Intervention de Fabienne Quiriau

Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 14h00
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE) :

Je vais commencer par votre dernière question. Il se trouve que j'ai beaucoup travaillé, personnellement, sur les droits de l'enfant avec CLAVIM, notamment dans le cadre de la semaine des droits de l'enfant. Je m'étais investie dans le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et on travaillait beaucoup à cette époque sur l'accompagnement des villes qui promouvaient les droits de l'enfant. J'ai eu donc l'occasion de côtoyer cette association.

Nous évoluons vers la prévention et vers une approche des jeunes et des enfants qui s'interroge beaucoup plus sur la relation entre les parents et eux – nous sommes en train de changer, nous-mêmes, depuis quelques années – depuis 2010, en gros. Nous avons modifié notre approche autour de la question des besoins de l'enfant, qui sont un dénominateur commun pour tout le monde. On s'est rendu compte que lorsqu'on est dans un conflit, à cause de divergences de points de vue, il faut revenir à l'enfant, y compris avec les parents. Ce que nous essayons d'apprendre aux professionnels, c'est qu'il peut y avoir des malentendus, des crispations, quand on parle des actes qui ont été commis, mais quand on se déporte et qu'on pose la question de savoir ce qu'il faudrait pour que l'enfant aille mieux, cela change déjà tout. C'est très simple : nous n'avons pas d'ambitions démesurées.

CLAVIM, comme d'autres organisations, a vu la CNAPE évoluer vers l'amont, vers des actions qui sont au plus près de l'enfant, c'est-à-dire en relation avec l'école, la rue ou la santé, et cela intéresse, parce qu'on travaille sur ces problématiques. Nous avons des partenariats qui évoluent beaucoup. Nous travaillons maintenant avec l'Association nationale des équipes contribuant à l'action médico-sociale précoce (ANECAMSP), pour les enfants en situation de pré-handicap ou de handicap, et beaucoup d'autres organisations avec lesquelles nous n'avions pas de partenariats il y a quelques années.

Ce qui nous paraît important, c'est que tous les professionnels de l'enfance – je pense notamment aux médecins, aux magistrats, aux éducateurs, aux psychologues, bref à tous ceux qui sont autour de l'enfant, à un titre ou un autre – puissent mieux connaître les droits de l'enfant ou plutôt comment on les met en oeuvre. La question n'est pas tant de connaître l'ensemble des dispositions de la convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), mais de savoir comment on les met en pratique quand on est un médecin qui reçoit un enfant en présence de sa mère, comment on tient compte de ce qu'il dit, de sa parole, de sa façon de s'exprimer. Cela vaut aussi pour les éducateurs, pour les psychologues, pour les enseignants – cela vaut pour tous. La France a beaucoup de retard par rapport à d'autres pays européens en ce qui concerne la mise en pratique des droits de l'enfant – on a mis vingt-cinq ans à les découvrir.

Ce n'est pas un gadget, mais quelque chose d'absolument important : c'est toute une philosophie de l'approche, toute une vision de l'enfant, tout un portage politique, cela sous-tend l'ambition qu'un pays peut avoir pour l'enfance et la jeunesse. Ce n'est donc pas anodin. On aimerait que ces droits soient mieux connus. Peut-être qu'on peut y arriver d'ici à 5 ans – on va fêter les 30 ans de la CIDE et il y aura peut-être déjà tout un battage sur ce sujet. C'est une façon, aussi, de sensibiliser les parents à ce qu'est un enfant, en tant qu'individu, en tant que personne, en tant que sujet de droit. Il me semble que si on travaillait selon une approche par les droits, avec tout ce que cela implique – ce n'est pas : « j'ai le droit de faire » : cela concerne les besoins essentiels, l'identité, tout l'épanouissement –, si on promouvait bien les droits de l'enfant en France – nous agissons au niveau européen : nous faisons partie du réseau « Eurochild » et nous travaillons auprès de la Commission européenne –, cela représenterait déjà un grand progrès. Il faudrait un objectif de bien-être pour tous les enfants.

Sur ce point, on devrait être moins discriminant : on a une approche encore trop catégorielle. On n'approche pas beaucoup les enfants des milieux favorisés, on ne les connaît guère, alors qu'on sait très bien qu'il existe de graves problèmes. Il y a des violences intrafamiliales dont les enfants sont témoins, dans le huis clos, il y a la pression subie pour exceller dans des arts ou dans le sport, ce qui est absolument insoutenable – cela concerne plutôt les milieux favorisés. Il faut vraiment diffuser les droits de l'enfant dans tous les milieux, dans tous les endroits et à tous les moments. C'est, pour nous, un objectif que l'on pourrait peut-être atteindre d'ici à 5 ans – soyons optimistes.

Il faudrait vraiment mettre en avant toute la question des besoins fondamentaux et du développement de l'enfant. C'est notre objectif prioritaire. Quand on saura aborder cette question, quand on saura travailler dessus, quand le médecin, le psychologue, l'éducateur, le travailleur social et la technicienne de l'intervention sociale et familiale (TISF) auront un même fil rouge – je vous parle en l'occurrence d'un objectif à 1 an, ou au plus à 2 ans – on aura progressé. On aimerait élaborer, en collaboration avec d'autres acteurs, un cadre référentiel dans ce domaine, parce qu'on n'y arrive pas aujourd'hui. Il va falloir donner une impulsion, faire quelque chose, pour qu'on ait tous le même regard, les mêmes attentes, les mêmes objectifs, les mêmes enjeux, quel que soit l'enfant.

On aimerait aussi, mais c'est peut-être un sujet qui n'entre pas dans le cadre de votre mission, donner vraiment aux jeunes majeurs la possibilité de trouver leur place dans la société. C'est un enjeu essentiel pour nous, et c'est même toute la raison d'être de la protection de l'enfance. C'est toute la question de l'autonomie, sur laquelle on ne peut pas travailler seulement à 18 ans – il faut le faire tout au long de la vie, en douceur, progressivement, dans le cadre de tous les apprentissages. Il faut impérativement que l'on arrive à faire en sorte que les jeunes sortent de la protection de l'enfance en ayant envie de la société, en ayant le sentiment qu'ils sont des jeunes à part entière, qu'ils peuvent avoir de l'ambition et le désir d'être dans la société. On voit bien qu'ils se mettent eux-mêmes en retrait, qu'il y a du rejet. On constate que tous ces processus sont à l'oeuvre et on s'en désole, comme beaucoup d'acteurs.

Il y a aussi la prévention. Il faut arriver à insuffler cet esprit en France. Nous sommes un pays où la prévention n'est pas considérée. Elle est même, parfois, remise en question, par exemple au niveau médical, avec le sujet de la vaccination des enfants – mais on entre là dans un autre débat. On ne croit pas trop à la prévention alors qu'il faudrait vraiment investir dans ce domaine. On commence à faire des calculs : les Polonais ont été les plus forts en ce qui concerne le retour sur investissement pour la société, plus tard. On commence aussi à avoir quelques projets. On voit bien que ce qu'on investit pour les petits, à un moment donné, pour les accompagner dès la crèche, pour les apprentissages fondamentaux, afin que les enfants ne soient pas en échec scolaire, pour les accompagner dans les loisirs, pour accompagner les parents face à l'isolement, aux difficultés, à la précarité, tout ce que l'on peut étayer en amont, dans un esprit positif et non en stigmatisant, socialement, c'est autant qui est gagné pour les enfants et pour leur avenir. Cela nous semble absolument essentiel.

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