Je tiens, en premier lieu, à remercier la rapporteure de son long travail de concertation avec les représentants des plateformes, des associations de défense des droits de l'homme et des parlementaires, travail qui nous a permis d'aboutir à une proposition de loi posant les fondements du vivre ensemble sur internet.
Le constat que nous formulons est simple : le développement des réseaux sociaux a provoqué, ces dernières années, une augmentation exponentielle des contenus haineux diffusés sur internet, sans que le régime de responsabilité des acteurs du numérique, tel qu'il résulte de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, n'ait évolué. Or ces acteurs, du fait de leur modèle économique, favorisent la viralité de tels contenus et portent, en ce sens, une responsabilité nouvelle.
Tristan Harris, ancien ingénieur de Google, a rappelé ce constat devant le Sénat américain, il y a quelques jours : chaque mot d'indignation ajouté à un tweet fait augmenter le taux de retweet de 17 % en moyenne. Or, en donnant un écho spectaculaire à la haine en ligne, les réseaux sociaux ne contribuent pas seulement à exposer les victimes à des propos nocifs, ils affaiblissent également notre idée de la cohésion sociale.
La vidéo de l'agression de Julia Boyer – molestée en raison de son identité de genre, place de la République – , devenue virale sur les réseaux sociaux il y a quelques mois, nous enseigne une chose : il existe un continuum de la haine qui transcende les frontières entre le monde réel et le monde virtuel. La vidéo s'est en effet accompagnée d'un flot d'injures transphobes qui sont restées plusieurs jours en ligne, ce qui a pu légitimer l'idée que de tels discours ont droit de cité dans l'espace public. Je tiens donc à saluer les nouvelles obligations faites aux plateformes pour lutter contre la viralité de la haine, notamment concernant l'obligation de retrait des contenus haineux sous vingt-quatre heures.
Je crois néanmoins qu'il est nécessaire de pointer la responsabilité des autres acteurs concernés, à commencer par celle des auteurs de haine, bien sûr, sans oublier celle de l'éducation nationale, qui ne s'est pas suffisamment emparée de cette question au cours de ces dernières années – à cet égard, je me félicite que Jean-Michel Blanquer en ait fait un axe fort de sa politique.
En tant que membre de la commission des affaires culturelles, il ne m'a pas échappé que la haine en ligne est d'abord le fait d'un jeune public. Dans son rapport d'information sur « L'école dans la société du numérique », Bruno Studer a souligné que l'usage généralisé d'internet et des smartphones chez les jeunes les exposait à des attaques incessantes de la part de proches et d'inconnus sur les réseaux sociaux.
On se souvient, notamment, de la violente campagne de cyberharcèlement dont a été victime Bilal Hassani au mois de novembre dernier, ponctuée de menaces de mort et de contenus manifestement transphobes qui se sont répandus partout sur les réseaux. Je suis, à ce propos, ravi que mon amendement visant à prendre en compte la lutte contre les propos discriminatoires ou haineux à raison de l'identité de genre ait été adopté en commission. Reste que le cas de Bilal Hassani est loin d'être anecdotique : les travaux de recherche de Catherine Blaya, présidente de l'Observatoire international de la violence à l'école, montrent que près d'un élève sur deux est victime d'attaques en ligne au moins une fois par an et 6 % en sont victimes de façon répétée, au moins une fois par semaine.
Or la portée d'une sanction strictement judiciaire apparaît peu dissuasive pour un public de mineurs : la majorité des plaintes sont classées et la chancellerie rappelle que les mineurs de moins de 13 ans n'encourent jamais de peine de prison ou d'amende. Il est donc essentiel que l'éducation nationale prenne le sujet de la haine en ligne à bras-le-corps. La haine en ligne est souvent le corollaire du cyberharcèlement, lequel a transformé la nature du harcèlement scolaire autrefois confiné à l'enceinte de l'établissement Malgré l'existence de circulaires et d'outils de prévention du harcèlement à l'école, les chefs d'établissement sont encore trop souvent désarmés face à ce problème. De nombreux élèves continuent ainsi de subir des assauts numériques répétés de la part d'autres élèves. Contre ce fléau qui pousse certains au suicide, des leviers existants peuvent être utilisés pour améliorer l'écoute des victimes et engager des procédures disciplinaires afin que les auteurs de haine soient contraints de réparer leurs méfaits.
Dans le même temps, il apparaît nécessaire de préciser la loi. En effet, malgré l'existence de dispositions législatives dans le code de l'éducation, les élèves ne sont pas formés spécifiquement au civisme en ligne.
D'une part, les enseignements dispensés dans le cadre de l'éducation au numérique se concentrent trop souvent sur un « usage responsable » plutôt que sur un « usage respectueux » d'internet : les enjeux de protection des données et de dangers de l'exposition de soi sont, de fait, plus fréquemment abordés que celui de la haine en ligne, qui ne bénéficie pas de module dédié.
D'autre part, compte tenu de sa transversalité, l'éducation au numérique est insuffisamment présente dans les contenus disciplinaires : la question de la haine en ligne peut être abordée, mais cela dépend de l'appétence des enseignants pour le sujet et de leur capacité à le faire. C'est pourquoi je défendrai un amendement visant à préciser les objectifs de l'enseignement moral et civique.
Par ailleurs, le réseau national des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, les ESPE, concède que ce thème est très rarement abordé dans les modules de formation des enseignants, faute de temps et à cause du rétrécissement du volume alloué au tronc commun.
Je me réjouis donc des dispositions déjà adoptées en commission des affaires culturelles et visant à mentionner explicitement la lutte contre la haine en ligne parmi les objectifs de l'éducation au numérique et dans le tronc commun de formation des ESPE, ce qui permettra d'en faire un sujet légitime aux yeux de l'institution scolaire. Parce qu'il faut toutefois aller plus loin, je défendrai un amendement visant à former les élèves au civisme en ligne dès l'école primaire.