Monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre de la ratification de l'accord commercial de nouvelle génération entre l'Union européenne et le Canada. Cet accord a été discuté, élaboré et amélioré pendant de nombreuses années. Vous vous en rappelez certainement : il a d'abord été négocié sous le quinquennat de M. Nicolas Sarkozy, puis sous celui de M. François Hollande, avant d'entrer provisoirement en vigueur sous cette majorité, au mois de septembre 2017.
Une dernière incertitude juridique devait être levée pour engager la procédure de ratification, mais nous avons obtenu le feu vert du Conseil constitutionnel, puis, au mois d'avril dernier, celui de la Cour de justice de l'Union européenne. Ce n'est donc pas la fin des élections européennes qui nous réunit ici aujourd'hui mais bien la certitude que ce traité est pleinement conforme à notre droit.
Je n'oublie pas cependant qu'il a fait l'objet de quelques légitimes interrogations, notamment en matière environnementale. C'est pourquoi le Président de la République, fidèle à son engagement de campagne électorale, a tenu à mener un véritable processus d'évaluation de cet accord, associant l'ensemble des acteurs et permettant à la Représentation nationale de prendre une décision de manière éclairée.
Nous avons maintenant des garanties juridiques solides, une évaluation précise et transparente de l'accord, et un renforcement de la coopération bilatérale entre la France et le Canada en matière environnementale.
Dans le cadre de cette évaluation, la France a rappelé son engagement ferme au plan européen et mondial en faveur d'un commerce international ambitieux, qui intègre l'accord de Paris et les exigences en matière de développement durable. C'est pourquoi je me permettrai, pour conclure ce propos introductif, d'emprunter ces mots à M. François Hollande : « cet accord, c'est l'illustration de l'équilibre entre ce que nous devons rechercher comme ouverture et ce que nous devons affirmer comme principes ». Je n'ai donc aucun doute sur le fait que la ratification de cet accord, si soutenu par tous, fera l'objet d'un large consensus. (Sourires)
Je m'attarderai quelques instants sur le plan commercial – qui motive la saisine de cette commission. Avec dix-huit mois de recul, force est de constater que cet accord est très bon pour nos filières, nos petites et moyennes entreprises (PME) et notre économie. C'est tout l'objet de mon rapport, qui vous a été transmis hier. Je m'y suis attachée à présenter et à analyser les premiers résultats commerciaux.
Comme vous le savez, l'accord prévoit notamment une chute des droits de douane, l'ouverture des marchés publics canadiens et une coopération réglementaire pour harmoniser nos standards et favoriser les échanges. Les quelques mois d'entrée en vigueur du CETA ont d'ores et déjà démontré l'utilité de ce traité. Ainsi, l'excédent commercial de la France avec la Canada a bondi, passant de 40 millions d'euros en 2017 à 455 millions d'euros à la fin de l'année 2018 ! Alors que, dans le même temps, nos importations ont diminué, nos exportations vers le Canada ont augmenté de 6,6 % et atteignent un niveau historique de plus de 3 milliards d'euros.
Le suivi de la mise en oeuvre de l'accord depuis deux ans et l'audition de nombreux acteurs m'incitent aujourd'hui à vous donner l'exemple de quelques filières. Dans l'industrie mécanique, les exportations de machines industrielles et agricoles ont augmenté de 13 %. Dans l'industrie cosmétique et des parfums, les exportations ont augmenté de 16 % après que les droits de douane ont diminué ; c'est d'ailleurs la plus forte augmentation des exportations de la filière à l'échelle mondiale. Dans la filière textile, qui a vu ses droits de douane passer de 18 % à 0 %, on note une augmentation de 13,5 % de nos exportations.
Réjouissons-nous de ces excellents chiffres. Ce ne sont pas de simples statistiques. Derrière ces chiffres, il y a des PME, des entrepreneurs, des salariés, des directeurs export et développement. J'ai d'ailleurs souhaité leur donner la parole dans le rapport qui vous a été transmis. Près de 10 000 entreprises exportent au Canada, essentiellement des PME, et, dans nos régions, près de 80 000 emplois sont liés aux exportations vers ce pays. Dans le rapport, nous avons fait un « focus » régional, et la majorité des régions bénéficie de la hausse des échanges avec le Canada.
