Intervention de Fabienne Quiriau

Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 14h00
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE) :

La CNAPE est une fédération nationale reconnue d'utilité publique, elle rassemble à peu près 130 associations, elles-mêmes réparties en plusieurs entités dans les territoires, y compris les territoires ultramarins. La particularité de la CNAPE est aussi d'être composée de mouvements d'associations professionnelles, ce sont ainsi treize d'entre eux qui interviennent au titre de la protection de l'enfance essentiellement, mais encore de personnes qualifiées groupées en collège, et d'ATD Quart Monde en tant que représentant des familles et des personnes accompagnées.

Nos associations sont réparties sur l'ensemble du territoire, elles sont toutes plus ou moins centrées sur l'enfant, ce qui ne se limite pas à la protection de l'enfance puisque les registres du médico-social, du handicap de l'enfance, de la délinquante juvénile et des jeunes majeurs entrent aussi dans le champ de préoccupation de notre fédération.

Je souhaite tout d'abord vous faire part de la perception de la situation qui est celle de la Fédération à travers ce que nous en disent les associations, puisque des commissions nationales et des groupes de travail se réunissent régulièrement, ce qui nous permet de prendre la température du terrain.

La protection de l'enfance est régie par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, qui a notamment modifié celle de 2007 alors même que certaines de ses dispositions ne sont toujours pas mises en oeuvre, mais a aussi profondément remanié la perception de la protection de l'enfance. Toutefois, les associations constatent que la réglementation est inégalement appliquée ; de fait, nous relevons de façon frappante des disparités de mise en oeuvre de la protection de l'enfance dans les différents territoires.

En fonction des politiques menées par les départements, du degré d'implication de l'État, de leur association ou non à des instances comme l'observatoire départemental ou à l'occasion de l'élaboration du schéma départemental de protection de l'enfance, de très grandes disparités sont constatées ; nous sommes toujours perplexes devant l'étendue des écarts, qui à tout point de vue tend à s'accroître.

Nous sommes donc confrontés à un grave problème d'égalité de traitement devant la chose publique, qui est très ancien. C'est pourquoi la Fédération souhaite en premier lieu que la loi soit également appliquée dans toute sa dimension sur l'ensemble du territoire national. En effet, nous ne sommes pas exclusivement concentrés sur le danger encouru par les enfants, mais aussi sur l'ensemble des situations auxquelles ils peuvent être confrontés en amont et en aval. Par ailleurs, les associations ne demandent pas une nouvelle loi, car elles n'ont pas encore eu le temps de mettre en oeuvre l'ensemble des dispositions en vigueur ; l'application de la loi de 2016 est d'ailleurs seulement amorcée et bien des points qui méritent de l'être sont loin d'être approfondis.

Ces disparités dans l'application de la politique de protection de l'enfance font particulièrement apparaître les manques ; ainsi tout l'axe de la loi de 2016 consacré à l'approche de l'enfant par les besoins fondamentaux est très insuffisamment développé.

Une démarche de consensus a produit un corpus théorique de référence auquel nous devrions nous conformer, mais nous bloquons sur sa mise en oeuvre concrète : comment faire pour conduire l'approche par les besoins en fonction du développement de l'enfant ? Car, pour l'enfant, l'enjeu primordial est celui de son développement.

Et, selon que l'on est médecin, éducateur ou psychologue, on a sa propre conception de ce développement, ce qui implique des seuils d'attention et de tolérance susceptibles de varier. Or ce sont avant tout les atteintes au développement qui marquent les écarts : comment mesure-t-on les atteintes au développement de l'enfant, qui font que l'on peut considérer que cet enfant a des problèmes en fonction de ce qu'il laisse paraître ou laisse diagnostiquer de son état ? Les associations demandent donc que soient mis à leur disposition des outils propres à repérer que les enfants ne vont pas bien, qu'ils sont en situation de danger ou de maltraitance. C'est précisément à partir des éléments que l'on peut recueillir qu'il est possible de prendre des décisions et de construire un suivi.

Le suivi est en effet primordial, car il ne suffit pas de constater à un moment donné que quelque chose ne va pas ; c'est pourquoi il faut savoir mesurer l'évolution de l'enfant telle qu'elle résulte de l'action conduite dans le cadre de la protection de l'enfance. C'est que là l'écart peut être le plus grand : dans la difficulté à évaluer l'impact des actions, quelles qu'elles soient, conduites envers l'enfant.

C'est pourquoi les acteurs de la protection de l'enfance souhaitent disposer d'un cadre de référence de l'approche par les besoins fondamentaux de l'enfant. Un tel outil a été créé par la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais cette initiative est demeurée à l'échelon local, alors que la demande porte sur un référentiel national commun à tous, quel que soit le professionnel approchant l'enfant, quel que soit le temps de l'enfant, petit ou grand ou jeune majeur, et quelle que soit sa problématique.

