Je crois que nous sommes tous d'accord ici pour dire que, si internet est souvent la meilleure des choses, il peut aussi parfois être la pire. Il est la meilleure des choses quand il contribue à la diffusion du savoir et des idées, donne une voix à ceux qui n'en avaient pas, permet l'échange et la confrontation positive – celle qui nous élève tous. Mais il peut être la pire des choses lorsqu'il véhicule des discours de haine et devient un véritable pilori numérique, où les victimes sont livrées à la vindicte, parfois au lynchage. Le développement des réseaux sociaux au cours des quinze dernières années a amplifié ce phénomène, poussant chacun de nous à une expression publique permanente, mettant l'émotion au centre du propos, favorisant le pathos plutôt que la raison et propageant parfois, à la vitesse de la lumière, la transgression haineuse et les appels à la violence.
Bien sûr, personne ici ne veut revenir au monde d'avant, celui dans lequel le plus grand nombre était réduit au silence numérique. L'humanité a pris la parole sur internet, elle y parle désormais au proche comme au lointain, sans demander la permission à qui que ce soit. Elle y éprouve la liberté de s'y exprimer sans contrainte. C'est là un véritable acquis civilisationnel précieux qu'il nous faut conforter.
C'est pourquoi, afin de défendre cet espace de liberté que peut être internet, il faut réguler celui-ci. Sans les règles qu'il se donne, un peuple n'est qu'une foule parfois conduite vers les plus tragiques extrémités. Sans les règles qu'il faut lui donner, internet peut être une jungle dans laquelle prospèrent des contenus racistes, homophobes, sexistes, antisémites ou islamophobes qui blessent aussi bien les individus que la société tout entière.
Je pense par exemple à ce que nous avons vécu dans mon département, la Seine-Saint-Denis, il y a quelques semaines, lorsque se sont répandus sur les réseaux sociaux des appels à la haine, contenant des accusations, sans fondement, d'enlèvements d'enfants par des membres de la communauté rom. Il est miraculeux que ces débordements de haine contre les Roms sur internet, nourris de vidéos, d'appels au lynchage, n'aient pas entraîné à cette occasion des drames irréparables.
Malheureusement, le pire n'est pas toujours évité et l'on ne saurait s'accommoder de ces faits divers dramatiques qui concernent souvent les plus fragiles, parfois poussés au suicide.
Pour les députés communistes, c'est très clair : nous ne pouvons rester sans rien faire. C'est en renonçant à réguler cet espace que nous ferions peser une réelle menace sur nos libertés. Le droit doit s'appliquer partout, y compris dans l'espace numérique. C'est parce que nous partageons cet objectif que nous regrettons que cette proposition de loi ne se soit pas donné les moyens d'atteindre son but. Élaborée à la va-vite, sans étude d'impact, elle a logiquement été accueillie pour le moins fraîchement et il a d'ailleurs fallu la réécrire très largement en commission.
Aussi louables soient vos intentions, nous redoutons que votre proposition de loi ne rate sa cible. Le défaut de régulation que nous constatons résulte en effet moins d'un vide législatif qu'il faudrait combler que d'un défaut de moyens destinés à appliquer des règles existantes, traquer les abus et réagir au plus vite. Nous craignons que vous ne ratiez votre cible parce que, en vous focalisant sur les auteurs des propos haineux ou délictueux, vous épargneriez les complices, c'est-à-dire les plateformes.