Intervention de Émilie Cariou

Séance en hémicycle du jeudi 4 juillet 2019 à 9h30
Taxe sur les services numériques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Cariou :

Nous nous retrouvons pour achever l'examen du projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés, à la suite de la CMP, fructueuse, qui s'est tenue la semaine dernière. Nous ne pouvons que saluer l'effort de convergence dont nous avons tous fait preuve, députés et sénateurs, afin de finaliser rapidement un texte de très haute portée symbolique sur le plan international, en outre très attendu par nos concitoyens.

Ce texte comporte deux volets. D'une part, il institue une taxe sur les services numériques s'appliquant spécifiquement au chiffre d'affaires issu d'activités à forte valeur ajoutée dans le secteur numérique, donc dématérialisées, qui échappent au mécanisme de taxation classique. D'autre part, il maintient le taux d'imposition des grandes entreprises et multinationales à son niveau actuel, afin d'assurer une partie du financement des mesures sociales qui ont été annoncées à la fin de l'année dernière, au coeur de la crise qu'a connue notre pays.

S'agissant de la TSN, vous le savez, la France oeuvre sans relâche depuis 2012 dans les instances internationales afin de mettre fin à la scandaleuse situation des multinationales et des GAFA, qui réussissent à échapper à l'impôt, partout dans le monde. Les pays de l'OCDE ont travaillé, en liaison avec le G7 et le G20, pour redéfinir des règles d'assiette à travers plusieurs conventions imposant de nouvelles obligations. L'Union européenne s'est attaquée, elle aussi, à ce sujet, et je regrette que la récente campagne électorale n'ait pas été l'occasion de valoriser l'immense travail réalisé au niveau européen, qui a débouché sur l'adoption de plus de dix directives dédiées à la transparence bancaire, à la transparence fiscale, aux règles d'assiette, à la limitation des charges financières, à la lutte contre le blanchiment ou à la mise en cause des intermédiaires.

Si toutes ces avancées sont en train de changer le visage de la fiscalité mondiale, un problème aigu demeure, celui de la localisation des résultats taxables des entreprises du numérique, autrement dit la question de l'établissement stable. Taxer le profit là où il est créé, tel est l'enjeu, mais aussi le noeud expliquant l'échec des négociations jusqu'à présent.

Je regrette que les grandes entreprises françaises, représentées au sein de l'Association française des entreprises privées – AFEP – , aient toujours refusé d'avancer sur ce point, arguant du fait que la propriété intellectuelle des groupes français allait se trouver taxée en Chine. Mais où se trouve-t-elle taxée aujourd'hui, sinon en Suisse ? Autrement dit, elle n'est pas taxée ! Là encore, c'est l'OCDE qui le dit.

La même AFEP a formé un recours devant le Conseil constitutionnel contre la loi relative à la lutte contre la fraude, que nous avons adoptée à la quasi-unanimité et qui a mis fin au verrou de Bercy. Tel est le spectacle que nous offrent ces grandes entreprises : elles réalisent des profits, mais refusent de se plier à nos règles fiscales et à nos règles de solidarité, à l'heure où nous devons pourtant reconstruire la confiance citoyenne dans notre système fiscal.

Certes, la taxe sur les services numériques que nous instituons porte sur le chiffre d'affaires et ne remplace pas la juste imposition des résultats. Toutefois, c'est un premier pas que nous devons réaliser afin de mettre fin au déséquilibre résultant de la non-taxation des profits issus de ces activités.

Cette taxe a été adoptée par le Sénat, avec les quelques correctifs énoncés par Joël Giraud, rapporteur général et rapporteur de la CMP. En définitive, nous avons conservé l'article 1er bis A, qui prévoit la remise d'un rapport par le Gouvernement sur les raisons d'une éventuelle absence de notification de la taxe à Bruxelles, ce qui nous paraît sécuriser le texte. Pour le reste, un rescrit administratif devrait traiter des activités des SIR. Enfin, nous sommes revenus sur l'imputation de la TSN sur la C3S, qui avait été introduite par le Sénat. Cette taxe sera donc déductible du résultat soumis à l'IS, comme les autres taxes supportées par l'entreprise.

Nous pouvons nous féliciter de l'accord trouvé avec nos collègues sénateurs. Cette taxe inspire d'ailleurs les travaux en cours au sein de l'OCDE et de l'Union européenne. Elle ne constitue donc qu'une étape dans la résolution du problème de la localisation des bénéfices imposables à l'ère de la numérisation de l'économie. Les ministres des finances des pays de l'OCDE se retrouveront l'automne prochain à Washington pour travailler spécifiquement sur ce sujet, dans le prolongement du sommet de Fukuoka de juin dernier.

J'en viens au taux d'IS appliqué aux grandes entreprises, qui fait l'objet de l'article 2. Comme vous le savez, pour répondre aux situations d'urgence sociale mises au jour lors du mouvement de colère qui s'est exprimé, le Président de la République a annoncé, à la fin de l'année dernière, une série de mesures : revalorisation de la prime d'activité, suppression d'une partie de la hausse de la CSG, primes défiscalisées, annulation de la hausse de la taxe carbone. Ces mesures ont un coût pour nos finances publiques, que nous devons financer. Nous demandons ici un effort aux plus grandes entreprises, en maintenant leur taux d'imposition à l'IS, sans dégrader la trajectoire générale de baisse de l'IS pour les autres entreprises.

Je constate que la majorité sénatoriale ne s'est pas opposée à cet article, contrairement à la droite parlementaire ici présente.

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