J'ai moi-même pu constater au cours de mes travaux une mobilisation inédite – et, avec certains collègues, j'ai pu y participer –, pour promouvoir les possibilités qu'offre cet accord dans les territoires, car, pour bénéficier de la baisse des droits de douane et être plus compétitif, il faut mettre en oeuvre de nouvelles procédures douanières et être inscrit dans un nouveau registre européen. Encore faut-il que nos PME en soient informées et sachent s'y conformer. Je salue à cet égard la mobilisation de tous les acteurs, notamment la direction générale des douanes, qui a réalisé un travail remarquable auprès des entreprises en région grâce à ses pôles d'action économique, mais aussi les chambres de commerce, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), les MEDEF locaux et Business France, qui ont organisé des dizaines de réunions. Cela témoigne de l'importance de ces réseaux en régions, tournés vers l'international, au côté des fédérations professionnelles. Nous mesurons les premiers résultats de ces actions, sous la forme d'une accélération des inscriptions au registre douanier européen et d'un taux d'utilisation de 50 % des préférences tarifaires de l'accord par nos entreprises – alors même que la moyenne européenne est de 36 %. C'est donc un excellent résultat, après seulement dix-huit mois.
Cependant, nos chiffres sont en deçà de la moyenne européenne pour les précédents accords commerciaux. Je propose donc la mise en place d'une politique « post-accord » structurée pour faire remonter les difficultés administratives ou réglementaires des entreprises mais aussi identifier les filières pour lesquelles il faut accentuer les efforts de sensibilisation. Si nous voulons tirer les meilleurs bénéfices pour nos entreprises de tous les accords à venir, une telle démarche est nécessaire. Je pense notamment aux futurs accords avec le Japon et le Vietnam, mais aussi la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Dans le cadre de ces accords, nous avons des intérêts offensifs pour nos entreprises. Membres de la Représentation nationale, nous avons le devoir de diffuser cette culture de l'export et de la conquête des marchés, qui justifie la négociation des accords commerciaux.
Au travers de ce bref exposé, mes chers collègues, j'ai souhaité vous démontrer l'importance de ces accords pour nos filières offensives. Je n'oublie pas néanmoins nos filières défensives et sensibles. Je pense particulièrement à l'agro-alimentaire, secteur dans lequel les exportations de nos produits ont augmenté de 8,2 %. Elles représentent notre premier poste d'exportation vers le Canada, d'ailleurs notre treizième client dans cette filière.
Des filières plus spécifiques se portent très bien. Les produits laitiers et fromages, secteur dont nous avons auditionné les représentants, qui bénéficient d'un nouveau contingent dans le cadre du CETA, enregistrent une croissance de 19,6 % des exportations. Celles des vins et alcools, filière qui rencontre traditionnellement le succès à l'export, ont augmenté de 6 % et représentent 14 % du total de toutes nos exportations alors que les droits de douane ont diminué – et on connaît la complexité du système canadien des vins et spiritueux.
À ces premiers résultats, je voudrais ajouter une victoire politique, qui n'est pas des moindres, pour le secteur de l'agro-alimentaire, à la fois l'un de nos fleurons à l'export et l'objet de toute notre attention. Pour la première fois, plus d'une centaine d'indications géographiques protégées européennes (IGP) sont reconnues, dont quarante-deux IGP françaises, – vingt-huit IGP de fromage, six dans les viandes, notamment les foies gras de canard, les pruneaux d'Agen, les huiles d'olive, le jambon de Bayonne, le piment d'Espelette… La France se bat depuis des décennies pour défendre son agriculture et ses indications géographiques au plan international. Désormais, elles font partie des exigences européennes dans tous les nouveaux accords et sont inscrites dans le CETA. C'est la force de notre marché de 500 millions de consommateurs, qui nous permet de diffuser nos standards dans le cadre de la coopération réglementaire – et ce n'est pas l'inverse, contrairement à ce qui a pu être prétendu, ces derniers jours, dans la presse.
Je n'oublie pas non plus la filière bovine, qui retient tout votre intérêt, chers collègues, et dont j'imagine qu'elle vous a largement sollicitée au cours de ces derniers jours.
Un suivi très fin de la situation a été réalisé, au sein du comité de suivi des filières sensibles, qui a conclu à l'absence totale d'impact du CETA. Et pour cause ! La France représente le premier cheptel européen, produit près de 1,5 million de tonnes de viande et le quota accordé au Canada pour l'ensemble de l'Union européenne ne représente que 3,2 % de cette production française et 0,6 % de l'ensemble de la production européenne. En 2018, seules 119 tonnes ont été importées en France, dont uniquement 12 tonnes sur le quota CETA. Les importations de viande canadienne ont même diminué de 1,9 % sur l'année et ne représentent que 0,01 % des importations françaises de viande. Cette faiblesse des flux s'explique par l'absence de filière canadienne réservée à l'export vers l'Union européenne qui respecterait nos normes. Seules trente-six fermes canadiennes sont homologuées pour exporter en Europe. Les éleveurs canadiens se tournent prioritairement vers les marchés asiatiques et américains.
