Lorsque Mme Marie Lebec évoque le CETA, elle décrit le meilleur des mondes et le bonheur pour tous, nous conte d'extraordinaires histoires de succès remportés en deux ans par des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des petites et moyennes entreprises (PME). À critiquer et à remettre en cause l'accord, nous serions de sombres obscurantistes, des protectionnistes, des nationalistes ; et nous irions jusqu'à encourager le populisme, ainsi qu'elle l'a laissé entendre, sans doute dans un excès de langage.
Les critiques formulées par les instituts de diverses obédiences qui ont repris l'évaluation de la commission Schubert méritent d'être regardées. Je ne les énumérerai pas – j'en ai compté une cinquantaine – mais je vous ferai part de certaines d'entre elles. Je me servirai pour cela d'une boussole qui n'est pas la vôtre, mais qui est tout aussi légitime dans cette assemblée : le respect du droit des travailleurs et des consommateurs, ici comme au bout du monde, le respect du climat, notre bien commun, qui conditionne la biodiversité et la souveraineté alimentaire.
Notre évaluation relève de la raison, pas seulement de la passion : nous éprouvons le même amour pour le Canada, le même respect pour cette nation dont les enfants ont donné leur vie, sur nos côtes, il y a soixante-quinze ans. Cette amitié ne souffre pas de discussion, mais elle peut se traduire autrement que par un commerce qui privilégie la loi du plus fort et l'accroissement des échanges, quand nous devrions retrouver la raison – économique et forcément écologique.
Outre la hausse des gaz à effet de serre due à l'augmentation du transport maritime et aérien, les exportations de gaz de schiste canadien vers l'Europe devraient croître de 63 %. Ce n'est évidemment pas le signe que nous attendions. Il convient aussi d'envisager les conséquences systémiques du traité sur les modes de production et leurs effets sur le climat. Car le changement climatique n'est pas dû uniquement aux modes de production d'énergie, il est aussi la traduction d'un mode de développement économique.
À cet égard, je voudrais évoquer l'importance des systèmes herbagers, construits laborieusement et patiemment par l'homme. Composant cinq des huit millions d'hectares de prairies, concentrés au centre de la France, ils correspondent à des systèmes extensifs, parfait équilibre économique et écologique. L'économie des exploitations qui vivent de cette production herbagère extensive est cependant extrêmement fragile : quelques centimes de moins sur le kilo de viande et le peu de revenu des éleveurs est menacé. Le traité pourrait avoir des conséquences sur la pérennité même des systèmes herbagers, qui font office de filtre pour l'eau et de poumon pour notre planète. La disparition de cette économie, qui ne pourra être remplacée par nulle autre, ni par l'État ni par la nature, aurait des conséquences dramatiques pour notre climat.
Prenons en considération cette fragilité, et cessons avec la fiction selon laquelle les quotas canadiens ne représenteraient que 0,6 % de la production européenne de boeuf. L'enjeu véritable se situe au niveau des importations d'aloyau, qui pourraient représenter jusqu'à 15 % de la production française et 8 % de la production européenne. Avec un différentiel de prix de 30 %, cette viande pourrait concurrencer et ruiner l'économie des élevages, dont le rôle économique et écologique est fabuleux pour nos territoires.
Nous sommes loin d'avoir exploré la question sanitaire. La polémique sur les farines reste entière, puisqu'il n'existe aucun moyen réglementaire de contrôler ce que nous avons interdit chez nous. Pourquoi donc interdisons-nous les farines dans notre pays si nous n'avons aucun moyen de contrôler celles qui seront importées du Canada ?
Malheureusement, le temps me manque pour évoquer la dérégulation du commerce international du lait, qui a provoqué l'effondrement des prix, ce que la réussite d'aucun fromage ne pourra compenser.
J'espère que nous débattrons de l'atteinte à la justice que constitue la création de tribunaux arbitraux, que personne n'a encore évoqués.
Cet accord n'est bon ni pour les paysans, ni pour le pays, ni pour la planète. Il nous faut inventer une autre mondialisation et nous concentrer sur nos coopérations avec l'aire afro-méditerranéenne.