Je me réjouis que nous puissions traiter de ce sujet dans l'enceinte de l'Assemblée nationale ; c'est assez récent. J'ai évoqué tout à l'heure l'événement que nous avons organisé et l'engagement interministériel de plusieurs de mes collègues sur la question des règles. Au moment d'annoncer cet événement sur les réseaux sociaux, nous nous sommes interrogés pour savoir s'il fallait utiliser le mot « règles » ; j'ai finalement décidé que tel serait le cas, puisque c'est celui du langage courant, le plus immédiatement compréhensible. Sur les réseaux sociaux, ce choix a généré deux jours de moqueries et de plaisanteries de mauvais goût. Cela montre combien, en 2019, on a encore du mal à parler posément de cette question. Il est important de lever ce tabou car il a plusieurs conséquences. En premier lieu, on a laissé très longtemps les fabricants agir sans leur demander de comptes précis sur la composition des produits qu'ils vendent : comme c'est un tabou, personne ne veut prendre la parole à ce sujet, et donc personne ne veut contraindre qui que ce soit à rien. Le tabou conduit à des méconnaissances dont vous avez cité quelques exemples parmi d'autres et à la précarité menstruelle décrite par votre collègue Bastien Lachaud dans sa proposition de loi. Parce que le sujet est tabou, on n'ose exprimer ni revendications ni exigences, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire. J'espère donc qu'en organisant cet événement, nous avons contribué à la levée du tabou, comme le font de nombreuses organisations, startups et associations féministes qui mènent ce combat.
La demande de transparence sur la composition de produits en contact avec le corps des femmes et qui peuvent avoir des conséquences gravissimes quand ils sont mal utilisés – je pense au syndrome de choc toxique – m'apparaît légitime. Lors de l'événement sur les règles que nous avons organisé, l'entreprise Always s'est engagée à publier la composition de ses produits sur les boîtes, et non plus seulement sur son site internet. La loi obligeant à la transparence mais ne précisant pas où les informations doivent être publiées, des fabricants se limitent à indiquer la composition de leurs produits sur leur site internet. Nous veillerons à la mise en oeuvre de cet engagement, dont il nous a été dit qu'il commencerait de s'appliquer à la rentrée. Nous comptons évidemment sur les parlementaires pour vérifier cela avec nous et, comme pour tout autre sujet, si l'engagement n'est pas tenu, nous ne nous interdisons pas de passer à des mesures coercitives.
Parce que l'information sur ces sujets est indispensable, Jean-Michel Blanquer et moi-même avons rendu obligatoires trois séances annuelles d'éducation sexuelle et affective pour toutes les classes. Beaucoup de ces séances sont assurées par des associations agréées dont le Planning familial, avec des infirmières et des infirmiers scolaires. Contrairement à ce que certains ont allégué, il ne s'agit évidemment pas d'enseigner la masturbation aux adolescents – qui, du reste, n'ont pas besoin de nous pour cela – mais de partager une information concrète et pertinente sur la vie sexuelle et affective, y compris sur la question des règles. Vous avez mentionné plusieurs exemples révoltants des conséquences de croyances obscurantistes partout dans le monde, mais en France aussi des gens restent perméables à cet obscurantisme. Je me souviens ainsi avoir reçu, alors que j'étais élue locale, une jeune femme venue me parler d'IVG et me disant : « Je ne comprends pas comment je peux être enceinte alors que j'ai eu un rapport sexuel à la nouvelle lune ». La méconnaissance du fonctionnement du corps des femmes continue d'exister ici aussi.
Au Burkina Faso, où je me trouvais récemment, je me suis rendue dans le village de Tibou et j'ai assisté à des sessions d'éducation à ce sujet, conduites par l'Unicef. Plusieurs adolescentes m'ont dit ne pas aller l'école quand elles ont leurs règles, « parce qu'elles sont sales ». Nous avons expliqué qu'il n'en est rien et que cela ne doit en aucun cas les empêcher d'aller à l'école. Nous avons dit aussi que les règles sont un phénomène naturel mais que, comme il est dit dans la campagne d'information sur l'endométriose, la douleur ne l'est pas, et elle signale probablement une maladie à rechercher.
Dans le cadre de la diplomatie féministe, les questions de santé sexuelle et reproductive sont au coeur de notre plaidoyer et j'ai insisté sur ce point à l'ONU lors de la dernière réunion de la Commission de la condition de la femme (CSW) de mars dernier, où je représentais la France ; certains d'entre vous étaient d'ailleurs présents. Il est important que la France porte ces sujets ; nous avons co-organisé avec d'autres pays des événements sur la question des règles et de l'hygiène menstruelle ces deux dernières années aux Nations Unies et nous le referons l'année prochaine.
J'en viens au remboursement éventuel des protections hygiéniques par la Sécurité sociale. La précarité menstruelle n'est en rien négligeable, contrairement à ce que certains disent. Cela étant, à titre personnel, je ne pense pas – mais nous verrons quelles sont les conclusions des rapporteures de la Délégation aux droits des femmes et de la sénatrice Patricia Schillinger – que le remboursement par la Sécurité sociale soit une bonne solution. Remboursement implique prescription, ordonnance, achat, document… cela me semble tenir de l'usine à gaz pour de petits montants. Je pense aussi que l'apport éventuel ne doit pas être le même pour des femmes qui ont les moyens de s'acheter des protections hygiéniques et pour celles qui doivent « cantiner » en prison, les femmes sans domicile, les étudiantes, les femmes en grande précarité ou dans des situations ponctuellement difficiles. Pour celles-là, il peut être de la responsabilité des pouvoirs publics au sens large de se faire fournisseur. C'est pourquoi j'ai confié une mission à la sénatrice Patricia Schillinger, visant à expérimenter la gratuité des protections hygiéniques pour les femmes vivant en grande précarité. Cette expérimentation aura lieu à l'échelle d'une région ; je souhaite qu'elle soit généralisée si elle a des résultats positifs et, si ce n'est pas le cas, que l'on en tire des enseignements pour l'améliorer et la généraliser. Je compte aussi, bien sûr, sur les propositions de la Délégation qui pourront mener à de nouvelles politiques publiques en la matière.