Je sais que la filière bovine française se mobilise contre cet accord auprès de vous, chers collègues, mais je ne laisserai pas dire que cette majorité et l'exécutif ne soutiennent pas les éleveurs ! Avec la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite EGALIM, nous nous sommes battus pour que les éleveurs aient un revenu décent et puissent peser dans leurs négociations avec la grande distribution. C'est aussi cette majorité qui a introduit l'obligation de produits locaux et de qualité dans les cantines de nos écoles, notamment grâce à l'acharnement de notre collègue Jean-Baptiste Moreau.
À l'international, c'est M. Emmanuel Macron qui, dès 2018, s'est personnellement engagé et a obtenu du président chinois la levée historique de l'embargo sur le boeuf français en Chine – en vigueur depuis dix-sept ans ! M. Édouard Philippe a signé en Chine l'accord formel pour le retour de notre boeuf sur ce marché, deuxième importateur mondial avec 1,5 million de tonnes. La première livraison a eu lieu au mois de novembre dernier en présence du ministre de l'agriculture Didier Guillaume. Au mois de janvier dernier, les représentants de l'interprofession signaient des accords de partenariat avec leurs homologues à l'ambassade de France à Pékin. Je rappelle aussi que, grâce au nouvel accord commercial avec le Japon entré en vigueur, l'ouverture de quotas et la baisse des droits de douane offrent désormais d'importantes possibilités d'exportations à la viande française de qualité.
Alors je le dis clairement : attention aux mauvais réflexes de ces filières face au commerce quand, par ailleurs, elles exportent plus de 15 % de leur production et sont très satisfaites lorsque l'État ouvre de nouveaux marchés à l'international. Analysons les chiffres, soyons rationnels. Nous ne méconnaissons pas les difficultés des éleveurs, et nous l'avons prouvé pendant deux ans, mais la cohérence et la responsabilité nous imposent de ne pas tomber dans le piège des raccourcis et de la diffusion de caricatures. Celles-ci ont largement nourri le populisme lors des dernières élections européennes.
La France est le premier exportateur mondial de vins et de spiritueux, avec près de 20 % de parts de marché, le premier exportateur d'animaux, le troisième exportateur de céréales et de sucre, le quatrième de lait et de produits laitiers. Nous sommes fiers de notre agriculture de qualité qui s'exporte et rayonne à l'international. Ne tombons pas dans la démagogie protectionniste. Le localisme, le protectionnisme solidaire, le juste échange sont autant d'expressions qui dissimulent en réalité le repli sur soi et la mort de notre agriculture. Tâchons au contraire de travailler à structurer davantage les filières et améliorer nos exportations. Des plans d'action sont d'ailleurs mis en oeuvre à la suite des États généraux de l'alimentation (EGA).
L'accord permettra d'amplifier les investissements de part et d'autre et d'ouvrir les marchés publics canadiens aux entreprises françaises. Nous avons d'ailleurs auditionné le groupe Derichebourg, spécialiste du recyclage et de l'environnement qui a remporté des marchés publics dans la région de Montréal et créé de l'emploi local et qui poursuit son internationalisation.
Rappelons que les investisseurs canadiens en France emploient près de 21 000 salariés et que leurs investissements continuent d'augmenter sur notre territoire, notamment dans les services aux entreprises. Pour leur part, les investisseurs français détiennent 1 130 filiales au Canada et emploient 105 000 personnes. Les mécanismes de reconnaissance des qualifications professionnelles inscrits dans l'accord permettront une meilleure circulation et installation de talents français sur place.
Nous avons donc d'importants atouts à faire valoir des deux côtés de l'Atlantique. Vous l'avez compris, je suis convaincue de l'utilité d'échanges économiques vertueux pour l'environnement, pour alimenter le progrès et l'innovation. Jamais une démarche aussi ambitieuse que le plan d'action CETA n'a été engagée par la France en faveur du climat au plan commercial. Jamais notre outil administratif et diplomatique n'a été aussi mobilisé sur ces sujets.
Je rappelle enfin que le Canada est un pays développé de 35 millions d'habitants, francophone, membre du G7, ardent soutien du multilatéralisme et de l'accord de Paris, aux côtés de la France, et que nous entretenons avec lui des liens historiques et culturels considérables. Si nous ne concluons pas d'accord avec le Canada, avec qui alors allons-nous en conclure ? C'est la question que nous posait le Premier ministre Justin Trudeau dans notre hémicycle – et je me pose la même.
Cet exercice de ratification du CETA permettra par ailleurs de nous éclairer quant à la question de savoir qui soutient réellement notre économie, le savoir-faire et le dynamisme de nos PME dans l'ensemble de nos régions. Qui soutient le travail des milliers d'entrepreneurs qui se battent pour trouver de nouveaux marchés à l'international, pour la réussite de nos territoires et la création d'emploi ?
L'Allemagne échange encore presque quatre fois plus que la France avec ce pays. Ce n'est pas satisfaisant compte tenu de nos relations et de notre histoire.
Je suis donc favorable à la ratification de cet accord.