqué de lutter contre le recours. Le parquet veut éviter les appels que nous risquons de perdre – ils feraient jurisprudence, et nous n'en sortirions plus. Dans nos départements, les cours d'appel sont plutôt favorables à la minorité – je ne devrais pas prononcer ces mots, mais je le vois comme cela. Sur une centaine de personnes déclarées majeures par le parquet, il y a environ 70 recours – les avocats les attendent à la sortie… Sur ces 70 recours, le taux de minorité sera de 90 %, 80 % aujourd'hui. En cas d'appel, nous perdons à peu près systématiquement, quand bien même nous assistons à toutes les audiences, pour représenter les conseils départementaux – il nous paraît effectivement indispensable de pouvoir défendre nos positions. Nous préconisons que les conseils départementaux prennent aussi des avocats, pour que chaque partie soit assistée par un avocat.
Il ne s'agit pas pour nous de « faire du majeur ». Je ne veux pas que mes propos soient mal interprétés. Ce qui arrive à ces personnes est malheureux, leur souffrance est extrême, mais que faire ? Pour notre part, nous sommes là pour les enfants, et nous devons pouvoir nous dire qu'aucun enfant n'est dans la rue, en danger.
Il faut savoir qu'il y a des ghettos organisés où les enfants sont nombreux. Nous y allons, des équipes essaient de récupérer ces enfants, mais c'est extrêmement compliqué, puisqu'en règle générale ils sont tributaires d'adultes, envoyés à des réseaux de drogues ou de prostitution. Il est extrêmement difficile de les sortir de ces endroits, surtout qu'ils ont connu une liberté absolue ; le cadre prévu pour un mineur en France, avec des adultes qui surveillent, leur est difficilement supportable.
Nombreux sont donc les facteurs pour lesquels tous les mineurs ne peuvent pas être pris en charge aujourd'hui, malheureusement.