On est trop près du politique au niveau local. C'est ce qu'on nous dit. Nous sommes peut-être préservés au niveau national, même si nous sommes à proximité des ministres. Il y a d'autres choses qui se jouent au niveau national et qui permettent d'amortir le lien direct. Au niveau local, la question qui se pose est celle de la proximité avec les élus ou de leur réaction par rapport à ce que fait un acteur associatif dans un territoire donné. Les associations craignent parfois d'exprimer ce qui ne va pas. Nous ne nous l'interdisons pas, en revanche – vous pourrez lire nos prises de position –, même si nous restons toujours dans un cadre respectueux des institutions.
Je vais vous en donner une illustration. On nous dit que les appels à projets ne vont pas, qu'ils pervertissent le dispositif, parce qu'il y a des ententes préalables, qu'on sait qui va gagner, que la règle de la concurrence ne joue pas, que ce n'est pas toujours le mieux-disant mais le moins-disant qui l'emporte, etc. Quand on réunit un groupe de travail et qu'on demande ce qui est attendu de la fédération sur ce point, à un niveau politique, au niveau des préfets, on nous dit de ne surtout rien faire, même au niveau national, pour ne pas créer de préjudice. Cela nous interpelle.
Cela veut dire, quelque part, que la proximité entre le département et les familles est la juste proximité, si je puis dire. La région est trop éloignée – nous ne croyons pas à cette solution – et le maire est trop près, pour des raisons diverses – certains maires, en tout cas. On se dit alors que le département est le bon niveau de décentralisation pour l'aide sociale à l'enfance : il n'est pas suffisamment près des familles, heureusement – il y a une espèce d'amortisseur par rapport aux situations – et, en même temps, il peut avoir une vision d'ensemble à l'échelle d'un territoire, il peut y avoir de la cohérence. Nous pensons que c'est la juste distance, et nous ne faisons pas partie de ceux qui disent qu'il faut que tout revienne à l'État. On se dit qu'il faut rester dans cette proximité, même si on doit revoir le pilotage de la gouvernance.
Sur ce point, on voit bien que quelque chose s'enclenche mal, d'une manière générale, avec les acteurs des territoires. Piloter, pour nous, signifie avoir des objectifs – c'est un peu ce qui existe avec les schémas, dans une certaine mesure –, et bien définir avec tous les acteurs ce qu'ils vont faire, comment chacun est partie prenante dans la mise en oeuvre de la politique, comment on observe les résultats, comment on réajuste et comment on débat. C'était le rôle dévolu à l'observatoire départemental de la protection de l'enfance, mais cela ne se passe pas toujours ainsi. Nous pensons que les associations ne se sentent pas suffisamment libres de s'exprimer quand ça ne va pas – quand ça va bien, elles savent le dire, mais elles n'osent pas le faire dans le cas contraire. Si nous voulons avoir un véritable échange, un véritable dialogue – car c'est bien de cela qu'il s'agit –, il faut dire, aussi, les choses qui ne vont pas. Je pense que les politiques sont capables de l'entendre.
L'enjeu, ce sont les territoires : nous sommes très clairs sur ce point. Ce qui se passe au niveau national est essentiel. Cela définit le cadre juridique et les politiques publiques, pas de problème, mais la question est de savoir quelle est la déclinaison au niveau des territoires. Je vais me référer de nouveau à l'étude prospective que nous avons achevée il y a deux ans : ce qui se dégage de nos travaux est que l'enjeu des politiques sociales, quelles qu'elles soient, et c'est particulièrement vrai pour celles qui concernent l'enfance, parce qu'il y a l'école, le soin, les loisirs, les familles, l'environnement et beaucoup d'autres éléments encore, c'est la proximité, et donc les territoires. Une politique de protection de l'enfance se pilote vraiment à partir du territoire et, pour nous, le département est quand même le bon échelon.
Nous n'avons pas entendu de remise en question de la décentralisation. Certains disent parfois que l'État serait plus à même d'assurer cette mission, mais nous demandons alors combien d'années il faudrait pour réinvestir, au niveau de l'État, les compétences que celui-ci a perdues. Je me permets d'en parler car j'ai fait partie du ministère des solidarités au moment où la décentralisation a eu lieu. J'ai été le témoin de la décentralisation et de tous les débats qu'il y a eu à ce moment-là. Au sein du service « enfance », tout partait vers les départements : il y a eu des transferts de compétences et de personnel. Nous nous déterminons par pragmatisme, et non pas en nous demandant si l'État serait mieux. La question est de savoir combien de temps on perdrait et ce que cela induirait si l'on reconfiait à l'État cette mission, qui n'est quand même pas si simple, on le voit bien. Il faudrait sans doute réétoffer les services de l'État – lesquels, d'ailleurs ? Cela nous inquiète… Je pense que la protection de l'enfance ne va pas assez bien, qu'elle n'est pas suffisamment solide aujourd'hui pour tenir le coup en cas de recentralisation. C'est notre point de vue.