Je vous remercie, madame Hai, pour vos aimables propos. La diplomatie féministe et le travail en faveur de l'égalité femmes-hommes en France se nourrissent en effet l'une l'autre. Notre diplomatie féministe est très volontariste et, partout dans le monde, pour ce qui concerne les droits des femmes, la voix de la France est attendue et écoutée. Notre leadership est reconnu par l'ensemble des pays et des organisations, et c'est pourquoi nous organiserons la Conférence mondiale des femmes, sous l'égide de l'ONU, en 2020 à Paris. Mais nous cultivons dans le même temps une forme d'humilité parce que si aucun pays n'a atteint l'égalité parfaite et réelle entre les femmes et les hommes, certains, sur certains points, sont plus avancés que la France.
Ces autres pays sont pour nous une source d'inspiration et nous pouvons avoir avec eux des échanges extrêmement fructueux, parfois en dehors des idées reçues. Ainsi, pour ce qui est de la place des femmes dans la vie politique, la parité est parfaite au Rwanda, en pointe pour la représentation des femmes dans la sphère politique. De même, le Maroc, comme d'autres pays du Maghreb, a déjà mis en oeuvre un budget genré. Quand j'ai annoncé, il y a deux ans que j'allais expérimenter cela, des dizaines de journalistes politiques ont moqué cette expérimentation féministe gauchisante présentée comme étant de mon invention. Or, ce n'est pas mon invention, et je le déplore : depuis une dizaine d'années, des pays le mettent en oeuvre, notamment des pays du Maghreb. La diplomatie féministe nous conduit aussi à ces échanges qui enrichissent nos politiques publiques.
Au nombre des sujets de fierté pour la France, il y a évidemment le droit à l'IVG. Notre pays est en pointe dans la protection de ce droit et aussi dans des progrès récents accomplis, avant l'arrivée du Gouvernement, pour ce qui est de la place des femmes à la tête des entreprises. Le nouveau baromètre Ethics and Boards qui va être publié très prochainement nous dira quelles sont les plus récentes avancées, mais on voit bien que, depuis l'adoption de la loi Copé-Zimmermann il y a chaque année de plus en plus de femmes dans les organes dirigeants des entreprises. La France est passée du bas au haut du classement des pays européens, et ce progrès a été le fait de l'ensemble des entreprises.
Mais il faut encore progresser pour parvenir à l'émancipation économique des femmes et c'est pourquoi deux chantiers seront ouverts à partir de la rentrée. Le premier est le passage à 50 % de tous les quotas existants. J'ai confié une mission à cet effet au HCE, désormais présidé par Brigitte Grésy, dont j'ai eu le plaisir de proposer la nomination au Premier ministre. J'ai entendu des récriminations contre les quotas. Or, ils ont été une mesure d'amorçage : ils auraient disparu si nous avions atteint une parité parfaite. Ce n'est pas le cas, et il y a donc matière à mesurer dans un premier temps, sereinement et sérieusement, l'opportunité d'augmenter les quotas jusqu'à 50 % pour tous les postes qui sont déjà soumis à ce dispositif, hauts fonctionnaires de l'administration de l'État et membres des conseils d'administration des entreprises cotées. Dans le même temps, j'ai confié au CSEP une mission de réflexion sur les conditions de travail des femmes de chambre. Les deux sujets ne vont pas l'un sans l'autre : on ne peut se contenter de favoriser l'accès des femmes cadres supérieures à la direction des entreprises en oubliant de chercher à améliorer les conditions de travail des femmes dans les situations les plus précaires. Ce sont notamment les femmes de chambre qui contribuent à l'excellence hôtelière française mais qui sont invisibles et qui n'ont pu, jusqu'à présent, créer un rapport de force qui leur soit favorable pour améliorer leur qualité de vie au travail.
