Que l'enfant soit à domicile ou séparé de sa famille de façon plus ou moins durable, il faut s'assurer de la bonne adéquation de la réponse qui lui est apportée ; cela constitue à nos yeux un préalable. Cette réponse doit être individualisée et correspondre aux besoins propres de l'enfant, qui à un moment donné peuvent exiger plus d'attention et d'affection, alors qu'à un autre moment il a besoin d'être plus tranquille, plus en retrait. La question est donc de bien d'adapter les réponses au plus près de l'enfant, au gré de son état et de son évolution.
Il faut être attentif et en veille, particulièrement en milieu ouvert. Lorsque l'enfant relève de l'action éducative en milieu ouvert (AEMO), on observe que le temps de passage des éducateurs est très court et très espacé. Or pour protéger l'enfant du danger tout en suivant son évolution, une fréquence de visites beaucoup plus soutenue serait nécessaire.
Certes, il peut y avoir des temps au cours desquels il est souhaitable d'espacer les visites, mais pendant les périodes de crises, il faut pouvoir les rapprocher ; ce qui renvoie à la question de la modulation. On n'a pas encore réussi à moduler les interventions, et cela ne concerne pas la seule AEMO, mais toutes les interventions à domiciles ; TISF, accompagnement budgétaire, etc. Il faut être massivement présent dans les moments de crise, souvent on redoute la multiplicité des intervenants, mais du coup on espace trop les visites. Dans ces périodes, il faut mobiliser l'ensemble des acteurs, mais aussi la famille en lui expliquant ce que l'on fait, tout en étant clair sur ce que l'on fait avec l'enfant, même tout petit, et la famille. En effet, l'explication insuffisante est souvent source de malentendus, de réticences et de difficultés.
En tout état de cause, il faut bâtir pour l'enfant un vrai projet qui ne se limite pas à un document administratif.
S'agissant de l'accueil en établissement, la loi de 2016 a ouvert la possibilité de diversifier les réponses ; plus l'éventail sera élargi plus nous aurons de chances de répondre aux besoins de l'enfant. Toutefois, les connaissances, qui sont toujours plus fines, nous convainquent, quoi qu'il arrive, de l'impératif de stabilité et de continuité ; et cela vaut pour tout enfant. Ce qui n'interdit pas de proposer ponctuellement à l'enfant des temps passés en dehors de son accueil afin qu'il puisse vivre normalement comme tout enfant.
En effet, un de nos principes d'action est que l'enfant est avant tout un enfant, et qu'autant que possible, on doit se comporter comme tout adulte à son égard, et ne pas toujours le percevoir comme un enfant protégé, faute de quoi il ne grandira pas ; car l'enfant est très sensible à la perception qu'il génère.
C'est pourquoi nous considérons qu'il est indispensable que chaque département puisse disposer d'un éventail de solutions suffisant pour apporter une réponse à toutes les situations. Pour les uns ce sera l'accueil familial, pour les autres l'assistant familial, les lieux de vie, la maison d'enfants à caractère social (MECS) ou l'articulation de plusieurs dispositifs. Le tout est de ne pas les balloter d'un lieu à un autre par défaut de réponse ; des études démontrent d'ailleurs à l'envi à quel point ces ruptures répétées sont cause de troubles.
Nous constatons en effet qu'il faut parvenir à stabiliser la situation de l'enfant ; ne plus être dans le rejet, et essayer de trouver le point d'ancrage et de réassurance. Toutes les recherches que nous avons conduites à propos de la délinquance juvénile montrent à quel point ces jeunes qui connaissent des parcours délinquants ont vécu des successions de ruptures doublées d'échecs scolaires. Ces jeunes ne connaissent que des échecs, que ce soit avec leurs pairs, les adultes, l'école, la santé, etc. Plus les expériences sont négatives, plus on ancre des situations qui seront de plus en plus complexes et des troubles comportementaux, qui constituent une grande question pour les adolescents aujourd'hui.
Par ailleurs, comme je l'indiquais dans mon propos liminaire, les liens entre les associations et les départements sont à géométrie variable. Nous déplorons que des questions de personne se trouvent à l'origine de ces situations ; tout dépend de la relation entre tel cadre territorial et tel responsable associatif. Nous déplorons particulièrement que la qualité de la politique d'une association soit effacée au profit d'une relation beaucoup plus technique et gestionnaire.
Les associations représentent 79 % à 80 % de la mise en oeuvre des décisions de protection, ce qui fait d'elles des acteurs de premier plan, placés en première ligne dans le domaine de la protection de l'enfance. Nous observons, nous avons des choses à dire, nous réfléchissons, nous sommes organisés en fédérations, nous faisons des contributions, et nous gardons du corporatisme au profit d'une vison d'ensemble, de politique publique et pas seulement d'association ; et nous nous interrogeons sur le bien-être que nous devons tous rechercher pour l'enfant.
Nous regrettons ce manque de contacts entre les politiques, l'exécutif départemental et l'exécutif associatif, qui sont vraiment très rares. Nous déplorons encore que les associations ne soient pas reconnues comme des acteurs à part entière dans les instances au sein desquelles elles sont conviées par les départements, que l'on ne reconnaisse pas le rôle qui devrait leur revenir. Elles s'expriment certes, puisqu'elles sont invitées à cette fin, mais si parler est une chose, être pris en compte en est une autre.
Afin de pallier cette situation, nous avons élaboré des chartes entre associations et départements, mais un travail reste à faire, alors qu'il y va de l'intérêt des départements, des pouvoirs publics et de l'État de ses services déconcentrés de s'appuyer sur les associations. Car elles assurent la présence dans les territoires qui souvent sont désertés, ce sont les dernières à être là. Je pense à la prévention spécialisée, à l'intervention à domicile dans certains quartiers très dégradés et très déshérités, où les éducateurs spécialisés relèvent souvent des associations.
Il faut donc ménager les associations, nous avons tous intérêt à ce qu'elles soient partie d'une politique publique d'ensemble lisible, portée et pilotée par les pouvoirs publics pour donner envie d'y participer. Car une action présentée de façon négative ou qui n'est pas politiquement soutenue, qui ne bénéficie pas d'un affichage en sa faveur de la part des pouvoirs publics, n'est pas attractive. Dans ces conditions, elle finit fatalement par connaître les difficultés qui sont les siennes, alors que nous sommes des partisans du faire ensemble.
En effet, on parle de l'approche holistique de l'enfant, mais aucun professionnel au monde n'est capable de répondre à tous les besoins de l'enfant. Nous sommes donc condamnés à nous entendre, peu importe le public ou l'association : lorsque l'on est auprès de l'enfant, il faut pouvoir dépasser tout cela. Vient ensuite la question de la gouvernance – qui est autre chose – ainsi que celle d'un vrai pilotage, avec des indicateurs et une approche par l'effet des actions conduites par les uns et les autres afin de nous assurer que nous sommes sur la bonne voie et réajuster en cas de besoin.
En tout état de cause, tous professionnels confondus, y compris les psychologues et les éducateurs spécialisés, nous rencontrons de sérieuses difficultés de recrutement. Et si nous ne parvenons plus à recruter des professionnels, peu importe que nous les formions nous-mêmes ou qu'ils le soient déjà, nous aurons quelque souci pour assurer convenablement nos missions.