Par ailleurs, au cours des dernières années, la question de la santé et des soins prodigués à l'enfant s'est posée de façon toujours plus accrue ; et elle se pose avec une intensité variable en fonction de l'offre de soins disponible dans les territoires considérés. Or, c'est la santé à laquelle il n'a sans doute pas été porté une attention suffisante, notamment à ses carences ; cela particulièrement en matière de santé mentale, mais aussi de handicap et de protection de l'enfance, qui sont intimement liés. Cette double problématique a été mise en exergue par le rapport du Défenseur des enfants publié en 2015, elle constitue une réalité criante qui est loin d'être anecdotique et demeure entière aujourd'hui : comment bien prendre en compte à la fois le handicap et le danger lorsque celui-ci se présente ?

En outre, depuis plusieurs années, nos réflexions et nos échanges ont conduit au constat que la gouvernance nationale et le pilotage régional de la politique de l'enfance souffrent d'un sérieux manque de cohérence. Des améliorations ont toutefois été apportées dans le domaine de la gouvernance nationale par la loi de 2016 qui a institué le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). Cet organe plutôt consultatif émet des avis et constitue une instance de réflexion.

Il n'en demeure pas moins que le besoin le plus prégnant et celui de la déclinaison opérationnelle dont nous ne disposons pas au niveau national. De ce fait, à l'échelon local, chacun décline sa pratique de façon plus ou moins précise et rigoureuse, plus ou moins empirique et intuitive. Une fois encore, cette situation est source de nombreuses disparités dans la politique de protection de l'enfance.

S'agissant de la gouvernance à l'échelon départemental, nous manquons encore d'éléments de pilotage, concrétisé par des outils et des indicateurs qui seraient communs à tous. Certes, les schémas départementaux de protection de l'enfance donnent une idée des grands enjeux et des actions conduites dans chaque département, mais nous ne disposons pas pour autant d'une vision d'ensemble au niveau national.

Des progrès incontestables ont pourtant été réalisés dans le domaine des données grâce aux travaux de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Nous disposons ainsi de beaucoup plus d'indications relatives aux flux, et les livraisons de ces données se font désormais à l'année n-1, ce qui permet leur actualisation. Nous peinons toutefois toujours à harmoniser ces informations qui proviennent de sources hétérogènes, ce qui empêche la constitution d'un vrai tableau de bord national.

Il serait en effet fort utile de disposer d'indications sur les publics et les mouvements, car nous sommes souvent au fait des grandes tendances par grandes masses, mais nous ne parvenons pas à identifier ce qui fait l'actualité de la protection de l'enfance dans son évolution. Car, comme tous les autres sujets, la protection de l'enfance évolue très vite en fonction de l'actualité et de tous les faits de société qui la chahutent et la remettent en question.

Ces manques rejaillissent sur les associations qui éprouvent des difficultés à se situer dans un ensemble ; c'est pourquoi nous tâchons de leur transmettre des indications afin de leur préciser leur positionnement dans cet ensemble assez hétérogène.

Nous considérons donc qu'une réflexion reste à conduire au sujet de la gouvernance nationale, mais nous nous interrogeons aussi sur ce que signifie le fait de piloter une politique de la protection de l'enfance au niveau départemental. En premier lieu il s'agit certainement de l'aide sociale à l'enfance (ASE), mais elle n'est qu'une composante de la protection de l'enfance, et il y a lieu de développer ce qui se situe en amont comme la prévention.

En effet la politique de protection de l'enfance demeure très curative, et nous avons du mal à déplacer le curseur vers l'amont. Or on constate que, les années passant, nous sommes condamnés à gérer trop tardivement des situations très dégradées, alors que l'évolution des connaissances devrait permettre des politiques bien plus préventives. Nous pourrions ainsi intervenir beaucoup plus tôt, sans toutefois céder au déterminisme ou à la stigmatisation, ce qui n'est pas la question. ; il s'agit d'amortir les préjudices que peuvent connaître les enfants du fait des situations familiales qu'ils sont susceptibles de vivre.

Une large réflexion est engagée à cet égard ; on perçoit un bouillonnement et l'effervescence des idées. Nous nous en réjouissons tous, car nous avons toujours déploré que la protection de l'enfance et l'aide sociale à l'enfance demeurent des sujets confidentiels, ou présentés dans les médias comme difficiles ou relevant du fait divers. Nous nous réjouissons donc de l'intérêt que l'État porte à ces sujets, mais nous restons dans l'expectative.

Nous répondons à toutes les sollicitations, qu'elles émanent du Parlement, de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ou de la Cour des comptes, et nous sommes présents au sein des cinq groupes de la concertation initiés par Adrien Taquet. Nous espérons ainsi que la politique de l'enfance gagne en cohérence, en lisibilité et en visibilité ainsi qu'en efficience ; c'est là notre objectif.

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