Nous devons faire monter en compétences les femmes qui travaillent dans les secteurs du service à la personne et dans les métiers d'agents d'entretien, y compris dans les administrations, leur apporter de nouveaux droits. En matière de formation, toute personne travaillant à temps partiel a désormais autant droit à formation que celle qui travaille à temps plein ; il faut le faire savoir à celles qui n'iront peut-être pas s'inscrire spontanément à une formation, les faire monter en compétences et, aussi, augmenter les quotas et forcer un peu les choses pour qu'il y ait davantage de femmes à la direction des entreprises. J'entends parfois demander pourquoi nous voulons toujours contraindre alors que « cela va se faire naturellement ». C'est faux : on attend depuis quelques siècles que cela se fasse naturellement et le World Economic Forum, qui n'est pas une organisation féministe radicale, a calculé que si les choses continuent sur la lancée actuelle, on atteindra l'égalité femmes-hommes au travail en l'an 2234. Je préfèrerais que cela se fasse sinon pendant ce quinquennat au moins de notre vivant.
Madame Muschotti, l'état des lieux de l'accès à l'IVG est en cours de réalisation par ma collègue Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. La suppression de la double clause de conscience pour l'accès à l'IVG est une demande récurrente du Planning familial ainsi que des associations internationales travaillant sur cette question qui souhaitent que l'on maintienne la possibilité pour les médecins de faire jouer la clause de conscience générale, sans stigmatiser l'IVG comme un acte particulier. À titre personnel, je trouve cette demande assez légitime. Néanmoins, sur les sujets liés à l'IVG, il est important de prendre le temps d'une réflexion sérieuse, en y associant toutes les parties prenantes – médecins, organisations représentatives de soignants, organisations représentant les patients, associations, Planning familial, organisations féministes – puis de faire des propositions. La mission d'information de votre Délégation conduira ce travail de fond et formulera des propositions que le Gouvernement étudiera avec attention.
À titre personnel encore, je suis plutôt favorable, madame Battistel, à un allongement raisonnable du délai légal de recours à l'IVG et j'approuve le point de vue que vous récemment exprimé à ce propos, madame la présidente. Dans l'absolu, un allongement raisonnable, de deux semaines, pourrait être une bonne chose ; cela éviterait à des femmes de devoir aller à l'étranger pour interrompre une grossesse. Cependant, une fois encore, je pense que cette décision ne peut pas être prise rapidement, de façon dogmatique, manichéenne, ou pour marquer un but politique car c'est un sujet grave. Il faut déterminer si l'acte médical est le même selon que l'IVG est pratiquée à douze ou à quatorze semaines, ce que, n'étant pas médecin, je ne saurais dire ; il faut écouter les gynécologues et les spécialistes. Y a-t-il une demande d'allongement du délai par les femmes et les associations ? J'ai le sentiment que oui, mais il faut déterminer avec elles les ressorts de la demande. De plus, il ne doit pas s'agir d'un droit formel mais d'un droit réel. Or, en l'état, les difficultés d'accès à l'IVG sont manifestes. Certains territoires sont des déserts médicaux ; le Gouvernement et la majorité travaillent pour y remédier, mais quels praticiens pourraient pratiquer des IVG pendant le délai de deux semaines supplémentaires, c'est-à-dire un plus grand nombre d'IVG ? Il faut y réfléchir avant de créer un droit qui ne doit pas rester formel. Votre Délégation a donc choisi la bonne méthode pour aller vers un allongement raisonnable de l'accès à l'IVG : travailler sans précipitation, en consultant le plus largement possible les parties prenantes, de façon que ce droit puisse être mis en oeuvre et non rester sans effet tangible. La très importante question du maillage territorial est notamment travaillée dans le cadre du projet « Ma Santé 2022 », ce dont votre collègue Thomas Mesnier vous parlerait bien mieux que moi. Nous nous attachons à ce que le maillage territorial soit plus performant, ce qui répondra à une demande des femmes, car traiter de l'IVG, c'est aussi traiter de l'accès à la contraception. Développer les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle et faciliter l'accès aux médecins, aux sages-femmes et à la contraception peut également aller dans le bon sens.