Voilà la véritable question. C'est en renforçant les moyens de cette plateforme que nous gagnerions en efficacité, pas en confiant le soin de réguler ce qui est une mission de service public à ceux qui prospèrent sur l'économie de l'attention. Il y a là un paradoxe de taille.
D'ailleurs, l'expérience de nos voisins allemands dans ce domaine, dont votre proposition de loi s'inspire très largement, devrait nous alerter. Un an après la mise en application de la loi allemande, celle-ci se trouve critiquée aussi bien en raison de son manque d'efficacité qu'en raison du danger de « surcensure » qui l'accompagne. Bien réel est le risque de voir la liberté de communication se rétrécir du fait d'une censure grand angle de la part des plateformes qui souhaiteraient à bon compte se prémunir des sanctions prévues par la loi.
Chers collègues, lorsqu'une liberté aussi fondamentale que la liberté d'expression est en jeu, seul le juge est un recours légitime et efficace. Contrairement aux idées reçues, la justice, notamment en référé, sait gérer les situations d'urgence.
J'ai dit notre intention de contribuer à une réussite collective concernant ce grave sujet. C'est pourquoi nous serons amenés à faire plusieurs propositions dans le cadre du débat. D'abord, nous sommes favorables au rétablissement du rôle central du juge, seul capable de faire une interprétation fine et étayée, et d'attester ou d'écarter avec rigueur les contenus illicites. Ensuite, nous souhaitons obtenir la garantie que les opérateurs de plateformes ne soient pas les seuls juges du « manifestement illicite » et demandons le renforcement de dispositifs existants tels que la plateforme PHAROS.
La transparence étant au coeur d'une politique de régulation, nous proposons par ailleurs de renforcer l'obligation d'information qui incombe aux opérateurs de plateforme. Enfin, nous vous invitons à ouvrir la voie à ce qui serait une réelle innovation et un vrai progrès, l'obligation d'interopérabilité entre plateformes. Plutôt que de laisser celles-ci s'enfermer dans un modèle concurrentiel ancien et inefficace, le législateur serait inspiré de contribuer à faire émerger un modèle collaboratif, à la fois plus opérationnel, plus réactif et plus transparent, et de contraindre par la loi les plateformes à s'y rallier. Cette préconisation était formulée, je vous le rappelle, dans un rapport du Conseil national du numérique.
Nous proposons dans ce cadre la mise en place d'une base de données des notifications en format libre et ouvert, fiable et transparente, précisant l'étendue et la nature des retraits effectués à la suite des signalements aux opérateurs. Cette plateforme permettrait d'assurer un suivi réel de l'efficacité des mesures de blocage. Elle contribuerait à réduire l'emprise des géants du net sur nos vies et serait une source de transparence et de protection des données.
Vous l'avez compris, si notre engagement contre la haine sur internet est total, nos réserves et nos inquiétudes demeurent très grandes à l'issue des travaux en commission et alors que s'ouvre dans notre hémicycle un débat auquel nous allons bien sûr contribuer avec un esprit constructif.