S'agissant des placements injustifiés, il en existe peut-être qui sont par défaut, c'est-à-dire faute de trouver d'autres réponses ou dans l'urgence. Malheureusement, nous n'avons pas de données permettant de nous renseigner. On suppose que cela existe toujours : certains professionnels le disent, en tout cas.
La précarité est le sujet hypersensible. Place-t-on des enfants parce qu'ils sont pauvres ou qu'ils vivent dans des conditions pauvres ? Il me semble que l'on peut procéder à un placement, à une séparation entre l'enfant et sa famille, parce que ses conditions de vie sont telles qu'elles menacent, au sens de l'article 375 du code civil, son éducation, sa sécurité, sa santé, son développement.
Faut-il, pour autant, faire le lien entre placement et précarité ? On observe que la proportion des enfants issus de milieux précaires, en situation de pauvreté, ou d'enfants pauvres, est évidemment plus élevée que la moyenne nationale. On l'a dit tout à l'heure : la protection de l'enfance, dans une grande majorité de cas, concerne des enfants qui sont issus de milieux momentanément ou durablement en situation précaire – on entend par là toutes les vulnérabilités, notamment l'isolement, la difficulté à avoir un emploi stable, des ressources suffisantes, un logement, à nourrir suffisamment l'enfant, comme il doit être nourri pour se développer, à l'habiller convenablement, et non de manière inadéquate, ou à ce qu'il puisse fréquenter une école. Je dirais que ce n'est pas la précarité en tant que telle, ou la pauvreté, mais ses effets qui peuvent conduire à un placement. On ne peut pas le nier.
Lorsque les parents ne peuvent pas assurer des conditions de vie suffisantes pour l'enfant, l'article 27 de la CIDE prévoit, à défaut, que l'État, la puissance publique, doit aider les parents, pour permettre de compenser. Par État, il faut entendre l'État et les collectivités territoriales, l'ensemble des pouvoirs publics. Ce n'est pas toujours simple, ne serait-ce qu'en matière de logement.
Celui-ci fait partie des éléments qui sont mis en avant quand il est question des conditions de vie de l'enfant – la promiscuité l'insécurise, elle ne lui permet pas d'apprendre convenablement et de faire ses devoirs, etc. La question du logement se pose fréquemment. Il est souvent très précaire, très instable, insalubre, et on entre donc objectivement dans les critères de l'article 375 du code civil.
J'appréhende essentiellement le contrôle de l'État à travers le travail des inspections générales. La mission de contrôle n'est pas suffisamment assurée. Les inspections repèrent quatre ou cinq sites chaque année, ou quatre ou cinq problématiques sur lesquelles elles vont travailler – je pense notamment à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). De notre point de vue, le contrôle est insuffisant. Cela ne signifie pas que l'on veut plus de contrôle en soi, mais il est nécessaire pour progresser. Curieusement, les associations sont souvent demandeuses de contrôles – de contrôles constructifs, afin de corriger ce qui ne va pas.
Quant aux départements, on a du mal à identifier ce qu'ils contrôlent. La seule chose qu'ils semblent se limiter à contrôler est liée à la tarification de la gestion, en période budgétaire. Il y a un temps d'échange, parfois assez dur, où on n'est pas véritablement dans le cadre du contrôle, mais plutôt dans des demandes de justifications, ce qui est différent du contrôle de la manière dont on met en oeuvre une politique publique : on est surtout sur des lignes budgétaires, des enveloppes. On ne peut pas dire qu'il y ait réellement un contrôle.
En ce qui concerne le contrôle du préfet, c'est-à-dire le contrôle de légalité, pour l'essentiel, je n'ai pas le sentiment qu'il s'exerce nécessairement d'une manière systématique, continue, sur les actions menées au titre de la protection de l'enfance. C'est vraiment un contrôle limité, sauf quand il faut fermer des établissements ou bien, en vertu de la loi de 2016, en cas de situations de maltraitance – il faut faire des remontées auprès des services de l'État. On n'a aucune visibilité, aucun retour, sur la question de savoir si cela se met en place, si l'État contrôle et s'il est saisi. Il y a une grande interrogation.
Nous défendons depuis des années, avec le barreau de Paris, la présence d'un avocat auprès de l'enfant, notamment lorsque les parties s'opposent, lorsque l'enfant n'a pas de parent auprès de lui. Certains disent que l'administrateur ad hoc joue ce rôle, mais il nous semble qu'il y a des nuances entre ce que défend l'avocat et ce que défend l'administrateur ad hoc, en ce qui concerne les intérêts de l'enfant qu'il faut préserver. Nous sommes plutôt favorables à la présence d'un avocat, mais il est très rare que l'enfant en bénéficie. Nous avons réalisé une enquête auprès de quelques services d'aide sociale à l'enfance : ils nous ont fait comprendre, négativement, que la présence d'un avocat complique sérieusement la situation et n'est pas forcément dans l'intérêt de l'enfant. Cette réponse nous avait un peu étonnés, mais peut-être que cela complique, effectivement la procédure – je ne sais pas. C'est une vraie interrogation pour nous. En tout cas, la loi n'interdit pas la présence d'un avocat, bien au contraire.