Bonjour Monsieur le président, Madame la rapporteure, Madame la députée. Je suis éducatrice spécialisée diplômée depuis 2006 de l'IRTS Melun Parmentier. J'ai suivi une formation continue en quatre ans pour obtenir un diplôme de thérapeute familial et de couple à l'ID'ES. J'ai un niveau Master 1 en sciences de l'éducation et je suis formée à la communication non-violente.
J'ai été très touchée par l'audition, la semaine dernière, de Mmes Quiriot et Sourmais qui ont clairement et finement exprimé nos difficultés de travail. L'intervention était de qualité et je me suis reconnue dans cette audition.
Je travaille à l'ADSEA 77 depuis 2006. J'ai fait douze ans en AEMO et je travaille dans un service d'AED depuis septembre 2018 au sein de la même association. Mes horaires sont variables, je suis à 70 heures par quinzaine. J'accompagne les familles dans un soutien à la parentalité, ainsi que les enfants dans toutes les phases qui touchent à leurs besoins et leur développement lorsqu'ils se trouvent au domicile familial. J'ai 27 enfants en charge en Seine-et-Marne. Je suis en lien avec toutes les personnes qui gravitent autour de l'enfant, les CMP, les écoles, les prises en charge médico-sociales, ainsi qu'avec les maisons départementales des solidarités.
Nous avons environ trois heures par enfant et par mois pour accomplir entre vingt et quarante tâches, ce qui ne rentre absolument pas dans l'emploi du temps. Chaque situation, chaque enfant et chaque famille sont singuliers et il n'est pas possible de les rentrer dans des cases. Nous nous adaptons à chaque situation, ce qui permet d'être au plus près des besoins de l'enfant et de sa famille. En période de crise, nous sommes présents beaucoup plus souvent que toutes les trois semaines, faute de quoi nous ne mènerions pas un travail de qualité auprès de l'enfant et de sa famille.
Le temps de la famille n'est pas le même que pour les travailleurs sociaux et les décideurs. Nous pouvons passer des semaines, voire des mois, à aller à la rencontre d'une famille et à créer un lien de confiance. Tout au début de la mesure, il nous est demandé d'établir un projet pour l'enfant, ce qui me semble compliqué sur le terrain puisque l'on a à peine établi une rencontre qu'il nous est demandé de remplir un document, ce qui n'a pas de sens pour la famille et pour nous. Il nous faut un temps de rencontre et de confiance avec la famille et l'enfant.
Nous rencontrons de nombreuses difficultés, ne serait-ce qu'au niveau des listes d'attente, lesquelles varient de quelques mois à une année. Lorsque j'étais en AEMO, nous atteignions un an d'attente. Comment peut-on faire attendre pendant un an la venue d'un travailleur social avec des enfants qui sont en risque ? Les familles nous le renvoient et nous demandent où nous étions lorsqu'elles avaient besoin de nous. Nous sommes empreints de culpabilité car nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens dont nous disposons, mais cette situation complique la rencontre et accentue les difficultés. Quand une famille en liste d'attente n'est pas vue, la situation pour laquelle elle a été repérée se détériore. Parfois, elle s'améliore, mais ce n'est pas la majorité des cas. Le besoin de prise en charge est alors accru et le système devient complètement fou.
Est également évoquée l'usure des collègues car nous voyons beaucoup de souffrance dans les familles, des maltraitances, des contextes de vie indécents et dégradés, ce qui impacte psychologiquement les travailleurs sociaux. Notre travail ne s'arrête pas lorsque nous quittons une famille en nous demandant si l'enfant est en danger et si l'on peut prendre le risque de le laisser une nuit. Travaillant avec la relation humaine, nous sommes constamment dans cette réflexion et ce questionnement. Nous avons des risques et des responsabilités qui ne sont pas souvent reconnus, ce qui complexifie notre métier.
