Nous sommes entrés dans ce débat avec au moins deux points de consensus entre nous : tout le monde s'accorde à reconnaître l'immense progrès que représentent tant les réseaux sociaux qu'internet en matière de prise de parole, notamment de la part de ceux de nos concitoyens qui ne la prenaient ou qui ne pouvaient pas la prendre. Tout le monde a salué et constaté ce progrès, mais il s'accompagne, comme tout bouleversement d'ampleur, de risques et de dangers.
Second point de consensus : face à cette évolution, nous sommes tous d'accord pour réguler le système et trouver des règles en vue de l'encadrer.
Cependant, au-delà de ces deux points de consensus, nous avons divergé. D'immenses plateformes se sont développées, ont désormais une tendance hégémonique à l'échelle mondiale et tendent à se substituer aux États, ou, tout du moins, à vouloir prendre de plus en plus de pouvoir. Confrontés à cette évolution, les États et les puissances publiques doivent s'affirmer. Or nous divergeons sur ce point : au lieu d'affirmer la puissance de l'État, celle de la loi, celle du juge et celles des règles qu'une société humaine se donne en commun, vous confiez à ces mêmes plateformes, qui ne cessent de vouloir conforter leur pouvoir, en lieu et place de la société publique, les clefs de la régulation.
Il s'agit pour nous d'une erreur, même si je ne sais sur quel compte il faut la mettre.
Quand je vois cependant que le président de Facebook est reçu comme un chef d'État et qu'il propose d'instituer une cour suprême internationale gérée par les plateformes, cela témoigne à mon sens de la prétention d'une structure privée qui entend se comporter comme un État : je trouve cela extrêmement dangereux pour la démocratie.
Il n'y aura pas de bonne réponse qui ne soit une réponse de la société organisée en tant que telle, c'est-à-dire avec ses propres règles, ses propres lois, sa propre justice et sa propre police : telle est la divergence majeure qui nous oppose.
Or je crains que vous ne soyez entrés dans ce débat législatif avec l'idée que l'on pouvait confier aux plateformes elles-mêmes, sous contrôle bien sûr, les clefs de la régulation. Je pense que cela n'est pas possible et que cela revient en quelque sorte à donner les clefs du poulailler au renard.
Je voudrais, pour conclure, reconnaître quatre vertus au débat que nous avons eu. La première tient à l'état d'esprit constructif et à l'écoute – notamment des oppositions, puisqu'un certain nombre de leurs amendements ont été adoptés – qui a permis un vrai débat. Il faut le noter, c'est important, car ce n'est pas toujours le cas.
Deuxième vertu de ce débat : il nous a permis, sur de multiples bancs de cette assemblée mais notamment sur ceux de la majorité, de refuser que cette proposition constitue un véhicule dans le sillage duquel pouvaient se glisser d'autres débats. Je pense notamment à certaines interprétations, qui n'existent pas dans le droit pénal français, en matière de délits. Plutôt que d'avoir un débat franc, comme cela doit se faire dans notre assemblée, certains, parfois au sein de la majorité, ont essayé d'introduire ces notions en douce. Je suis heureux que ces tentatives aient été rejetées.
Troisième vertu de ce débat : je juge d'autant plus positivement la décision de créer un observatoire que je n'ai pas oublié que j'avais été nommé rapporteur pour la mise en application de cette loi : j'aurai donc à en évaluer l'efficacité.
Enfin, quatrième vertu de ce débat, et la plus importante pour nous qui avons toujours voulu remettre le juge au centre du système : un amendement gouvernemental a créé un parquet et une XVIIe chambre dédiés.
C'est la raison pour laquelle j'essaierai, je pense avec quelque chance de succès, de convaincre le groupe de la Gauche démocrate et républicaine…