Nous faisons également face à un manque dans les prises en charge spécifiques. Par exemple, si l'on repère qu'un enfant a besoin d'un suivi psychologique, six à neuf mois d'attente sont parfois nécessaires pour le prendre en charge. Lorsque l'on repère un grand besoin d'aide thérapeutique, comment demander d'attendre six à neuf mois avant d'avoir un espace où l'enfant peut s'exprimer ? Il s'agit d'un vrai problème s'agissant des CMP, des SESSAD ou de toute prise en charge spécifique. Étant sur le terrain – et ce n'est pas notre métier – nous ne pouvons pallier aux prises en charges spécifiques.
De façon générale, les travailleurs sociaux font du mieux qu'ils peuvent. Je ne connais pas de collègues qui n'ont pas envie d'aider et d'accompagner les enfants et leurs familles. Toutefois, du point de vue institutionnel, le travail est tellement lourd qu'il y a impossibilité. En ce moment, dans le Département, il existe une antenne des maisons départementales des solidarités où il ne reste qu'un seul référent de l'aide sociale à l'enfance pour tout le service. Tous les autres sont en arrêt ou ont démissionné. Comment peut-on travailler dans ces conditions ? Sans référent, les familles n'ont pas de suivi car nous ne pouvons pallier l'absence de cinq ou six collègues, ce qui nous met en difficulté.
Nous avons parfois 90 demandes de placement. Nous disons que nous sommes dans la protection de l'enfance et nous ne protégeons pas les enfants. Cette situation met grandement en colère les travailleurs sociaux qui essaient de faire de leur mieux en étant au plus près des besoins de l'enfant et de sa famille, mais qui ne peuvent le faire concrètement. Les projets, les idées et la créativité des travailleurs sociaux existent, mais ils ne disposent pas des moyens humains, structurels et matériels de les mettre en place. Il s'agit d'un travail quasiment impossible dès lors que les outils pour les accompagner ne sont pas disponibles. De façon générale, les collègues sont en colère vis-à-vis de cette situation qui nous laisse dans l'insatisfaction. Notre but est d'accompagner les familles et les enfants, et non de les laisser sans réponse.
Dans le métier d'éducateur, nous faisons de belles rencontres. Il s'agit d'un travail centré sur la relation humaine autant avec les enfants et les familles que les partenaires que nous rencontrons. Ce travail est riche et demande de l'empathie, de l'écoute, de la réflexion, de la créativité et beaucoup de flexibilité. Nos journées ne se ressemblent pas. Cependant, le manque de moyens ne permet pas de travailler dans des conditions correctes pour les enfants et les familles. Certaines familles sont tellement carencées qu'il est difficile de leur demander de travailler la stimulation éducative, le jeu et le développement psychomoteur et psychologique alors qu'elles ne savent pas si elles vont avoir à manger pour la fin de la semaine ou si elles pourront conserver leur logement.
Le rapport Martin-Blachais que nous avons examiné au sein de notre association parle des besoins fondamentaux de l'enfant. Tant que nous ne pouvons y répondre, comment pouvons-nous travailler avec les parents et les enfants sur cette question éducative ? Tel est le constat que nous faisons.
Nous avons repéré différents appels à projets dans notre Département. La mise en concurrence des services ne garantit plus un travail partenarial serein. L'argent vient fausser la relation partenariale. C'est à celui qui fera le plus avec le moins de moyens. Nous travaillons avec des humains et ne pouvons optimiser notre production. Au sein de notre Département, nous avons 27 prises en charge par travailleur social, ce qui est excessif pour pouvoir effectuer un travail de qualité auprès des familles.
J'ai une formation de thérapeute familiale et de couple. Souvent l'enfant est le symptôme du dysfonctionnement familial. Je pense que les travailleurs sociaux sont insuffisamment formés sur cette question. À mon sens, il est indispensable que la formation d'éducateur inclue un socle sur la thérapie familiale considérant la famille dans sa globalité et non pas l'enfant. Lorsque l'on place un enfant, on le protège et on le met en sécurité, mais si l'on ne règle pas le dysfonctionnement familial, il est de nouveau en danger lorsqu'il sort du placement.